C'est pas l'homme qui prend la mer C'est la mer qui prend l'homme" Moi la mer elle m'a pris Je m'souviens, un vendredi Ne pleure plus ma mĂšre Ton fils est matelot Ne pleure plus mon pĂšre

Marivaux Théùtre complet. Tome premier Le PÚre prudent et équitable Adresse A Monsieur Rogier Seigneur du Buisson, Conseiller du Roi, Lieutenant général civil et de police en la sénéchaussée et siÚge présidial de Limoges. Monsieur, Le hasard m'ayant fait tomber entre les mains cette petite piÚce comique, je prends la liberté de vous la présenter, dans l'espérance qu'elle pourra, pour quelques moments, vous délasser des grands soins qui vous occupent, et qui font l'avantage du public. Je pourrais ici trouver matiÚre à un éloge sincÚre et sans flatterie ; mais tant d'autres l'ont déjà fait et le font encore tous les jours qu'il est inutile de mÃÂȘler mes faibles expressions aux nobles et justes idées que tout le monde a de vous ; pour moi, conteny de vous admirer, je borne ma hardiesse à vous demander l'honneur de votre protection et de me dire, avec un trÚs profond respect, Monsieur, Le trÚs humble et trÚs obéissant serviteur. M*** Acteurs Démocrite, pÚre de Philine. Philine, fille de Démocrite. Toinette, servante de Philine. Cléandre, amant de Philine. Crispin, valet de Cléandre. Ariste, bourgeois campagnard. MaÃtre Jacques, paysan suivant Ariste. Le Chevalier. Le Financier. Frontin, fourbe employé par Crispin. La scÚne est sur une place publique, d'oÃÂč l'on aperçoit la maison de Démocrite. ScÚne premiÚre Démocrite, Philine, Toinette Démocrite Je veux ÃÂȘtre obéi; votre jeune cervelle Pour l'utile, aujourd'hui, choisit la bagatelle. Cléandre, ce mignon, à vos yeux est charmant Mais il faut l'oublier, je vous le dis tout franc. Vous rechignez, je crois, petite créature! Ces morveuses, à peine ont-elles pris figure Qu'elles sentent déjà ce que c'est que l'amour. Eh bien donc! vous serez mariée en ce jour! Il s'offre trois partis un homme de finance, Un jeune Chevalier, le plus noble de France, Et Ariste, qui doit arriver aujourd'hui. Je le souhaiterais, que vous fussiez à lui. Il a de trÚs grands biens, il est prÚs du village; Il est vrai que l'on dit qu'il n'est pas de votre ùge Mais qu'importe aprÚs tout? La jeune de Faubon En est-elle moins bien pour avoir un barbon? Non. Sans aller plus loin, voyez votre cousine; Avec son vieux époux sans cesse elle badine; Elle saute, elle rit, elle danse toujours. Ma fille, les voilà les plus charmants amours. Nous verrons aujourd'hui ce que c'est que cet homme. Pour les autres, je sais aussi comme on les nomme Ils doivent, sur le soir, me parler tous les deux. Ma fille, en voilà trois; choisissez l'un d'entre eux, Je le veux bien encor; mais oubliez Cléandre; C'est un colifichet qui voudrait nous surprendre, Dont les biens, embrouillés dans de trÚs grands procÚs, Peut-ÃÂȘtre ne viendront qu'aprÚs votre décÚs. Philine Si mon coeur... Démocrite Taisez-vous, je veux qu'on m'obéisse. Vous suivez sottement votre amoureux caprice; C'est faire votre bien que de vous résister, Et je ne prétends point ici vous consulter. ScÚne II Philine, Toinette Philine Dis-moi, que faire aprÚs ce coup terrible? Tout autre que Cléandre à mes yeux est horrible. Quel malheur! Toinette Il est vrai. Philine Dans un tel embarras, PlutÎt que de choisir, je prendrais le trépas. ScÚne III Philine, Toinette, Cléandre, Crispin Cléandre N'avez-vous pu, Madame, adoucir votre pÚre? A nous unir tous deux est-il toujours contraire? Philine Oui, Cléandre. Cléandre A quoi donc vous déterminez-vous? Philine A rien. Cléandre Je l'avouerai, le compliment est doux. Vous m'aimez cependant; au péril qui nous presse, Quand je tremble d'effroi, rien ne vous intéresse. Nous sommes menacés du plus affreux malheur Sans alarme pourtant... Philine Doutez-vous que mon coeur, Cher Cléandre, avec vous ne partage vos craintes? De nos communs chagrins je ressens les atteintes; Mais quel remÚde, enfin, y pourrai-je apporter? Mon pÚre me contraint, puis-je lui résister? De trois maris offerts il faut que je choisisse, Et ce choix à mon coeur est un cruel supplice. Mais à quoi me résoudre en cette extrémité, Si de ces trois partis mon pÚre est entÃÂȘté? Qu'exigez-vous de moi? Cléandre A quoi bon vous le dire, Philine, si l'amour n'a pu vous en instruire? Il est des moyens sûrs, et quand on aime bien... Philine ArrÃÂȘtez, je comprends, mais je n'en ferai rien. Si mon amour m'est cher, ma vertu m'est plus chÚre. Non, n'attendez de moi rien qui lui soit contraire; De ces moyens si sûrs ne me parlez jamais. Cléandre Quoi! Philine Si vous m'en parlez, je vous fuis désormais. Cléandre Eh bien! fuyez, ingrate, et riez de ma perte. Votre injuste froideur est enfin découverte. N'attendez point de moi de marques de douleur; On ne perd presque rien à perdre un mauvais coeur; Et ce serait montrer une faiblesse extrÃÂȘme, Par de lùches transports de prouver qu'on vous aime, Vous qui n'avez pour moi qu'insensibilité. Doit-on par des soupirs payer la cruauté? C'en est fait, je vous laisse à votre indifférence; Je vais mettre à vous fuir mon unique constance; Et si vous m'accablez d'un si cruel destin, Vous ne jouirez pas du moins de mon chagrin. Philine Je ne vous retiens pas, devenez infidÚle; Donnez-moi tous les noms d'ingrate et de cruelle; Je ne regrette point un amant tel que vous, Puisque de ma vertu vous n'ÃÂȘtes point jaloux. Cléandre Finissons là -dessus; quand on est sans tendresse On peut faire aisément des leçons de sagesse, Philine, et quand un coeur chérit comme le mien... Mais quoi! vous le vanter ne servirait de rien. Je vous ai mille fois montré toute mon ùme, Et vous n'ignorez pas combien elle eut de flamme; Mon crime est d'avoir eu le coeur trop enflammé; Vous m'aimeriez encor, si j'avais moins aimé. Mais, dussé-je, Philine, ÃÂȘtre accablé de haine, Je sens que je ne puis renoncer à ma chaÃne. Adieu, Philine, adieu; vous ÃÂȘtes sans pitié, Et je n'exciterais que votre inimité. Rien ne vous attendrit quel coeur! qu'il est barbare! Le mien dans les soupirs s'abandonne et s'égare. Ha! qu'il m'eût été doux de conserver mes feux! Plus content mille fois... Que je suis malheureux! Adieu, chÚre Philine... Il s'en va et il revient. Avant que je vous quitte... De quelques feints regrets du moins plaignez ma fuite. Philine, s'en allant aussi et soupirant. Ah! Cléandre l'arrÃÂȘte. Mais oÃÂč fuyez-vous? arrÃÂȘtez donc vos pas. Je suis prÃÂȘt d'obéir; et ne me fuyez pas. Toinette Votre pÚre pourrait, Madame, vous surprendre; Vous savez qu'il n'est pas fort prudent de l'attendre; Finissez vos débats, et calmez le chagrin... Crispin Oui, croyez-en, Madame, et Toinette et Crispin; Faites la paix tous deux. Toinette Quoi! toujours triste mine! Crispin Parbleu! qu'avez-vous donc, Monsieur, qui vous chagrine? Je suis de vos amis, ouvrez-moi votre coeur A raconter sa peine on sent de la douceur. Chassez de votre esprit toute triste pensée. Votre bourse, Monsieur, serait-elle épuisée? C'est, il faut l'avouer, un destin bien fatal; Mais en revanche, aussi, c'est un destin banal. Nombre de gens, atteints de la mÃÂȘme faiblesse, Dans leur triste gousset logent la sécheresse Mais Crispin fut toujours un généreux garçon; Je vous offre ma bourse, usez-en sans façon. Toinette Ah! que vous m'ennuyez! pour finir vos alarmes, C'est un fort bon moyen que de verser des larmes! Retournez au logis passer votre chagrin. Crispin Et retournons au nÎtre y prendre un doigt de vin. Toinette Que vous ÃÂȘtes enfants! Crispin Leur douloureux martyre, En les faisant pleurer, me fait crever de rire. Toinette Qu'un air triste et mourant vous sied bien à tous deux! Crispin Qu'il est beau de pleurer, quand on est amoureux! Toinette Eh bien! finissez-vous? toi, Crispin, tiens ton maÃtre. Hélas! que vous avez de peine à vous connaÃtre! Crispin Ils ne se disent mot, Toinette; sifflons-les. On siffle bien aussi messieurs les perroquets. Cléandre Promettez-moi, Philine, une vive tendresse. Philine Je n'aurai pas de peine à tenir ma promesse. Crispin Quel aimable jargon! je me sens attendrir; Si vous continuez, je vais m'évanouir. Toinette Hélas! beau Cupidon! le douillet personnage! Mais, Madame, en un mot, cessez ce badinage. Votre pÚre viendra. Cléandre Non, il ne suffit pas D'avoir pour à présent terminé nos débats. Voyons encore ici quel biais l'on pourrait prendre, Pour nous unir enfin, ce qu'on peut entreprendre. Philine, à Toinette. De mon pÚre tu sais quelle est l'intention. Il m'offre trois partis Ariste, un vieux barbon; L'autre est un chevalier, l'autre homme de finance; Mais Ariste, ce vieux, aurait la préférence Il a de trÚs grands biens, et mon pÚre aujourd'hui Pourrait le préférer à tout autre parti. Il arrive en ce jour. Toinette Je le sais, mais que faire? Je ne vois rien ici qui ne vous soit contraire. Dans ta tÃÂȘte, Crispin, cherche, invente un moyen. Pour moi, je suis à bout, et je ne trouve rien. Remue un peu, Crispin, ton imaginative. Crispin En fait de tours d'esprit, la femelle est plus vive. Toinette Pour moi, je doute fort qu'on puisse rien trouver. Crispin, tout d'un coup en enthousiasme. Silence! par mes soins je prétends vous sauver. Toinette Dieux! quel enthousiasme! Crispin Halte là ! mon génie Va des fureurs du sort affranchir votre vie. Ne redoutez plus rien; je vais tarir vos pleurs, Et vous allez par moi voir finir vos malheurs. Oui, quoique le destin vous livre ici la guerre, Si Crispin est pour vous... Toinette Quel bruit pour ne rien faire! Crispin Osez-vous me troubler, dans l'état oÃÂč je suis? Si ma main... Mais, plutÎt, rappelons nos esprits. J'enfante... Toinette Un avorton. Crispin Le dessein d'une intrigue. Toinette Eh! ne dirait-on pas qu'il médite une ligue? Venons, venons au fait. Crispin Enfin je l'ai trouvé. Toinette Ha! votre enthousiasme est enfin achevé. Crispin, parlant à Philine. D'Ariste vous craignez la subite arrivée. Philine Peut-ÃÂȘtre qu'à ce vieux je me verrais livrée. Crispin, à Cléandre. Vaines terreurs, chansons. Vous, vous ÃÂȘtes certain De ne pouvoir jamais lui donner votre main? Cléandre Oui vraiment. Crispin Avec moi, tout ceci bagatelle. Cléandre Hé que faire? Crispin Ah! parbleu, ménagez ma cervelle. Toinette BenÃÂȘt! Crispin Sans compliment c'est dans cette journée, Qu'Ariste doit venir pour tenter hyménée? Toinette Sans doute. Crispin Du voyage il perdra tous les frais. Je saurai de ces lieux l'éloigner pour jamais. Quand il sera parti, je prendrai sa figure D'un campagnard grossier imitant la posture, J'irai trouver ce pÚre, et vous verrez enfin Et quel trésor je suis, et ce que vaut Crispin. Toinette Mais enfin, lui parti, cet homme de finance, De La BoursiniÚre, est rival d'importance. Crispin Nous pourvoirons à tout. Toinette Ce chevalier charmant?... Crispin Ce sont de nos cadets brouillés avec l'argent Chez les vieilles beautés est leur bureau d'adresse. Qu'il y cherche fortune. Toinette Hé oui, mais le temps presse. Ne t'amuse donc pas, Crispin; il faut pourvoir A chasser tous les trois, et mÃÂȘme dÚs ce soir. Ariste étant parti, dis-nous par quelle adresse, Des deux autres messieurs... Crispin J'ai des tours de souplesse Dont l'effet sera sûr... A propos, j'ai besoin De quelque habit de femme. Cléandre Hé bien! j'en aurai soin Va, je t'en donnerai. Crispin Je connais certain drÎle, Que je dois employer, et qui jouera son rÎle. Se tournant vers Cléandre et Philine, il dit Vous, ne paraissez pas; et vous, ne craignez rien Tout doit vous réussir, cet oracle est certain. Je ne m'éloigne pas. Avertis-moi, Toinette, Si l'un des trois arrive, afin que je l'arrÃÂȘte. Cléandre Adieu, chÚre Philine. Philine ScÚne IV Cléandre, Crispin Cléandre Mais dis, Crispin, Pour tromper Démocrite es-tu bien assez fin? Crispin Reposez-vous sur moi, dormez en assurance, Et méritez mes soins par votre confiance. De ce que j'entreprends je sors avec honneur, Ou j'en sors, pour le moins, toujours avec bonheur. Cléandre Que tu me rends content! Si j'épouse Philine, Je te fonde, Crispin, une sûre cuisine. Crispin Je savais autrefois quelques mots de latin Mais depuis qu'à vos pas m'attache le destin, De tous les temps, celui que garde ma mémoire. C'est le futur, soit dit sans taxer votre gloire, Vous dites au futur Ca, tu seras payé; Pour de présent, caret vous l'avez oublié. Cléandre Va, tu ne perdras rien; ne te mets point en peine. Crispin Quand vous vous marierez, j'aurai bien mon étrenne. Sortons; mais quel serait ce grand original? Ma foi, ce pourrait bien ÃÂȘtre notre animal. Allez chez vous m'attendre. ScÚne V Crispin, Ariste, MaÃtre Jacques, suivant Ariste. MaÃtre Jacques C'est là , monsieur Ariste Velà bian la maison, je le sens à la piste; Mais l'homme que voici nous instruira de ça. Crispin, s'entortillant le nez dans son manteau. Que cherchez-vous, Messieurs? Ariste Ne serait-ce pas là La maison d'un nommé le Seigneur Démocrite? MaÃtre Jacques Je sons partis tous deux pour lui rendre visite. Crispin Oui, que demandez-vous? Ariste J'arrive ici pour lui. MaÃtre Jacques C'est que ce Démocrite avertit celui-ci Qu'il lui baillait sa fille, et ça m'a fait envie; Je venions assister à la çarimonie. Je devons épouser la fille de Jacquet, Et je venions un peu voir comment ça se fait. Crispin Est-ce Ariste? Ariste C'est moi. MaÃtre Jacques Velà sa portraiture, Tout comme l'a bùti notre mÚre nature. Crispin Moi, je suis Démocrite. Ariste Ah! quel heureux hasard! Démocrite, pardon si j'arrive un peu tard. Crispin Vous vous moquez de moi. MaÃtre Jacques Velà donc le biau-pÚre? Oh! bian, pisque c'est vous, souffrez donc sans mystÚre Que je vous dégauchisse un petit compliment, En vous remarcissant de votre traitement. Crispin Vous me comblez d'honneur; je voudrais que ma fille Pût, dans la suite, Ariste, unir notre famille. On nous a fait de vous un si sage récit. Ariste Je ne mérite pas tout ce qu'on en a dit. MaÃtre Jacques Palsangué! qu'ils feront tous deux un beau carrage Je ne sais pas au vrai si la fille est bian sage; Mais, margué! je m'en doute. Crispin Il ne me sied pas bien De la louer moi-mÃÂȘme et d'en dire du bien. Vous en pourrez juger, elle est trÚs vertueuse. MaÃtre Jacques Biau-pÚre, dites-moi, n'est-elle pas rÃÂȘveuse? Crispin Monsieur sera content s'il devient son époux. Ariste C'est, je l'ose assurer, mon souhait le plus doux; Et quoique dans ces lieux j'aie fait ma retraite... MaÃtre Jacques, vite. C'est qu'en ville autrefois sa fortune était faite. Il était emplouyé dans un trÚs grand emploi; Mais on le rechercha de par Monsieur le Roi. Il avait un biau train; quelques farmiers venirent; Ah! les méchants bourriaux! les farmiers le forcirent A compter. Ils disiont que Monsieur avait pris Plus d'argent qu'il ne faut et qu'il n'était permis; Enfin, tout ci, tout ça, ces gens, pour son salaire, Vouliont, ce disaient-ils, lui faire pardre terre. Ceti-ci prit la mouche; il leur plantit tout là , Et de ci les valets, et les cheviaux de là ; Et Monsieur, bien fùché d'une telle avanie, S'en venit dans les champs vivre en mélancoulie. Ariste Le fait est seulement que, lassé du fracas, Le séjour du village a pour moi plus d'appas. MaÃtre Jacques, apercevant Toinette à une fenÃÂȘtre. Ah! le friand minois que je vois qui regarde! Toinette, à la fenÃÂȘtre. Eh! qui sont donc ces gens? MaÃtre Jacques L'agriable camarde! Biau-pÚre, c'est l'enfant dont vous voulez parler? Crispin Il est vrai, c'est ma fille; et je vais l'appeler. Ma fille, descendez. Il fait signe à Toinette. MaÃtre Jacques Morgué, qu'elle est gentille! ScÚne VI Ariste, MaÃtre Jacques, Crispin, Toinette Crispin, allant au-devant de Toinette, et lui disant bas. Fais ton rÎle, entends-tu? je te nomme ma fille, Et cet homme est Ariste. Approchez-vous de nous, Ma fille, et saluez votre futur époux. MaÃtre Jacques Jarnigué, la friponne! elle aurait ma tendresse. Ariste Je serais trop heureux, Monsieur, je le confesse. Madame a des appas dont on est si charmé, Qu'en la voyant d'abord on se sent enflammé. Toinette Est-il vrai, trouvez-vous que je sois bien aimable? On ne voit, me dit-on, rien de plus agréable; En gros je suis parfaite, et charmante en détail Mes yeux sont tout de feu, mes lÚvres de corail, Le nez le plus friand, la taille la plus fine. Mais mon esprit encor vaut bien mieux que ma mine. Gageons que votre coeur ne tient pas d'un filet? Fripon, vous soupirez, avouez-le tout net. Il est tout interdit. Crispin Tu réponds à merveilles; Courage sur ce ton. MaÃtre Jacques Ca ravit mes oreilles. Ariste Que veut dire ceci? veut-elle badiner? Cet air et ses discours ont droit de m'étonner. Toinette Je vois que le pauvre homme a perdu la parole S'il devenait muet, papa, je deviens folle. Parlez donc, cher amant, petit mari futur; Sied-il bien aux amants d'avoir le coeur si dur? Allez, petit ingrat, vous méritez ma haine. Je ferai désormais la fiÚre et l'inhumaine. Ariste Je n'y comprends plus rien. Toinette Tourne vers moi les yeux, Et vois combien les miens sont tendres amoureux. Ha! que pour toi déjà j'ai conçu de tendresse! O trop heureux mortel de m'avoir pour maÃtresse! Ariste Dans quel égarement... Toinette Vous ne me dites mot! Je vous croyais poli, mais vous n'ÃÂȘtes qu'un sot. Moi devenir sa femme! ha, ha, quelle figure! Marier un objet, chef-d'oeuvre de nature, Fi donc! avec un singe aussi vilain que lui! Ariste, bas. La guenon! Toinette Cher papa, non, j'en mourrais d'ennui. Je suis, vous le savez, sujette à la migraine; L'aspect de ce magot la rendrait quotidienne. Que je le hais déjà ! je ne le puis souffrir. S'il devient mon époux, ma vertu va finir; Je ne réponds de rien. Ariste Quelle étrange folie! Crispin Son humeur est contraire à la mélancolie. Ariste A l'autre! Crispin Expliquez-vous, ne vous plaÃt-elle pas? Ariste Sans son extravagance elle aurait des appas. Retirons-nous d'ici, laissons ces imbéciles Ils auraient de l'argent à courir dans les villes. Nous venons de bien loin pour ne voir que des fous. MaÃtre Jacques Adieu, biauté quinteuse; adieu donc, sans courroux. La peste les étouffe. Crispin Mon humeur est mutine Point de bruit, s'il vous plaÃt, ou bien sur votre échine J'apostrophe un ergo qu'on nomme in barbara. MaÃtre Jacques Ah! morgué, le biau nid que j'avions trouvé là ! ScÚne VII Crispin, Toinette Crispin Il est congédié. Toinette *Grùces à mon adresse. Crispin Je te trouve en effet digne de ma tendresse. Toinette Est-il vrai, sieur Crispin? ah! vous vous ravalez. Crispin Vous ne savez donc pas tout ce que vous valez? Toinette C'est trop se prodiguer. Crispin Je ne puis m'en défendre Les grands hommes souvent se plaisent à descendre. Toinette Démocrite paraÃt adieu, songe au projet. Crispin Ne t'embarrasse pas va, je sais mon sujet. Je vais me dire Ariste, et trouver Démocrite, Et je saurai chasser les autres dans la suite. Mais prends garde, l'un d'eux pourrait bien arriver Je ne m'écarte point, viens vite me trouver. Toinette Ils ne viendront qu'au soir rendre visite au pÚre. Crispin Je pourrai donc les voir et terminer l'affaire. ScÚne VIII Démocrite, Toinette Démocrite Toinette! Toinette Eh bien! Monsieur? Démocrite Puisque c'est aujourd'hui Qu'Ariste doit venir, ayez soin que pour lui L'on prépare un régal ma fille est prévenue... Toinette Je sais fort bien, Monsieur, qu'elle attend sa venue; Mais, pour ÃÂȘtre sa femme, il est un peu trop vieux. Démocrite Il a plus de raison. Toinette En sera-t-elle mieux? La raison, à son ùge, est, ma foi, bagatelle, Et la raison n'est pas le charme d'une belle. Démocrite Mais elle doit suffire. Toinette Oui, pour de vieux époux; Mais les jeunes, Monsieur, n'en sont pas si jaloux. Un peu moins de raison, plus de galanterie; Et voilà ce qui fait le plaisir de la vie. Démocrite C'en est fait, taisez-vous, je lui laisse le choix Qu'elle prenne celui qui lui plaira des trois. Toinette Mais... Démocrite Mais retirez-vous, et gardez le silence! Parbleu, c'est bien à vous à taxer ma prudence! ScÚne IX Démocrite, seul. En effet, est-il rien de plus avantageux? Quoi! je préférerais, pour je ne sais quels feux, Un jeune homme sans biens à trois partis sortables! Que faire, sans le bien, des figures aimables? S'il gagnait son procÚs, cet amant si chéri, En ce cas, il pourrait devenir son mari Mais vider des procÚs, c'est une mer à boire. ScÚne X Démocrite, Le Chevalier de la MinardiniÚre Le Chevalier C'est ici. Démocrite, ne voyant pas le Chevalier. C'est moi seul, enfin, que j'en veux croire. Le Chevalier Le seigneur Démocrite est-il pas logé là ? Démocrite Voulez-vous lui parler? Le Chevalier Oui, Monsieur. Démocrite Le voilà . Le Chevalier La rencontre est heureuse, et ma joie est extrÃÂȘme, En arrivant d'abord, de vous trouver vous-mÃÂȘme. Philine est le sujet qui m'amÚne vers vous Mon bonheur sera grand si je suis son époux. Je suis le chevalier de la MinardiniÚre. Démocrite Ah! je comprends, Monsieur, et la chose est fort claire; Je suis instruit de tout; j'espérais de vous voir, Comme on me l'avait dit, aujourd'hui sur le soir. Le Chevalier Puis-je croire, Monsieur, que votre aimable fille Voudra bien consentir d'unir notre famille? Démocrite Je suis persuadé que vous lui plairez fort. Si vous ne lui plaisiez, elle aurait un grand tort; Mais comme vous avez pressé votre visite, Et qu'on n'espérait pas que vous vinssiez si vite, Elle est chez un parent, mÃÂȘme assez loin d'ici. Si vous vouliez, Monsieur, revenir aujourd'hui, Vous vous verriez tous deux, et l'on prendrait mesure. Le Chevalier Vous pouvez ordonner, et c'est me faire injure Que de penser, Monsieur, que je plaignis mes pas, Et l'espoir qui me flatte a pour moi trop d'appas. Je reviens sur le soir. ScÚne XI Démocrite, seul. Je fais avec prudence De ne l'avoir trompé par aucune assurance. Il est bon de choisir; j'en dois voir encor deux, Et ma fille à son gré choisira l'un d'entre eux. Ariste et l'autre ici doivent bientÎt se rendre, Et j'aurai dans ce jour l'un des trois pour mon gendre. Quelque mérite enfin qu'ait notre Chevalier, Il faut attendre Ariste et notre financier. L'heure approche, et bientÎt... ScÚne XII Démocrite, Crispin, contrefaisant Ariste. Crispin Morbleu de Démocrite! Je pense qu'à mes yeux sa maison prend la fuite. Depuis longtemps ici que je la cherche en vain, J'aurais, je gage, bu dix chopines de vin. Démocrite Quel ivrogne! parlez, auriez-vous quelque affaire Avec lui? Crispin Babillard, vous plaÃt-il de vous taire? Vous interroge-t-on? Démocrite Mais c'est moi qui le suis. Crispin Ah! ah! je me reprends, si je me suis mépris. Comment vous portez-vous? Je me porte à merveille, Et je suis toujours frais, grùce au jus de la treille. Démocrite Votre nom, s'il vous plaÃt? Crispin Et mon surnom aussi. Je suis Antoine Ariste, arrivé d'aujourd'hui. ExprÚs pour épouser votre fille, je pense Car le doute est fondé dessus l'expérience. Démocrite Vous ÃÂȘtes goguenard; je suis pourtant charmé De vous voir. Crispin Dites-moi, pourrai-je en ÃÂȘtre aimé? Voyons-la. Démocrite Je le veux qu'on appelle ma fille. Crispin Je me promets de faire une grande famille; J'aime fort à peupler. ScÚne XIII Démocrite, Crispin, Philine Démocrite La voilà . Crispin Je la vois. Mon humeur lui plaira, j'en juge à son minois. Démocrite Ma fille, c'est Ariste. Crispin Oh! oh! que de fontange! Il faut quitter cela, ma mignonne, mon ange. Philine Eh! pourquoi les quitter? Démocrite Quelles sont vos raisons? Crispin Oui, oui, parmi les boeufs, les vaches, les dindons, Il vous fera beau voir de rubans tout ornée! Dans huit jours vous serez couleur de cheminée. Tous mes biens sont ruraux, il faut beaucoup de soin TantÎt c'est au grenier, pour descendre du foin; Veiller sur les valets, leur préparer la soupe; Filer tantÎt du lin, et tantÎt de l'étoupe; A faute de valets, souvent laver les plats, Eplucher la salade, et refaire les draps; Se lever avant jour, en jupe ou camisole; Pour éveiller ses gens, crier comme une folle Voilà , ma chÚre enfant, désormais votre emploi, Et de ce que je veux faites-vous une loi. Philine Dieux! quel original! je n'en veux point, mon pÚre! Démocrite Ce rustique bourgeois commence à me déplaire. Crispin Ses souliers, pour les champs, sont un peu trop mignons Dans une basse-cour, des sabots seront bons. Philine Des sabots! Démocrite Des sabots! Crispin Oui, des sabots, ma fille. Sachez qu'on en porta toujours dans ma famille; Et j'ai mÃÂȘme un cousin, à présent financier, Qui jadis, sans reproche, était un sabotier. Croyez-moi, vous serez mille fois plus charmante, Quand, au lieu de damas, habillée en servante, Et devenue enfin une grosse dondon, De ma maison des champs vous prendrez le timon. Démocrite Le prenne qui voudra mais je vous remercie. Non, je n'en vis jamais, de si sot, en ma vie. Adieu, sieur campagnard je vous donne un bonsoir. Pour ma fille, jamais n'espérez de l'avoir. Laissons-le. Crispin Dieu vous gard. Parbleu! qu'elle choisisse; Qu'elle prenne un garçon, Normand, Breton ou Suisse; Et que m'importe à moi! ScÚne XIV Crispin, seul. Pour la subtilité, Je pense qu'ici-bas mon pareil n'est pas né. Que d'adresse, morbleu! De Paris jusqu'à Rome On ne trouverait pas un aussi galant homme. Oui, je suis, dans mon genre, un grand original; Les autres, aprÚs moi, n'ont qu'un talent banal. En fait d'esprit, de ton, les anciens ont la gloire; Qu'ils viennent avec moi disputer la victoire. Un modÚle pareil va tous les effacer. Il est vrai que de soi c'est un peu trop penser; Mais quoi! je ne mens pas, et je me rends justice; Un peu de vanité n'est pas un si grand vice. Ce n'est pourtant pas tout reste deux, et partant Il faut les écarter; le cas est important. Ces deux autres messieurs n'ont point vu Démocrite; Aucun d'eux n'est venu pour lui rendre visite. Toinette m'en assure; elle veille au logis Si quelqu'un arrivait, elle en aurait avis. Je connais nos rivaux mÃÂȘme, par aventure, A tous les deux jadis je servis de Mercure. Je vais donc les trouver, et par de faux discours, Pour jamais dans leurs coeurs éteindre leurs amours. J'ai déjà prudemment prévenu certain drÎle, Qui d'un faux financier jouera fort bien le rÎle. Mais le voilà qui vient, notre vrai financier. Courage, il faut ici faire un tour du métier. Il arrive à propos. ScÚne XV Crispin, Le Financier Le Financier, arrivant sans voir Crispin. Oui, voilà sa demeure; Sans doute je pourrai le trouver à cette heure. Mais, est-ce toi, Crispin? Crispin C'est votre serviteur. Et quel hasard, Monsieur, ou plutÎt quel bonheur Fait qu'on vous trouve ici? Le Financier J'y fais un mariage. Crispin Vous mariez quelqu'un dans ce petit village? Le Financier Connais-tu Démocrite? Crispin Hé! je loge chez lui. Le Financier Quoi! tu loges chez lui? j'y viens moi-mÃÂȘme aussi. Crispin Hé qu'y faire? Le Financier J'y viens pour épouser sa fille. Crispin Quoi! vous vous alliez avec cette famille! Le Financier Hé, ne fais-je pas bien? Crispin Je suis de la maison, Et je ne puis parler. Le Financier Tu me donnes soupçon De grùce, explique-toi. Crispin Je n'ose vous rien dire. Le Financier Quoi! tu me cacherais?... Crispin Je n'aime point à nuire. Le Financier Crispin, encore un coup... Crispin Ah! si l'on m'entendait, Je serais mort, Monsieur, et l'on m'assommerait. Le Financier Quoi! Crispin autrefois qui fut à mon service!... Crispin Enfin, vous voulez donc, Monsieur, que je périsse? Le Financier Ne t'embarrasse pas. Crispin Gardez donc le secret. Je suis perdu, Monsieur, si vous n'ÃÂȘtes discret. Je tremble. Le Financier Parle donc. Crispin Eh bien donc! cette fille, Son pÚre et ses parents et toute la famille, Tombent d'un certain mal que je n'ose nommer. Le Financier Ha Crispin, quelle horreur! tu me fais frissonner. Je venais de ce pas rendre visite au pÚre, Et peut-ÃÂȘtre, sans toi, j'eus terminé l'affaire. A présent, c'en est fait, je ne veux plus le voir, Je m'en retourne enfin à Paris dÚs ce soir. Crispin Je m'enfuis, mais sur tout gardez bien le silence. Le Financier Tiens! Crispin Je n'exige pas, Monsieur, de récompense. Le Financier Tiens donc. Crispin Vous le voulez, il faut vous obéir. Adieu, Monsieur motus! ScÚne XVI Le Financier, seul. Qu'allais-je devenir? J'aurais, sans son avis, fait un beau mariage! Elle m'eût apporté belle dot en partage! Je serais bien fùché d'ÃÂȘtre époux à ce prix; Je ne suis point assez de ses appas épris. Retirons-nous... Pourtant un peu de bienséance, A vrai dire, n'est pas de si grande importance. Démocrite m'attend avant que de quitter, Il est bon de le voir et de me rétracter. ScÚne XVII Le Financier, Toinette, Démocrite Le Financier frappe. Toinette, à la porte. Que voulez-vous, Monsieur? Le Financier Le seigneur Démocrite Est-il là ? je venais pour lui rendre visite. Toinette Démocrite, à une fenÃÂȘtre. Qui frappe là -bas? à qui donc en veut-on? Le Financier répond. Le seigneur Démocrite est-il en sa maison? Démocrite J'y suis et je descends. Le Financier Vous vous trompiez, la belle. Toinette D'accord. Et à part. C'est bien en vain que j'ai fait sentinelle. Tout ceci va fort mal les desseins de Crispin, Autant qu'on peut juger, n'auront pas bonne fin. Je ne m'en mÃÂȘle plus. ScÚne XVIII Le Financier, Démocrite Le Financier J'étais dans l'espérance De pouvoir avec vous contracter alliance. Un accident, Monsieur, m'oblige de partir J'ai cru de mon devoir de vous en avertir. Démocrite Vous ÃÂȘtes donc Monsieur de la BoursiniÚre? Et quel malheur, Monsieur, quelle subite affaire Peut, en si peu de temps, causer votre départ? A cet éloignement ma fille a-t-elle part? Le Financier Non, Monsieur. Démocrite Permettez pourtant que je soupçonne; Et dans l'étonnement qu'un tel départ me donne, J'entrevois que peut-ÃÂȘtre ici quelque jaloux Pourrait, en ce moment, vous éloigner de nous. Vous ne répondez rien, avouez-moi la chose; D'un changement si grand apprenez-moi la cause. J'y suis intéressé; car si des envieux Vous avaient fait, Monsieur, des rapports odieux, Je ne vous retiens pas, mais daignez m'en instruire. Il faut vous détromper. Le Financier Que pourrais-je vous dire? Démocrite Non, non, il n'est plus temps de vouloir le celer. Je vois trop ce que c'est, et vous pouvez parler. Le Financier N'avez-vous pas chez vous un valet que l'on nomme Crispin? Démocrite Moi? de ce nom je ne connais personne. Le Financier Le fourbe! il m'a trompé. Démocrite Eh bien donc? ce Crispin? Le Financier Il s'est dit de chez vous. Démocrite Il ment, c'est un coquin. Le Financier Un mal affreux, dit-il, attaquait votre fille. Il en a dit autant de toute la famille. Démocrite D'un rapport si mauvais je ne puis me fùcher. Le Financier Mais il faut le punir, et je vais le chercher. Démocrite Allez, je vous attends. Le Financier Au reste, je vous prie, Que je ne souffre point de cette calomnie. Démocrite J'ai le coeur mieux placé. ScÚne XIX Démocrite, Frontin arrive, contrefaisant le Financier. Démocrite, sans le voir. Quelle méchanceté! Qui peut ÃÂȘtre l'auteur de cette fausseté? Frontin, contrefaisant le Financier. Le rÎle que Crispin ici me donne à faire N'est pas des plus aisés, et veut bien du mystÚre. Démocrite, sans le voir. Souvent, sans le savoir, on a des ennemis Cachés sous le beau nom de nos meilleurs amis. Frontin Connaissez-vous ici le seigneur Démocrite? Je viens exprÚs ici pour lui rendre visite. Démocrite C'est moi. Frontin J'en suis ravi ce que j'ai de crédit Est à votre service. Démocrite Eh! mais, dans quel esprit Me l'offrez-vous, à moi? votre nom, que je sache, M'est inconnu; qu'importe?... On dirait qu'il se fùche. Est-on Turc avec ceux que l'on ne connaÃt pas? Je ne suis pas de ceux qui font tant de fracas. Frontin En buvant tous les deux, nous saurons qui nous sommes. Démocrite, bas. Il est, je l'avouerai, de ridicules hommes. Frontin Je suis de vos amis, je vous dirai mon nom. Démocrite Il ne s'agit ici de nom ni de surnom. Frontin Vous ÃÂȘtes aujourd'hui d'une humeur chagrinante Mon amitié pourtant n'est pas indifférente. Démocrite Finissons, s'il vous plaÃt. Frontin Je le veux. Dites-moi Comment va notre enfant? Elle est belle, ma foi; Je veux dÚs aujourd'hui lui donner sérénade. Démocrite Qu'elle se porte bien, ou qu'elle soit malade, Que vous importe à vous? Frontin Je la connais fort bien; Elle est riche, papa mais vous n'en dites rien; Il ne tiendra qu'à vous de terminer l'affaire. Démocrite Je n'entends rien, Monsieur, à tout ce beau mystÚre. Frontin Vous le dites. Démocrite J'en jure. Frontin Oh! point de jurement. Je ne vous en crois pas, mÃÂȘme à votre serment. Démocrite, entre nous, point tant de modestie. Venons au fait. Démocrite Monsieur, avez-vous fait partie De vous moquer de moi? Frontin Morbleu! point de détours. Faites venir ici l'objet de mes amours. La friponne, je crois qu'elle en sera bien aise; Et vous l'ÃÂȘtes aussi, papa, ne vous déplaise. J'en suis ravi de mÃÂȘme, et nous serons tous trois. En mÃÂȘme temps, ici, plus contents que des rois. Savez-vous qui je suis? Démocrite Il ne m'importe guÚre. Frontin Ah! si vous le saviez, vous diriez le contraire. Démocrite Moi! Frontin Je gage que si. Je suis, pour abréger... Démocrite Je n'y prends nulle part, et ne veux point gager. Frontin C'est qu'il a peur de perdre. Démocrite Eh bien! soit je me lasse De ce galimatias; expliquez-vous de grùce. Frontin Je suis le financier qui devait sur le soir, Pour ce que vous savez, vous parler et vous voir. Démocrite, étonné. Quelle est donc cette énigme? Frontin Un peu de patience; J'adoucirai bientÎt votre aigre révérence. J'ai mille francs et plus de revenu par jour Dites, avec cela peut-on faire l'amour? Grand nombre de chevaux, de laquais, d'équipages. Quand je me marierai, ma femme aura des pages. Voyez-vous cet habit? il est beau, somptueux; Un autre avec cela ferait le glorieux Fi! c'est un guenillon que je porte en campagne Vous croiriez ma maison un pays de cocagne. Voulez-vous voir mon train? il est fort prÚs d'ici. Démocrite Je m'y perds. Frontin Ma livrée est magnifique aussi. Papa, savez-vous bien qu'un excÚs de tendresse Va rendre votre enfant de tant de biens maÃtresse? Vous avez, m'a-t-on dit, en rente, vingt mil francs. Partagez-nous-en dix, et nous serons contents. AprÚs cela, mourez pour nous laisser le reste. Dites, en vérité, puis-je ÃÂȘtre plus modeste? Démocrite Non, je n'y connais rien; Monsieur le financier, Ou qui que vous soyez, il faudrait vous lier; Je ne puis démÃÂȘler si c'est la fourberie, Ou si ce n'est enfin que pure frénésie Qui vous conduit ici mais n'y revenez plus. Frontin Adieu, je mangerai tout seul mes revenus. Vinssiez-vous à présent prier pour votre fille, J'abandonne à jamais votre ingrate famille. Frontin sort en riant. ScÚne XX Démocrite, seul. Je ne puis débrouiller tout ce galimatias, Et tout ceci me met dans un grand embarras. ScÚne XXI Démocrite, Crispin, déguisé en femme. Crispin N'est-ce pas vous, Monsieur, qu'on nomme Démocrite? Démocrite Crispin Vous ÃÂȘtes, dit-on, un homme de mérite; Et j'espÚre, Monsieur, de votre probité, Que vous écouterez mon infélicité Mais puis-je dans ces lieux me découvrir sans crainte? Démocrite Ne craignez rien. Crispin O ciel! sois touché de ma plainte! Vous me voyez, Monsieur, réduite au désespoir, Causé par un ingrat qui m'a su décevoir. Démocrite Dans un malheur si grand, pourrais-je quelque chose? Crispin Oui, Monsieur, vous allez en apprendre la cause Mais la force me manque, et, dans un tel récit, Mon coeur respire à peine, et ma douleur s'aigrit. Démocrite Calmez les mouvements dont votre ùme agitée... Crispin Hélas! par les sanglots ma voix est arrÃÂȘtée Mais enfin, il est temps d'avouer mon malheur. Daigne le juste ciel terminer ma douleur! J'aime depuis longtemps un Chevalier parjure, Qui sut de ses serments déguiser l'imposture, Le cruel! J'eus pitié de tous ses feints tourments. Hélas! de son bonheur je hùtai les moments. Je l'épousai, Monsieur mais notre mariage, A l'insu des parents, se fit dans un village; Et croyant avoir mis ma conscience en repos, Je me livrai, Monsieur. Pour comble de tous maux, Il différa toujours de m'avouer pour femme. Je répandis des pleurs pour attendrir son ùme. Hélas! épargnez-moi ce triste souvenir, Et ne remédions qu'aux maux de l'avenir. Cet ingrat chevalier épouse votre fille. Démocrite Quoi! c'est celui qui veut entrer dans ma famille? Crispin Lui-mÃÂȘme! vous voyez la noire trahison. Démocrite Cette action est noire. Crispin Hélas! c'est un fripon. Cet ingrat m'a séduite Ha Monsieur, quel dommage De tromper lùchement une fille à mon ùge! Démocrite Il vient bien à propos, nous pourrons lui parler. Crispin veut s'en aller. Non, non, je vais sortir. Démocrite Pourquoi vous en aller? Crispin Ah! c'est un furieux. Démocrite Tenez-vous donc derriÚre; Il ne vous verra pas. Crispin J'ai peur. Démocrite Laissez-moi faire. ScÚne XXII Démocrite, Le Chevalier et Crispin, qui, pendant cette scÚne, fait tous les signes d'un homme qui veut s'en aller. Le Chevalier Quoique j'eus résolu de ne plus vous revoir Et que je dus partir de ces lieux dÚs ce soir, J'ai cru devoir encor rétracter ma parole, Résolu de ne point épouser une folle. Je suis fùché, Monsieur, de vous parler si franc; Mais vous méritez bien un pareil compliment, Puisque vous me trompiez, sans un avis fidÚle. Votre fille est fort riche, elle est jeune, elle est belle; Mais les fréquents accÚs qui troublent son esprit Ne sont pas de mon goût. Démocrite Eh! qui vous l'a donc dit Qu'elle eût de ces accÚs? Le Chevalier J'ai promis de me taire. Celui de qui je tiens cet avis salutaire, Je le connais fort bien, et vous le connaissez. Cet homme est de chez vous, c'est vous en dire assez. Démocrite Cet homme a déjà fait une autre menterie C'est un nommé Crispin, insigne en fourberie; Je n'en sais que le nom, il n'est point de chez moi. Mais vous, n'avez-vous point engagé votre foi? Vous ÃÂȘtes interdit! que prétendiez-vous faire? Vous marier deux fois? Le Chevalier Quel est donc ce mystÚre? Démocrite Vous devriez rougir d'une telle action C'est du ciel s'attirer la malédiction. Et ne savez-vous pas que la polygamie Est ici cas pendable et qui coûte la vie? Le Chevalier Moi, je suis marié! qui vous fait ce rapport? Démocrite Oui, voilà mon auteur, regardez si j'ai tort. Le Chevalier Eh bien? Démocrite C'est votre femme. Le Chevalier Ah! le plaisant visage, Le ragoûtant objet que j'avais en partage! Mais je crois la connaÃtre. Ah parbleu! c'est Crispin, Lui-mÃÂȘme. Démocrite, étonné. Ce fripon, cet insigne coquin? Le Chevalier Malheureux, tu m'as dit que Philine était folle, Réponds donc! Crispin Ah, Monsieur, j'ai perdu la parole. Démocrite ArrÃÂȘtons ce maraud. Crispin Oui, je suis un fripon Ayez pitié de moi. Le Chevalier Mille coups de bùton, Fourbe, vont te payer. ScÚne XXIII Le Financier arrive; Démocrite, Crispin, Le Chevalier Le Financier Ma peine est inutile, Je crois que notre fourbe a regagné la ville, Je n'ai pu le trouver. Démocrite Regardez ce minois; Le reconnaissez-vous? Le Financier Eh! c'est Crispin, je crois. Démocrite C'est lui-mÃÂȘme. Le Financier Voleur! Crispin, en tremblant. Ah! je suis prÃÂȘt à rendre L'argent que j'ai reçu... vous me l'avez fait prendre. Démocrite, au financier. Qui m'aurait envoyé tantÎt certain fripon? Il s'est dit financier, et prenait votre nom. Le Financier Le mien? Démocrite Oui, le coquin ne disait que sottises. Le Financier, à Crispin. N'était-ce pas de toi qu'il les avait apprises? Crispin Vous l'avez dit, oui, j'ai fait tout le mal; Mais à mon crime, hélas! mon regret est égal. Le Financier Ah! monsieur l'hypocrite! ScÚne XXIV Le Chevalier , Le Financier, Démocrite, Crispin, Ariste, suivi de MaÃtre Jacques Ariste Il faut nous en instruire. MaÃtre Jacques Pargué, ces biaux messieurs pourront bian nous le dire. Ariste Démocrite, Messieurs, est-il connu de vous? MaÃtre Jacques C'est que j'en savons un qui s'est moqué de nous. Velà , Monsieur, Ariste. Démocrite, avec précipitation. Ariste? MaÃtre Jacques Oui, lui-mÃÂȘme. Démocrite Mais cela ne se peut, ma surprise est extrÃÂȘme. Ariste C'est cependant mon nom. MaÃtre Jacques J'étions venus tantÎt Pour le voir mais j'avons trouvé queuque maraud, Qui disait comme ça qu'il était Démocrite. Mais le drÎle a bian mal payé notre visite. Il avait avec lui queuque friponne itou, Qui tournait son esprit tout sens dessus dessous Alle faisait la folle, et se disait la fille De ce biau Démocrite; elle était bian habile. Enfin ils ont tant fait, qu'Ariste que velà , Qui venait pour les voir, les a tous plantés là . Or j'avons vu tantÎt passer ce méchant drÎle; J'ons tous deux en ce temps lùché quelque parole, Montrant ce Démocrite. "Hé bon! ce n'est pas li", A dit un paysan de ce village-ci. Dame! ça nous a fait sopçonner queuque chose. Monsieur, je sons trompé, j'en avons une dose, Ai-je dit, moi. Pargué! pour ÃÂȘtre plus certain, Je venons en tout ça savoir encor la fin. Ariste La chose est comme il dit. Démocrite C'est encor ton ouvrage, Dis, coquin? Crispin Il est vrai. MaÃtre Jacques Quel est donc ce visage? C'est notre homme! Démocrite, à Ariste. C'est lui, mais le fourbe a plus fait, Il m'a trompé de mÃÂȘme, et vous a contrefait. Crispin Hélas! Démocrite Vous étiez trois qui demandiez ma fille; Et qui vouliez, Messieurs, entrer dans ma famille, Ma fille aimait déjà , elle avait fait son choix, Et refusait toujours d'épouser l'un des trois. Je vous ménageai tous, dans la douce espérance Avec un de vous trois d'entrer en alliance; J'ignore les raisons qui poussent ce coquin. Crispin Je vais tout avouer je m'appelle Crispin, Ecoutez-moi sans bruit, quatre mots font l'affaire. Démocrite frappe. Un laquais paraÃt qui fait venir Philine. Qu'on appelle ma fille. A tout ce beau mystÚre A-t-elle quelque part? Crispin Vous allez le savoir Ces trois messieurs devaient vous parler sur le soir, Et l'un des trois allait devenir votre gendre. Cléandre, au désespoir, voulait aller se pendre; Il aime votre fille, il en est fort aimé. Or, étant son valet, dans cette extrémité, Je m'offris sur le champ de détourner l'orage, Et Toinette avec moi joua son personnage. De tout ce qui s'est fait, enfin, je suis l'auteur; Mais je me repens bien d'ÃÂȘtre né trop bon coeur Sans cela... Démocrite Franc coquin! Et puis à sa fille qui entre. Vous voilà donc, ma fille! En fait de tours d'esprit, vous ÃÂȘtes fort habile, Mais votre habileté ne servira de rien Vous n'épouserez point un jeune homme sans bien. Déterminez-vous donc. Philine Mettez-vous à ma place, Mon pÚre, et dites-moi ce qu'il faut que je fasse. Démocrite, à Crispin. Toi, sors d'ici, maraud, et ne parais jamais. Crispin, s'en allant. Je puis dire avoir vu le bùton de bien prÚs. Il dit le vers suivant à Cléandre qui entre. Vous venez à propos quoi! vous osez paraÃtre! ScÚne XXV et derniÚre Démocrite, Cléandre, Philine, Toinette, Crispin, Le Chevalier, Le Financier, Ariste, MaÃtre Jacques. Cléandre De mon destin, Monsieur, je viens vous rendre maÃtre; Pardonnez aux effets d'un violent amour, Et vous-mÃÂȘme dictez notre arrÃÂȘt en ce jour. Je me suis, il est vrai, servi de stratagÚme; Mais que ne fait-on pas, pour avoir ce qu'on aime? On m'enlevait l'objet de mes plus tendres feux, Et, pour tout avouer, nous nous aimons tous deux. Vous connaissez, Monsieur, mon sort et ma famille; Mon procÚs est gagné, j'adore votre fille Prononcez, et s'il faut embrasser vos genoux... Ariste De vos liens, pour moi, je ne suis point jaloux. Le Chevalier A vos désirs aussi je suis prÃÂȘt à souscrire Le Financier Je me dépars de tout, je ne puis pas plus dire. Philine Mon pÚre, faites-moi grùce, et mon coeur est tout prÃÂȘt S'il faut à mon amant renoncer pour jamais. Crispin Hélas! que de douceur! Toinette Monsieur, soyez sensible. Démocrite C'en est fait, et mon coeur cesse d'ÃÂȘtre inflexible. Levez-vous, finissez tous vos remerciements Je ne sépare plus de si tendres amants. Ces messieurs resteront pour la cérémonie. Soyez contents tous deux, votre peine est finie. Crispin, à Toinette. Finis la mienne aussi, marions-nous tous deux. Je suis pressé, Toinette. Toinette Es-tu bien amoureux? Crispin Ha! l'on ne vit jamais pareille impatience, Et l'amour dans mon coeur épuise sa puissance. Viens, ne retarde point l'instant de nos plaisirs Prends ce baiser pour gage, objet de mes désirs Un seul ne suffit pas. Toinette Quelle est donc ta folie? Que fais-tu? Crispin Je pelote en attendant partie. Cléandre Puisque vous vous aimez, je veux vous marier. Crispin Le veux-tu? Toinette J'y consens. Crispin Tu te fais bien prier! L'Amour et la vérité Dialogue entre l'Amour et la Vérité Comédie en trois actes et en prose Représentée pour la premiÚre fois par les comédiens italiens le 3 mars 1720 Dialogue entre l'Amour et la Vérité L'Amour. - Voici une dame que je prendrais pour la Vérité, si elle n'était si ajustée. La Vérité. - Si ce jeune enfant n'avait l'air un peu trop hardi, je le croirais l'Amour. L'Amour. - Elle me regarde. La Vérité. - Il m'examine. L'Amour. - Je soupçonne à peu prÚs ce que ce peut ÃÂȘtre; mais soyons-en sûr. Madame, à ce que je vois, nous avons une curiosité mutuelle de savoir qui nous sommes; ne faisons point de façon de nous le dire. La Vérité. - J'y consens, et je commence. Ne seriez-vous pas le petit libertin d'Amour, qui depuis si longtemps tient ici-bas la place de l'Amour tendre? Enfin n'ÃÂȘtes-vous pas l'Amour à la mode? L'Amour. - Non, Madame, je ne suis ni libertin, ni par conséquent à la mode, et cependant je suis l'Amour. La Vérité. - Vous, l'Amour! L'Amour. - Oui, le voilà . Mais vous, Madame, ne tiendriez-vous pas lieu de la Vérité parmi les hommes? N'ÃÂȘtes-vous pas l'Erreur, ou la Flatterie? La Vérité. - Non, charmant Amour, je suis la Vérité mÃÂȘme; je ne suis que cela. L'Amour. - Bon! Nous voilà deux divinités de grand crédit! Je vous demande pardon de vous avoir scandalisée, vous, dont l'honneur est de ne le pas ÃÂȘtre. La Vérité. - Ce reproche me fait rougir; mais je vous rendrai raison de l'équipage oÃÂč vous me voyez, quand vous m'aurez rendu raison de l'air libertin et cavalier répandu sur vos habits et sur votre physionomie mÃÂȘme. Qu'est devenu cet air de vivacité tendre et modeste? Que sont devenus ces yeux qui apprivoisaient la vertu mÃÂȘme, qui ne demandaient que le coeur? Si ces yeux-là n'attendrissent point, ils débauchent. L'Amour. - Tels que vous les voyez cependant, ils ont déplu par leur sagesse; on leur en trouvait tant, qu'ils en étaient ridicules. La Vérité. - Et dans quel pays cela vous est-il arrivé? L'Amour. - Dans le pays du monde entier. Vous ne vous ressouvenez peut-ÃÂȘtre pas de l'origine de ce petit effronté d'Amour, pour qui vous m'avez pris. Hélas! C'est moi qui suis cause qu'il est né. La Vérité. - Comment cela? L'Amour. - J'eus querelle un jour avec l'Avarice et la Débauche. Vous avez combien j'ai d'aversion pour ces deux divinités; je leur donnai tant de marques de mépris, qu'elles résolurent de s'en venger. La Vérité. - Les méchantes! eh! que firent-elles? L'Amour. - Voici le tour qu'elles me jouÚrent. La Débauche s'en alla chez Plutus, le dieu des richesses; le mit de bonne humeur, fit tomber la conversation sur Vénus, lui vanta ses beautés, sa blancheur, son embonpoint, etc. Plutus, à ce récit, prit un goût de conclusions, l'appétit vint au gourmand, il n'aima pas Vénus il la désira. La Vérité. - Le malhonnÃÂȘte. L'Amour. - Mais, comme il craignait d'ÃÂȘtre rebuté, la Débauche l'enhardit, en lui promettant son secours et celui de l'Avarice auprÚs de Vénus Vous ÃÂȘtes riche, lui dit-elle, ouvrez vos trésors à Vénus, tandis que mon amie l'Avarice appuiera vos offres auprÚs d'elle, et lui conseillera d'en profiter. Je vous aiderai de mon cÎté, moi. La Vérité. - Je commence à me remettre votre aventure. L'Amour. - Vous n'avez pas un grand génie, dit la Débauche à Plutus, mais vous ÃÂȘtes un gros garçon assez ragoûtant. Je ferai faire à Vénus une attention là -dessus, qui peut-ÃÂȘtre lui tiendra lieu de tendresse; vous serez magnifique, elle est femme. L'Avarice et moi, nous vous servirons bien, et il est des moments oÃÂč il n'est pas besoin d'ÃÂȘtre aimé pour ÃÂȘtre heureux. La Vérité. - La plupart des amants doivent à ces moments-là toute leur fortune. L'Amour. - AprÚs ce discours, Plutus impatient courut tenter l'aventure. Or, argent, bijoux, présents de toute sorte, soutenus de quelques bredouilleries, furent auprÚs de Vénus les truchements de sa belle passion. Que vous dirai-je enfin, ma chÚre? un moment de fragilité me donna pour frÚre ce vilain enfant qui m'usurpe aujourd'hui mon empire! ce petit dieu plus laid qu'un diable, et que Messieurs les hommes appellent Amour. La Vérité. - Hé bien! Est-ce en lui ressemblant que vous avez voulu vous venger de lui? L'Amour. - Laissez-moi achever; le petit fripon ne fut pas plutÎt né, qu'il demanda son apanage. Cet apanage, c'était le droit d'agir sur les coeurs. Je ne daignai pas m'opposer à sa demande; je lui voyais des airs si grossiers, je lui remarquais un caractÚre si brutal, que je ne m'imaginai pas qu'il pût me nuire. Je comptais qu'il ferait peur en se présentant, et que ce monstre serait obligé de rabattre sur les animaux. La Vérité. - En effet, il n'était bon que pour eux. L'Amour. - Ses premiers coups d'essai ne furent pas heureux. Il insultait, bien loin de plaire; mais ma foi, le coeur de l'homme ne vaut pas grand'chose; ce maudit Amour fut insensiblement souffert; bientÎt on le trouva plus badin que moi; moins gÃÂȘnant, moins formaliste, plus expéditif. Les goûts se partagÚrent entre nous deux; il m'enleva de mes créatures. La Vérité. - Eh! que devÃntes-vous alors? L'Amour. - Quelques bonnes gens criÚrent contre la corruption; mais ces bonnes gens n'étaient que des invalides, de vieux personnages, qui, disait-on, avaient leurs raisons pour haïr la réforme; gens à qui la lenteur de mes démarches convenait, et qui prÃÂȘchaient le respect, faute, en le perdant, de pouvoir réparer l'injure. La Vérité. - Il en pouvait bien ÃÂȘtre quelque chose. L'Amour. - Enfin, Madame, ces tendres et tremblants aveux d'une passion, ces dépits délicats, ces transports d'amour d'aprÚs les plus innocentes faveurs, d'aprÚs mille petits riens précieux, tout cela disparut. L'un ouvrit sa bourse, l'autre gesticulait insolemment auprÚs d'une femme, et cela s'appelait une déclaration. La Vérité. - Ah! l'horreur! L'Amour. - A mon égard, j'ennuyais, je glaçais; on me regardait comme un innocent qui manquait d'expérience, et je ne fus plus célébré que par les poÚtes et les romanciers. La Vérité. - Cela vous rebuta? L'Amour. - Oui, je me retirai, ne laissant de moi que mon nom dont on abusait. Or, il y a quelque temps, que rÃÂȘvant à ma triste aventure, il me vint dans l'esprit d'essayer si je pourrais me rétablir en mitigeant mon air tendre et modeste; peut-ÃÂȘtre, disais-je en moi-mÃÂȘme, qu'à la faveur d'un air plus libre et plus hardi, plus conforme au goût oÃÂč sont à présent les hommes, peut-ÃÂȘtre pourrais-je me glisser dans ces coeurs? ils ne me trouveront pas si singulier, et je détruirai mon ennemi par ses propres armes. Ce dessein pris, je partis, et je parus dans la mascarade oÃÂč vous me voyez. La Vérité. - Je gage que vous n'y gagnùtes rien. L'Amour. - Ho vraiment! Je me trouvai bien loin de mon compte tout grenadier que je pensais ÃÂȘtre, dÚs que je me montrai, on me prit pour l'Amour le plus gothique qui ait jamais paru; je fus sifflé dans les Gaules comme une mauvaise comédie, et vous me voyez de retour de cette expédition. Voilà mon histoire. La Vérité. - Hélas! Je n'ai pas été plus heureuse que vous; on m'a chassée du monde. L'Amour. - Hé! qui? les chimistes, les devins, les faiseurs d'almanach, les philosophes? La Vérité. - Non, ces gens-là me m'ont jamais nui. On sait bien qu'ils mentent, ou qu'ils sont livrés à l'erreur, et je ne leur en veux aucun mal, car je ne suis point faite pour eux. L'Amour. - Vous avez raison. La Vérité. - Mais, que voulez-vous que les hommes fassent de moi? Le mensonge et la flatterie sont en si grand crédit parmi eux, qu'on est perdu dÚs qu'on se pique de m'honorer. Je ne suis bonne qu'à ruiner ceux qui me sont fidÚles; par exemple, la flatterie rajeunit les vieux et les vieilles. Moi, je leur donne l'ùge qu'ils ont. Cette femme dont les cheveux blanchissent à son insu, singe maladroit de l'étourderie folùtre des jeunes femmes, qui provoque la médisance par des galanteries qu'elle ne peut faire aboutir, qui se lÚve avec un visage de cinquante ans, et qui voudrait que ce visage n'en eût que trente, quand elle est ajustée, ira-t-on lui dire Madame, vous vous trompez dans votre calcul; votre somme est de vingt ans plus forte? non, sans doute; ses amis souscrivent à la soustraction. Telle a la physionomie d'une guenon, qui se croit du moins jolie; irez-vous mériter sa haine, en lui confiant à quoi elle ressemble pendant que, pour ÃÂȘtre un honnÃÂȘte homme auprÚs d'elle, il suffit de lui dire qu'elle est piquante? Cet homme s'imagine ÃÂȘtre un esprit supérieur; il se croit indispensablement obligé d'avoir raison partout; il décide, il redresse les autres; cependant ce n'est qu'un brouillon qui jouit d'une imagination déréglée. Ses amis feignent de l'admirer; pourquoi? Ils en attendent, ou lui doivent, leur fortune. L'Amour. - Il faut bien prendre patience. La Vérité. - Ainsi je n'ai plus que faire au monde. Cependant, comme la Flatterie est ma plus redoutable ennemie, et qu'en triomphant d'elle, je pourrais insensiblement rentrer dans tous mes honneurs, j'ai voulu m'humaniser je me suis déguisée, comme vous voyez, mais j'ai perdu mon étalage l'amour-propre des hommes est devenu d'une complexion si délicate, qu'il n'y a pas moyen de traiter avec lui; il a fallu m'en revenir encore. Pour vous, mon bel enfant, il me semble que vous aviez un asile et le mariage. L'Amour. - Le mariage! Y songez-vous? Ne savez-vous pas que le devoir des gens mariés est de s'aimer? La Vérité. - Hé bien! c'est à cause de cela que vous régnerez plus aisément parmi eux. L'Amour. - Soit; mais des gens obligés de s'aimer ne me conviennent point. Belle occupation pour un espiÚgle comme moi, que de faire les volontés d'un contrat; achevons de nous conter tout. Que venez-vous faire ici? La Vérité. - J'y viens exécuter un projet de vengeance; voyez-vous ce puits? Voilà le lieu de ma retraite; je vais m'enfermer dedans. L'Amour. - Ah! Ah! Le proverbe sera donc vrai, qui dit que la Vérité est au fond du puits. Et comment entendez-vous vous venger, là ? La Vérité. - Le voici. L'eau de ce puits va, par moi, recevoir une telle vertu, que quiconque en boira sera forcé de dire tout ce qu'il pense et de découvrir son coeur en toute occasion; nous sommes prÚs de Rome, on vient souvent se promener ici; on y chasse; le chasseur se désaltÚre; et à succession de temps, je garnirai cette grande ville de gens naïfs, qui troubleront par leur franchise le commerce indigne de complaisance et de tromperie que la Flatterie y a introduit plus qu'ailleurs. L'Amour. - Nous allons donc ÃÂȘtre voisins; car, pendant que votre rancune s'exercera dans ce puits, la mienne agira dans cet arbre. Je vais y entrer; les fruits en sont beaux et bons, et me serviront à une petite malice qui sera tout à fait plaisante. Celui qui en mangera tombera subitement amoureux du premier objet qu'il apercevra. Que dites-vous de ce guet-apens? La Vérité. - Il est un peu fou. L'Amour. - Bon, il est digne de vous; mais adieu, je vais dans mon arbre. La Vérité. - Et moi, dans mon puits. Divertissement Ier air gracieusement. D'un doux regard elle vous jure Que vous ÃÂȘtes son favori, Mais c'est peut-ÃÂȘtre une imposture Puisqu'en faveur d'un autre elle a déjà souri. 2e air bourrée. Dans le mÃÂȘme instant que son ùme Dédaigneuse d'une autre flamme Semble se déclarer pour vous, Le motif de la préférence Empoisonne la jouissance D'un bien qui paraissait si doux. La coquette ne vous caresse Que pour alarmer la paresse D'un rival qui n'est point jaloux. 3e air menuet. L'amant trahi par ce qu'il aime Veut-il guérir presque en un jour? Qu'il aime ailleurs; l'amour lui-mÃÂȘme Est le remÚde de l'amour. 4e air piqué. Vous qui croyez d'une inhumaine Ne vaincre jamais la rigueur, Pressez, la victoire est certaine, Vous ne connaissez pas son coeur; Il prend un masque qui le gÃÂȘne; Son visage, c'est la douceur. 5e air gracieusement. Heureux, l'amant bien enflammé. Celui qui n'a jamais aimé Ne vit pas ou du moins l'ignore; Sans le plaisir d'ÃÂȘtre charmé D'un aimable objet qu'on adore S'apercevrait-on d'ÃÂȘtre né? 6e air piqué. Tel qui devant nous nous admire, S'en rit peut-ÃÂȘtre à quatre pas. Quand à son tour il nous fait rire C'est un secret qu'il ne sait pas; Oh! l'utile et charmante ruse Qui nous unit tous ici-bas; Qui de nous croit en pareil cas Etre la dupe qu'on abuse? 7e air gracieusement La raison veut que la sagesse Ait un empire sur l'amour; O vous, amants, dont la tendresse Nous attaque cent fois le jour, Quand il nous prend une faiblesse Ne pouvez-vous à votre tour Avoir un instant de sagesse? Arlequin désenchanté par la Raison chante le couplet suivant J'aimais Arlequin et ma foi, Je crois ma guérison complÚte; Mais, Messieurs, entre nous, j'en vois Qui peut-ÃÂȘtre, aussi bien que moi, Ont besoin d'un coup de baguette. Arlequin poli par l'Amour Acteurs de la comédie Comédie en un acte, en prose, Représentée pour la premiÚre fois par les comédiens italiens, le 17 octobre 1720 Acteurs de la comédie La Fée. Trivelin, domestique de la Fée. Arlequin, jeune homme enlevé par la Fée. Silvia, bergÚre, amante d'Arlequin. Un berger, amoureux de Silvia. Autre bergÚre, cousine de Silvia. Troupe de danseurs et chanteurs. Troupe de lutins. ScÚne premiÚre La Fée, Trivelin Le jardin de la Fée est représenté. Trivelin, à la Fée qui soupire. - Vous soupirez, Madame, et malheureusement pour vous, vous risquez de soupirer longtemps si votre raison n'y met ordre; me permettrez-vous de vous dire ici mon petit sentiment? La Fée. - Parle. Trivelin. - Le jeune homme que vous avez enlevé à ses parents est un beau brun, bien fait; c'est la figure la plus charmante du monde; il dormait dans un bois quand vous le vÃtes, et c'était assurément voir l'Amour endormi; je ne suis donc point surpris du penchant subit qui vous a pris pour lui. La Fée. - Est-il rien de plus naturel que d'aimer ce qui est aimable? Trivelin. - Oh sans doute; cependant avant cette aventure, vous aimiez assez le grand enchanteur Merlin. La Fée. - Eh bien, l'un me fait oublier l'autre cela est encore fort naturel. Trivelin. - C'est la pure nature; mais il reste une petite observation à faire c'est que vous enlevez le jeune homme endormi, quand peu de jours aprÚs vous allez épouser le mÃÂȘme Merlin qui en a votre parole. Oh! cela devient sérieux; et entre nous, c'est prendre la nature un peu trop à la lettre; cependant passe encore; le pis qu'il en pouvait arriver, c'était d'ÃÂȘtre infidÚle; cela serait trÚs vilain dans un homme, mais dans une femme, cela est plus supportable quand une femme est fidÚle, on l'admire; mais il y a des femmes modestes qui n'ont pas la vanité de vouloir ÃÂȘtre admirées; vous ÃÂȘtes de celles-là , moins de gloire, et plus de plaisir, à la bonne heure. La Fée. - De la gloire à la place oÃÂč je suis, je serais une grande dupe de me gÃÂȘner pour si peu de chose. Trivelin. - C'est bien dit, poursuivons vous portez le jeune homme endormi dans votre palais, et vous voilà à guetter le moment de son réveil; vous ÃÂȘtes en habit de conquÃÂȘte, et dans un attirail digne du mépris généreux que vous avez pour la gloire, vous vous attendiez de la part du beau garçon à la surprise la plus amoureuse; il s'éveille, et vous salue du regard le plus imbécile que jamais nigaud ait porté vous vous approchez, il bùille deux ou trois fois de toutes ses forces, s'allonge, se retourne et se rendort voilà l'histoire curieuse d'un réveil qui promettait une scÚne si intéressante. Vous sortez en soupirant de dépit, et peut-ÃÂȘtre chassée par un ronflement de basse-taille, aussi nourri qu'il en soit; une heure se passe, il se réveille encore, et ne voyant personne auprÚs de lui, il crie Eh! A ce cri galant, vous rentrez; l'Amour se frottait les yeux Que voulez-vous, beau jeune homme, lui dites-vous? Je veux goûter, moi, répond-il. Mais n'ÃÂȘtes-vous point surpris de me voir, ajoutez-vous? Eh! mais oui, repart-il. Depuis quinze jours qu'il est ici, sa conversation a toujours été de la mÃÂȘme force; cependant vous l'aimez, et qui pis est, vous laissez penser à Merlin qu'il va vous épouser, et votre dessein, m'avez-vous dit, est, s'il est possible, d'épouser le jeune homme; franchement, si vous les prenez tous deux, suivant toutes les rÚgles, le second mari doit gùter le premier. La Fée. - Je vais te répondre en deux mots la figure du jeune homme en question m'enchante; j'ignorais qu'il eût si peu d'esprit quand je l'ai enlevé. Pour moi, sa bÃÂȘtise ne me rebute point j'aime, avec les grùces qu'il a déjà , celles que lui prÃÂȘtera l'esprit quand il en aura. Quelle volupté de voir un homme aussi charmant me dire à mes pieds Je vous aime! Il est déjà le plus beau brun du monde mais sa bouche, ses yeux, tous ses traits seront adorables, quand un peu d'amour les aura retouchés; mes soins réussiront peut-ÃÂȘtre à lui en inspirer. Souvent il me regarde; et tous les jours je touche au moment oÃÂč il peut me sentir et se sentir lui-mÃÂȘme si cela lui arrive, sur-le-champ j'en fais mon mari; cette qualité le mettra alors à l'abri des fureurs de Merlin; mais avant cela, je n'ose mécontenter cet enchanteur, aussi puissant que moi, et avec qui je différerai le plus longtemps que je pourrai. Trivelin. - Mais si le jeune homme n'est jamais, ni plus amoureux, ni plus spirituel, si l'éducation que vous tùchez de lui donner ne réussit pas, vous épouserez donc Merlin? La Fée. - Non; car en l'épousant mÃÂȘme je ne pourrais me déterminer à perdre de vue l'autre et si jamais il venait à m'aimer, toute mariée que je serais, je veux bien te l'avouer, je ne me fierais pas à moi. Trivelin. - Oh je m'en serais bien douté, sans que vous me l'eussiez dit Femme tentée, et femme vaincue, c'est tout un. Mais je vois notre bel imbécile qui vient avec son maÃtre à danser. ScÚne II Arlequin entre, la tÃÂȘte dans l'estomac, ou de la façon niaise dont il voudra, son maÃtre à danser, la Fée, Trivelin La Fée. - Eh bien, aimable enfant, vous me paraissez triste y a-t-il quelque chose ici qui vous déplaise? Arlequin. - Moi, je n'en sais rien. Trivelin rit. La Fée, à Trivelin. - Oh! je vous prie, ne riez pas, cela me fait injure, je l'aime, cela vous suffit pour le respecter. Pendant ce temps Arlequin prend des mouches, la Fée continuant à parler à Arlequin. Voulez-vous bien prendre votre leçon, mon cher enfant? Arlequin, comme n'ayant pas entendu. - Hem. La Fée. - Voulez-vous prendre votre leçon, pour l'amour de moi? Arlequin. - Non. La Fée. - Quoi! vous me refusez si peu de chose, à moi qui vous aime? Alors Arlequin lui voit une grosse bague au doigt, il lui va prendre la main, regarde la bague, et lÚve la tÃÂȘte en se mettant à rire niaisement. La Fée. - Voulez-vous que je vous la donne? Arlequin. - Oui-dà . La Fée tire la bague de son doigt, et lui présente. Comme il la prend grossiÚrement, elle lui dit. - Mon cher Arlequin, un beau garçon comme vous, quand une dame lui présente quelque chose, doit baiser la main en le recevant. Arlequin alors prend goulûment la main de la Fée qu'il baise. La Fée dit. - Il ne m'entend pas, mais du moins sa méprise m'a fait plaisir. Elle ajoute Baisez la vÎtre à présent. Arlequin alors baise le dessus de sa main; la Fée soupire, et lui donnant sa bague, lui dit La voilà , en revanche, recevez votre leçon. Alors le maÃtre à danser apprend à Arlequin à faire la révérence. Arlequin égaie cette scÚne de tout ce que son génie peut lui fournir de propre au sujet. Arlequin. - Je m'ennuie. La Fée. - En voilà donc assez nous allons tùcher de vous divertir. Arlequin alors saute de joie du divertissement proposé, et dit en riant. - Divertir, divertir. ScÚne III La Fée, Arlequin, Trivelin Une troupe de chanteurs et danseurs. La Fée fait asseoir Arlequin alors auprÚs d'elle sur un banc de gazon qui sera auprÚs de la grille du théùtre. Pendant qu'on danse, Arlequin siffle. Un Chanteur, à Arlequin. Beau brunet, l'Amour vous appelle. Arlequin, à ce vers, se lÚve niaisement et dit. - Je ne l'entends pas, oÃÂč est-il? Il l'appelle Hé! hé! Le Chanteur continue. Beau brunet, l'Amour vous appelle. Arlequin, en se rasseyant, dit. - Qu'il crie donc plus haut. Le Chanteur continue en lui montrant la Fée. Voyez-vous cet objet charmant, Ces yeux dont l'ardeur étincelle, Vous répÚtent à tout moment Beau brunet, l'Amour vous appelle. Arlequin, alors en regardant les yeux de la Fée, dit. - Dame, cela est drÎle! Une Chanteuse bergÚre vient, et dit à Arlequin. Aimez, aimez, rien n'est si doux. Arlequin, là -dessus, répond. - Apprenez, apprenez-moi cela. La Chanteuse continue en le regardant. Ah! que je plains votre ignorance. Quel bonheur pour moi, quand j'y pense, Elle montre le chanteur. Qu'Atys en sache plus que vous! La Fée, alors en se levant, dit à Arlequin. - Cher Arlequin, ces tendres chansons ne vous inspirent-elles rien? Que sentez-vous? Arlequin. - Je sens un grand appétit. Trivelin. - C'est-à -dire qu'il soupire aprÚs sa collation; mais voici un paysan qui veut vous donner le plaisir d'une danse de village, aprÚs quoi nous irons manger. Un paysan danse. La Fée se rassied, et fait asseoir Arlequin qui s'endort. Quand la danse finit, la Fée le tire par le bras, et lui dit en se levant. - Vous vous endormez, que faut-il donc faire pour vous amuser? Arlequin, en se réveillant, pleure. - Hi, hi, hi, mon pÚre, eh! je ne vois point ma mÚre! La Fée, à Trivelin. - Emmenez-le, il se distraira peut-ÃÂȘtre, en mangeant, du chagrin qui le prend; je sors d'ici pour quelques moments; quand il aura fait collation, laissez-le se promener oÃÂč il voudra. Ils sortent tous. ScÚne IV Silvia, Le Berger La scÚne change et représente au loin quelques moutons qui paissent. Silvia entre sur la scÚne en habit de bergÚre, une houlette à la main, un berger la suit. Le Vous me fuyez, belle Silvia? Silvia. - Que voulez-vous que je fasse, vous m'entretenez d'une chose qui m'ennuie, vous me parlez toujours d'amour. Le Berger. - Je vous parle de ce que je sens. Silvia. - Oui, mais je ne sens rien, moi. Le Berger. - Voilà ce qui me désespÚre. Silvia. - Ce n'est pas ma faute, je sais bien que toutes nos bergÚres ont chacune un berger qui ne les quitte point; elles me disent qu'elles aiment, qu'elles soupirent; elles y trouvent leur plaisir. Pour moi, je suis bien malheureuse depuis que vous dites que vous soupirez pour moi, j'ai fait ce que j'ai pu pour soupirer aussi, car j'aimerais autant qu'une autre à ÃÂȘtre bien aise; s'il y avait quelque secret pour cela, tenez, je vous rendrais heureux tout d'un coup, car je suis naturellement bonne. Le Berger. - Hélas! pour de secret, je n'en sais point d'autre que celui de vous aimer moi-mÃÂȘme. Silvia. - Apparemment que ce secret-là ne vaut rien; car je ne vous aime point encore, et j'en suis bien fùchée; comment avez-vous fait pour m'aimer, vous? Le Berger. - Moi, je vous ai vue voilà tout. Silvia. - Voyez quelle différence; et moi, plus je vous vois et moins je vous aime. N'importe, allez, allez, cela viendra peut-ÃÂȘtre, mais ne me gÃÂȘnez point. Par exemple, à présent, je vous haïrais si vous restiez ici. Le Berger. - Je me retirerai donc, puisque c'est vous plaire, mais pour me consoler, donnez-moi votre main, que je la baise. Silvia. - Oh non! on dit que c'est une faveur, et qu'il n'est pas honnÃÂȘte d'en faire, et cela est vrai, car je sais bien que les bergÚres se cachent de cela. Le Berger. - Personne ne nous voit. Silvia. - Oui; mais puisque c'est une faute, je ne veux point la faire qu'elle ne me donne du plaisir comme aux autres. Le Berger. - Adieu donc, belle Silvia, songez quelquefois à moi. Silvia. - Oui, oui. ScÚne V Silvia, Arlequin, mais il ne vient qu'un moment aprÚs que Silvia a été seule. Silvia. - Que ce berger me déplaÃt avec son amour! Toutes les fois qu'il me parle, je suis toute de méchante humeur. Et puis voyant Arlequin. Mais qui est-ce qui vient là ? Ah mon Dieu le beau garçon! Arlequin entre en jouant au volant, il vient de cette façon jusqu'aux pieds de Silvia, là il laisse en jouant tomber le volant, et, en se baissant pour le ramasser, il voit Silvia; il demeure étonné et courbé; petit à petit et par secousses il se redresse le corps quand il s'est entiÚrement redressé, il la regarde, elle, honteuse, feint de se retirer dans son embarras, il l'arrÃÂȘte, et dit. - Vous ÃÂȘtes bien pressée? Silvia. - Je me retire, car je ne vous connais pas. Arlequin. - Vous ne me connaissez pas? tant pis; faisons connaissance, voulez-vous? Silvia, encore honteuse. - Je le veux bien. Arlequin, alors s'approche d'elle et lui marque sa joie par de petits ris, et dit. - Que vous ÃÂȘtes jolie! Silvia. - Vous ÃÂȘtes bien obligeant. Arlequin. - Oh point, je dis la vérité. Silvia, en riant un peu à son tour. - Vous ÃÂȘtes bien joli aussi, vous. Arlequin. - Tant mieux oÃÂč demeurez-vous? je vous irai voir. Silvia. - Je demeure tout prÚs; mais il ne faut pas venir; il vaut mieux nous voir toujours ici, parce qu'il y a un berger qui m'aime; il serait jaloux, et il nous suivrait. Arlequin. - Ce berger-là vous aime? Silvia. - Oui. Arlequin. - Voyez donc cet impertinent! je ne le veux pas, moi. Est-ce que vous l'aimez, vous? Silvia. - Non, je n'en ai jamais pu venir à bout. Arlequin. - C'est bien fait, il faut n'aimer personne que nous deux; voyez si vous le pouvez? Silvia. - Oh! de reste, je ne trouve rien de si aisé. Arlequin. - Tout de bon? Silvia. - Oh! je ne mens jamais, mais oÃÂč demeurez-vous aussi? Arlequin, lui montrant du doigt. - Dans cette grande maison. Silvia. - Quoi! chez la fée? Arlequin. - Oui. Silvia, tristement. - J'ai toujours eu du malheur. Arlequin, tristement aussi. - Qu'est-ce que vous avez, ma chÚre amie? Silvia. - C'est que cette fée est plus belle que moi, et j'ai peur que notre amitié ne tienne pas. Arlequin, impatiemment. - J'aimerais mieux mourir. Et puis tendrement. Allez, ne vous affligez pas, mon petit coeur. Silvia. - Vous m'aimerez donc toujours? Arlequin. - Tant que je serai en vie. Silvia. - Ce serait bien dommage de me tromper, car je suis si simple. Mais mes moutons s'écartent, on me gronderait s'il s'en perdait quelqu'un il faut que je m'en aille. Quand reviendrez-vous? Arlequin, avec chagrin. - Oh! que ces moutons me fùchent! Silvia. - Et moi aussi, mais que faire? Serez-vous ici sur le soir? Arlequin. - Sans faute. En disant cela il lui prend la main et il ajoute Oh les jolis petits doigts! Il lui baise la main et dit Je n'ai jamais eu de bonbon si bon que cela. Silvia rit et dit. - Adieu donc. Et puis à part. Voilà que je soupire, et je n'ai point eu de secret pour cela. Elle laisse tomber son mouchoir en s'en allant. Arlequin le ramasse et la rappelle pour lui donner. Arlequin. - Mon amie! Silvia. - Que voulez-vous, mon amant?. Et puis voyant son mouchoir entre les mains d'Arlequin. Ah! c'est mon mouchoir, donnez. Arlequin le tend, et puis retire la main; il hésite, et enfin il le garde, et dit - Non, je veux le garder, il me tiendra compagnie qu'est-ce que vous en faites? Silvia. - Je me lave quelquefois le visage, et je m'essuie avec. Arlequin, en le déployant. - Et par oÃÂč vous sert-il, afin que je le baise par là ? Silvia, en s'en allant. - Partout, mais j'ai hùte, je ne vois plus mes moutons; adieu, jusqu'à tantÎt. Arlequin la salue en faisant des singeries, et se retire aussi. ScÚne VI La fée, Trivelin La scÚne change, et représente le jardin de la Fée. La Fée. - Eh bien! notre jeune homme, a-t-il goûté? Trivelin. - Oui, goûté comme quatre il excelle en fait d'appétit. La Fée. - OÃÂč est-il à présent? Trivelin. - Je crois qu'il joue au volant dans les prairies; mais j'ai une nouvelle à vous apprendre. La Fée. - Quoi, qu'est-ce que c'est? Trivelin. - Merlin est venu pour vous voir. La Fée. - Je suis ravie de ne m'y ÃÂȘtre point rencontrée; car c'est une grande peine que de feindre de l'amour pour qui l'on n'en sent plus. Trivelin. - En vérité, Madame, c'est bien dommage que ce petit innocent l'ait chassé de votre coeur! Merlin est au comble de la joie, il croit vous épouser incessamment. Imagines-tu quelque chose d'aussi beau qu'elle? me disait-il tantÎt, en regardant votre portrait. Ah! Trivelin, que de plaisirs m'attendent! Mais je vois bien que de ces plaisirs-là il n'en tùtera qu'en idée, et cela est d'une triste ressource, quand on s'en est promis la belle et bonne réalité. Il reviendra, comment vous tirerez-vous d'affaire avec lui? La Fée. - Jusqu'ici je n'ai point encore d'autre parti à prendre que de le tromper. Trivelin. - Eh! n'en sentez-vous pas quelque remords de conscience? La Fée. - Oh! j'ai bien d'autres choses en tÃÂȘte, qu'à m'amuser à consulter ma conscience sur une bagatelle. Trivelin, à part. - Voilà ce qui s'appelle un coeur de femme complet. La Fée. - Je m'ennuie de ne point voir Arlequin; je vais le chercher; mais le voilà qui vient à nous qu'en dis-tu, Trivelin? il me semble qu'il se tient mieux qu'à l'ordinaire? ScÚne VII La Fée, Trivelin, Arlequin Arlequin arrive tenant en main le mouchoir de Silvia qu'il regarde, et dont il se frotte tout doucement le visage. La Fée, continuant de parler à Trivelin. - Je suis curieuse de voir ce qu'il fera tout seul, mets-toi à cÎté de moi, je vais tourner mon anneau qui nous rendra invisibles. Arlequin arrive au bord du théùtre, et il saute en tenant le mouchoir de Silvia, il le met dans son sein, il se couche et se roule dessus; et tout cela gaiement. La Fée, à Trivelin. - Qu'est-ce que cela veut dire? Cela me paraÃt singulier. OÃÂč a-t-il pris ce mouchoir? Ne serait-ce pas un des miens qu'il aurait trouvé? Ah! si cela était, Trivelin, toutes ces postures-là seraient peut-ÃÂȘtre de bon augure. Trivelin. - Je gagerais moi que c'est un linge qui sent le musc. La Fée. - Oh non! Je veux lui parler, mais éloignons-nous un peu pour feindre que nous arrivons. Elle s'éloigne de quelques pas, pendant qu'Arlequin se promÚne en long en chantant Ter li ta ta li ta. La Fée. - Bonjour, Arlequin. Arlequin, en tirant le pied, et mettant le mouchoir sous son bras. - Je suis votre trÚs humble serviteur. La Fée, à part à Trivelin. - Comment! voilà des maniÚres! il ne m'en a jamais tant dit depuis qu'il est ici. Arlequin, à la Fée. - Madame, voulez-vous avoir la bonté de vouloir bien me dire comment on est quand on aime bien une personne? La Fée, charmée à Trivelin. - Trivelin, entends-tu? Et puis à Arlequin. Quand on aime, mon cher enfant, on souhaite toujours de voir les gens, on ne peut se séparer d'eux, on les perd de vue avec chagrin enfin on sent des transports, des impatiences et souvent des désirs. Arlequin, en sautant d'aise et comme à part. - M'y voilà . La Fée. - Est-ce que vous sentez tout ce que je dis là ? Arlequin, d'un air indifférent. - Non, c'est une curiosité que j'ai. Trivelin. - Il jase vraiment! La Fée. - Il jase, il est vrai, mais sa réponse ne me plaÃt pas mon cher Arlequin, ce n'est donc pas de moi que vous parlez? Arlequin. - Oh! je ne suis pas un niais, je ne dis pas ce que je pense. La Fée, avec feu, et d'un ton brusque. - Qu'est-ce que cela signifie? OÃÂč avez-vous pris ce mouchoir? Arlequin, la regardant avec crainte. - Je l'ai pris à terre. La Fée. - A qui est-il? Arlequin. - Il est à ... Et puis s'arrÃÂȘtant. Je n'en sais rien. La Fée. - Il y a quelque mystÚre désolant là -dessous! Donnez-moi ce mouchoir! Elle lui arrache, et aprÚs l'avoir regardé avec chagrin, et à part. Il n'est pas à moi et il le baisait; n'importe, cachons-lui mes soupçons, et ne l'intimidons pas; car il ne me découvrirait rien. Arlequin, alors va, le chapeau bas et humblement, lui redemander le mouchoir. - Ayez la charité de me rendre le mouchoir. La Fée, en soupirant en secret. - Tenez, Arlequin, je ne veux pas vous l'Îter, puisqu'il vous fait plaisir. Arlequin en le recevant baise la main, la salue, et s'en va. La Fée, le regardant. - Vous me quittez; oÃÂč allez-vous? Arlequin. - Dormir sous un arbre. La Fée, doucement. - Allez, allez. ScÚne VIII La Fée, Trivelin La Fée. - Ah! Trivelin, je suis perdue. Trivelin. - Je vous avoue, Madame, que voici une aventure oÃÂč je ne comprends rien, que serait-il donc arrivé à ce petit peste-là ? La Fée, au désespoir et avec feu. - Il a de l'esprit, Trivelin, il en a, et je n'en suis pas mieux, je suis plus folle que jamais. Ah! quel coup pour moi, que le petit ingrat vient de me paraÃtre aimable! As-tu vu comme il est changé? As-tu remarqué de quel air il me parlait? combien sa physionomie était devenue fine? Et ce n'est pas de moi qu'il tient toutes ces grùces-là ! Il a déjà de la délicatesse de sentiment, il s'est retenu, il n'ose me dire à qui appartient le mouchoir, il devine que j'en serais jalouse; ah! qu'il faut qu'il ait pris d'amour pour avoir déjà tant d'esprit! Que je suis malheureuse! Une autre lui entendra dire ce je vous aime que j'ai tant désiré, et je sens qu'il méritera d'ÃÂȘtre adoré; je suis au désespoir. Sortons, Trivelin; il s'agit ici de découvrir ma rivale, je vais le suivre et parcourir tous les lieux oÃÂč ils pourront se voir. Cherche de ton cÎté, va vite, je me meurs. ScÚne IX Silvia, une de ses cousines La scÚne change et représente une prairie oÃÂč de loin paissent des moutons. Silvia. - ArrÃÂȘte-toi un moment, ma cousine; je t'aurai bientÎt conté mon histoire, et tu me donneras quelque avis. Tiens, j'étais ici quand il est venu; dÚs qu'il s'est approché, le coeur m'a dit que je l'aimais; cela est admirable! Il s'est approché aussi, il m'a parlé; sais-tu ce qu'il m'a dit? Qu'il m'aimait aussi. J'étais plus contente que si on m'avait donné tous les moutons du hameau vraiment je ne m'étonne pas si toutes nos bergÚres sont si aises d'aimer; je voudrais n'avoir fait que cela depuis que je suis au monde, tant je le trouve charmant; mais ce n'est pas tout, il doit revenir ici bientÎt; il m'a déjà baisé la main, et je vois bien qu'il voudra me la baiser encore. Donne-moi conseil, toi qui as eu tant d'amants; dois-je le laisser faire? La Cousine. - Garde-t'en bien, ma cousine, sois bien sévÚre, cela entretient l'amour d'un amant. Silvia. - Quoi, il n'y a point de moyen plus aisé que cela pour l'entretenir? La Cousine. - Non; il ne faut point aussi lui dire tant que tu l'aimes. Silvia. - Eh! comment s'en empÃÂȘcher? Je suis encore trop jeune pour pouvoir me gÃÂȘner. La Cousine. - Fais comme tu pourras, mais on m'attend, je ne puis rester plus longtemps, adieu, ma cousine. ScÚne X Silvia, un moment aprÚs. - Que je suis inquiÚte! j'aimerais autant ne point aimer que d'ÃÂȘtre obligée d'ÃÂȘtre sévÚre; cependant elle dit que cela entretient l'amour, voilà qui est étrange; on devrait bien changer une maniÚre si incommode; ceux qui l'on inventée n'aimaient pas tant que moi. ScÚne XI Silvia, Arlequin Arlequin arrive. Silvia, en le voyant. - Voici mon amant; que j'aurai de peine à me retenir! DÚs qu'Arlequin l'aperçoit, il vient à elle en sautant de joie; il lui fait des caresses avec son chapeau, auquel il a attaché le mouchoir, il tourne autour de Silvia, tantÎt il baise le mouchoir, tantÎt il caresse Silvia. Arlequin. - Vous voilà donc, mon petit coeur? Silvia, en riant. - Oui, mon amant. Arlequin. - Etes-vous bien aise de me voir? Silvia. - Assez. Arlequin, en répétant ce mot. - Assez, ce n'est pas assez. Silvia. - Oh si fait, il n'en faut pas davantage. Arlequin ici lui prend la main, Silvia paraÃt embarrassé. Arlequin, en la tenant, dit. - Et moi, je ne veux pas que vous disiez comme cela. Il veut alors lui baiser la main, en disant ces derniers mots. Silvia, retirant sa main. - Ne me baisez pas la main au moins. Arlequin, fùché. - Ne voilà -t-il pas encore? Allez, vous ÃÂȘtes une trompeuse. Il pleure. Silvia, tendrement, en lui prenant le menton. - Hélas! mon petit amant, ne pleurez pas. Arlequin, continuant de gémir. - Vous m'aviez promis votre amitié. Silvia. - Eh! je vous l'ai donnée. Arlequin. - Non quand on aime les gens, on ne les empÃÂȘche pas de baiser sa main. En lui offrant la sienne. Tenez, voilà la mienne; voyez si je ferai comme vous. Silvia, en se ressouvenant des conseils de sa cousine. - Oh! ma cousine dira ce qu'elle voudra, mais je ne puis y tenir. Là , là , consolez-vous, mon amant, et baisez ma main puisque vous en avez envie; baisez, mais écoutez, n'allez pas me demander combien je vous aime, car je vous en dirais toujours la moitié moins qu'il n'y en a. Cela n'empÃÂȘchera pas que, dans le fond, je ne vous aime de tout mon coeur; mais vous ne devez pas le savoir, parce que cela vous Îterait votre amitié, on me l'a dit. Arlequin, d'une voix plaintive. - Tous ceux qui vous ont dit cela ont fait un mensonge ce sont des causeurs qui n'entendent rien à notre affaire. Le coeur me bat quand je baise votre main et que vous dites que vous m'aimez, et c'est marque que ces choses-là sont bonnes à mon amitié. Silvia. - Cela se peut bien, car la mienne en va de mieux en mieux aussi; mais n'importe, puisqu'on dit que cela ne vaut rien, faisons un marché de peur d'accident toutes les fois que vous me demanderez si j'ai beaucoup d'amitié pour vous, je vous répondrai que je n'en ai guÚre, et cela ne sera pourtant pas vrai; et quand vous voudrez me baiser la main, je ne le voudrai pas, et pourtant j'en aurai envie. Arlequin, en riant. - Eh! eh! cela sera drÎle! je le veux bien; mais avant ce marché-là , laissez-moi baiser votre main à mon aise, cela ne sera pas du jeu. Silvia. - Baisez, cela est juste. Arlequin lui baise et rebaise la main, et aprÚs, faisant réflexion au plaisir qu'il vient d'avoir, il dit. - Oh! mais, mon amie, peut-ÃÂȘtre que le marché nous fùchera tous deux. Silvia. - Eh! quand cela nous fùchera tout de bon, ne sommes-nous pas les maÃtres? Arlequin. - Il est vrai, mon amie; cela est donc arrÃÂȘté? Silvia. - Oui. Arlequin. - Cela sera tout divertissant voyons pour voir. Arlequin ici badine, et l'interroge pour rire. M'aimez-vous beaucoup? Silvia. - Pas beaucoup. Arlequin, sérieusement. - Ce n'est que pour rire au moins, autrement... Silvia, riant. - Eh! sans doute. Arlequin, poursuivant toujours la badinerie, et riant. - Ah! ah! ah! Et puis pour badiner encore. Donnez-moi votre main, ma mignonne. Silvia. - Je ne le veux pas. Arlequin, souriant. - Je sais pourtant que vous le voudriez bien. Silvia. - Plus que vous; mais je ne veux pas le dire. Arlequin, souriant encore ici, et puis changeant de façon, et tristement. - Je veux la baiser, ou je serai fùché. Silvia. - Vous badinez, mon amant? Arlequin, comme tristement toujours. - Non. Silvia. - Quoi! c'est tout de bon? Arlequin. - Tout de bon. Silvia, en lui tendant la main. - Tenez donc. ScÚne XII La Fée, Arlequin, Silvia Ici la Fée qui les cherchait arrive, et dit à part en retournant son anneau. - Ah! je vois mon malheur! Arlequin, aprÚs avoir baisé la main de Silvia. - Dame! je badinais. Silvia. - Je vois bien que vous m'avez attrapée, mais j'en profite aussi. Arlequin, qui lui tient toujours la main. - Voilà un petit mot qui me plaÃt comme tout. La Fée, à part. - Ah! juste ciel, quel langage! Paraissons. Elle retourne son anneau. Silvia, effrayée de la voir, fait un cri. - Ah! Arlequin, de son cÎté. - Ouf! La Fée, à Arlequin avec altération. - Vous en savez déjà beaucoup! Arlequin, embarrassé. - Eh! eh! je ne savais pourtant pas que vous étiez là . La Fée, en le regardant fixement. - Ingrat! Et puis le touchant de sa baguette. Suivez-moi. AprÚs ce dernier mot, elle touche aussi Silvia sans lui rien dire. Silvia, touchée, dit. - Miséricorde! La Fée alors part avec Arlequin, qui marche devant en silence et comme par compas. ScÚne XIII Silvia, seule, tremblante, et sans bouger. - Ah! la méchante femme, je tremble encore de peur. Hélas! peut-ÃÂȘtre qu'elle va tuer mon amant, elle ne lui pardonnera jamais de m'aimer, mais je sais bien comment je ferai; je m'en vais assembler tous les bergers du hameau, et les mener chez elle allons. Silvia là -dessus veut marcher, mais elle ne peut avancer un pas, elle dit Qu'est-ce que j'ai donc? Je ne puis me remuer. Elle fait des efforts et ajoute Ah! cette magicienne m'a jeté un sortilÚge aux jambes. A ces mots, deux ou trois Lutins viennent pour l'enlever. Silvia, tremblante. - Ahi! Ahi! Messieurs, ayez pitié de moi, au secours, au secours! Un des Lutins. - Suivez-nous, suivez-nous. Silvia. - Je ne veux pas, je veux retourner au logis. Un autre Lutin. - Marchons. Ils l'enlÚvent en criant. ScÚne XIV La scÚne change et représente le jardin de la Fée. La Fée paraÃt avec Arlequin, qui marche devant elle dans la mÃÂȘme posture qu'il a fait ci-devant, et la tÃÂȘte baissée. - Fourbe que tu es! je n'ai pu paraÃtre aimable à tes yeux, je n'ai pu t'inspirer le moindre sentiment, malgré tous les soins et toute la tendresse que tu m'as vue; et ton changement est l'ouvrage d'une misérable bergÚre! Réponds, ingrat, que lui trouves-tu de si charmant? Parle. Arlequin, feignant d'ÃÂȘtre retombé dans sa bÃÂȘtise. - Qu'est-ce que vous voulez? La Fée. - Je ne te conseille pas d'affecter une stupidité que tu n'as plus, et si tu ne te montres tel que tu es, tu vas me voir poignarder l'indigne objet de ton choix. Arlequin, vite et avec crainte. - Eh! non, non; je vous promets que j'aurai de l'esprit autant que vous le voudrez. La Fée. - Tu trembles pour elle. Arlequin. - C'est que je n'aime à voir mourir personne. La Fée. - Tu me verras mourir, moi, si tu ne m'aimes. Arlequin, en la flattant. - Ne soyez donc point en colÚre contre nous. La Fée, en s'attendrissant. - Ah! mon cher Arlequin, regarde-moi, repens-toi de m'avoir désespérée, j'oublierai de quelle part t'est venu ton esprit; mais puisque tu en as, qu'il te serve à connaÃtre les avantages que je t'offre. Arlequin. - Tenez, dans le fond, je vois bien que j'ai tort; vous ÃÂȘtes belle et brave cent fois plus que l'autre, mais j'enrage. La Fée. - Eh! de quoi? Arlequin. - C'est que j'ai laissé prendre mon coeur par cette petite friponne qui est plus laide que vous. La Fée soupire en secret et dit. - Arlequin, voudrais-tu aimer une personne qui te trompe, qui a voulu badiner avec toi, et qui ne t'aime pas? Arlequin. - Oh! pour cela si fait, elle m'aime à la folie. La Fée. - Elle t'abusait, je le sais bien, puisqu'elle doit épouser un berger du village qui est son amant si tu veux, je m'en vais l'envoyer chercher, et elle te le dira elle-mÃÂȘme. Arlequin, en se mettant la main sur la poitrine ou sur son coeur. - Tic, tac, tic, tac, ouf voilà des paroles qui me rendent malade. Et puis vite. Allons, allons, je veux savoir cela; car si elle me trompe, jarni, je vous caresserai, je vous épouserai devant ses deux yeux pour la punir. La Fée. - Eh bien! je vais donc l'envoyer chercher. Arlequin, encore ému. - Oui; mais vous ÃÂȘtes bien fine, si vous ÃÂȘtes là quand elle me parlera, vous lui ferez la grimace, elle vous craindra, et elle n'osera me dire rondement sa pensée. La Fée. - Je me retirerai. Arlequin. - La peste! vous ÃÂȘtes une sorciÚre, vous nous jouerez un tour comme tantÎt, et elle s'en doutera vous ÃÂȘtes au milieu du monde, et on ne voit rien. Oh! je ne veux point que vous trichiez; faites un serment que vous n'y serez pas en cachette. La Fée. - Je te le jure, foi de fée. Arlequin. - Je ne sais point si ce juron-là est bon; mais je me souviens à cette heure, quand on me lisait des histoires, d'avoir vu qu'on jurait par le six, le tix, oui, le Styx. La Fée. - C'est la mÃÂȘme chose. Arlequin. - N'importe, jurez toujours; dame, puisque vous craignez, c'est que c'est le meilleur. La Fée, aprÚs avoir rÃÂȘvé. - Eh bien! je n'y serai point, je t'en jure par le Styx, et je vais donner ordre qu'on l'amÚne ici. Arlequin. - Et moi en attendant je m'en vais gémir en me promenant. Il sort. ScÚne XV La Fée, seule. - Mon serment me lie, mais je n'en sais pas moins le moyen d'épouvanter la bergÚre sans ÃÂȘtre présente, et il me reste une ressource; je donnerai mon anneau à Trivelin qui les écoutera invisible, et qui me rapportera ce qu'ils auront dit Appelons-le Trivelin! Trivelin! ScÚne XVI La Fée, Trivelin Trivelin vient. - Que voulez-vous, Madame? La Fée. - Faites venir ici cette bergÚre, je veux lui parler; et vous, prenez cette bague. Quand j'aurai quitté cette fille, vous avertirez Arlequin de lui venir parler, et vous le suivrez sans qu'il le sache pour venir écouter leur entretien, avec la précaution de retourner la bague, pour n'ÃÂȘtre point vu d'eux; aprÚs quoi, vous me redirez leur discours entendez-vous? Soyez exact, je vous prie. Trivelin. - Oui, Madame. Il sort pour aller chercher Silvia. ScÚne XVII La Fée, Silvia La Fée, un moment seule. - Est-il d'aventure plus triste que la mienne? Je n'ai lieu d'aimer plus que je n'aimais, que pour en souffrir davantage; cependant il me reste encore quelque espérance; mais voici ma rivale. Silvia entre. La Fée en colÚre. Approchez, approchez. Silvia. - Madame, est-ce que vous voulez toujours me retenir de force ici? Si ce beau garçon m'aime, est-ce ma faute? Il dit que je suis belle, dame, je ne puis pas m'empÃÂȘcher de l'ÃÂȘtre. La Fée, avec un sentiment de fureur. - Oh! si je ne craignais de tout perdre, je la déchirerais. Haut. Ecoutez-moi, petite fille, mille tourments vous sont préparés, si vous ne m'obéissez. Silvia, en tremblant. - Hélas! vous n'avez qu'à dire. La Fée. - Arlequin va paraÃtre ici je vous ordonne de lui dire que vous n'avez voulu que vous divertir avec lui, que vous ne l'aimez point, et qu'on va vous marier avec un berger du village; je ne paraÃtrai point dans votre conversation, mais je serai à vos cÎtés sans que vous me voyiez, et si vous n'observez mes ordres avec la derniÚre rigueur, s'il vous échappe le moindre mot qui lui fasse deviner que je vous aie forcée à lui parler comme je le veux, tout est prÃÂȘt pour votre supplice. Silvia. - Moi, lui dire que j'ai voulu me moquer de lui? Cela est-il raisonnable? Il se mettra à pleurer, et je me mettrai à pleurer aussi vous savez bien que cela est immanquable. La Fée, en colÚre. - Vous osez me résister! Paraissez, esprits infernaux, enchaÃnez-la, et n'oubliez rien pour la tourmenter. Des esprit entrent. Silvia, pleurant, dit. - N'avez-vous pas de conscience de me demander une chose impossible? La Fée, aux esprits. - Ce n'est pas tout; allez prendre l'ingrat qu'elle aime, et donnez-lui la mort à ses yeux. Silvia, avec exclamation. - La mort! Ah! Madame la Fée, vous n'avez qu'à le faire venir; je m'en vais lui dire que je le hais, et je vous promets de ne point pleurer du tout; je l'aime trop pour cela. La Fée. - Si vous versez une larme, si vous ne paraissez tranquille, il est perdu, et vous aussi. Aux esprits. Otez-lui ses fers. A Silvia. Quand vous lui aurez parlé, je vous ferai reconduire chez vous, si j'ai lieu d'ÃÂȘtre contente il va venir, attendez ici. La Fée sort et les diables aussi. ScÚne XVIII Silvia, Arlequin, Trivelin Silvia, un moment seule. - Achevons vite de pleurer, afin que mon amant ne croie pas que je l'aime, le pauvre enfant, ce serait le tuer moi-mÃÂȘme. Ah! maudite fée! Mais essuyons mes yeux, le voilà qui vient. Arlequin entre alors triste et la tÃÂȘte penchée, il ne dit mot jusqu'auprÚs de Silvia, il se présente à elle, la regarde un moment sans parler; et aprÚs, Trivelin invisible entre. Arlequin. - Mon amie! Silvia, d'un air libre. - Eh bien? Arlequin. - Regardez-moi. Silvia, embarrassée. - A quoi sert tout cela? On m'a fait venir ici pour vous parler; j'ai hùte, qu'est-ce que vous voulez? Arlequin, tendrement. - Est-ce vrai que vous m'avez fourbé? Silvia. - Oui, tout ce que j'ai fait, ce n'était que pour me donner du plaisir. Arlequin s'approche d'elle tendrement et lui dit. - Mon amie, dites franchement, cette coquine de fée n'est point ici, car elle en a juré. Et puis en flattant Silvia. Là , là , remettez-vous, mon petit coeur dites, ÃÂȘtes-vous une perfide? Allez-vous ÃÂȘtre la femme d'un vilain berger? Silvia. - Oui, encore une fois, tout cela est vrai. Arlequin, là -dessus, pleure de toute sa force. - Hi, hi, hi. Silvia, à part. - Le courage me manque. Arlequin, en pleurant sans rien dire, cherche dans ses poches; il en tire un petit couteau qu'il aiguise sur sa manche. Silvia, le voyant faire. - Qu'allez-vous donc faire? Alors Arlequin sans répondre allonge le bras comme pour prendre sa secousse, et ouvre un peu son estomac. Silvia, effrayée. - Ah! il va se tuer; arrÃÂȘtez-vous, mon amant! j'ai été obligée de vous dire des menteries Et puis en parlant à la Fée qu'elle croit à cÎté d'elle. Madame la Fée, pardonnez-moi en quelque endroit que vous soyez ici, vous voyez bien ce qui en est. Arlequin, à ces mots cessant son désespoir, lui prend vite la main et dit. - Ah! quel plaisir! soutenez-moi, m'amour, je m'évanouis d'aise. Silvia le soutient. Trivelin, alors, paraÃt tout d'un coup à leurs yeux. Silvia, dans la surprise, dit. - Ah! voilà la Fée. Trivelin. - Non, mes enfants, ce n'est pas la Fée; mais elle m'a donné son anneau, afin que je vous écoutasse sans ÃÂȘtre vu. Ce serait bien dommage d'abandonner de si tendres amants à sa fureur aussi bien ne mérite-t-elle pas qu'on la serve, puisqu'elle est infidÚle au plus généreux magicien du monde, à qui je suis dévoué soyez en repos, je vais vous donner un moyen d'assurer votre bonheur. Il faut qu'Arlequin paraisse mécontent de vous, Silvia; et que de votre cÎté vous feigniez de le quitter en le raillant. Je vais chercher la Fée qui m'attend, à qui je dirai que vous vous ÃÂȘtes parfaitement acquittée de ce qu'elle vous avait ordonné elle sera témoin de votre retraite. Pour vous, Arlequin, quand Silvia sera sortie, vous resterez avec la Fée, et alors en l'assurant que vous ne songez plus à Silvia infidÚle, vous jurerez de vous attacher à elle, et tùcherez par quelque tour d'adresse, et comme en badinant, de lui prendre sa baguette; je vous avertis que dÚs qu'elle sera dans vos mains, la Fée n'aura plus aucun pouvoir sur vous deux; et qu'en la touchant elle-mÃÂȘme d'un coup de la baguette, vous en serez absolument le maÃtre. Pour lors, vous pourrez sortir d'ici et vous faire telle destinée qu'il vous plaira. Silvia. - Je prie le ciel qu'il vous récompense. Arlequin. - Oh! quel honnÃÂȘte homme! Quand j'aurai la baguette, je vous donnerai votre plein chapeau de liards. Trivelin. - Préparez-vous, je vais amener ici la Fée. ScÚne XIX Arlequin, Silvia Arlequin. - Ma chÚre amie, la joie me court dans le corps; il faut que je vous baise, nous avons bien le temps de cela. Silvia, en l'arrÃÂȘtant. - Taisez-vous donc, mon ami, ne nous caressons pas à cette heure, afin de pouvoir nous caresser toujours on vient, dites-moi bien des injures, pour avoir la baguette. La Fée entre. Arlequin, comme en colÚre. - Allons, petite coquine. ScÚne XX La Fée, Trivelin, Silvia, Arlequin Trivelin, à la Fée en entrant. - Je crois, Madame, que vous aurez lieu d'ÃÂȘtre contente. Arlequin, continuant à gronder Silvia. - Sortez d'ici, friponne; voyez cette petite effrontée! sortez d'ici, mort de ma vie! Silvia, se retirant en riant. - Ah! ah! qu'il est drÎle! Adieu, adieu, je m'en vais épouser mon amant une autre fois ne croyez pas tout ce qu'on vous dit, petit garçon. Et puis Silvia dit à la Fée Madame, voulez-vous que je m'en aille? La Fée, à Trivelin. - Faites-la sortir, Trivelin. Elle sort avec Trivelin. ScÚne XXI La Fée, Arlequin La Fée. - Je vous avais dit la vérité, comme vous voyez Arlequin, comme indifférent. - Oh! je me soucie bien de cela c'est une petite laide qui ne vous vaut pas. Allez, allez, à présent je vois bien que vous ÃÂȘtes une bonne personne. Fi! que j'étais sot; laissez faire, nous l'attraperons bien, quand nous serons mari et femme. La Fée. - Quoi! mon cher Arlequin, vous m'aimerez donc? Arlequin. - Eh qui donc? J'avais assurément la vue trouble. Tenez, cela m'avait fùché d'abord, mais à présent je donnerais toutes les bergÚres des champs pour une mauvaise épingle. Et puis doucement. Mais vous n'avez peut-ÃÂȘtre plus envie de moi, à cause que j'ai été si bÃÂȘte? La Fée, charmée. - Mon cher Arlequin, je te fais mon maÃtre, mon mari; oui, je t'épouse; je te donne mon coeur, mes richesses, ma puissance. Es-tu content? Arlequin, en la regardant sur cela tendrement. - Ah! ma mie, que vous me plaisez! Et lui prenant la main. Moi, je vous donne ma personne, et puis cela encore. C'est son chapeau. Et puis encore cela. C'est son épée. Là -dessus, en badinant, il lui met son épée au cÎté, et dit en lui prenant sa baguette Et je m'en vais mettre ce bùton à mon cÎté. Quand il tient la baguette, La Fée, inquiÚte, lui dit Donnez, donnez-moi cette baguette, mon fils; vous la casserez. Arlequin, se reculant aux approches de la Fée, tournant autour du théùtre, et d'une façon reposée. - Tout doucement, tout doucement! La Fée, encore plus alarmée. - Donnez donc vite, j'en ai besoin. Arlequin, alors, la touche de la baguette adroitement et lui dit. - Tout beau, asseyez-vous là ; et soyez sage. La Fée tombe sur le siÚge de gazon mis auprÚs de la grille du théùtre et dit. - Ah! je suis perdue, je suis trahie. Arlequin, en riant. - Et moi, je suis on ne peut pas mieux. Oh! oh! vous me grondiez tantÎt parce que je n'avais pas d'esprit; j'en ai pourtant plus que vous. Arlequin alors fait des sauts de joie; il rit, il danse, il siffle, et de temps en temps va autour de la Fée, et lui montrant la baguette. Soyez bien sage, madame la sorciÚre, car voyez bien cela! Alors il appelle tout le monde. Allons, qu'on m'apporte ici mon petit coeur. Trivelin oÃÂč sont mes valets et tous les diables aussi? Vite, j'ordonne, je commande, ou par la sambleu... Tout accourt à sa voix. ScÚne derniÚre Silvia conduite par Trivelin, les Danseurs, Les Chanteurs et Les Esprits Arlequin, courant au-devant de Silvia, et lui montrant la baguette. - Ma chÚre amie, voilà la machine; je suis sorcier à cette heure; tenez, prenez, prenez; il faut que vous soyez sorciÚre aussi. Il lui donne la baguette. Silvia prend la baguette en sautant d'aise et dit. - Oh! mon amant, nous n'aurons plus d'envieux. A peine Silvia a-t-elle dit ces mots, que quelques esprits s'avancent, et l'un d'eux dit Vous ÃÂȘtes notre maÃtresse, que voulez-vous de nous? Silvia, surprise de leur approche, se retire et a peur, et dit. - Voilà encore ces vilains hommes qui me font peur. Arlequin, fùché. - Jarni, je vous apprendrai à vivre. A Silvia. Donnez-moi ce bùton, afin que je les rosse. Il prend la baguette, et ensuite bat les esprits avec son épée; il bat aprÚs les danseurs, les chanteurs, et jusqu'à Trivelin mÃÂȘme. Silvia, lui dit, en l'arrÃÂȘtant. - En voilà assez, mon ami. Arlequin menace toujours tout le monde, et va à la Fée qui est sur le banc, et la menace aussi. Silvia, alors, s'approche à son tour de la Fée et lui dit en la saluant. - Bonjour, Madame, comment vous portez-vous? Vous n'ÃÂȘtes donc plus si méchante? La Fée retourne la tÃÂȘte en jetant des regards de fureur sur eux. Silvia. - Oh! qu'elle est en colÚre. Arlequin, alors à la Fée. - Tout doux, je suis le maÃtre; allons, qu'on nous regarde tout à l'heure agréablement. Silvia. - Laissons-la, mon ami, soyons généreux la compassion est une belle chose. Arlequin. - Je lui pardonne, mais je veux qu'on chante, qu'on danse, et puis aprÚs nous irons nous faire roi quelque part. Annibal Acteurs Comédie en trois actes et en prose Représentée pour la premiÚre fois par les comédiens italiens le 3 mars 1720 Acteurs Laodice, fille de Prusias. Flaminius, ambassadeur romain. Hiéron, confident de Prusias. Amilcar, confident d'Annibal. Flavius, confident de Flaminius. Egine, confidente de Laodice. La scÚne est dans le palais de Prusias. Acte premier ScÚne premiÚre Laodice, Egine Egine Je ne puis plus longtemps vous taire mes alarmes, Madame; de vos yeux j'ai vu couler des larmes. Quel important sujet a pu donc aujourd'hui Verser dans votre coeur la tristesse et l'ennui? Laodice Sais-tu quel est celui que Rome nous envoie? Egine Laodice Pourquoi faut-il que je le voie? Sans lui j'allais, sans trouble, épouser Annibal. O Rome! que ton choix à mon coeur est fatal! Ecoute, je veux bien t'apprendre, chÚre Egine, Des pleurs que je versais la secrÚte origine Trois ans se sont passés, depuis qu'en ces Etats Le mÃÂȘme ambassadeur vint trouver Prusias. Je n'avais jamais vu de Romain chez mon pÚre; Je pensais que d'un roi l'auguste caractÚre L'élevait au-dessus du reste des humains Mais je vis qu'il fallait excepter les Romains. Je vis du moins mon pÚre, orné du diadÚme, Honorer ce Romain, le respecter lui-mÃÂȘme; Et, s'il te faut ici dire la vérité, Ce Romain n'en parut ni surpris, ni flatté. Cependant ces respects et cette déférence BlessÚrent en secret l'orgueil de ma naissance. J'eus peine à voir un roi qui me donna le jour, Dépouillé de ses droits, courtisan dans sa cour, Et d'un front couronné perdant toute l'audace, Devant Flaminius n'oser prendre sa place. J'en rougis, et jetai sur ce hardi Romain Des regards qui marquaient un généreux dédain. Mais du destin sans doute un injuste caprice Veut devant les Romains que tout orgueil fléchisse Mes dédaigneux regards rencontrÚrent les siens, Et les siens, sans effort, confondirent les miens. Jusques au fond du coeur je me sentis émue; Je ne pouvais ni fuir, ni soutenir sa vue. Je perdis sans regret un impuissant courroux; Mon propre abaissement, Egine, me fut doux. J'oubliai ces respects qui m'avaient offensée; Mon pÚre mÃÂȘme alors sortit de ma pensée Je m'oubliai moi-mÃÂȘme, et ne m'occupai plus Qu'à voir et n'oser voir le seul Flaminius. Egine, ce récit, que j'ai honte de faire, De tous mes mouvements t'explique le mystÚre. Egine De ce Romain si fier, qui fut votre vainqueur. Sans doute, à votre tour, vous surprÃtes le coeur. Laodice J'ignore jusqu'ici si je touchai son ùme J'examinai pourtant s'il partageait ma flamme; J'observai si ses yeux ne m'en apprendraient rien Mais je le voulais trop pour m'en instruire bien. Je le crus cependant, et si sur l'apparence Il est permis de prendre un peu de confiance, Egine, il me sembla que, pendant son séjour, Dans son silence mÃÂȘme éclatait son amour. Mille indices pressants me le faisaient comprendre Quand je te les dirais, tu ne pourrais m'entendre; Moi-mÃÂȘme, que l'amour sut peut-ÃÂȘtre tromper, Je les sens, et ne puis te les développer. Flaminius partit, Egine, et je veux croire Qu'il ignora toujours ma honte et sa victoire. Hélas! pour revenir à ma tranquillité, Que de maux à mon coeur n'en a-t-il pas coûté! J'appelai vainement la raison à mon aide Elle irrite l'amour, loin d'y porter remÚde. Quand sur ma folle ardeur elle m'ouvrait les yeux, En rougissant d'aimer, je n'en aimais que mieux. Je ne me servis plus d'un secours inutile; J'attendis que le temps vÃnt me rendre tranquille Je le devins, Egine, et j'ai cru l'ÃÂȘtre enfin, Quand j'ai su le retour de ce mÃÂȘme Romain. Que ferai-je, dis-moi, si ce retour funeste D'un malheureux amour trouve en moi quelque reste? Quoi! j'aimerais encore! Ah! puisque je le crains, Pourrais-je me flatter que mes feux sont éteints? D'oÃÂč naÃtraient dans mon coeur de si promptes alarmes? Et si je n'aime plus, pourquoi verser des larmes? Cependant, chÚre Egine, Annibal a ma foi, Et je suis destinée à vivre sous sa loi. Sans amour, il est vrai, j'allais ÃÂȘtre asservie; Mais j'allais partager la gloire de sa vie. Mon ùme, que flattait un partage si grand, Se disait qu'un héros valait bien un amant. Hélas! si dans ce jour mon amour se ranime, Je deviendrai bien moins épouse que victime. N'importe, quelque sort qui m'attende aujourd'hui, J'achÚverai l'hymen qui doit m'unir à lui, Et dût mon coeur brûler d'une ardeur éternelle, Egine, il a ma foi; je lui serai fidÚle. Egine Madame, le voici. ScÚne II Laodice, Annibal, Egine, Amilcar Annibal Puis-je, sans me flatter, Espérer qu'un moment vous voudrez m'écouter? Je ne viens point, trop fier de l'espoir qui m'engage, De mes tristes soupirs vous présenter l'hommage C'est un secret qu'il faut renfermer dans son coeur, Quand on n'a plus de grùce à vanter son ardeur. Un soin qui me sied mieux, mais moins cher à mon ùme, M'invite en ce moment à vous parler, Madame. On attend dans ces lieux un agent des Romains, Et le roi votre pÚre ignore ses desseins; Mais je crois les savoir. Rome me persécute. Par moi, Rome autrefois se vit prÚs de sa chute; Ce qu'elle en ressentit et de trouble et d'effroi Dure encore, et lui tient les yeux ouverts sur moi. Son pouvoir est peu sûr tant qu'il respire un homme Qui peut apprendre aux rois à marcher jusqu'à Rome. A peine ils m'ont reçu, que sa juste frayeur M'en écarte aussitÎt par un ambassadeur; Je puis porter trop loin le succÚs de leurs armes, Voilà ce qui nourrit ses prudentes alarmes Et de l'ambassadeur, peut-ÃÂȘtre, tout l'emploi Est de n'oublier rien pour m'éloigner du roi. Il va mÃÂȘme essayer l'impérieux langage Dont à ses envoyés Rome prescrit l'usage; Et ce piÚge grossier, que tend sa vanité, Souvent de plus d'un roi surprit la fermeté. Quoi qu'il en soit, enfin, trop aimable Princesse, Vous possédez du roi l'estime et la tendresse Et moi, qui vous connais, je puis avec honneur En demander ici l'usage en ma faveur. Se soustraire au bienfait d'une ùme vertueuse, C'est soi-mÃÂȘme souvent l'avoir peu généreuse. Annibal, destiné pour ÃÂȘtre votre époux, N'aura point à rougir d'avoir compté sur vous Et votre coeur, enfin, est assez grand pour croire Qu'il est de son devoir d'avoir soin de ma gloire. Laodice Oui, je la soutiendrai; n'en doutez point, Seigneur, L'espoir que vous formez rend justice à mon coeur. L'inviolable foi que je vous ai donnée M'associe aux hasards de votre destinée. Mais aujourd'hui, Seigneur, je n'en ferais pas moins, Quand vous n'auriez point droit de demander mes soins. Croyez à votre tour que j'ai l'ùme trop fiÚre Pour qu'Annibal en vain m'eût fait une priÚre. Mais, Seigneur, Prusias, dont vous vous défiez, Sera plus vertueux que vous ne le croyez Et puisque avec ma foi vous reçûtes la sienne, Vos intérÃÂȘts n'ont pas besoin qu'on les soutienne. Annibal Non, je m'occupe ici de plus nobles projets, Et ne vous parle point de mes seuls intérÃÂȘts. Mon nom m'honore assez, Madame, et j'ose dire Qu'au plus avide orgueil ma gloire peut suffire. Tout vaincu que je suis, je suis craint du vainqueur Le triomphe n'est pas plus beau que mon malheur. Quand je serais réduit au plus obscur asile, J'y serais respectable, et j'y vivrais tranquille, Si d'un roi généreux les soins et l'amitié, Le noeud dont avec vous je dois ÃÂȘtre lié, N'avaient rempli mon coeur de la douce espérance Que ce bras fera foi de ma reconnaissance; Et que l'heureux époux dont vous avez fait choix, Sur de nouveaux sujets établissant vos lois, Justifiera l'honneur que me fait Laodice, En souffrant que ma main à la sienne s'unisse. Oui, je voudrais encor par des faits éclatants Réparer entre nous la distance des ans, Et de tant de lauriers orner cette vieillesse, Qu'elle effaçùt l'éclat que donne la jeunesse. Mais mon courage en vain médite ces desseins, Madame, si le roi ne résiste aux Romains Je ne vous dirai point que le Sénat, peut-ÃÂȘtre, Deviendra par degrés son tyran et son maÃtre; Et que, si votre pÚre obéit aujourd'hui, Ce maÃtre ordonnera de vous comme de lui; Qu'on verra quelque jour sa politique injuste Disposer de la main d'une princesse auguste, L'accorder quelquefois, la refuser aprÚs, Au gré de son caprice ou de ses intérÃÂȘts, Et d'un lùche allié trop payer le service, En lui livrant enfin la main de Laodice. Laodice Seigneur, quand Annibal arriva dans ces lieux, Mon pÚre le reçut comme un présent, des dieux, Et sans doute il connut quel était l'avantage De pouvoir acquérir des droits sur son courage, De se l'approprier en se liant à vous, En vous donnant enfin le nom de mon époux. Sans la guerre, il aurait conclu notre hyménée; Mais il n'est pas moins sûr, et j'y suis destinée. Qu'Annibal juge donc, sur les desseins du roi, Si jamais les Romains disposeront de moi; Si jamais leur Sénat peut à présent s'attendre Que de son fier pouvoir le roi veuille dépendre. Mais je vous laisse. Il vient. Vous pourrez avec lui Juger si vous aurez besoin de mon appui. ScÚne III Prusias, Annibal, Amilcar Prusias Enfin, Flaminius va bientÎt nous instruire Des motifs importants qui peuvent le conduire. Avant la fin du jour, Seigneur, nous l'allons voir, Et déjà je m'apprÃÂȘte à l'aller recevoir. Annibal Qu'entends-je? vous, Seigneur! Prusias D'oÃÂč vient cette surprise? Je lui fais un honneur que l'usage autorise J'imite mes pareils. Annibal Et n'ÃÂȘtes-vous pas roi? Prusias Seigneur, ceux dont je parle ont mÃÂȘme rang que moi. Annibal Eh quoi! pour vos pareils voulez-vous reconnaÃtre Des hommes, par abus appelés rois sans l'ÃÂȘtre; Des esclaves de Rome, et dont la dignité Est l'ouvrage insolent de son autorité; Qui, du trÎne héritiers, n'osent y prendre place, Si Rome auparavant n'en a permis l'audace; Qui, sur ce trÎne assis, et le sceptre à la main, S'abaissent à l'aspect d'un citoyen romain; Des rois qui, soupçonnés de désobéissance, Prouvent à force d'or leur honteuse innocence, Et que d'un fier Sénat l'ordre souvent fatal Expose en criminels devant son tribunal; Méprisés des Romains autant que méprisables? Voilà ceux qu'un monarque appelle ses semblables! Ces rois dont le Sénat, sans armer de soldats, A de vils concurrents adjuge les Etats; Ces clients, en un mot, qu'il punit et protÚge, Peuvent de ses agents augmenter le cortÚge. Mais vous, examinez, en voyant ce qu'ils sont, Si vous devez encor imiter ce qu'ils font. Prusias Si ceux dont nous parlons vivent dans l'infamie, S'ils livrent aux Romains et leur sceptre et leur vie, Ce lùche oubli du rang qu'ils ont reçu des dieux, Autant qu'à vous, Seigneur, me paraÃt odieux Mais donner au Sénat quelque marque d'estime, Rendre à ses envoyés un honneur légitime, Je l'avouerai, Seigneur, j'aurais peine à penser Qu'à de honteux égards ce fût se rabaisser; Je crois pouvoir enfin les imiter moi-mÃÂȘme, Et n'en garder pas moins les droits du rang suprÃÂȘme. Annibal Quoi! Seigneur, votre rang n'est pas sacrifié, En courant au-devant des pas d'un envoyé! C'est montrer votre estime, en produire des marques Que vous ne croyez pas indignes des monarques! L'ai-je bien entendu? De quel oeil, dites-moi, Voyez-vous le Sénat? et qu'est-ce donc qu'un roi? Quel discours! juste ciel! de quelle fantaisie L'ùme aujourd'hui des rois est-elle donc saisie? Et quel est donc enfin le charme ou le poison Dont Rome semble avoir altéré leur raison? Cet orgueil, que leur coeur respire sur le trÎne, Au seul nom de Romain, fuit et les abandonne; Et d'un commun accord, ces maÃtres des humains, Sans s'en apercevoir, respectent les Romains! O rois! et ce respect, vous l'appelez estime! Je ne m'étonne plus si Rome vous opprime. Seigneur, connaissez-vous; rompez l'enchantement Qui vous fait un devoir de votre abaissement. Vous régnez, et ce n'est qu'un agent qui s'avance. Au trÎne, votre place, attendez sa présence. Sans vous embarrasser s'il est Scythe ou Romain, Laissez-le jusqu'à vous poursuivre son chemin. De quel droit le Sénat pourrait-il donc prétendre Des respects qu'à vous-mÃÂȘme il ne voudrait pas rendre? Mais que vous dis-je? à Rome, à peine un sénateur Daignerait d'un regard vous accorder l'honneur, Et vous apercevant dans une foule obscure, Vous ferait un accueil plus choquant qu'une injure. De combien cependant ÃÂȘtes-vous au-dessus De chaque sénateur!... Prusias Seigneur, n'en parlons plus. J'avais cru faire un pas d'une moindre importance Mais pendant qu'en ces lieux l'ambassadeur s'avance, Souffrez que je vous quitte, et qu'au moins aujourd'hui Des soins moins éclatants m'excusent envers lui. ScÚne IV Annibal, Amilcar Amilcar Seigneur, nous sommes seuls oserais-je vous dire Ce que le ciel peut-ÃÂȘtre en ce moment m'inspire? Je connais peu le roi; mais sa timidité Semble vous présager quelque infidélité. Non qu'à présent son coeur manque pour vous de zÚle; Sans doute il a dessein de vous ÃÂȘtre fidÚle Mais un prince à qui Rome imprime du respect, De peu de fermeté doit vous ÃÂȘtre suspect. Ces timides égards vous annoncent un homme Assez faible, Seigneur, pour vous livrer à Rome. Qui sait si l'envoyé qu'on attend aujourd'hui Ne vient pas, de sa part, vous demander à lui? Pendant que de ces lieux la retraite est facile, M'en croirez-vous? fuyez un dangereux asile; Et sans attendre ici... Annibal Nomme-moi des Etats Plus sûrs pour Annibal que ceux de Prusias. Enseigne-moi des rois qui ne soient point timides; Je les ai trouvés tous ou lùches ou perfides. Amilcar Il en serait peut-ÃÂȘtre encor de généreux Mais une autre raison fait vos dégoûts pour eux Et si vous n'espériez d'épouser Laodice, Peut-ÃÂȘtre à quelqu'un d'eux rendriez-vous justice. Vous voudrez bien, Seigneur, excuser un discours Que me dicte mon zÚle et le soin de vos jours. Annibal Crois-tu que l'intérÃÂȘt d'une amoureuse, flamme Dans cet égarement pût entraÃner mon ùme? Penses-tu que ce soit seulement de ce jour Que mon coeur ait appris à surmonter l'amour? De ses emportements j'ai sauvé ma jeunesse; J'en pourrai bien encor défendre ma vieillesse. Nous tenterions en vain d'empÃÂȘcher que nos coeurs D'un amour imprévu ne sentent les douceurs. Ce sont là des hasards à qui l'ùme est soumise, Et dont on peut sans honte éprouver la surprise Mais, quel qu'en soit l'attrait, ces douceurs ne sont rien, Et ne font de progrÚs qu'autant qu'on le veut bien. Ce feu, dont on nous dit la violence extrÃÂȘme, Ne brûle que le coeur qui l'allume lui-mÃÂȘme. Laodice est aimable, et je ne pense pas Qu'avec indifférence on pût voir ses appas. L'hymen doit me donner une épouse si belle; Mais la gloire, Amilcar, est plus aimable qu'elle Et jamais Annibal ne pourra s'égarer Jusqu'au trouble honteux d'oser les comparer. Mais je suis las d'aller mendier un asile, D'affliger mon orgueil d'un opprobre stérile. OÃÂč conduire mes pas? Va, crois-moi, mon destin Doit changer dans ces lieux ou doit y prendre fin. Prusias ne peut plus m'abandonner sans crime Il est faible, il est vrai; mais il veut qu'on l'estime. Je feins qu'il le mérite; et malgré sa frayeur, Sa vanité du moins lui tiendra lieu d'honneur. S'il en croit les Romains, si le Ciel veut qu'il cÚde, Des crimes de son coeur le mien sait le remÚde. Soit tranquille, Amilcar, et ne crains rien pour moi. Mais sortons. Hùtons-nous de rejoindre le roi; Ne l'abandonnons point; il faut mÃÂȘme sans cesse, Par de nouveaux efforts, combattre sa faiblesse, L'irriter contre Rome; et mon unique soin Est de me rendre ici son assidu témoin. Acte II ScÚne premiÚre Flavius, Flaminius Flavius Le roi ne paraÃt point, et j'ai peine à comprendre, Seigneur, comment ce prince ose se faire attendre. Et depuis quand les rois font-ils si peu d'état Des ministres chargés des ordres du Sénat? Malgré la dignité dont Rome vous honore, Prusias à vos yeux ne s'offre point encore? Flaminius N'accuse point le roi de ce superbe accueil; Un roi n'en peut avoir imaginé l'orgueil. J'y reconnais l'audace et les conseils d'un homme Ennemi déclaré des respects dus à Rome. Le roi de son devoir ne serait point sorti; C'est du seul Annibal que ce trait est parti. Prusias, sur la foi des leçons qu'on lui donne, Ne croit plus le respect d'usage sur le trÎne. Annibal, de son rang exagérant l'honneur, SÚme avec la fierté la révolte en son coeur. Quel que soit le succÚs qu'Annibal en attende, Les rois résistent peu quand le Sénat commande. Déjà ce fugitif a dû s'apercevoir. Combien ses volontés ont sur eux de pouvoir. Flavius Seigneur, à ce discours souffrez que je comprenne. Que vous ne venez pas pour le seul ArtamÚne, Et que la guerre enfin que lui fait Prusias Est le moindre intérÃÂȘt qui guide ici vos pas. En vous suivant, j'en ai soupçonné le mystÚre; Mais, Seigneur, jusqu'ici j'ai cru devoir me taire. Flaminius Déjà mon amitié te l'eût développé, Sans les soins inquiets dont je suis occupé. Je t'apprends donc qu'à Rome Annibal doit me suivre, Et qu'en mes mains il faut que Prusias le livre. Voilà quel est ici mon véritable emploi, Sans d'autres intérÃÂȘts qui ne touchent que moi. Flavius Quoi! vous? Flaminius Nous sommes seuls, nous pouvons ne rien feindre. Annibal n'a que trop montré qu'il est à craindre. Il fuit, il est vaincu, mais vaincu par des coups Que nous devons encor plus au hasard qu'à nous. Et s'il n'eût, autrefois, ralenti son courage, Rome était en danger d'obéir à Carthage. Quoique vaincu, les rois dont il cherche l'appui Pourraient bien essayer de se servir de lui; Et sur ce qu'il a fait fondant leur espérance Avec moins de frayeur tenter l'indépendance Et Rome à les punir aurait un embarras Qu'il serait imprudent de ne s'épargner pas. Nos aigles, en un mot, trop fréquemment défaites Par ce mÃÂȘme ennemi qui trouve des retraites, Qui n'a jamais craint Rome, et qui mÃÂȘme la voit Seulement ce qu'elle est et non ce qu'on la croit; Son audace, son nom et sa haine implacable, Tout, jusqu'à sa défaite, est en lui formidable, Et depuis quelque temps un bruit court parmi nous Qu'il va de Laodice ÃÂȘtre bientÎt l'époux. Ce coup est important Rome en est alarmée. Pour le rompre elle a fait avancer son armée; Elle exige Annibal, et malgré le mépris Que pour les rois tu sais que le Sénat a pris, Son orgueil inquiet en fait un sacrifice, Et livre à mon espoir la main de Laodice. Le roi, flatté par là , peut en oublier mieux La valeur d'un dépÎt trop suspect en ces lieux. Pour effacer l'affront d'un pareil hyménée, Si contraire à la loi que Rome s'est donnée, Et je te l'avouerai, d'un hymen dont mon coeur N'aurait peut-ÃÂȘtre pu sentir le déshonneur, Cette Rome facile accorde à la princesse Le titre qui pouvait excuser ma tendresse, La fait Romaine enfin. Cependant ne crois pas Qu'en faveur de mes feux j'épargne Prusias. Rome emprunte ma voix, et m'ordonne elle-mÃÂȘme D'user ici pour lui d'une rigueur extrÃÂȘme. Il le faut en effet. Flavius Mais depuis quand, Seigneur, Brûlez-vous en secret d'une si tendre ardeur? L'aimable Laodice a-t-elle fait connaÃtre Qu'elle-mÃÂȘme à son tour... Flaminius Prusias va paraÃtre; Cessons; mais souviens-toi que l'on doit ignorer Ce que ma confiance ose te déclarer. ScÚne II Prusias, Annibal, Flaminius, Flavius, suite du roi. Flaminius Rome, qui vous observe, et de qui la clémence Vous a fait jusqu'ici grùce de sa vengeance, A commandé, Seigneur, que je vinsse vers vous Vous dire le danger oÃÂč vous met son courroux. Vos armes chaque jour, et sur mer et sur terre, Entre ArtamÚne et vous renouvellent la guerre. Rome la désapprouve, et déjà le Sénat Vous en avait, Seigneur, averti sans éclat. Un Romain, de sa part, a dû vous faire entendre Quel parti là -dessus vous feriez bien de prendre; Qu'il souhaitait enfin qu'on eût, en pareil cas, Recours à sa justice, et non à des combats. Cet auguste Sénat, qui peut parler en maÃtre, Mais qui donne à regret des preuves qu'il peut l'ÃÂȘtre, Crut que, vous épargnant des ordres rigoureux, Vous n'attendriez pas qu'il vous dÃt je le veux. Il le dit aujourd'hui; c'est moi qui vous l'annonce. Vous allez vous juger en me faisant réponse. Ainsi, quand le pardon vous est encore offert, N'oubliez pas qu'un mot vous absout ou vous perd. Pour écarter de vous tout dessein téméraire, Empruntez le secours d'un effroi salutaire Voyez en quel état Rome a mis tous ces rois Qui d'un coupable orgueil ont écouté la voix. Présentez à vos yeux cette foule de princes, Dont les uns vagabonds, chassés de leurs provinces, Les autres gémissants; abandonnés aux fers, De son devoir, Seigneur, instruisent l'univers. Voilà , pour imposer silence à votre audace, Le spectacle qu'il faut que votre esprit se fasse. Vous vaincrez ArtamÚne, et vos heureux destins Vont mettre, je le veux, son sceptre dans vos mains. Mais quand vous le tiendrez, ce sceptre qui vous tente, Qu'en ferez-vous, Seigneur, si Rome est mécontente? Que ferez-vous du vÎtre, et qui vous sauvera Des traits vengeurs dont Rome alors vous poursuivra? Restez en paix, régnez, gardez votre couronne Le Sénat vous la laisse, ou plutÎt vous la donne. Obtenez sa faveur, faites ce qu'il lui plaÃt; Je ne vous connais point de plus grand intérÃÂȘt. Consultez nos amis ce qu'ils ont de puissance N'est que le prix heureux de leur obéissance. Quoi qu'il en soit, enfin, que votre ambition Respecte un roi qui vit sous sa protection. Prusias Seigneur, quand le Sénat s'abstiendrait d'un langage Qui fait à tous les rois un si sensible outrage; Que, sans me conseiller le secours de l'effroi, Il dirait simplement ce qu'il attend de moi; Quand le Sénat, enfin, honorerait lui-mÃÂȘme Ce front, qu'avec éclat distingue un diadÚme, Croyez-moi, le Sénat et son ambassadeur N'en parleraient tous deux qu'avec plus de grandeur. Vous ne m'étonnez point, Seigneur, et la menace Fait rarement trembler ceux qui sont à ma place. Un roi, sans s'alarmer d'un procédé si haut, Refuse s'il le peut, accorde s'il le faut. C'est de ses actions la raison qui décide, Et l'outrage jamais ne le rend plus timide. ArtamÚne avec moi, Seigneur, fit un traité Qui de sa part encore n'est pas exécuté Et quand je l'en pressais, j'appris que son armée Pour venir me surprendre était déjà formée. Son perfide dessein alors m'étant connu, J'ai rassemblé la mienne, et je l'ai prévenu. Le Sénat pourrait-il approuver l'injustice, Et d'une lùcheté veut-il ÃÂȘtre complice? Son pouvoir n'est-il pas guidé par la raison? Vos alliés ont-ils le droit de trahison? Et lorsque je suis prÃÂȘt d'en ÃÂȘtre la victime, M'en défendre, Seigneur, est-ce commettre un crime? Flaminius Pourquoi nous déguiser ce que vous avez fait? A ce traité vous-mÃÂȘme avez-vous satisfait? Et pourquoi d'ArtamÚne accuser la conduite, Seigneur, si de la vÎtre elle n'est que la suite? Vous aviez fait la paix pourquoi dans vos Etats Avez-vous conservé, mÃÂȘme accru vos soldats? Prétendiez-vous, malgré cette paix solennelle, Lui laisser soupçonner qu'elle était infidÚle, Et l'engager à prendre une précaution Qui servÃt de prétexte à votre ambition? Mais le Sénat a vu votre coupable ruse, Et ne recevra point une frivole excuse. Quels que soient vos motifs, je ne viens en ces lieux Que pour vous avertir qu'ils lui sont odieux. Songez-y; mais surtout tùchez de vous défendre Du poison des conseils dont on veut vous surprendre. Annibal S'il écoute les miens, ou s'il prend les meilleurs, Rome ira proposer son esclavage ailleurs. Prusias indigné poursuivra la conquÃÂȘte Qu'à lui livrer bientÎt la victoire s'apprÃÂȘte. Ces conseils ne sont pas plus dangereux pour lui Que pour ce fier Sénat qui l'insulte aujourd'hui. Si le roi contre lui veut en faire l'épreuve, Moi, qui vous parle, moi, je m'engage à la preuve. Flaminius Le projet est hardi. Cependant votre état Promet déjà beaucoup en faveur du Sénat; Et votre orgueil, réduit à chercher un asile, Fournit à Prusias un espoir bien fragile. Annibal Non, non, Flaminius, vous vous entendez mal A vanter le Sénat aux dépens d'Annibal. Cet état oÃÂč je suis rappelle une matiÚre Dont votre Rome aurait à rougir la premiÚre. Ne vous souvient-il plus du temps oÃÂč dans mes mains La victoire avait mis le destin des Romains? Retracez-vous ce temps oÃÂč par moi l'Italie D'épouvante, d'horreur et de sang fut remplie. Laissons de vains discours, dont le faste menteur De ma chute aux Romains semble donner l'honneur. Dites, Flaminius, quelle fut leur ressource? Parlez, quelqu'un de vous arrÃÂȘta-t-il ma course? Sans l'imprudent repos que mon bras s'est permis, Romains, vous n'auriez plus d'amis ni d'ennemis. De ce peuple insolent, qui veut qu'on obéisse, Le fer et l'esclavage allaient faire justice; Et les rois, que soumet sa superbe amitié, En verraient à présent le reste avec pitié. O Rome! tes destins ont pris une autre face. Ma lenteur, ou plutÎt mon mépris te fit grùce Négligeant des progrÚs qui me semblaient trop sûrs, Je laissai respirer ton peuple dans tes murs. Il échappa depuis, et ma seule imprudence Des Romains abattus releva l'espérance. Mais ces fiers citoyens, que je n'accablai pas, Ne sont point assez vains pour mépriser mon bras; Et si Flaminius voulait parler sans feindre, Il dirait qu'on m'honore encor jusqu'à me craindre. En effet, si le roi profite du séjour Que les dieux ont permis que je fisse en sa cour, S'il ose pour lui-mÃÂȘme employer mon courage, Je n'en demande pas à ces dieux davantage. Le Sénat, qui d'un autre est aujourd'hui l'appui, Pourra voir arriver le danger jusqu'à lui. Je sais me corriger; il sera difficile De me réduire alors à chercher un asile. Flaminius Ce qu'Annibal appelle imprudence et lenteur, S'appellerait effroi, s'il nous ouvrait son coeur. Du moins, cette lenteur et cette négligence Eurent avec l'effroi beaucoup de ressemblance; Et l'aspect de nos murs si remplis de héros Put bien vous conseiller le parti du repos. Vous vous corrigerez? Et pourquoi dans l'Afrique N'avez-vous donc pas mis tout votre art en pratique? Serait-ce qu'il manquait à votre instruction La honte d'ÃÂȘtre encor vaincu par Scipion? Rome, il est vrai, vous vit gagner quelque victoire, Et vous avez raison quand vous en faites gloire. Mais ce sont vos exploits qui doivent effrayer Tous les rois dont l'audace osera s'y fier. Rome, vous le savez, en cent lieux de la terre Avait à soutenir le fardeau de la guerre. L'univers attentif crut la voir en danger, Douta que ses efforts pussent l'en dégager. L'univers se trompait. Le ciel, pour le convaincre Qu'on ne devait jamais espérer de la vaincre, Voulut jusqu'à ses murs vous ouvrir un chemin, Pour qu'on la crût encor plus proche de sa fin, Et que la terre aprÚs, détrompée et surprise, ApprÃt à l'avenir à nous ÃÂȘtre soumise. Annibal A tant de vains discours, je vois votre embarras; Et si vous m'en croyez, vous ne poursuivrez pas. Rome allait succomber son vainqueur la néglige; Elle en a profité; voilà tout le prodige. Tout le reste est chimÚre ou pure vanité, Qui déshonore Rome et toute sa fierté. Flaminius Rome de vos mépris aurait tort de se plaindre Tout est indifférent de qui n'est plus à craindre. Annibal ArrÃÂȘtez, et cessez d'insulter au malheur D'un homme qu'autrefois Rome a vu son vainqueur; Et quoique sa fortune ait surmonté la mienne, Les grands coups qu'Annibal a portés à la sienne Doivent du moins apprendre aux Romains généreux Qu'il a bien mérité d'ÃÂȘtre respecté d'eux. Je sors; je ne pourrais m'empÃÂȘcher de répondre A des discours qu'il est trop aisé de confondre. ScÚne III Prusias, Flaminius, Hiéron Flaminius Seigneur, il me paraÃt qu'il n'était pas besoin Que de notre entretien Annibal fût témoin, Et vous pouviez, sans lui, faire votre réponse Aux ordres que par moi le Sénat vous annonce. J'en ai qui de si prÚs touchent cet ennemi, Que je n'ai pu, Seigneur, m'expliquer qu'à demi. Prusias Lui! vous me surprenez, Seigneur de quelle crainte Rome, qui vous envoie, est-elle donc atteinte? Flaminius Rome ne le craint point, Seigneur; mais sa pitié Travaille à vous sauver de son inimitié. Rome ne le craint point, vous dis-je; mais l'audace Ne lui plaÃt point dans ceux qui tiennent votre place. Elle veut que les rois soient soumis au devoir Que leur a dÚs longtemps imposé son pouvoir. Ce devoir est, Seigneur, de n'oser entreprendre Ce qu'ils n'ignorent pas qu'elle pourrait défendre; De n'oublier jamais que ses intentions Doivent à la rigueur régler leurs actions; Et de se regarder comme dépositaires D'un pouvoir qu'ils n'ont plus dÚs qu'ils sont téméraires. Voilà votre devoir, et vous l'observez mal, Quand vous osez chez vous recevoir Annibal. Rome, qui tient ici ce sévÚre langage, N'a point dessein, Seigneur, de vous faire un outrage; Et si les fiers avis offensent votre coeur, Vous pouvez lui répondre avec plus de hauteur. Cette Rome s'explique en maÃtresse du monde. Si sur un titre égal votre audace se fonde, Si vous ÃÂȘtes enfin à l'abri de ses coups, Vous pouvez lui parler comme elle parle à vous. Mais s'il est vrai, Seigneur, que vous dépendiez d'elle, Si, lorsqu'elle voudra, votre trÎne chancelle, Et pour dire encor plus, si ce que Rome veut, Cette Rome absolue en mÃÂȘme temps le peut, Que son droit soit injuste ou qu'il soit équitable, Qu'importe? c'est aux dieux que Rome en est comptable. Le faible, s'il était le juge du plus fort, Aurait toujours raison, et l'autre toujours tort. Annibal est chez vous, Rome en est courroucée Pouvez-vous là -dessus ignorer sa pensée? Est-ce donc imprudence, ou n'avez-vous point su Ce qu'elle envoya dire aux rois qui l'ont reçu? Prusias Seigneur, de vos discours l'excessive licence Semble vouloir ici tenter ma patience. Je sens des mouvements qui vous sont des conseils De ne jamais chez eux mépriser mes pareils. Les rois, dans le haut rang oÃÂč le ciel les fait naÃtre, Ont souvent des vainqueurs et n'ont jamais de maÃtre; Et sans en appeler à l'équité des dieux, Leur courroux peut juger de vos droits odieux. J'honore le Sénat; mais, malgré sa menace, Je me dispenserai d'excuser mon audace. Je crois pouvoir enfin recevoir qui me plaÃt, Et pouvoir ignorer quel est votre intérÃÂȘt. J'avouerai cependant, puisque Rome est puissante, Qu'il est avantageux de la rendre contente. Expliquez-vous, Seigneur, et voyons si je puis Faire ce qu'elle exige, étant ce que je suis. Mais retranchez ces mots d'ordre, de dépendance, Qui ne m'invitent pas à plus d'obéissance. Flaminius Eh bien! daignez souffrir un avis important Je demande Annibal, et le Sénat l'attend. Prusias Annibal? Flaminius Oui, ma charge est de vous en instruire; Mais, Seigneur, écoutez ce qui me reste à dire. Rome pour Laodice a fait choix d'un époux, Et c'est un choix, Seigneur, avantageux pour vous. Prusias Lui nommer un époux! Je puis l'avoir promise. Flaminius En ce cas, du Sénat avouez l'entremise. AprÚs un tel aveu, je pense qu'aucun roi Ne vous reprochera d'avoir manqué de foi. Mais agréez, Seigneur, que l'aimable princesse Sache par moi que Rome à son sort s'intéresse, Que sur ce mÃÂȘme choix interrogeant son coeur, Moi-mÃÂȘme... Prusias Vous pouvez l'en avertir, Seigneur, J'admire ici les soins que Rome prend pour elle, Et de son amitié l'entreprise est nouvelle; Ma fille en peut résoudre, et je vais consulter Ce que pour Annibal je dois exécuter. ScÚne IV Prusias, Hiéron Hiéron Rome de vos desseins est sans doute informée? Prusias Et tu peux ajouter qu'elle en est alarmée. Hiéron Observez donc aussi, Seigneur, que son courroux En est en mÃÂȘme temps plus terrible pour vous. Prusias Mais as-tu bien conçu quelle est la perfidie Dont cette Rome veut que je souille ma vie? Ce guerrier, qu'il faudrait lui livrer en ce jour, Ne souhaitait de moi qu'un asile en ma cour. Ces serments que j'ai faits de lui donner ma fille, De rendre sa valeur l'appui de ma famille, De confondre à jamais son sort avec le mien, Je suis l'auteur de tout, il ne demandait rien. Ce héros, qui se fie à ces marques d'estime, S'attend-il que mon coeur achÚve par un crime? Le Sénat qui travaille à séduire ce coeur, En profitant du coup, il en aurait horreur. Hiéron Non de trop de vertu votre esprit le soupçonne, Et ce n'est pas ainsi que ce Sénat raisonne. Ne vous y trompez pas sa superbe fierté Vous presse d'un devoir, non d'une lùcheté. Vous vous croiriez perfide; il vous croirait fidÚle, Puisque lui résister c'est se montrer rebelle. D'ailleurs, cette action dont vous avez horreur, Le péril du refus en Îte la noirceur. Pensez-vous, en effet, que vous devez en croire Les dangereux conseils d'une fatale gloire? Et ces princes, Seigneur, sont-ils donc généreux, Qui le sont en risquant tout un peuple avec eux? Qui, sacrifiant tout à l'affreuse faiblesse D'accomplir sans égard une injuste promesse, Egorgent par scrupule un monde de sujets, Et ne gardent leur foi qu'à force de forfaits? Prusias Ah! lorsqu'à ce héros j'ai promis Laodice, J'ai cru qu'à mes sujets c'était rendre un service. Tu sais que souvent Rome a contraint nos Etats De servir ses desseins, de fournir des soldats J'ai donc cru qu'en donnant retraite à ce grand homme, Sa valeur gÃÂȘnerait l'insolence de Rome; Que ce guerrier chez moi pourrait l'épouvanter, Que ce qu'elle en connaÃt m'en ferait respecter; Je me trompais; et c'est son épouvante mÃÂȘme Qui me plonge aujourd'hui dans un péril extrÃÂȘme. Mais n'importe, Hiéron Rome a beau menacer, A rompre mes serments rien ne doit me forcer; Et du moins essayons ce qu'en cette occurrence Peut produire pour moi la ferme résistance. La menace n'est rien, ce n'est pas ce qui nuit; Mais pour prendre un parti, voyons ce qui la suit. Acte III ScÚne premiÚre aodice, Egine Laodice Oui, ce Flaminius dont je crus ÃÂȘtre aimée, Et dont je me repens d'avoir été charmée, Egine, il doit me voir pour me faire accepter Je ne sais quel époux qu'il vient me présenter. L'ingrat! je le craignais; à présent, quand j'y pense, Je ne sais point encor si c'est indifférence; Mais enfin, le penchant qui me surprit pour lui Me semble, grùce au ciel, expirer aujourd'hui. Egine Quand il vous aimerait, eh! quel espoir, Madame, Oserait en ce jour se permettre votre ùme? Il faudrait l'oublier. Laodice Hélas! depuis le jour Que pour Flaminius je sentis de l'amour, Mon coeur tùcha du moins de se rendre le maÃtre De cet amour qu'il plut au sort d'y faire naÃtre. Mais d'un tel ennemi penses-tu que le coeur Puisse avec fermeté vouloir ÃÂȘtre vainqueur? Il croit qu'autant qu'il peut il combat, il s'efforce Mais il a peur de vaincre, et veut manquer de force; Et souvent sa défaite a pour lui tant d'appas, Que, pour aimer sans trouble, il feint de n'aimer pas. Ce coeur, à la faveur de sa propre imposture, Se délivre du soin de guérir sa blessure. C'est ainsi que le mien nourrissait un amour Qui s'accrut sur la foi d'un apparent retour. Oh! d'un retour trompeur apparence flatteuse! Ce fut toi qui nourris une flamme honteuse. Mais que dis-je? ah! plutÎt ne la rappelons plus Sans crainte et sans espoir voyons Flaminius. Egine Contraignez-vous il vient. ScÚne II Laodice, Flaminius, Egine Flaminius, à part. Quelle grùce nouvelle A mes regards surpris la rend encor plus belle! Madame, le Sénat, en m'envoyant au roi, N'a point à lui parler limité mon emploi. Rome, à qui la vertu fut toujours respectable, Envers vous aujourd'hui croit la sienne comptable D'un témoignage ardent dont l'éclat mette au jour Ce qu'elle a pour la vÎtre et d'estime et d'amour. Je n'ose ici mÃÂȘler mes respects ni mon zÚle Avec les sentiments que j'explique pour elle. Non, c'est Rome qui parle, et malgré la grandeur Que me prÃÂȘte le nom de son ambassadeur, Quoique enfin le Sénat n'ait consacré ce titre Qu'à s'annoncer des rois et le juge et l'arbitre, Il a cru que le soin d'honorer la vertu Ornait la dignité dont il m'a revÃÂȘtu. Madame, en sa faveur, que votre ùme indulgente Fasse grùce à l'époux que sa main vous présente. Celui qu'il a choisi... Laodice Non, n'allez pas plus loin; Ne dites pas son nom il n'en est pas besoin. Je dois beaucoup aux soins oÃÂč le Sénat s'engage; Mais je n'ai pas, Seigneur, dessein d'en faire usage. Cependant vous dirai-je ici mon sentiment Sur l'estime de Rome et son empressement? Par oÃÂč, s'il ne s'y mÃÂȘle un peu de politique, Ai-je l'honneur de plaire à votre république? Mes paisibles vertus ne valent pas, Seigneur, Que le Sénat s'emporte à cet excÚs d'honneur. Je n'aurais jamais cru qu'il vÃt comme un prodige Des vertus oÃÂč mon rang, oÃÂč mon sexe m'oblige. Quoi! le ciel, de ses dons prodigue aux seuls Romains, En prive-t-il le coeur du reste des humains? Et nous a-t-il fait naÃtre avec tant d'infortune, Qu'il faille nous louer d'une vertu commune? Si tel est notre sort, du moins épargnez-nous L'honneur humiliant d'ÃÂȘtre admirés de vous. Quoi qu'il en soit enfin, dans la peur d'ÃÂȘtre ingrate, Je rends grùce au Sénat, et son zÚle me flatte! Bien plus, Seigneur, je vois d'un oeil reconnaissant Le choix de cet époux dont il me fait présent. C'est en dire beaucoup une telle entreprise De trop de liberté pourrait ÃÂȘtre reprise; Mais je me rends justice, et ne puis soupçonner Qu'il ait de mon destin cru pouvoir ordonner. Non, son zÚle a tout fait, et ce zÚle l'excuse; Mais, Seigneur, il en prend un espoir qui l'abuse; Et c'est trop, entre nous, présumer des effets Que produiront sur moi ses soins et ses bienfaits, S'il pense que mon coeur, par un excÚs de joie, Va se sacrifier aux honneurs qu'il m'envoie. Non, aux droits de mon rang ce coeur accoutumé Est trop fait aux honneurs pour en ÃÂȘtre charmé. D'ailleurs, je deviendrais le partage d'un homme Qui va, pour m'obtenir, me demander à Rome; Ou qui, choisi par elle, a le coeur assez bas Pour n'oser déclarer qu'il ne me choisit pas; Qui n'a ni mon aveu ni celui de mon pÚre! Non il est, quel qu'il soit, indigne de me plaire. Flaminius Qui n'a point votre aveu, Madame! Ah! cet époux Vous aime, et ne veut ÃÂȘtre agréé que de vous. Quand les dieux, le Sénat, et le roi votre pÚre, Hùteraient en ce jour une union si chÚre, Si vous ne confirmiez leurs favorables voeux, Il vous aimerait trop pour vouloir ÃÂȘtre heureux. Un feu moins généreux serait-il votre ouvrage? Pensez-vous qu'un amant que Laodice engage Pût à tant de révolte encourager son coeur, Qu'il voulût malgré vous usurper son bonheur? Ah! dans celui que Rome aujourd'hui vous présente, Ne voyez qu'une ardeur timide, obéissante, FidÚle, et qui, bravant l'injure des refus, Durera, mais, s'il faut, ne se produira plus. Perdez donc les soupçons qui vous avaient aigrie. Arbitre de l'amant dont vous ÃÂȘtes chérie, Que le courroux du moins n'ait, dans ce mÃÂȘme instant, Nulle part dangereuse à l'arrÃÂȘt qu'il attend. Je vous ai tu son nom; mais mon récit peut-ÃÂȘtre, Et le vif intérÃÂȘt que j'ai laissé paraÃtre, Sans en expliquer plus, vous instruisent assez. Laodice Quoi! Seigneur, vous seriez... Mais que dis-je? cessez, Et n'éclaircissez point ce que j'ignore encore. J'entends qu'on me recherche, et que Rome m'honore. Le reste est un secret oÃÂč je ne dois rien voir. Flaminius Vous m'entendez assez pour m'Îter tout espoir; Il faut vous l'avouer je vous ai trop aimée, Et pour dire encore plus, toujours trop estimée, Pour me laisser surprendre à la crédule erreur De supposer quelqu'un digne de votre coeur. Il est vrai qu'à nos voeux le ciel souvent propice Pouvait en ma faveur disposer Laodice Mais aprÚs vos refus, qui ne m'ont point surpris, Je ne m'attendais pas encor à des mépris, Ni que vous feignissiez de ne point reconnaÃtre L'infortuné penchant que vous avez vu naÃtre. Laodice Un pareil entretien a duré trop longtemps, Seigneur; je plains des feux si tendres, si constants; Je voudrais que pour eux le sort plus favorable Eût destiné mon coeur à leur ÃÂȘtre équitable. Mais je ne puis, Seigneur; et des liens si doux, Quand je les aimerais, ne sont point faits pour nous. Oubliez-vous quel rang nous tenons l'un et l'autre? Vous rougiriez du mien, je rougirais du vÎtre. Flaminius Qu'entends-je! moi, Madame, oser m'estimer plus! N'ÃÂȘtes-vous pas Romaine avec tant de vertus? Ah! pourvu que ce coeur partageùt ma tendresse... Laodice Non, Seigneur; c'est en vain que le vÎtre m'en presse; Et quand mÃÂȘme l'amour nous unirait tous deux... Flaminius Achevez; qui pourrait m'empÃÂȘcher d'ÃÂȘtre heureux? Vous aurait-on promise? et le roi votre pÚre Aurait-il?... Laodice N'accusez nulle cause étrangÚre. Je ne puis vous aimer, Seigneur, et vos soupçons Ne doivent point ailleurs en chercher des raisons. ScÚne III Flaminius, seul. Enfin, elle me fuit, et Rome méprisée A permettre mes feux s'est en vain abaissée. Et moi, je l'aime encore, aprÚs tant de refus, Ou plutÎt je sens bien que je l'aime encor plus. Mais cependant, pourquoi s'est-elle interrompue? Quel secret allait-elle exposer à ma vue? Et quand un mÃÂȘme amour nous unirait tous deux... OÃÂč tendait ce discours qu'elle a laissé douteux? Aurait-on fait à Rome un rapport trop fidÚle? Serait-ce qu'Annibal est destiné pour elle, Et que, sans cet hymen, je pourrais espérer...? Mais à quel piÚge ici vais-je encor me livrer? N'importe, instruisons-nous; le coeur plein de tendresse, M'appartient-il d'oser combattre une faiblesse? Le roi vient; et je vois Annibal avec lui. Sachons ce que je puis en attendre aujourd'hui. ScÚne IV Prusias, Annibal, Flaminius Prusias J'ignorais qu'en ces lieux... Flaminius Non avant que j'écoute, Répondez-moi, de grùce, et tirez-moi d'un doute. L'hymen de votre fille est aujourd'hui certain. A quel heureux époux destinez-vous sa main? Prusias Que dites-vous, Seigneur? Flaminius Est-ce donc un mystÚre? Prusias Ce que vous exigez ne regarde qu'un pÚre. Flaminius Rome y prend intérÃÂȘt, je vous l'ai déjà dit; Et je crois qu'avec vous cet intérÃÂȘt suffit. Prusias Quelque intérÃÂȘt, Seigneur, que votre Rome y prenne, Est-il juste, aprÚs tout, que sa bonté me gÃÂȘne? Flaminius Abrégeons ces discours. Répondez, Prusias Quel est donc cet époux que vous ne nommez pas? Prusias Plus d'un prince, Seigneur, demande Laodice; Mais qu'importe au Sénat que je l'en avertisse, Puisque avec aucun d'eux je ne suis engagé? Annibal De qui dépendez-vous, pour ÃÂȘtre interrogé? Flaminius Et vous qui répondez, instruisez-moi, de grùce Est-ce à vous qu'on m'envoie? Est-ce ici votre place? Qu'y faites-vous enfin? Annibal J'y viens défendre un roi Dont le coeur généreux s'est signalé pour moi; D'un roi dont Annibal embrasse la fortune, Et qu'avec trop d'excÚs votre orgueil importune. Je blesse ici vos yeux, dites-vous je le croi; Mais j'y suis à bon titre, et comme ami du roi. Si ce n'est pas assez pour y pouvoir paraÃtre, Je suis donc son ministre, et je le fais mon maÃtre. Flaminius Dût-il de votre fille ÃÂȘtre bientÎt l'époux, Pourrait-il de son sort se montrer plus jaloux? Qu'en dites-vous, Seigneur? Prusias Il me marque son zÚle, Et vous dit ce qu'inspire une amitié fidÚle. Annibal Instruisez le Sénat, rendez-lui la frayeur Que son agent voudrait jeter dans votre coeur Déclarez avec qui votre foi vous engage J'en réponds, cet aveu vaudra bien un outrage. Flaminius Qui doit donc épouser Laodice? Annibal C'est moi. Flaminius Annibal? Annibal Oui, c'est lui qui défendra le roi; Et puisque sa bonté m'accorde Laodice, Puisque de sa révolte Annibal est complice, Le parti le meilleur pour Rome est désormais De laisser ce rebelle et son complice en paix. A Prusias. Seigneur, vous avez vu qu'il était nécessaire De finir par l'aveu que je viens de lui faire, Et vous devez juger, par son empressement, Que Rome a des soupçons de notre engagement. J'ose dire encor plus l'intérÃÂȘt d'ArtamÚne Ne sert que de prétexte au motif qui l'amÚne; Et sans m'estimer trop, j'assurerai, Seigneur, Que vous n'eussiez point vu sans moi d'ambassadeur; Que Rome craint de voir conclure un hyménée Qui m'attache à jamais à votre destinée, Qui me remet encor les armes à la main, Qui de Rome peut-ÃÂȘtre expose le destin, Qui contre elle du moins fait revivre un courage Dont jamais son orgueil n'oubliera le ravage. Cette Rome, il est vrai, ne parle point de moi; Mais ses précautions trahissent son effroi. Oui, les soins qu'elle prend du sort de Laodice D'un orgueil alarmé vous montrent l'artifice. Son Sénat en bienfaits serait moins libéral, S'il ne s'agissait pas d'écarter Annibal. En vous développant sa timide prudence, Ce n'est pas que, saisi de quelque défiance, Je veuille encourager votre honneur étonné A confirmer l'espoir que vous m'avez donné. Non, je mériterais une amitié parjure, Si j'osais un moment vous faire cette injure. Et que pourriez-vous craindre en gardant votre foi? Est-ce d'ÃÂȘtre vaincu, de cesser d'ÃÂȘtre roi? Si vous n'exercez pas les droits du rang suprÃÂȘme, Si vous portez des fers avec un diadÚme, Et si de vos enfants vous ne disposez pas, Vous ne pouvez rien perdre en perdant vos Etats. Mais vous les défendrez et j'ose encor vous dire Qu'un prince à qui le ciel a commis un empire, Pour qui cent mille bras peuvent se réunir, Doit braver les Romains, les vaincre et les punir. Flaminius Annibal est vaincu; je laisse à sa colÚre Le faible amusement d'une vaine chimÚre. Epuisez votre adresse à tromper Prusias; Pressez; Rome commande et ne dispute pas; Et ce n'est qu'en faisant éclater sa vengeance, Qu'il lui sied de donner des preuves de puissance. Le refus d'obéir à ses augustes lois N'intéresse point Rome, et n'est fatal qu'aux rois. C'est donc à Prusias à qui seul il importe De se rendre docile aux ordres que j'apporte. Poursuivez vos discours, je n'y répondrai rien; Mais laissez-nous aprÚs un moment d'entretien. Je vous cÚde l'honneur d'une vaine querelle, Et je dois de mon temps un compte plus fidÚle. Annibal Oui, je vais m'éloigner mais prouvez-lui, Seigneur, Qu'il ne rend pas ici justice à votre coeur. ScÚne V Flaminius, Prusias Flaminius Gardez-vous d'écouter une audace frivole, Par qui son désespoir follement se console. Ne vous y trompez pas, Seigneur; Rome aujourd'hui Vous demande Annibal, sans en vouloir à lui. Elle avait défendu qu'on lui donnùt retraite; Non qu'elle eût, comme il dit, une frayeur secrÚte Mais il ne convient pas qu'aucun roi parmi vous Fasse grùce aux vaincus que proscrit son courroux. Apaisez-la, Seigneur une nombreuse armée Pour venir vous surprendre a dû s'ÃÂȘtre formée; Elle attend vos refus pour fondre en vos Etats; L'orgueilleux Annibal ne les sauvera pas. Vous, de son désespoir instrument et ministre, Qui n'en pénétrez pas le mystÚre sinistre, Vous, qu'il abuse enfin, vous par qui son orgueil Se cherche, en vous perdant, un éclatant écueil, Vous périrez, Seigneur; et bientÎt ArtamÚne, Aidé de son cÎté des troupes qu'on lui mÚne, Dépouillera ce front de ce bandeau royal, Confié sans prudence aux fureurs d'Annibal. Annonçant du Sénat la volonté suprÃÂȘme, J'ai parlé jusqu'ici comme il parle lui-mÃÂȘme; J'ai dû de son langage observer la rigueur Je l'ai fait; mais jugez s'il en coûte à mon coeur. Connaissez-le, Seigneur Laodice m'est chÚre; Il doit m'ÃÂȘtre bien dur de menacer son pÚre. Oui, vous voyez l'époux proposé dans ce jour, Et dont Rome n'a pas désapprouvé l'amour. Je ne vous dirai point ce que pourrait attendre Un roi qui choisirait Flaminius pour gendre. Pensez-y, mon amour ne vous fait point de loi, Et vous ne risquez rien ne refusant que moi. Mon ùme à vous servir n'en sera pas moins prÃÂȘte; Mais, par reconnaissance, épargnez votre tÃÂȘte. Oui, malgré vos refus et malgré ma douleur, Je vous promets des soins d'une éternelle ardeur. A présent trop frappé des malheurs que j'annonce, Peut-ÃÂȘtre auriez-vous peine à me faire réponse; Songez-y; mais sachez qu'aprÚs cet entretien, Je pars, si dans ce jour vous ne résolvez rien. ScÚne VI Prusias, seul. Il aime Laodice! Imprudente promesse, Ah! sans toi, quel appui m'assurait sa tendresse! Dois-je vous immoler le sang de mes sujets, Serments qui l'exposez, et que l'orgueil a faits? Toi, dont j'admirai trop la fortune passée, Sauras-tu vaincre mieux ceux qui l'ont renversée? Abattu sous le faix de l'ùge et du malheur, Quel fruit espÚres-tu d'une infirme valeur? Tristes réflexions, qu'il n'est plus temps de faire! Quand je me suis perdu, la sagesse m'éclaire Sa lumiÚre importune, en ce fatal moment, N'est plus une ressource, et n'est qu'un chùtiment. En vain s'ouvre à mes yeux un affreux précipice; Si je ne suis un traÃtre, il faut que j'y périsse. Oui, deux partis encore à mon choix sont offerts Je puis vivre en infùme, ou mourir dans les fers. Choisis, mon coeur. Mais quoi! tu crains la servitude? Tu n'es déjà qu'un lùche à ton incertitude! Mais ne puis-je, aprÚs tout, balancer sur le choix? Impitoyable honneur, examinons tes droits. Annibal a ma foi; faut-il que je la tienne, Assuré de ma perte, et certain de la sienne? Quel projet insensé! La raison et les dieux Me font-ils un devoir d'un transport furieux? O ciel! j'aurais peut-ÃÂȘtre, au gré d'une chimÚre Sacrifié mon peuple et conclu sa misÚre. Non, ridicule honneur, tu m'as en vain pressé Non, ce peuple t'échappe, et ton charme a cessé. Le parti que je prends, dût-il mÃÂȘme ÃÂȘtre infùme, Sujets, pour vous sauver j'en accepte le blùme. Il faudra donc, grands dieux! que mes serments soient vains, Et je vais donc livrer Annibal aux Romains, L'exposer aux affronts que Rome lui destine! Ah! ne vaut-il pas mieux résoudre ma ruine? Que dis-je? mon malheur est-il donc sans retour? Non, de Flaminius sollicitons l'amour. Mais Annibal revient, et son ùme inquiÚte Peut-ÃÂȘtre a pressenti ce que Rome projette. ScÚne VII Prusias, Annibal Annibal J'ai vu sortir l'ambassadeur. De quels ordres encor s'agissait-il, Seigneur? Sans doute il aura fait des menaces nouvelles? Son Sénat... Prusias Il voulait terminer vos querelles Mais il ne m'a tenu que les mÃÂȘmes discours, Dont vos longs différends interrompaient le cours. Il demande la paix, et m'a parlé sans cesse De l'intérÃÂȘt que Rome a pris à la princesse. Il la verra peut-ÃÂȘtre, et je vais, de ce pas, D'un pareil entretien prévenir l'embarras. ScÚne VIII Annibal, seul. Il fuit; je l'ai surpris dans une inquiétude Dont il ne me dit rien, qu'il cache avec étude. Observons tout la mort n'est pas ce que je crains; Mais j'avais espéré de punir les Romains. Le succÚs était sûr, si ce prince timide Prend mon expérience ou ma haine pour guide. Rome, quoi qu'il en soit, j'attendrai que les dieux Sur ton sort et le mien s'expliquent encor mieux. Acte IV ScÚne premiÚre aodice, seule. Quel agréable espoir vient me luire en ce jour! Le roi de mon amant approuve donc l'amour! Auteur de mes serments, il les romprait lui-mÃÂȘme, Et je pourrais sans crime épouser ce que j'aime. Sans crime! Ah! c'en est un, que d'avoir souhaité Que mon pÚre m'ordonne une infidélité. Abjure tes souhaits, mon coeur; qu'il te souvienne Que c'est faire des voeux pour sa honte et la mienne. Mais que vois-je? Annibal! ScÚne II Laodice, Annibal Annibal Enfin voici l'instant OÃÂč tout semble annoncer qu'un outrage m'attend. Un outrage, grands dieux! A ce seul mot, Madame, Souffrez qu'un juste orgueil s'empare de mon ùme. Dans un pareil danger, il doit m'ÃÂȘtre permis, Sans craindre d'ÃÂȘtre vain, d'exposer qui je suis. J'ai besoin, en un mot, qu'ici votre mémoire D'un malheureux guerrier se rappelle la gloire; Et qu'à ce souvenir votre coeur excité, Redouble encor pour moi sa générosité. Je ne vous dirai plus de presser votre pÚre De tenir les serments qu'il a voulu me faire. Ces serments me flattaient du bonheur d'ÃÂȘtre à vous; Voilà ce que mon coeur y trouvait de plus doux. Je vois que c'en est fait, et que Rome l'emporte; Mais j'ignore oÃÂč s'étend le coup qu'elle me porte. Instruisez Annibal; il n'a que vous ici. Par qui de ses projets il puisse ÃÂȘtre éclairci. Des devoirs oÃÂč pour moi votre foi vous oblige, Un aveu qui me sauve est tout ce que j'exige. Songez que votre coeur est pour moi dans ces lieux L'incorruptible ami que me laissent les dieux. On vous offre un époux, sans doute; mais j'ignore Tout ce qu'à Prusias Rome demande encore. Il craint de me parler, et je vois aujourd'hui Que la foi qui le lie est un fardeau pour lui, Et je vous l'avouerai, mon courage s'étonne Des desseins oÃÂč l'effroi peut-ÃÂȘtre l'abandonne. Sans quelque tendre espoir qui retarde ma main, Sans Rome que je hais, j'assurais mon destin. Parlez, ne craignez point que ma bouche trahisse La faveur que ma gloire attend de Laodice. Quel est donc cet époux que l'on vient vous offrir? Puis-je vivre, ou faut-il me hùter de mourir? Laodice Vivez, Seigneur, vivez; j'estime trop moi-mÃÂȘme Et la gloire et le coeur de ce héros qui m'aime Pour ne l'instruire pas, si jamais dans ces lieux Quelqu'un lui réservait un sort injurieux. Oui, puisque c'est à moi que ce héros se livre, Et qu'enfin c'est pour lui que j'ai juré de vivre, Vous devez ÃÂȘtre sûr qu'un coeur tel que le mien Prendra les sentiments qui conviennent au sien; Et que, me conformant à votre grand courage, Si vous deviez, Seigneur, essuyer un outrage, Et que la seule mort pût vous en garantir, Mes larmes couleraient pour vous en avertir. Mais votre honneur ici n'aura pas besoin d'elles Les dieux m'épargneront des larmes si cruelles; Mon pÚre est vertueux; et si le sort jaloux S'opposait aux desseins qu'il a formés pour nous, Si par de fiers tyrans sa vertu traversée A faillir envers vous est aujourd'hui forcée, Gardez-vous cependant de penser que son coeur Pût d'une trahison méditer la noirceur. Annibal Je vous entends la main qui me fut accordée, Pour un nouvel époux Rome l'a demandée, Voilà quel est le soin que Rome prend de vous. Mais, dites-moi, de grùce, aimez-vous cet époux? Vous faites-vous pour moi la moindre violence? Madame, honorez-moi de cette confidence. Parlez-moi sans détour content d'ÃÂȘtre estimé, Je me connais trop bien pour vouloir ÃÂȘtre aimé. Laodice C'est à vous cependant que je dois ma tendresse. Annibal Et moi, je la refuse, adorable Princesse, Et je n'exige point qu'un coeur si vertueux S'immole en remplissant un devoir rigoureux; Que d'un si noble effort le prix soit un supplice. Non, non, je vous dégage, et je me fais justice; Et je rends à ce coeur, dont l'amour me fut dû, Le pénible présent que me fait sa vertu. Ce coeur est prévenu, je m'aperçois qu'il aime. Qu'il suive son penchant, qu'il se donne lui-mÃÂȘme. Si je le méritais, et que l'offre du mien Pût plaire à Laodice et me valoir le sien, Je n'aurais consacré mon courage et ma vie Qu'à m'acquérir ce bien que je lui sacrifie. Il n'est plus temps, Madame, et dans ce triste jour, Je serais un ingrat d'en croire mon amour. Je verrai Prusias, résolu de lui dire Qu'aux désirs du Sénat son effroi peut souscrire, Et je vais le presser d'éclaircir un soupçon Que mon ùme inquiÚte a pris avec raison. Peut-ÃÂȘtre cependant ma crainte est-elle vaine; Peut-ÃÂȘtre notre hymen est tout ce qui le gÃÂȘne Quoi qu'il en soit enfin, je remets en vos mains Un sort livré peut-ÃÂȘtre aux fureurs des Romains. Quand mÃÂȘme je fuirais, la retraite est peu sûre. Fuir, c'est en pareil cas donner jour à l'injure; C'est enhardir le crime; et pour l'épouvanter, Le parti le plus sûr c'est de m'y présenter. Il ne m'importe plus d'ÃÂȘtre informé, Madame, Du reste des secrets que j'ai lus dans votre ùme; Et ce serait ici fatiguer votre coeur Que de lui demander le nom de son vainqueur. Non, vous m'avez tout dit en gardant le silence, Et je n'ai pas besoin de cette confidence. Je sors si dans ces lieux on n'en veut qu'à mes jours, Laissez mes ennemis en terminer le cours. Ce malheur ne vaut pas que vous veniez me faire Un trop pénible aveu des faiblesses d'un pÚre. S'il ne faut que mourir, il vaut mieux que mon bras CÚde à mes ennemis le soin de mon trépas, Et que, de leur effroi victime glorieuse, J'en assure, en mourant, la mémoire honteuse, Et qu'on sache à jamais que Rome et son Sénat Ont porté cet effroi jusqu'à l'assassinat. Mais je vous quitte, on vient. Laodice Seigneur, le temps me presse. Mais, quoique vous ayez pénétré ma faiblesse, Vous m'estimez assez pour ne présumer pas Qu'on puisse m'obtenir aprÚs votre trépas. ScÚne III Laodice, Flaminius Laodice J'ai cru trouver en vous une ùme bienfaisante; De mon estime ici remplirez-vous l'attente? Flaminius Oui, commandez, Madame. Oserais-je douter De l'équité des lois que vous m'allez dicter? Laodice On vous a dit à qui ma main fut destinée? Flaminius Ah! de ce triste coup ma tendresse étonnée... Laodice Eh bien! le roi, jaloux de ramener la paix Dont trop longtemps la guerre a privé ses sujets, En faveur de son peuple a bien voulu se rendre Aux désirs que par vous Rome lui fait entendre. Notre hymen est rompu. Flaminius Ah! je rends grùce aux dieux, Qui détournent le roi d'un dessein odieux. Annibal me suivra sans doute? Mais, Madame, Le roi ne fait-il rien en faveur de ma flamme? Laodice Oui, Seigneur, vous serez content à votre tour, Si vous ne trahissez vous-mÃÂȘme votre amour. Flaminius Moi, le trahir! Î ciel! Laodice Ecoutez ce qui reste. Votre emploi dans ces lieux à ma gloire est funeste. Ce héros qu'aujourd'hui vous demandez au roi, Songez, Flaminius, songez qu'il eut ma foi; Que de sa sûreté cette foi fut le gage; Que vous m'insulteriez en lui faisant outrage. Les droits qu'il eut sur moi sont transportés à vous; Mais enfin ce guerrier dut ÃÂȘtre mon époux. Il porte un caractÚre à mes yeux respectable, Dont je lui vois toujours la marque ineffaçable. Sauvez donc ce héros ma main est à ce prix. Flaminius Mais, songez-vous, Madame, à l'emploi que j'ai pris? Pourquoi proposez-vous un crime à ma tendresse? Est-ce de votre haine une fatale adresse? Cherchez-vous un refus, et votre cruauté Veut-elle ici m'en faire une nécessité? Votre main est pour moi d'un prix inestimable, Et vous me la donnez si je deviens coupable! Ah! vous ne m'offrez rien. Laodice Vous vous trompez, Seigneur; Et j'en ai cru le don plus cher à votre coeur. Mais à me refuser quel motif vous engage? Flaminius Mon devoir. Laodice Suivez-vous un devoir si sauvage Qui vous inspire ici des sentiments outrés, Qu'un tyrannique orgueil ose rendre sacrés? Annibal, chargé d'ans, va terminer sa vie. S'il ne meurt outragé, Rome est-elle trahie? Quel devoir! Flaminius Vous savez la grandeur des Romains, Et jusqu'oÃÂč sont portés leurs augustes destins. De l'univers entier et la crainte et l'hommage Sont moins de leur valeur le formidable ouvrage Qu'un effet glorieux de l'amour du devoir, Qui sur Flaminius borne votre pouvoir. Je pourrais tromper Rome; un rapport peu sincÚre En surprendrait sans doute un ordre moins sévÚre Mais je lui ravirais, si j'osais la trahir, L'avantage important de se faire obéir. Lui déguiser des rois et l'audace et l'offense, C'est conjurer sa perte et saper sa puissance. Rome doit sa durée aux chùtiments vengeurs Des crimes révélés par ses ambassadeurs; Et par là nos avis sont la source féconde De l'effroi que sa foudre entretient dans le monde; Et lorsqu'elle poursuit sur un roi révolté Le mépris imprudent de son autorité, La valeur seulement achÚve la victoire Dont un rapport fidÚle a ménagé la gloire. Nos austÚres vertus ont mérité des dieux... Laodice Ah! les consultez-vous, Romains ambitieux? Ces dieux, Flaminius, auraient cessé de l'ÃÂȘtre S'ils voulaient ce que veut le Sénat, votre maÃtre. Son orgueil, ses succÚs sur de malheureux rois, Voilà les dieux dont Rome emprunte tous ses droits; Voilà les dieux cruels à qui ce coeur austÚre Immole son amour, un héros et mon pÚre, Et pour qui l'on répond que l'offre de ma main N'est pas un bien que puisse accepter un Romain. Cependant cet hymen que votre coeur rejette, Méritez-vous, ingrat, que le mien le regrette? Vous ne répondez rien? Flaminius C'est avec désespoir Que je vais m'acquitter de mon triste devoir. Né Romain, je gémis de ce noble avantage, Qui force à des vertus d'un si cruel usage. Voyez l'égarement oÃÂč m'emportent mes feux; Je gémis d'ÃÂȘtre né pour ÃÂȘtre vertueux. Je n'en suis point confus ce que je sacrifie Excuse mes regrets, ou plutÎt les expie; Et ce serait peut-ÃÂȘtre une férocité Que d'oser aspirer à plus de fermeté. Mais enfin, pardonnez à ce coeur qui vous aime Des refus dont il est si déchiré lui-mÃÂȘme. Ne rougiriez-vous pas de régner sur un coeur Qui vous aimerait plus que sa foi, son honneur? Laodice Ah! Seigneur, oubliez cet honneur chimérique, Crime que d'un beau nom couvre la politique. Songez qu'un sentiment et plus juste et plus doux D'un lien éternel va m'attacher à vous. Ce n'est pas tout encor songez que votre amante Va trouver avec vous cette union charmante, Et que je souhaitais de vous avoir donné Cet amour dont le mien vous avait soupçonné. Vous devez aujourd'hui l'aveu de ma tendresse Aux périls du héros pour qui je m'intéresse Mais, Seigneur, qu'avec vous mon coeur s'est écarté Des bornes de l'aveu qu'il avait projeté! N'importe; plus je cÚde à l'amour qui m'inspire, Et plus sur vous peut-ÃÂȘtre obtiendrai-je d'empire. Me trompé-je, Seigneur? Ai-je trop présumé? Et vous aurais-je en vain si tendrement aimé? Vous soupirez! Grands dieux! c'est vous qui dans nos ùmes Voulûtes allumer de mutuelles flammes; Contre mon propre amour en vain j'ai combattu; Justes dieux! dans mon coeur vous l'avez défendu. Qu'il soit donc un bienfait et non pas un supplice. Oui, Seigneur, qu'avec soin votre ùme y réfléchisse. Vous ne prévoyez pas, si vous me refusez, Jusqu'oÃÂč vont les tourments oÃÂč vous vous exposez. Vous ne sentez encor que la perte éternelle Du bonheur oÃÂč l'amour aujourd'hui nous appelle; Mais l'état douloureux oÃÂč vous laissez mon coeur, Vous n'en connaissez pas le souvenir vengeur. Flaminius Quelle épreuve! Laodice Ah! Seigneur, ma tendresse l'emporte! Flaminius Dieux! que ne peut-elle ÃÂȘtre aujourd'hui la plus forte! Mais Rome... Laodice Ingrat! cessez d'excuser vos refus Mon coeur vous garde un prix digne de vos vertus. ScÚne IV Flaminius, seul. Elle fuit; je soupire, et mon ùme abattue A presque perdu Rome et son devoir de vue. Vil Romain, homme né pour les soins amoureux, Rome est donc le jouet de tes transports honteux! ScÚne V Prusias, Flaminius Flaminius Prince, vous seriez-vous flatté de l'espérance De pouvoir par l'amour vaincre ma résistance? Quand vous la combattez par des efforts si vains, Savez-vous bien quel sang anime les Romains? Savez-vous que ce sang instruit ceux qu'il anime, Non à fuir, c'est trop peu, mais à haïr le crime; Qu'à l'honneur de ce sang je n'ai point satisfait, S'il s'est joint un soupir au refus que j'ai fait? Ce sont là nos devoirs avec nous, dans la suite, Sur ces instructions réglez votre conduite. A quoi donc à présent ÃÂȘtes-vous résolu? J'ai donné tout le temps que vous avez voulu Pour juger du parti que vous aviez à prendre... Mais quoi! sans Annibal ne pouvez-vous m'entendre? ScÚne VI Prusias, Annibal, Flaminius Annibal J'interromps vos secrets; mais ne vous troublez pas Je sors, et n'ai qu'un mot à dire à Prusias. Restez, de grùce; il m'est d'une importance extrÃÂȘme Que ce qu'il répondra vous l'entendiez vous-mÃÂȘme. A Prusias. Laodice est à moi, si vous ÃÂȘtes jaloux De tenir le serment que j'ai reçu de vous. Mais enfin ce serment pÚse à votre courage, Et je vois qu'il est temps que je vous en dégage. Jamais je n'exigeai de vous cette faveur, Et si vous aviez su connaÃtre votre coeur, Sans doute vous n'auriez osé me la promettre Et ne rougiriez pas de vous la voir remettre. Mais il vous reste encore un autre engagement, Qui doit m'importer plus que ce premier serment. Vous jurùtes alors d'avoir soin de ma gloire, Et quelque juste orgueil m'aida mÃÂȘme à vous croire, Puisque aprÚs tout, Seigneur, pour tenir votre foi, Je vis que vous n'aviez qu'à vous servir de moi. Comment penser, d'ailleurs, que vous seriez parjure! Vous, qu'Annibal pouvait payer avec usure; Vous qui, si le sort mÃÂȘme eût trahi votre appui, Vous assuriez l'honneur de tomber avec lui? Vous me fuyez pourtant; le Sénat vous menace, Et de vos procédés la raison m'embarrasse. Seigneur, je suis chez vous y suis-je en sûreté? Ou bien y dois-je craindre une infidélité? Prusias Ici? n'y craignez rien, Seigneur. Annibal Je me retire. C'en est assez; voilà ce que j'avais à dire. ScÚne VII Flaminius, Prusias Flaminius Ce que dans ce moment vous avez répondu, M'apprend trop qu'il est temps... Prusias J'ai dit ce que j'ai dû... ArrÃÂȘtez. Le Sénat n'aura point à se plaindre. Flaminius Eh! comment Annibal n'a-t-il plus rien à craindre? Que pensez-vous? Prusias Seigneur, je ne m'explique pas; Mais vous serez bientÎt content de Prusias. Vous devrez l'ÃÂȘtre, au moins. ScÚne VIII Flaminius, seul. Quel est donc ce mystÚre Dont à m'instruire ici sa prudence diffÚre? Quoi qu'il en soit, Î Rome! approuve que mon coeur Souhaite que ce prince échappe à son malheur. Acte V ScÚne premiÚre Prusias, Hiéron Prusias Je vais donc rétracter la foi que j'ai donnée, Peut-ÃÂȘtre d'Annibal trancher la destinée. Dieux! quel coup va frapper ce héros malheureux! Hiéron Non, Seigneur, Annibal a le coeur généreux. Du courroux du Sénat la nouvelle est semée; On sait que l'ennemi forme une double armée. Le peuple épouvanté murmure, et ce héros Doit, en se retirant, faire notre repos; Et vous verrez, Seigneur, Flaminius souscrire Aux doux tempéraments que le ciel vous inspire. Prusias Mais si l'ambassadeur le poursuit, Hiéron? Hiéron Eh! Seigneur, éloignez ce scrupuleux soupçon Des fautes du hasard ÃÂȘtes-vous responsable? Mais le voici. Prusias Grands dieux! sa présence m'accable. Je me sens pénétré de honte et de douleur. Hiéron C'est la faute du sort, et non de votre coeur. ScÚne II Prusias, Annibal, Hiéron Prusias Enfin voici le temps de rompre le silence Qui porte votre esprit à tant de méfiance? Depuis que dans ces lieux vous ÃÂȘtes arrivé, Seigneur, tous mes serments vous ont assez prouvé L'amitié dont pour vous mon ùme était remplie, Et que je garderai le reste de ma vie. Mais un coup imprévu retarde les effets De ces mÃÂȘmes serments que mon coeur vous a faits. De toutes parts sur moi mes ennemis vont fondre; Le sort mÃÂȘme avec eux travaille à me confondre, Et semble leur avoir indiqué le moment OÃÂč leurs armes pourront triompher sûrement. ArtamÚne est vaincu, sa défaite est entiÚre; Mais la gloire, Seigneur, en est si meurtriÚre, Tant de sang fut versé dans nos derniers combats, Que la victoire mÃÂȘme affaiblit mes Etats. A mes propres malheurs je serais peu sensible; Mais de mon peuple entier la perte est infaillible Je suis son roi; les dieux qui me l'ont confié Veulent qu'à ses périls cÚde notre amitié. De ces périls, Seigneur, vous seul ÃÂȘtes la cause. Je ne vous dirai point ce que Rome propose. Mon coeur en a frémi d'horreur et de courroux; Mais enfin nos tyrans sont plus puissants que nous. Fuyez pour quelque temps, et conjurons l'orage Essayons ce moyen pour ralentir leur rage Attendons que le ciel, plus propice à nos voeux, Nous mette en liberté de nous revoir tous deux. Sans doute qu'à vous yeux Prusias excusable N'aura point... Annibal Oui, Seigneur, vous ÃÂȘtes pardonnable. Pour surmonter l'effroi dont il est abattu, Sans doute votre coeur a fait ce qu'il a pu. Si, malgré ses efforts, tant d'épouvante y rÚgne, C'est de moi, non de vous, qu'il faut que je me plaigne. J'ai tort, et j'aurais dû prévoir que mon destin Dépendrait avec vous de l'aspect d'un Romain. Mais je suis libre encor, et ma folle espérance N'avait pas mérité de vous tant d'indulgence. Prusias Seigneur, je le vois bien, trop coupable à vos yeux... Annibal Voilà ce que je puis vous répondre de mieux Mais voulez-vous m'en croire? oublions l'un et l'autre Ces serments que mon coeur dut refuser du vÎtre, Je me suis cru prudent; vous présumiez de vous, Et ces mÃÂȘmes serments déposent contre nous. Ainsi n'y pensons plus. Si Rome vous menace, Je pars, et ma retraite obtiendra votre grùce. En violant les droits de l'hospitalité, Vous allez du Sénat rappeler la bonté. Prusias Que sur nos ennemis votre ùme, moins émue, Avec attention daigne jeter la vue. Annibal Je changerai beaucoup, si quelque légion, Qui loin d'ici s'assemble avec confusion, Si quelques escadrons déjà mis en déroute Me paraissent jamais dignes qu'on les redoute. Mais, Seigneur, finissons cet entretien fùcheux, Nous voyons ces objets différemment tous deux. Je pars; pour quelque temps cachez-en la nouvelle. Prusias Oui, Seigneur; mais un jour vous connaÃtrez mon zÚle. ScÚne III Annibal, seul. Ton zÚle! homme sans coeur, esclave couronné! A quels rois l'univers est-il abandonné! Tu les charges de fers, Î Rome! et, je l'avoue, Leur bassesse en effet mérite qu'on t'en loue. Mais tu pars, Annibal. Imprudent! oÃÂč vas-tu? Cet infidÚle roi ne t'a-t-il pas vendu? Il n'en faut point douter, il médite ce crime; Mais le lùche, qui craint les yeux de sa victime, Qui n'ose s'exposer à mes regards vengeurs, M'écarte avec dessein de me livrer ailleurs. Mais qui vient? ScÚne IV Laodice, avec un mouchoir dont elle essuie ses pleurs, Annibal Annibal Ah! c'est vous, généreuse Princesse. Vous pleurez votre coeur accomplit sa promesse. Les voilà donc ces pleurs, mon unique secours, Qui devaient m'avertir du péril que je cours! Laodice Oui, je vous rends enfin ce funeste service; Mais de la trahison le roi n'est point complice. FidÚle à votre gloire, il veut la garantir Et cependant, Seigneur, gardez-vous de partir. Quelques avis certains m'ont découvert qu'un traÃtre Qui pense qu'un forfait obligera son maÃtre, Qu'Hiéron en secret informe les Romains; Qu'en un mot vous risquez de tomber en leurs mains. Annibal Je dois beaucoup aux dieux ils m'ont comblé de gloire, Et j'en laisse aprÚs moi l'éclatante mémoire. Mais de tous leurs bienfaits, le plus grand, le plus doux, C'est ce dernier secours qu'ils me laissaient en vous. Je vous aimais, Madame, et je vous aime encore, Et je fais vanité d'un aveu qui m'honore. Je ne pouvais jamais espérer de retour, Mais votre coeur me donne autant que son amour. Eh! que dis-je? l'amour vaut-il donc mon partage? Non, ce coeur généreux m'a donné davantage J'ai pour moi sa vertu, dont la fidélité Voulut mÃÂȘme immoler le feu qui l'a flatté. Eh quoi! vous gémissez, vous répandez des larmes! Ah! que pour mon orgueil vos regrets ont de charmes! Que d'estime pour moi me découvrent vos pleurs! Est-il pour Annibal de plus dignes faveurs? Cessez pourtant, cessez d'en verser, Laodice; Que l'amour de ma gloire à présent les tarisse. Puisque la mort m'arrache aux injures du sort, Puisque vous m'estimez, ne pleurez pas ma mort. Laodice Ah! Seigneur, cet aveu me glace d'épouvante. Ne me présentez point cette image sanglante. Sans doute que le ciel m'a dérobé l'horreur De ce funeste soin que vous devait mon coeur. Si le terrible effet en eût frappé ma vue, Ah! jamais jusqu'ici je ne serais venue. Annibal Non, je vous connais mieux, et vous vous faites tort. Laodice Mais, Seigneur, permettez que je fasse un effort, Qu'auprÚs du roi... Annibal Madame, il serait inutile; Les moments me sont chers, je cours à mon asile. Laodice A votre asile! Î ciel! Seigneur oÃÂč courez-vous? Annibal Mériter tous vos soins. Laodice Quelle honte pour nous! Annibal Je ne vous dis plus rien; la vertu, quand on l'aime, Porte de nos bienfaits le salaire elle-mÃÂȘme. Mon admiration, mon respect, mon amour, Voilà ce que je puis vous offrir en ce jour; Mais vous les méritez. Je fuis, quelqu'un s'avance. Adieu, chÚre Princesse. ScÚne V Laodice, seule. O ciel! quelle constance! Tes devoirs tant vantés, ministre des Romains, Etaient donc d'outrager le plus grand des humains! De quel indigne amant mon ùme possédée Avec tant de plaisir gardait-elle l'idée? ScÚne VI Laodice, Flaminius, Flavius Flaminius Eh quoi! vous me fuyez, Madame? Laodice Laissez-moi. Hùtez-vous d'achever votre barbare emploi Portez les derniers coups à l'honneur de mon pÚre; Des dieux que vous bravez méritez la colÚre. Mes pleurs vont les presser d'accorder à mon coeur Le pardon d'un penchant qui doit leur faire horreur. ScÚne VII Flaminius, Flavius Flaminius Il me serait heureux de l'ignorer encore, Cet aveu d'un penchant que votre coeur abhorre. Poursuivons mon dessein. Flavius, va savoir Si sans aucun témoin Annibal veut me voir. ScÚne VIII Flaminius, seul. J'ai satisfait aux soins que m'imposait ta cause; Souffre ceux qu'à son tour la vertu me propose, Rome! Laisse mon coeur favoriser ses feux, Quand sans crime il peut ÃÂȘtre et tendre et généreux. Je puis, sans t'offenser, prouver à Laodice Que, s'il m'est défendu de lui rendre un service, Sensible cependant à sa juste douleur, Du soin de l'adoucir j'occupe encor mon coeur. Annibal vient Î ciel! ce que je sacrifie Vaut bien qu'à me céder ta bonté te convie. Le motif qui m'engage à le persuader Est digne du succÚs que j'ose demander. ScÚne IX Annibal, Flaminius Flaminius Seigneur, puis-je espérer qu'oubliant l'un et l'autre Tout ce qui peut aigrir mon esprit et le vÎtre, Et que nous confiant, en hommes généreux, L'estime qu'aprÚs tout nous méritons tous deux, Vous voudrez bien ici que je vous entretienne D'un projet que pour vous vient de former la mienne? Annibal Seigneur, si votre estime a conçu ce projet, Fût-il vain, je le tiens déjà pour un bienfait. Flaminius Ce que Rome en ces lieux m'a commandé de faire, Pour Annibal peut-ÃÂȘtre est encore un mystÚre. Seigneur, je viens ici vous demander au roi; Vous n'en devez pas ÃÂȘtre irrité contre moi. Tel était mon devoir; je l'ai fait avec zÚle, Et vous m'approuverez d'avoir été fidÚle. Prusias, retenu par son engagement, A cru qu'il suffirait de votre éloignement. Il a pensé que Rome en serait satisfaite, Et n'exigerait rien aprÚs votre retraite. Je pouvais l'accepter, et vous ne doutez pas Qu'il ne me fût aisé d'envoyer sur vos pas; D'autant plus qu'Hiéron aux Romains de ma suite Promet de révéler le jour de votre fuite. Mais, Seigneur, le Sénat veut bien moins vous avoir Qu'il ne veut que le roi fasse ici son devoir Et l'univers jaloux, de qui l'oeil nous contemple, De sa soumission aurait perdu l'exemple. J'ai donc refusé tout, et Prusias, alors, AprÚs avoir tenté d'inutiles efforts, Pour me donner enfin sa réponse précise, Ne m'a plus demandé qu'une heure de remise. Seigneur, je suis certain du parti qu'il prendra, Et ce prince, en un mot, vous abandonnera. S'il demande du temps, ce n'est pas qu'il hésite; Mais de son embarras il se fait un mérite. Il croit que vous serez content de sa vertu, Quand vous saurez combien il aura combattu. Et vous, que jusque-là le destin persécute, Tombez, mais d'un héros ménagez-vous la chute. Vous l'ÃÂȘtes, Annibal, et l'aveu m'en est doux. Pratiquez les vertus que ce nom veut de vous. Voudriez-vous attendre ici la violence? Non, non; qu'une superbe et pleine confiance, Digne de l'ennemi que vous vous ÃÂȘtes fait, Que vous honorerez par ce généreux trait, Vous invitant à fuir des retraites peu sûres, OÃÂč vous deviez, Seigneur, présager vos injures, Vous guide jusqu'à Rome, et vous jette en des bras Plus fidÚles pour vous que ceux de Prusias. Voilà , Seigneur, voilà la chute la plus fiÚre Que puisse se choisir votre audace guerriÚre. A votre place enfin, voilà le seul écueil OÃÂč, mÃÂȘme en se brisant, se maintient votre orgueil. N'hésitez point, venez; achevez de connaÃtre Ces vainqueurs que déjà vous estimez peut-ÃÂȘtre. Puisque autrefois, Seigneur, vous les avez vaincus, C'est pour vous honorer une raison de plus. Montrez-leur Annibal; qu'il vienne les convaincre Qu'un si noble vaincu mérita de les vaincre. Partons sans différer; venez les rendre tous D'une action si noble admirateurs jaloux. Annibal Oui, le parti sans doute est glorieux à prendre, Et c'est avec plaisir que je viens de l'entendre. Il m'oblige. Annibal porte en effet un coeur Capable de donner ces marques de grandeur, Et je crois vos Romains, mÃÂȘme aprÚs ma défaite, Dignes que de leurs murs je fisse ma retraite. Il ne me restait plus, persécuté du sort, D'autre asile à choisir que Rome ou que la mort. Mais enfin c'en est fait, j'ai cru que la derniÚre Avec assez d'honneur finissait ma carriÚre. Le secours du poison... Flaminius Je l'avais pressenti Du héros désarmé c'est le dernier parti. Ah! souffrez qu'un Romain, dont l'estime est sincÚre, Regrette ici l'honneur que vous pouviez nous faire. Le roi s'avance; Î ciel! sa fille en pleurs le suit. ScÚne X et derniÚre Tous les acteurs Prusias, à Annibal. Seigneur, serait-il vrai ce qu'Amilcar nous dit? Annibal Prusias car enfin je ne crois pas qu'un homme Lùche assez pour n'oser désobéir à Rome, InfidÚle à son rang, à sa parole, à moi, EspÚre qu'Annibal daigne en lui voir un roi, Prusias, pensez-vous que ma mort vous délivre Des hasards qu'avec moi vous avez craint de suivre? Quand mÃÂȘme vous m'eussiez remis entre ses mains, Quel fruit en pouviez-vous attendre des Romains? La paix? Vous vous trompiez. Rome va vous apprendre Qu'il faut la mériter pour oser y prétendre. Non, non; de l'épouvante esclave déclaré, A des malheurs sans fin vous vous ÃÂȘtes livré. Que je vous plains! Je meurs, et ne perds que la vie. A la Princesse. Du plus grand des malheurs vous l'avez garantie, Et j'expire honoré des soins de la vertu. Adieu, chÚre Princesse. Laodice, à Flaminius. Enfin Rome a vaincu. Il meurt, et vous avez consommé l'injustice, Barbare! et vous osiez demander Laodice! Flaminius Malgré tout le courroux qui trouble votre coeur, Plus équitable un jour, vous plaindrez mon malheur. Quoique de vos refus ma tendresse soupire, Ils ont droit de paraÃtre, et je dois y souscrire. Hélas! un doux espoir m'amena dans ces lieux; Je ne suis point coupable, et j'en sors odieux. La Surprise de l'amour Acteurs de la comédie Représentée pour la premiÚre fois par les comédiens italiens le 3 mai 1722. Acteurs de la comédie La Comtesse Lélio Le Baron, ami de Lélio Colombine, suivante de la Comtesse Arlequin, valet de Lélio Jacqueline, servante de Lélio Pierre, jardinier de la Comtesse La scÚne est dans une maison de campagne. Acte premier ScÚne premiÚre Pierre, Jacqueline Pierre. - Tiens, Jacqueline, t'as une himeur qui me fùche. Pargué, encore faut-il dire queuque parole d'amiquié aux gens. Jacqueline. - Mais, qu'est-ce qu'il te faut donc? Tu me veux pour ta femme eh bian, est-ce que je recule à cela? Pierre. - Bon, qu'est-ce que ça dit! Est-ce que toutes les filles n'aimont pas à devenir la femme d'un homme? Jacqueline. - Tredame! c'est donc un oisiau bien rare qu'un homme, pour en ÃÂȘtre si envieuse? Pierre. - Hé là , là , je parle en discourant, je savons bian que l'oisiau n'est pas rare; mais quand une fille est grande, alle a la fantaisie d'en avoir un, et il n'y a pas de mal à ça, Jacqueline, car ça est vrai, et tu n'iras pas là contre. Jacqueline. - Acoute, n'ons-je pas d'autre amoureux que toi? Est-ce que Blaise et le gros Colas ne sont pas affolés de moi tous deux? Est-ce qu'ils ne sont pas des hommes aussi bian que toi? Pierre. - Eh mais, je pense qu'oui. Jacqueline. - Eh bian, butor, je te baille la parfarence, qu'as-tu à dire à ça? Pierre. - C'est que tu m'aimes mieux qu'eux tant seulement; mais si je ne te prenais pas, moi, ça te fùcherait-il? Jacqueline. - Oh dame, t'en veux trop. Pierre. - Eh morguenne, voilà le tu autem; je veux de l'amiquié pour la parsonne de moi tout seul. Quand tout le village vianrait te dire Jacqueline, épouse-moi; je voudrais que tu fis bravement la grimace à tout le village, et que tu lui disi Nennin-da, je veux ÃÂȘtre la femme de Piarre, et pis c'est tout. Pour ce qui est d'en cas de moi, si j'allais ÃÂȘtre un parfide, je voudrais que ça te fùchit rudement, et que t'en pleurisse tout ton soûl; et velà margué ce qu'en appelle aimer le monde. Tians, moi qui te parle, si t'allais me changer, il n'y aurait pu de çarvelle cheux moi, c'est de l'amiquié que ça. Tatigué que je serais content si tu pouvais itout devenir folle! Ah! que ça serait touchant! Ma pauvre Jacqueline, dis-moi queuque mot qui me fasse comprendre que tu pardrais un petit brin l'esprit. Jacqueline. - Va, va, Piarre, je ne dis rian mais je n'en pense pas moins. Pierre. - Eh, penses-tu que tu m'aimes, par hasard? Dis-moi oui ou non. Jacqueline. - Devine lequel. Pierre. - Regarde-moi entre deux yeux. Tu ris tout comme si tu disais oui; hé, hé, hé, qu'en dis-tu? Jacqueline. - Eh, je dis franchement que je serais bian empÃÂȘchée de ne pas t'aimer, car t'es bien agriable. Pierre. - Eh, jarni, velà dire les mots et les paroles. Jacqueline. - Je t'ai toujours trouvé une bonne philosomie d'homme tu m'as fait l'amour, et franchement ça m'a fait plaisir; mais l'honneur des filles les empÃÂȘche de parler aprÚs ça, ma tante disait toujours qu'un amant, c'est comme un homme qui a faim pu il a faim, et pu il a envie de manger; pu un homme a de peine aprÚs une fille, et pu il l'aime. Pierre. - Parsanguenne, il faut que ta tante ait dit vrai; car je meurs de faim, je t'en avertis, Jacqueleine. Jacqueline. - Tant mieux, je t'aime de cette himeur-là , pourvu qu'alle dure; mais j'ai bian peur que M. Lélio, mon maÃtre, ne consente à noute mariage, et qu'il ne me boute hors de chez li, quand il saura que je t'aime; car il nous a dit qu'il ne voulait point voir d'amourette parmi nous. Pierre. - Et pourquoi donc ça, est-ce qu'il y a du mal à aimer son prochain? Et morgué je m'en vas lui gager, moi, que ça se pratique chez les Turcs, et si ils sont bien méchants. Jacqueline. - Oh, c'est pis qu'un Turc, à cause d'une dame de Paris qui l'aimait beaucoup, et qui li a tourné casaque pour un autre galant plus mal bùti que li noute monsieur a fait du tapage; il li a dit qu'alle devait ÃÂȘtre honteuse; alle lui a dit qu'alle ne voulait pas l'ÃÂȘtre. Et voilà bian de quoi! ç'a-t-elle fait. Et pis des injures ous ÃÂȘtes cun indeigne. Et voyez donc cet impertinent! Et je me vengerai. Et moi, je m'en gausse. Tant y a qu'à la parfin alle li a farmé la porte sur le nez li qui est glorieux a pris ça en mal, et il est venu ici pour vivre en harmite, en philosophe, car velà comme il dit. Et depuis ce temps, quand il entend parler d'amour, il semble qu'en l'écorche comme une anguille. Son valet Arlequin fait itou le dégoûté quand il voit une fille à droite, ce drÎle de corps se baille les airs d'aller à gauche, à cause de queuque mijaurée de chambriÚre qui li a, à ce qu'il dit, vendu du noir. Pierre. - Quiens, véritablement c'est une piquié que ça, il n'y a pas de police; au punit tous les jours de pauvres voleurs, et an laisse aller et venir les parfides. Mais velà ton maÃtre, parle-li. Jacqueline. - Non, il a la face triste, c'est peut-ÃÂȘtre qu'il rÃÂȘve aux femmes; je sis d'avis que j'attende que ça soit passé va, va, il y a bonne espérance, pisque ta maÃtresse est arrivée, et qu'alle a dit qu'alle lui en parlerait. ScÚne II Lélio, Arlequin, tous deux d'un air triste. Lélio. - Le temps est sombre aujourd'hui. Arlequin. - Ma foi oui, il est aussi mélancolique que nous. Lélio. - Oh, on n'est pas toujours dans la mÃÂȘme disposition, l'esprit aussi bien que le temps est sujet à des nuages. Arlequin. - Pour moi, quand mon esprit va bien, je ne m'embarrasse guÚre du brouillard. Lélio. - Tout le monde en est assez de mÃÂȘme. Arlequin. - Mais je trouve toujours le temps vilain, quand je suis triste. Lélio. - C'est que tu as quelque chose qui te chagrine. Arlequin. - Non. Lélio. - Tu n'as donc point de tristesse? Si fait. Lélio. - Dis donc pourquoi? Arlequin. - Pourquoi? En vérité je n'en sais rien; c'est peut-ÃÂȘtre que je suis triste de ce que je ne suis pas gai. Lélio. - Va, tu ne sais ce que tu dis. Arlequin. - Avec cela, il me semble que je ne me porte pas bien. Lélio. - Ah, si tu es malade, c'est une autre affaire. Arlequin. - Je ne suis pas malade, non plus. Lélio. - Es-tu fou? Si tu n'es pas malade, comment trouves-tu donc que tu ne te portes pas bien? Arlequin. - Tenez, Monsieur, je bois à merveille, je mange de mÃÂȘme, je dors comme une marmotte, voilà ma santé. Lélio. - C'est une santé de crocheteur, un honnÃÂȘte homme serait heureux de l'avoir. Arlequin. - Cependant je me sens pesant et lourd, j'ai une fainéantise dans les membres, je bùille sans sujet, je n'ai du courage qu'à mes repas, tout me déplaÃt; je ne vis pas, je traÃne; quand le jour est venu, je voudrais qu'il fût nuit; quand il est nuit, je voudrais qu'il fût jour voilà ma maladie; voilà comment je me porte bien et mal. Lélio. - Je t'entends, c'est un peu d'ennui qui t'a pris; cela se passera. As-tu sur toi ce livre qu'on m'a envoyé de Paris...? Réponds donc! Arlequin. - Monsieur, avec votre permission, que je passe de l'autre cÎté. Lélio. - Que veux-tu donc? Qu'est-ce que cette cérémonie? Arlequin. - C'est pour ne pas voir sur cet arbre deux petits oiseaux qui sont amoureux; cela me tracasse, j'ai juré de ne plus faire l'*amour; mais quand je le vois faire, j'ai presque envie de manquer de parole à mon serment cela me raccommode avec ces pestes de femmes, et puis c'est le diable de me refùcher contre elles. Lélio. - Eh, mon cher Arlequin, me crois-tu plus exempt que toi de ces petites inquiétudes-là ? Je me ressouviens qu'il y a des femmes au monde, qu'elles sont aimables, et ce ressouvenir-là ne va pas sans quelques émotions de coeur; mais ce sont ces émotions-là qui me rendent inébranlable dans la résolution de ne plus voir de femmes. Arlequin. - Pardi, cela me fait tout le contraire, à moi; quand ces émotions-là me prennent, c'est alors que ma résolution branle. Enseignez-moi donc à en faire mon profit comme vous. Lélio. - Oui-da, mon ami je t'aime; tu as du bon sens, quoique un peu grossier. L'infidélité de ta maÃtresse t'a rebuté de l'amour, la trahison de la mienne m'en a rebuté de mÃÂȘme; tu m'as suivi avec courage dans ma retraite, et tu m'es devenu cher par la conformité de ton génie avec le mien, et par la ressemblance de nos aventures. Arlequin. - Et moi, Monsieur, je vous assure que je vous aime cent fois plus aussi que de coutume, à cause que vous avez la bonté de m'aimer tant. Je ne veux plus voir de femmes, non plus que vous, cela n'a point de conscience; j'ai pensé crever de l'infidélité de Margot les passe-temps de la campagne, votre conversation et la bonne nourriture m'ont un peu remis. Je n'aime plus cette Margot, seulement quelquefois son petit nez me trotte encore dans la tÃÂȘte; mais quand je ne songe point à elle, je n'y gagne rien; car je pense à toutes les femmes en gros, et alors les émotions de coeur que vous dites viennent me tourmenter je cours, je saute, je chante, je danse, je n'ai point d'autre secret pour me chasser cela; mais ce secret-là n'est que de l'*onguent miton-mitaine je suis dans un grand danger; et puisque vous m'aimez tant, ayez la charité de me dire comment je ferai pour devenir fort, quand je suis faible. Lélio. - Ce pauvre garçon me fait pitié. Ah! sexe trompeur, tourmente ceux qui t'approchent, mais laisse en repos ceux qui te fuient! Arlequin. - Cela est tout raisonnable, pourquoi faire du mal à ceux qui ne te font rien? Lélio. - Quand quelqu'un me vante une femme aimable et l'amour qu'il a pour elle, je crois voir un frénétique qui me fait l'éloge d'une vipÚre, qui me dit qu'elle est charmante, et qu'il a le bonheur d'en ÃÂȘtre mordu. Arlequin. - Fi donc, cela fait mourir. Lélio. - Eh, mon cher enfant, la vipÚre n'Îte que la vie. Femmes, vous nous ravissez notre raison, notre liberté, notre repos; vous nous ravissez à nous-mÃÂȘmes, et vous nous laissez vivre. Ne voilà -t-il pas des hommes en bel état aprÚs? Des pauvres fous, des hommes troublés, ivres de douleur ou de joie, toujours en convulsion, des esclaves. Et à qui appartiennent ces esclaves? à des femmes! Et qu'est-ce que c'est qu'une femme? Pour la définir il faudrait la connaÃtre nous pouvons aujourd'hui en commencer la définition, mais je soutiens qu'on n'en verra le bout qu'à la fin du monde. Arlequin. - En vérité, c'est pourtant un joli petit animal que cette femme, un joli petit chat, c'est dommage qu'il ait tant de griffes. Lélio. - Tu as raison, c'est dommage; car enfin, est-il dans l'univers de figure plus charmante? Que de grùces, et que de variété dans ces grùces! Arlequin. - C'est une créature à manger. Lélio. - Voyez ces ajustements, jupes étroites, jupes en lanterne, coiffure en clocher, coiffure sur le nez, capuchon sur la tÃÂȘte, et toutes les modes les plus extravagantes mettez-les sur une femme, dÚs qu'elles auront touché sa figure enchanteresse, c'est l'Amour et les Grùces qui l'ont habillée, c'est de l'esprit qui lui vient jusques au bout des doigts. Cela n'est-il pas bien singulier? Arlequin. - Oh, cela est vrai; il n'y a mardi! pas de livre qui ait tant d'esprit qu'une femme, quand elle est en corset et en petites pantoufles. Lélio. - Quel aimable désordre d'idées dans la tÃÂȘte! que de vivacité! quelles expressions! que de naïveté! L'homme a le bon sens en partage, mais ma foi l'esprit n'appartient qu'à la femme. A l'égard de son coeur, ah! si les plaisirs qu'il nous donne étaient durables, ce serait un séjour délicieux que la terre. Nous autres hommes, la plupart, nous sommes jolis en amour nous nous répandons en petits sentiments doucereux; nous avons la marotte d'ÃÂȘtre délicats, parce que cela donne un air plus tendre; nous faisons l'amour réglément, tout comme on fait une charge; nous nous faisons des méthodes de tendresse; nous allons chez une femme, pourquoi? Pour l'aimer, parce que c'est le devoir de notre emploi. Quelle pitoyable façon de faire! Une femme ne veut ÃÂȘtre ni tendre ni délicate, ni fùchée ni bien aise; elle est tout cela sans le savoir, et cela est charmant. Regardez-la quand elle aime, et qu'elle ne veut pas le dire, morbleu, nos tendresses les plus babillardes approchent-elles de l'amour qui passe à travers son silence? Arlequin. - Ah! Monsieur, je m'en souviens, Margot avait si bonne grùce à faire comme cela la nigaude! Lélio. - Sans l'aiguillon de la jalousie et du plaisir, notre coeur à nous autres est un vrai paralytique nous restons là comme des eaux dormantes, qui attendent qu'on les remue pour se remuer. Le coeur d'une femme se donne sa secousse à lui-mÃÂȘme; il part sur un mot qu'on dit, sur un mot qu'on ne dit pas, sur une contenance. Elle a beau vous avoir dit qu'elle aime; le répÚte-t-elle, vous l'apprenez toujours, vous ne le saviez pas encore ici par une impatience, par une froideur, par une imprudence, par une distraction, en baissant les yeux, en les relevant, en sortant de sa place, en y restant; enfin c'est de la jalousie, du calme, de l'inquiétude, de la joie, du babil et du silence de toutes couleurs. Et le moyen de ne pas s'enivrer du plaisir que cela donne? Le moyen de se voir adorer sans que la tÃÂȘte vous tourne? Pour moi, j'étais tout aussi sot que les autres amants; je me croyais un petit prodige, mon mérite m'étonnait ah! qu'il est mortifiant d'en rabattre! C'est aujourd'hui ma bÃÂȘtise qui m'étonne; l'homme prodigieux a disparu, et je n'ai trouvé qu'une dupe à la place. Arlequin. - Eh bien, Monsieur, queussi, queumi, voilà mon histoire; j'étais tout aussi sot que vous vous faites pourtant un portrait qui fait venir l'envie de l'original. Lélio. - Butor que tu es! Ne t'ai-je pas dit que la femme était aimable, qu'elle avait le coeur tendre, et beaucoup d'esprit? Arlequin. - Oui, est-ce que tout cela n'est pas bien joli? Lélio. - Non, tout cela est affreux. Arlequin. - Bon, bon, c'est que vous voulez m'attraper peut-ÃÂȘtre. Lélio. - Non, ce sont là les instruments de notre supplice. Dis-moi, mon pauvre garçon, si tu trouvais sur ton chemin de l'argent d'abord, un peu plus loin de l'or, un peu plus loin des perles, et que cela te conduisÃt à la caverne d'un monstre, d'un tigre, si tu veux, est-ce que tu ne haïrais pas cet argent, cet or et ces perles? Arlequin. - Je ne suis pas si dégoûté, je trouverais cela fort bon; il n'y aurait que le vilain tigre dont je ne voudrais pas, mais je prendrais vitement quelques milliers d'écus dans mes poches, je laisserais là le reste, et je décamperais bravement aprÚs. Lélio. - Oui, mais tu ne saurais point qu'il y a un tigre au bout, et tu n'auras pas plutÎt ramassé un écu, que tu ne pourras t'empÃÂȘcher de vouloir le reste. Arlequin. - Fi, par la morbleu, c'est bien dommage voilà un sot trésor, de se trouver sur ce chemin-là . Pardi, qu'il aille au diable, et l'animal avec. Lélio. - Mon enfant, cet argent que tu trouves d'abord sur ton chemin, c'est la beauté, ce sont les agréments d'une femme qui t'arrÃÂȘtent; cet or que tu rencontres encore, ce sont les espérances qu'elle te donne; enfin ces perles, c'est son coeur qu'elle t'abandonne avec tous ses transports. Arlequin. - Ahi! ahi! gare l'animal. Lélio. - Le tigre enfin paraÃt aprÚs les perles, et ce tigre, c'est un caractÚre perfide retranché dans l'ùme de ta maÃtresse; il se montre, il t'arrache son coeur, il déchire le tien; adieu tes plaisirs, il te laisse aussi misérable que tu croyais ÃÂȘtre heureux. Arlequin. - Ah, c'est justement la bÃÂȘte que Margot a lùchée sur moi, pour avoir aimé son argent, son or et ses perles. Lélio. - Les aimeras-tu encore? Arlequin. - Hélas, Monsieur, je ne songeais pas à ce diable qui m'attendait au bout. Quand on n'a pas étudié, on ne voit pas plus loin que son nez. Lélio. - Quand tu seras tenté de revoir des femmes, souviens-toi toujours du tigre, et regarde tes émotions de coeur comme une envie fatale d'aller sur sa route, et de te perdre. Arlequin. - Oh, voilà qui est fait; je renonce à toutes les femmes, et à tous les trésors du monde, et je m'en vais boire un petit coup pour me fortifier dans cette bonne pensée. ScÚne III Lélio, Jacqueline, Pierre Lélio. - Que me veux-tu, Jacqueline? Jacqueline. - Monsieur, c'est que je voulions vous parler d'une petite affaire. Lélio. - De quoi s'agit-il? Jacqueline. - C'est que, ne vous déplaise... mais vous vous fùcherez. Lélio. - Voyons. Jacqueline. - Monsieur, vous avez dit, il y a queuque temps, que vous ne vouliez pas que j'eussions de galants. Lélio. - Non, je ne veux point voir d'amour dans ma maison. Jacqueline. - Je vians pourtant vous demander un petit privilÚge. Lélio. - Quel est-il? Jacqueline. - C'est que, révérence parler, j'avons le coeur tendre. Lélio. - Tu as le coeur tendre? voilà un plaisant aveu; et qui est le nigaud qui est amoureux de toi? Pierre. - Eh, eh, eh, c'est moi, Monsieur. Lélio. - Ah, c'est toi, maÃtre Pierre, je t'aurais cru plus raisonnable. Eh bien, Jacqueline, c'est donc pour lui que tu as le coeur tendre? Jacqueline. - Oui, Monsieur, il y a bien deux ans en ça que ça m'est venu... mais, dis toi-mÃÂȘme, je ne sis pas assez effrontée de mon naturel. Pierre. - Monsieur, franchement, c'est qu'à me trouve gentil; et si ce n'était qu'alle fait la difficile, il y aurait longtemps que je serions ennocés. Lélio. - Tu es fou, maÃtre Pierre, ta Jacqueline au premier jour te plantera là crois-moi, ne t'attache point à elle; laisse-la là , tu cherches malheur. Jacqueline. - Bon, voilà de biaux contes qu'ous li faites-là , Monsieur. Est-ce que vous croyez que je sommes comme vos girouettes de Paris, qui tournent à tout vent? Allez, allez, si quelqu'un de nous deux se plante là , ce sera li qui me plantera, et non pas moi. A tout hasard, notre monsieur, donnez-moi tant seulement une petite parmission de mariage, c'est pour ça que j'avons prins la liberté de vous attaquer. Pierre. - Oui, Monsieur, voilà tout fin dret ce que c'est, et Jacqueline a itou queuque doutance que vous vourez bian de votre grùce, et pour l'amour de son sarvice, et de sti-là de son pÚre et de sa mÚre, qui vous ont tant sarvi quand ils n'étient pas encore défunts, tant y a, Monsieur excusez l'importunance, c'est que je sommes pauvres, et tout franchement, pour vous le couper court... Lélio. - AchÚve donc, il y a une heure que tu traÃnes. Jacqueline. - Parguenne, aussi tu t'embarbouilles dans je ne sais combien de paroles qui ne sarvont de rian, et Monsieur pard la patience. C'est donc, ne vous en déplaise, que je voulons nous marier; et, comme ce dit l'autre, ce n'est pas le tout qu'un pourpoint, s'il n'y a des manches; c'est ce qui fait, si vous parmettez que je vous le disions en bref... Lélio. - Eh non, Jacqueline, dis-moi-le en long, tu auras plus tÎt fait. Jacqueline. - C'est que j'avons queuque espérance que vous nous baillerez queuque chose en entrée de ménage. Lélio. - Soit, je le veux; nous verrons cela une autre fois, et je ferai ce que je pourrai, pourvu que le parti te convienne. Laissez-moi. ScÚne IV Arlequin, Lélio, Pierre, Jacqueline Pierre, prenant Arlequin à l'écart. - Arlequin, par charité, recommandez-nous à Monsieur c'est que je nous aimons, Jacqueline et moi; je n'avons pas de grands moyens, et... Arlequin. - Tout beau, maÃtre Pierre; dis-moi, as-tu son coeur? Pierre. - Parguienne oui, à la parfin alle m'a lùché son amiquié. Arlequin. - Ah malheureux, que je te plains! voilà le caractÚre perfide qui va venir; je t'expliquerai cela plus au long une autre fois, mais tu le sentiras bien adieu, pauvre homme, je n'ai plus rien à te dire, ton mal est sans remÚde. Jacqueline. - Queu tripotage est-ce qu'il fait donc là , avec ce remÚde et ce caractÚre? Pierre. - Marguié, tous ces discours me chiffonnont malheur je varrons ce qui en est par un petit tour d'adresse. Allons-nous-en, Jacqueline, madame la comtesse fera mieux que nous. ScÚne V Lélio, Arlequin Arlequin, revenant à son maÃtre. - Monsieur, mon cher maÃtre, il y a une mauvaise nouvelle. Lélio. - Qu'est-ce que c'est? Arlequin. - Vous avez entendu parler de cette comtesse qui a acheté depuis un an cette belle maison prÚs de la vÎtre? Lélio. - Oui. Arlequin. - Eh bien, on m'a dit que cette comtesse est ici, et qu'elle veut vous parler j'ai mauvaise opinion de cela. Lélio. - Eh morbleu, toujours des femmes! Et que me veut-elle? Arlequin. - Je n'en sais rien; mais on dit qu'elle est belle et veuve, et je gage qu'elle est encline à faire du mal. Lélio. - Et moi enclin à l'éviter je ne me soucie ni de sa beauté, ni de son veuvage. Arlequin. - Que le ciel vous maintienne dans cette bonne disposition. Ouf! Lélio. - Qu'as-tu? Arlequin. - C'est qu'on dit qu'il y a aussi une fille de chambre avec elle, et voilà mes émotions de coeur qui me prennent. Lélio. - BenÃÂȘt! une femme te fait peur? Arlequin. - Hélas, Monsieur, j'espÚre en vous et en votre assistance. Lélio. - Je crois que les voilà qui se promÚnent, retirons-nous. Ils se retirent. ScÚne VI La Comtesse, Colombine, Arlequin La Comtesse, parlant de Lélio. - Voilà un jeune homme bien sauvage. Colombine, arrÃÂȘtant Arlequin. - Un petit mot, s'il vous plaÃt. Oserait-on vous demander d'oÃÂč vient cette férocité qui vous prend à vous et à votre maÃtre? Arlequin. - A cause d'un proverbe qui dit, que chat échaudé craint l'eau froide. La Comtesse. - Parle plus clairement. Pourquoi nous fuit-il? Arlequin. - C'est que nous savons ce qu'en vaut l'aune. Colombine. - Remarquez-vous qu'il n'ose nous regarder, Madame? Allons, allons, levez la tÃÂȘte, et rendez-nous compte de la sottise que vous venez de faire. Arlequin, la regardant doucement. - Par la jarni, qu'elle est jolie! La Comtesse. - Laisse-le là , je crois qu'il est imbécile. Colombine. - Et moi je crois que c'est malice. Parleras-tu? Arlequin. - C'est que mon maÃtre a fait voeu de fuir les femmes, parce qu'elles ne valent rien. Colombine. - Impertinent! Arlequin. - Ce n'est pas votre faute, c'est la nature qui vous a bùties comme cela, et moi j'ai fait voeu aussi. Nous avons souffert comme des misérables à cause de votre bel esprit, de vos jolis charmes, et de votre tendre coeur. Colombine. - Hélas! quelle lamentable histoire! Et comment te tireras-tu d'affaire avec moi? Je suis une espiÚgle, et j'ai envie de te rendre un peu misérable de ma façon. Arlequin. - Prrr! il n'y a pas pied. La Comtesse. - Va, mon ami, va dire à ton maÃtre que je me soucie fort peu des hommes, mais que je souhaiterais lui parler. Arlequin. - Je le vois là qui m'attend, je m'en vais l'appeler. Monsieur, Madame dit qu'elle ne se soucie point de vous vous n'avez qu'à venir, elle veut vous dire un mot. Ah! comme cela m'accrocherait, si je me laissais faire. ScÚne VII La Comtesse, Lélio, Colombine Lélio. - Madame, puis-je vous rendre quelque service? La Comtesse. - Monsieur, je vous demande pardon de la liberté que j'ai prise; mais il y a le neveu de mon fermier qui cherche en mariage une jeune paysanne de chez vous. Ils ont peur que vous ne consentiez pas à ce mariage ils m'ont priée de vous engager à les aider de quelque libéralité, comme de mon cÎté j'ai dessein de le faire. Voilà , Monsieur, tout ce que j'avais à vous dire quand vous vous ÃÂȘtes retiré. Lélio. - Madame, j'aurai tous les égards que mérite votre recommandation, et je vous prie de m'excuser si j'ai fui; mais je vous avoue que vous ÃÂȘtes d'un sexe avec qui j'ai cru devoir rompre pour toute ma vie cela vous paraÃtra bien bizarre; je ne chercherai point à me justifier; car il me reste un peu de politesse, et je craindrais d'entamer une matiÚre qui me met toujours de mauvaise humeur; et si je parlais, il pourrait, malgré moi, m'échapper des traits d'une incivilité qui vous déplairait, et que mon respect vous épargne. Colombine. - Mort de ma vie, Madame, est-ce que ce discours-là ne vous remue pas la bile? Allez, Monsieur, tous les renégats font mauvaise fin vous viendrez quelque jour crier miséricorde et ramper aux pieds de vos maÃtres, et ils vous écraseront comme un serpent. Il faut bien que justice se fasse. Lélio. - Si Madame n'était pas présente, je vous dirais franchement que je ne vous crains ni ne vous aime. La Comtesse. - Ne vous gÃÂȘnez point, Monsieur. Tout ce que nous disons ici ne s'adresse point à vous; regardons-nous comme hors d'intérÃÂȘt. Et sur ce pied-là , peut-on vous demander ce qui vous fùche si fort contre les femmes? Lélio. - Ah! Madame, dispensez-moi de vous le dire; c'est un récit que j'accompagne ordinairement de réflexions oÃÂč votre sexe ne trouve pas son compte. La Comtesse. - Je vous devine, c'est une infidélité qui vous a donné tant de colÚre. Lélio. - Oui, Madame, c'est une infidélité; mais affreuse, mais détestable. La Comtesse. - N'allons point si vite. Votre maÃtresse cessa-t-elle de vous aimer pour en aimer un autre? Lélio. - En doutez-vous, Madame? La simple infidélité serait insipide et ne tenterait pas une femme sans l'assaisonnement de la perfidie. La Comtesse. - Quoi! vous eûtes un successeur? Elle en aima un autre? Lélio. - Oui, Madame. Comment, cela vous étonne? Voilà pourtant les femmes, et ces actions doivent vous mettre en pays de connaissance. Colombine. - Le petit blasphémateur! La Comtesse. - Oui, votre maÃtresse est une indigne, et l'on ne saurait trop la mépriser. Colombine. - D'accord, qu'il la méprise, il n'y a pas à tortiller c'est une coquine celle-là . La Comtesse. - J'ai cru d'abord, moi, qu'elle n'avait fait que se dégoûter de vous, et de l'amour, et je lui pardonnais en faveur de cela la sottise qu'elle avait eue de vous aimer. Quand je dis vous, je parle des hommes en général. Colombine. - Prenez, prenez toujours cela en attendant mieux. Lélio. - Comment, Madame, ce n'est donc rien, à votre compte, que de cesser sans raison d'avoir de la tendresse pour un homme? La Comtesse. - C'est beaucoup, au contraire; cesser d'avoir de l'amour pour un homme, c'est à mon compte connaÃtre sa faute, s'en repentir, en avoir honte, sentir la misÚre de l'idole qu'on adorait, et rentrer dans le respect qu'une femme se doit à elle-mÃÂȘme. J'ai bien vu que nous ne nous entendions point si votre maÃtresse n'avait fait que renoncer à son attachement ridicule, eh! il n'y aurait rien de plus louable; mais ne faire que changer d'objet, ne guérir d'une folie que par une extravagance, eh fi! Je suis de votre sentiment, cette femme-là est tout à fait méprisable. Amant pour amant, il valait autant que vous déshonorassiez sa raison qu'un autre. Lélio. - Je vous avoue que je ne m'attendais pas à cette chute-là . Colombine. - Ah, ah, ah, il faudrait bien des conversations comme celle-là pour en faire une raisonnable. Courage, Monsieur, vous voilà tout déferré décochez-lui-moi quelque trait bien hétéroclite, qui sente bien l'original. Eh! vous avez fait des merveilles d'abord. Lélio. - C'est assurément mettre les hommes bien bas, que de les juger indignes de la tendresse d'une femme l'idée est neuve. Colombine. - Elle ne fera pas fortune chez vous. Lélio. - On voit bien que vous ÃÂȘtes fùchée, Madame. La Comtesse. - Moi, Monsieur! Je n'ai point à me plaindre des hommes; je ne les hais point non plus. Hélas, la pauvre espÚce! elle est, pour qui l'examine, encore plus comique que haïssable. Colombine. - Oui-da, je crois que nous trouverons plus de ressource à nous en divertir, qu'à nous fùcher contre elle. Lélio. - Mais, qu'a-t-elle donc de si comique? La Comtesse. - Ce qu'elle a de comique? Mais y songez-vous, Monsieur? Vous ÃÂȘtes bien curieux d'ÃÂȘtre humilié dans vos confrÚres. Si je parlais, vous seriez tout étonné de vous trouver de cent piques au-dessous de nous. Vous demandez ce que votre espÚce a de comique, qui, pour se mettre à son aise, a eu besoin de se réserver un privilÚge d'indiscrétion, d'impertinence et de fatuité; qui suffoquerait si elle n'était babillarde, si sa misérable vanité n'avait pas ses coudées franches; s'il ne lui était pas permis de déshonorer un sexe qu'elle ose mépriser pour les mÃÂȘmes choses dont l'indigne qu'elle est fait sa gloire. Oh! l'admirable engeance qui a trouvé la raison et la vertu des fardeaux trop pesants pour elle, et qui nous a chargées du soin de les porter ne voilà -t-il pas de beaux titres de supériorité sur nous? et de pareilles gens ne sont-ils pas risibles! Fiez-vous à moi, Monsieur, vous ne connaissez pas votre misÚre, j'oserai vous le dire vous voilà bien irrité contre les femmes; je suis peut-ÃÂȘtre, moi, la moins aimable de toutes. Tout hérissé de rancune que vous croyez ÃÂȘtre, moyennant deux ou trois coups d'oeil flatteurs qu'il m'en coûterait, grùce à la tournure grotesque de l'esprit de l'homme, vous m'allez donner la comédie. Lélio. - Oh! je vous défie de me faire payer ce tribut de folie-là . Colombine. - Ma foi, Madame, cette expérience-là vous porterait malheur. Lélio. - Ah, ah, cela est plaisant! Madame, peu de femmes sont aussi aimables que vous, vous l'ÃÂȘtes tout autant que je suis sûr que vous croyez l'ÃÂȘtre; mais s'il n'y a que la comédie dont vous parlez qui puisse vous réjouir, en ma conscience, vous ne rirez de votre vie. Colombine. - En ma conscience, vous me la donnez tous les deux, la comédie. Cependant, si j'étais à la place de Madame, le défi me piquerait, et je ne voudrais pas en avoir le démenti. La Comtesse. - Non, la partie ne me pique point, je la tiens gagnée. Mais comme à la campagne il faut voir quelqu'un, soyons amis pendant que nous y resterons; je vous promets sûreté nous nous divertirons, vous à médire des femmes, et moi à mépriser les hommes. Lélio. - Volontiers. Colombine. - Le joli commerce! on n'a qu'à vous en croire; les hommes tireront à l'orient, les femmes à l'occident; cela fera de belles productions, et nos petits-neveux auront bon air. Eh morbleu! pourquoi prÃÂȘcher la fin du monde? Cela coupe la gorge à tout soyons raisonnables; condamnez les amants déloyaux, les conteurs de sornettes, à ÃÂȘtre jetés dans la riviÚre une pierre au col; à merveille. Enfermez les coquettes entre quatre murailles, fort bien. Mais les amants fidÚles, dressez-leur de belles et bonnes statues pour encourager le public. Vous riez! Adieu, pauvres brebis égarées; pour moi, je vais travailler à la conversion d'Arlequin. A votre égard, que le ciel vous assiste, mais il serait curieux de vous voir chanter la palinodie, je vous y attends. La Comtesse. - La folle! Je vous quitte, Monsieur; j'ai quelque ordre à donner n'oubliez pas, de grùce, ma recommandation pour ces paysans. ScÚne VIII Le Baron, ami de Lélio, La Comtesse, Lélio Le Baron. - Ne me trompé-je point? Est-ce vous que je vois, madame la Comtesse? La Comtesse. - Oui, Monsieur, c'est moi-mÃÂȘme. Le Baron. - Quoi! avec notre ami Lélio! Cela se peut-il? La Comtesse. - Que trouvez-vous donc là de si étrange? Lélio. - Je n'ai l'honneur de connaÃtre Madame que depuis un instant. Et d'oÃÂč vient ta surprise? Le Baron. - Comment, ma surprise! voici peut-ÃÂȘtre le coup de hasard le plus bizarre qui soit arrivé. Lélio. - En quoi? Le Baron. - En quoi? Morbleu, je n'en saurais revenir; c'est le fait le plus curieux qu'on puisse imaginer dÚs que je serai à Paris, oÃÂč je vais, je le ferai mettre dans la gazette. Lélio. - Mais, que veux-tu dire? Le Baron. - Songez-vous à tous les millions de femmes qu'il y a dans le monde, au couchant, au levant, au septentrion, au midi, Européennes, Asiatiques, Africaines, Américaines, blanches, noires, basanées, de toutes les couleurs? Nos propres expériences, et les relations de nos voyageurs, nous apprennent que partout la femme est amie de l'homme, que la nature l'a pourvue de bonne volonté pour lui; la nature n'a manqué que Madame, le soleil n'éclaire qu'elle chez qui notre espÚce n'ait point rencontré grùce, et cette seule exception de la loi générale se rencontre avec un personnage unique, je te le dis en ami; avec-un homme qui nous a donné l'exemple d'un fanatisme tout neuf; qui seul de tous les hommes n'a pu s'accoutumer aux coquettes qui fourmillent sur la terre, et qui sont aussi anciennes que le monde; enfin qui s'est condamné à venir ici languir de chagrin de ne plus voir de femmes, en expiation du crime qu'il a fait quand il en a vu. Oh! je ne sache point d'aventure qui aille de pair avec la vÎtre. Lélio, riant. - Ah! ah! je te pardonne toutes tes injures en faveur de ces coquettes qui fourmillent sur la terre, et qui sont aussi anciennes que le monde. La Comtesse, riant. - Pour moi, je me sais bon gré que la nature m'ait manquée, et je me passerai bien de la façon qu'elle aurait pu me donner de plus; c'est autant de sauvé, c'est un ridicule de moins. Le Baron, sérieusement. - Madame, n'appelez point cette faiblesse-là ridicule; ménageons les termes il peut venir un jour oÃÂč vous serez bien aise de lui trouver une épithÚte plus honnÃÂȘte. La Comtesse. - Oui, si l'esprit me tourne. Le Baron. - Eh bien, il vous tournera c'est si peu de chose que l'esprit! AprÚs tout, il n'est pas encore sûr que la nature vous ait absolument manquée. Hélas! peut-ÃÂȘtre jouez-vous de votre reste aujourd'hui. Combien voyons-nous de choses qui sont d'abord merveilleuses, et qui finissent par faire rire! Je suis un homme à pronostic voulez-vous que je vous dise; tenez, je crois que votre merveilleux est à fin de terme. Lélio. - Cela se peut bien, Madame, cela se peut bien; les fous sont quelquefois inspirés. La Comtesse. - Vous vous trompez, Monsieur, vous vous trompez. Le Baron, à Lélio. - Mais, toi qui raisonnes, as-tu lu l'histoire romaine? Lélio. - Oui, qu'en veux-tu faire, de ton histoire romaine? Le Baron. - Te souviens-tu qu'un ambassadeur romain enferma Antiochus dans un cercle qu'il traça autour de lui, et lui déclara la guerre s'il en sortait avant qu'il eût répondu à sa demande? Lélio. - Oui, je m'en ressouviens. Le Baron. - Tiens, mon enfant, moi indigne, je te fais un cercle à l'imitation de ce Romain, et sous peine des vengeances de l'Amour, qui vaut bien la république de Rome, je t'ordonne de n'en sortir que soupirant pour les beautés de Madame; voyons si tu oseras broncher. Lélio passe le cercle. - Tiens, je suis hors du cercle, voilà ma réponse va-t'en la porter à ton benÃÂȘt d'Amour. La Comtesse. - Monsieur le Baron, je vous prie, badinez tant qu'il vous plaira, mais ne me mettez point en jeu. Le Baron. - Je ne badine point, Madame, je vous le cautionne garrotté à votre char; il vous aime de ce moment-ci, il a obéi. La peste, vous ne le verriez pas hors du cercle; il avait plus de peur qu'Antiochus. Lélio, riant. - Madame, vous pouvez me donner des rivaux tant qu'il vous plaira, mon amour n'est point jaloux. La Comtesse, embarrassée. - Messieurs, j'entends volontiers raillerie, mais finissons-la pourtant. Le Baron. - Vous montrez là certaine impatience qui pourra venir à bien faisons-la profiter par un petit tour de cercle. Il l'enferme aussi. La Comtesse, sortant du cercle. - Laissez-moi, qu'est-ce que cela signifie? Baron, ne lisez jamais d'histoire, puisqu'elle ne vous apprend que des polissonneries. Lélio rit. Le Baron. - Je vous demande pardon, mais vous aimerez, s'il vous plaÃt, Madame. Lélio est mon ami, et je ne veux point lui donner de maÃtresse insensible. La Comtesse, sérieusement. - Cherchez-lui donc une maÃtresse ailleurs, car il trouverait fort mal son compte ici. Lélio. - Madame, je sais le peu que je vaux, on peut se dispenser de me l'apprendre; aprÚs tout, votre antipathie ne me fait point trembler. Le Baron. - Bon, voilà de l'amour qui prélude par du dépit. La Comtesse, à Lélio. - Vous seriez fort à plaindre, Monsieur, si mes sentiments ne vous étaient indifférents. Le Baron. - Ah le beau duo! Vous ne savez pas encore combien il est tendre. La Comtesse, s'en allant doucement. - En vérité, vos folies me poussent à bout, Baron. Le Baron. - Oh, Madame, nous aurons l'honneur, Lélio et moi, de vous reconduire jusque chez vous. ScÚne IX Le Baron, La Comtesse, Lélio, Colombine Colombine, arrivant. Bonjour, Monsieur le Baron. Comme vous voilà rouge, Madame. Monsieur Lélio est tout je ne sais comment aussi il a l'air d'un homme qui veut ÃÂȘtre fier, et qui ne peut pas l'ÃÂȘtre. Qu'avez-vous donc tous deux? La Comtesse, sortant. - L'étourdie! Le Baron. - Laissez-les là , Colombine, ils sont de méchante humeur; ils viennent de se faire une déclaration d'amour l'un à l'autre, et le tout en se fùchant. ScÚne X Colombine, Arlequin, avec un équipage de chasseur. Colombine, qui a écouté un peu leur conversation. - Je vois bien qu'ils nous apprÃÂȘteront à rire. Mais oÃÂč est Arlequin? Je veux qu'il m'amuse ici. J'entends quelqu'un, ne serait-ce pas lui? Arlequin. - Ouf, ce gibier-là mÚne un chasseur trop loin je me perdrais, tournons d'un autre cÎté... Allons donc... Euh! me voilà justement sur le chemin du tigre, maudits soient l'argent, l'or et les perles! Colombine. - Quelle heure est-il, Arlequin? Arlequin. - Ah! la fine mouche je vois bien que tu cherches midi à quatorze heures. Passez, passez votre chemin, ma mie. Colombine. - Il ne me plaÃt pas, moi passe-le toi-mÃÂȘme. Arlequin. - Oh pardi, à bon chat bon rat, je veux rester ici. Colombine. - Eh le fou, qui perd l'esprit en voyant une femme! Arlequin. - Va-t'en, va-t'en demander ton portrait à mon maÃtre, il te le donnera pour rien tu verras si tu n'es pas une vipÚre. Colombine. - Ton maÃtre est un visionnaire, qui te fait faire pénitence de ses sottises. Dans le fond tu me fais pitié; c'est dommage qu'un jeune homme comme toi, assez bien fait et bon enfant, car tu es sans malice... Arlequin. - Je n'en ai non plus qu'un poulet. Colombine. - C'est dommage qu'il consume sa jeunesse dans la langueur et la souffrance; car, dis la vérité, tu t'ennuies ici, tu pùtis? Arlequin. - Oh! cela n'est pas croyable. Colombine. - Et pourquoi, nigaud, mener une pareille vie? Arlequin. - Pour ne point tomber dans vos pattes, race de chats que vous ÃÂȘtes; si vous étiez de bonnes gens, nous ne serions pas venus nous rendre ermites. Il n'y a plus de bon temps pour moi, et c'est vous qui en ÃÂȘtes la cause; et malgré tout cela, il ne s'en faut de rien que je ne t'aime. La sotte chose que le coeur de l'homme! Colombine. - Cet original qui dispute contre son coeur comme un honnÃÂȘte homme. Arlequin. - N'as-tu pas de honte d'ÃÂȘtre si jolie et si traÃtresse? Colombine. - Comme si on devait rougir de ses bonnes qualités! Au revoir, nigaud; tu me fuis, mais cela ne durera pas. Acte II ScÚne premiÚre Colombine, La Comtesse, Colombine, en regardant sa montre. - Cela est singulier! La Comtesse. - Quoi? Colombine. - Je trouve qu'il y a un quart d'heure que nous nous promenons sans rien dire entre deux femmes, cela ne laisse pas d'ÃÂȘtre fort. Sommes-nous bien dans notre état naturel? La Comtesse. - Je ne sache rien d'extraordinaire en moi. Colombine. - Vous voilà pourtant bien rÃÂȘveuse. La Comtesse. - C'est que je songe à une chose. Colombine. - Voyons ce que c'est; suivant l'espÚce de la chose, je ferai l'estime de votre silence. La Comtesse. - C'est que je songe qu'il n'est pas nécessaire que je voie si souvent Lélio. Colombine. - Hum, il y a du Lélio votre taciturnité n'est pas si belle que je le pensais. La mienne, à vous dire le vrai, n'est pas plus méritoire. Je me taisais à peu prÚs dans le mÃÂȘme goût; je ne rÃÂȘve pas à Lélio, mais je suis autour de cela, je rÃÂȘve au valet. La Comtesse. - Mais que veux-tu dire? Quel mal y a-t-il à penser à ce que je pense? Colombine. - Oh! pour du mal, il n'y en a pas; mais je croyais que vous ne disiez mot par pure paresse de langue, et je trouvais cela beau dans une femme; car on prétend que cela est rare. Mais pourquoi jugez-vous qu'il n'est pas nécessaire que vous voyiez si souvent Lélio? La Comtesse. - Je n'ai d'autres raisons pour lui parler que le mariage de ces jeunes gens il ne m'a point dit ce qu'il veut donner à la fille; je suis bien aise que le neveu de mon fermier trouve quelque avantage; mais sans nous parler, Lélio peut me faire savoir ses intentions, et je puis le faire informer des miennes. Colombine. - L'imagination de cela est tout à fait plaisante. La Comtesse. - Ne vas-tu pas faire un commentaire là -dessus? Colombine. - Comment? il n'y a pas de commentaire à cela. Malepeste, c'est un joli trait d'esprit que cette invention-là . Le chemin de tout le monde, quand on a affaire aux gens, c'est d'aller leur parler; mais cela n'est pas commode. Le plus court est de l'entretenir de loin; vraiment on s'entend bien mieux lui parlerez-vous avec une sarbacane, ou par procureur? La Comtesse. - Mademoiselle Colombine, vos fades railleries ne me plaisent point du tout; je vois bien les petites idées que vous avez dans l'esprit. Colombine. - Je me doute, moi, que vous ne vous doutez pas des vÎtres, mais cela viendra. La Comtesse. - Taisez-vous. Colombine. - Mais aussi de quoi vous avisez-vous, de prendre un si grand tour pour parler à un homme? Monsieur, soyons amis tant que nous resterons ici; nous nous amuserons, vous à médire des femmes, moi à mépriser les hommes, voilà ce que vous lui avez dit tantÎt. Est-ce que l'amusement que vous avez choisi ne vous plaÃt plus? La Comtesse. - Il me plaira toujours; mais j'ai songé que je mettrai Lélio plus à son aise en ne le voyant plus. D'ailleurs la conversation que nous avons eue tantÎt ensemble, jointe aux plaisanteries que le Baron a continué de faire chez moi, pourraient donner matiÚre à de nouvelles scÚnes que je suis bien aise d'éviter tiens, prends ce billet. Colombine. - Pour qui? La Comtesse. - Pour Lélio. C'est de cette paysanne dont il s'agit; je lui demande réponse. Colombine. - Un billet à monsieur Lélio, exprÚs pour ne point donner matiÚre à la plaisanterie! Mais voilà des précautions d'un jugement!... La Comtesse. - Fais ce que je te dis. Colombine. - Madame, c'est une maladie qui commence votre coeur en est à son premier accÚs de fiÚvre. Tenez, le billet n'est plus nécessaire, je vois Lélio qui s'approche. La Comtesse. - Je me retire, faites votre commission. ScÚne II Lélio, Arlequin, Colombine Lélio. - Pourquoi donc madame la Comtesse se retire-t-elle en me voyant? Colombine, présentant le billet. - Monsieur... ma maÃtresse a jugé à propos de réduire sa conversation dans ce billet. A la campagne on a l'esprit ingénieux. Lélio. - Je ne vois pas la finesse qu'il peut y avoir à me laisser là , quand j'arrive, pour m'entretenir dans des papiers. J'allais prendre des mesures avec elle pour nos paysans; mais voyons ses raisons. Arlequin. - Je vous conseille de lui répondre sur une carte, cela sera bien aussi drÎle. Lélio lit. - Monsieur, depuis que nous nous sommes quittés, j'ai fait réflexion qu'il était assez inutile de nous voir. Oh! trÚs inutile; je l'ai pensé de mÃÂȘme. Je prévois que cela vous gÃÂȘnerait; et moi, à qui il n'ennuie pas d'ÃÂȘtre seule, je serais fùchée de vous contraindre. Vous avez raison, Madame; je vous remercie de votre attention. Vous savez la priÚre que je vous ai faite tantÎt au sujet du mariage de nos jeunes gens; je vous prie de vouloir bien me marquer là -dessus quelque chose de positif. Volontiers, Madame, vous n'attendrez point. Voilà la femme du caractÚre le plus passable que j'aie vue de ma vie; si j'étais capable d'en aimer quelqu'une, ce serait elle. Arlequin. - Par la morbleu, j'ai peur que ce tour-là ne vous joue d'un mauvais tour. Lélio. - Oh non; l'éloignement qu'elle a pour moi me donne en vérité beaucoup d'estime pour elle; cela est dans mon goût je suis ravi que la proposition vienne d'elle, elle m'épargne, à moi, la peine de la lui faire. Arlequin. - Pour cela oui, notre dessein était de lui dire que nous ne voulions plus d'elle. Colombine. - Quoi! ni de moi non plus? Arlequin. - Oh! je suis honnÃÂȘte; je ne veux point dire aux gens des injures à leur nez. Colombine. - Eh bien, Monsieur, faites-vous réponse? Lélio. - Oui, ma chÚre enfant, j'y cours; vous pouvez lui dire, puisqu'elle choisit le papier pour le champ de bataille de nos conversations, que j'en ai prÚs d'une rame chez moi, et que le terrain ne me manquera de longtemps. Arlequin. - Eh! eh! eh! nous verrons à qui aura le dernier. Colombine. - Vous ÃÂȘtes distrait, Monsieur, vous me dites que vous courez faire réponse, et vous voilà encore. Lélio. - J'ai tort, j'oublie les choses d'un moment à l'autre. Attendez là un moment. Colombine, l'arrÃÂȘtant. - C'est-à -dire que vous ÃÂȘtes bien charmé du parti que prend ma maÃtresse? Arlequin. - Pardi, cela est admirable! Lélio. - Oui, assurément cela me fera plaisir. Colombine. - Cela se passera, allez. Lélio. - Il faut bien que cela se passe. Arlequin. - Emmenez-moi avec vous; car je ne me fie point à elle. Colombine. - Oh! je n'attendrai point, si je suis seule je veux causer. Lélio. - Fais-lui l'honnÃÂȘteté de rester avec elle, je vais revenir. ScÚne III Arlequin, Colombine Arlequin. - J'ai bien affaire, moi, d'ÃÂȘtre honnÃÂȘte à mes dépens. Colombine. - Et que crains-tu? Tu ne m'aimes point, tu ne veux point m'aimer. Arlequin. - Non, je ne veux point t'aimer; mais je n'ai que faire de prendre la peine de m'empÃÂȘcher de le vouloir. Colombine. - Tu m'aimerais donc, si tu ne t'en empÃÂȘchais? Arlequin. - Laissez-moi en repos, mademoiselle Colombine; promenez-vous d'un cÎté, et moi d'un autre; sinon, je m'enfuirai, car je réponds tout de travers. Colombine. - Puisqu'on ne peut avoir l'honneur de ta compagnie qu'à ce prix-là , je le veux bien, promenons-nous. Et puis à part et en se promenant, comme Arlequin fait de son cÎté. Tout en badinant cependant, me voilà dans la fantaisie d'ÃÂȘtre aimée de ce petit corps-là . Arlequin, déconcerté, et se promenant de son cÎté. - C'est une malédiction que cet amour il m'a tourmenté quand j'en avais, et il me fait encore du mal à cette heure que je n'en veux point. Il faut prendre patience et faire bonne mine. Il chante. Turlu, turluton. Colombine, le rencontrant sur le théùtre, et s'arrÃÂȘtant. - Mais vraiment, tu as la voix belle sais-tu la musique? Arlequin, s'arrÃÂȘtant aussi. - Oui, je commence à lire les paroles. Il chante. Tourleroutoutou. Colombine, continuant de se promener. - Peste soit du petit coquin! Sérieusement je crois qu'il me pique. Arlequin, de son cÎté. - Elle me regarde, elle voit bien que je fais semblant de ne pas songer à elle. Colombine. - Arlequin? Arlequin. - Hom. Colombine. - Je commence à me lasser de la promenade. Arlequin. - Cela se peut bien. Colombine. - Comment te va le coeur? Arlequin. - Ah! je ne prends pas garde à cela. Colombine. - Gageons que tu m'aimes? Arlequin. - Je ne gage jamais, je suis trop malheureux, je perds toujours. Colombine, allant à lui. - Oh! tu m'ennuies, je veux que tu me dises franchement que tu m'aimes. Arlequin. - Encore un petit tour de promenade. Colombine. - Non, parle, ou je te hais. Arlequin. - Et que t'ai-je fait pour me haïr? Colombine. - Savez-vous bien, monsieur le butor, que je vous trouve à mon gré, et qu'il faut que vous soupiriez pour moi? Arlequin. - Je te plais donc? Colombine. - Oui; ta petite figure me revient assez. Arlequin. - Je suis perdu, j'étouffe, adieu ma mie, sauve qui peut... Ah! Monsieur, vous voilà ? ScÚne IV Lélio, Arlequin, Colombine Lélio. - Qu'as-tu donc? Arlequin. - Hélas! c'est ce lutin-là qui me prend à la gorge elle veut que je l'aime. Lélio. - Et ne saurais-tu lui dire que tu ne veux pas? Arlequin. - Vous en parlez bien à votre aise elle a la malice de me dire qu'elle me haïra. Colombine. - J'ai entrepris la guérison de sa folie, il faut que j'en vienne à bout. Va, va, c'est partie à remettre. Arlequin. - Voyez la belle guérison; je suis de la moitié plus fou que je n'étais. Lélio. - Bon courage, Arlequin. Tenez, Colombine, voilà la réponse au billet de votre maÃtresse. Colombine. - Monsieur, ne l'avez-vous pas faite un peu trop fiÚre? Lélio. - Eh! pourquoi la ferais-je fiÚre? Je la fais indifférente. Ai-je quelque intérÃÂȘt de la faire autrement? Colombine. - Ecoutez, je vous parle en amie. Les plus courtes folies sont les meilleures l'homme est faible; tous les philosophes du temps passé nous l'ont dit, et je m'en fie bien à eux. Vous vous croyez leste et gaillard, vous n'ÃÂȘtes point cela; ce que vous ÃÂȘtes est caché derriÚre tout cela si j'avais besoin d'indifférence et qu'on en vendÃt, je ne ferais pas emplette de la vÎtre, j'ai bien peur que ce ne soit une drogue de charlatan, car on dit que l'Amour en est un, et franchement vous m'avez tout l'air d'avoir pris de son mithridate. Vous vous agitez, vous allez et venez, vous riez du bout des dents, vous ÃÂȘtes sérieux tout de bon; tout autant de symptÎmes d'une indifférence amoureuse. Lélio. - Et laissez-moi, Colombine, ce discours-là m'ennuie. Colombine. - Je pars; mais mon avis est que vous avez la vue trouble attendez qu'elle s'éclaircisse, vous verrez mieux votre chemin; n'allez pas vous jeter dans quelque orniÚre, vous embourber dans quelque pas. Quand vous soupirerez, vous serez bien aise de trouver un écho qui vous réponde n'en dites rien, ma maÃtresse est étourdie du bateau; la bonne dame bataille, et c'est autant de battu. Motus, Monsieur. Je suis votre servante. Elle s'en va. ScÚne V Lélio, Arlequin Lélio. - Ah! ah! ah! cela ne te fait-il pas rire? Arlequin. - Non. Lélio. - Cette folle, qui me vient dire qu'elle croit que sa maÃtresse s'humanise, elle qui me fuit, et qui me fuit, et qui me fuit moi présent! Oh! parbleu, madame la Comtesse, vos maniÚres sont tout à fait de mon goût, je les trouve pourtant un peu sauvages; car enfin, l'on n'écrit pas à un homme de qui l'on n'a pas à se plaindre Je ne veux plus vous voir, vous me fatiguez, vous m'ÃÂȘtes insupportable. Et voilà le sens du billet, tout mitigé qu'il est. Oh! la vérité est que je ne croyais pas ÃÂȘtre si haïssable. Qu'en dis-tu, Arlequin? Arlequin. - Eh! Monsieur, chacun a son goût. Lélio. - Parbleu, je suis content de la réponse que j'ai faite au billet et de l'air dont je l'ai reçu mais trÚs content. Arlequin. - Cela ne vaut pas la peine d'ÃÂȘtre si content, à moins qu'on ne soit fùché. Tenez-vous ferme, mon cher maÃtre; car si vous tombez, me voilà à bas. Lélio. - Moi, tomber? Je pars dÚs demain pour Paris voilà comme je tombe. Arlequin. - Ce voyage-là pourrait bien ÃÂȘtre une culbute à gauche, au lieu d'une culbute à droite. Lélio. - Point du tout, cette femme croirait peut-ÃÂȘtre que je serais sensible à son amour, et je veux la laisser là pour lui prouver que non. Arlequin. - Que ferai-je donc, moi? Lélio. - Tu me suivras. Arlequin. - Mais je n'ai rien à prouver à Colombine. Lélio. - Bon, ta Colombine! il s'agit bien de Colombine Veux-tu encore aimer, dis? Ne te souvient-il plus de ce que c'est qu'une femme? Arlequin. - Je n'ai non plus de mémoire qu'un liÚvre, quand je vois cette fille-là . Lélio, avec distraction. - Il faut avouer que les bizarreries de l'esprit d'une femme sont des piÚges bien finement dressés contre nous! Arlequin. - Dites-moi, Monsieur, j'ai fait un gros serment de n'ÃÂȘtre plus amoureux; mais si Colombine m'ensorcelle, je n'ai pas mis cet article dans mon marché mon serment ne vaudra rien, n'est-ce pas? Lélio, distrait. - Nous verrons. Ce qui m'arrive avec la comtesse ne suffirait-il pas pour jeter des étincelles de passion dans le coeur d'un autre? Oh! sans l'inimitié que j'ai vouée à l'amour, j'extravaguerais actuellement, peut-ÃÂȘtre je sens bien qu'il ne m'en faudrait pas davantage, je serais piqué, j'aimerais Cela irait tout de suite. Arlequin. - J'ai toujours entendu dire Il a du coeur comme un César; mais si ce César était à ma place, il serait bien sot. Lélio, continuant. - Le hasard me fit connaÃtre une femme qui hait l'amour; nous lions cependant commerce d'amitié, qui doit durer pendant notre séjour ici je la conduis chez elle, nous nous quittons en bonne intelligence; nous avons à nous revoir; je viens la trouver indifféremment; je ne songe non plus à l'amour qu'à m'aller noyer, j'ai vu sans danger les charmes de sa personne voilà qui est fini, ce semble. Point du tout, cela n'est pas fini; j'ai maintenant affaire à des caprices, à des fantaisies; équipages d'esprit que toute femme apporte en naissant madame la comtesse se met à rÃÂȘver, et l'idée qu'elle imagine en se jouant serait la ruine de mon repos, si j'étais capable d'y ÃÂȘtre sensible. Arlequin. - Mon cher maÃtre, je crois qu'il faudra que je saute le bùton. Lélio. - Un billet m'arrÃÂȘte en chemin, billet diabolique, empoisonné, oÃÂč l'on écrit que l'on ne veut plus me voir, que ce n'est pas la peine. M'écrire cela à moi, qui suis en pleine sécurité, qui n'ai rien fait à cette femme s'attend-on à cela? Si je ne prends garde à moi, si je raisonne à l'ordinaire, qu'en arrivera-t-il? Je serai étonné, déconcerté; premier degré de folie, car je vois cela tout comme si j'y étais. AprÚs quoi, l'amour-propre s'en mÃÂȘle; je me croirais méprisé, parce qu'on s'estime un peu; je m'aviserai d'ÃÂȘtre choqué; me voilà fou complet. Deux jours aprÚs, c'est de l'amour qui se déclare; d'oÃÂč vient-il? pourquoi vient-il? D'une petite fantaisie magique qui prend à une femme; et qui plus est, ce n'est pas sa faute à elle la nature a mis du poison pour nous dans toutes ses idées; son esprit ne peut se retourner qu'à notre dommage, sa vocation est de nous mettre en démence elle fait sa charge involontairement. Ah! que je suis heureux, dans cette occasion, d'ÃÂȘtre à l'abri de tous ces périls! Le voilà , ce billet insultant, malhonnÃÂȘte; mais cette réflexion-là me met de mauvaise humeur; les mauvais procédés m'ont toujours déplu, et le vÎtre est un des plus déplaisants, madame la Comtesse; je suis bien fùché de ne l'avoir pas rendu à Colombine. Arlequin, entendant nommer sa maÃtresse. - Monsieur, ne me parlez plus d'elle; car, voyez-vous, j'ai dans mon esprit qu'elle est amoureuse, et j'enrage. Lélio. - Amoureuse! elle amoureuse? Arlequin. - Oui, je la voyais tantÎt qui badinait, qui ne savait que dire; elle tournait autour du pot, je crois mÃÂȘme qu'elle a tapé du pied; tout cela est signe d'amour, tout cela mÚne un homme à mal. Lélio. - Si je m'imaginais que ce que tu dis fût vrai, nous partirions tout à l'heure pour Constantinople. Arlequin. - Eh! mon maÃtre, ce n'est pas la peine que vous fassiez ce chemin-là pour moi; je ne mérite pas cela, et il vaut mieux que j'aime que de vous coûter tant de dépense. Lélio. - Plus j'y rÃÂȘve, et plus je vois qu'il faut que tu sois fou pour me dire que je lui plais, aprÚs son billet et son procédé. Arlequin. - Son billet! De qui parlez-vous? Lélio. - D'elle. Arlequin. - Eh bien, ce billet n'est pas d'elle. Lélio. - Il ne vient pas d'elle? Arlequin. - Pardi non, c'est de la comtesse. Lélio. - Eh! de qui diantre me parles-tu donc, butor? Arlequin. - Moi? de Colombine ce n'était donc pas à cause d'elle que vous vouliez me mener à Constantinople? Lélio. - Peste soit de l'animal, avec son galimatias! Arlequin. - Je croyais que c'était pour moi que vous vouliez voyager. Lélio. - Oh! qu'il ne t'arrive plus de faire de ces méprises-là ; car j'étais certain que tu n'avais rien remarqué pour moi dans la comtesse. Arlequin. - Si fait, j'ai remarqué qu'elle vous aimera bientÎt. Lélio. - Tu rÃÂȘves. Arlequin. - Et je remarque que vous l'aimerez aussi. Lélio. - Moi, l'aimer! moi, l'aimer! Tiens, tu me feras plaisir de savoir adroitement de Colombine les dispositions oÃÂč elle se trouve; car je veux savoir à quoi m'en tenir et si, contre toute apparence, il se trouvait dans son coeur une ombre de penchant pour moi, vite à cheval je pars. Arlequin. - Bon! et vous partez demain pour Paris! Lélio. - Qu'est-ce qui t'a dit cela? Arlequin. - Vous il n'y a qu'un moment; mais c'est que la mémoire vous faille, comme à moi. Voulez-vous que je vous dise, il est bien aisé de voir que le coeur vous démange; vous parlez tout seul, vous faites des discours qui ont dix lieues de long; vous voulez vous en aller en Turquie, vous mettez vos bottes, vous les Îtez, vous partez, vous restez, et puis du noir, et puis du blanc. Pardi, quand on ne sait ni ce qu'on dit ni ce qu'on fait, ce n'est pas pour des prunes. Et moi, que ferai-je aprÚs? Quand je vois mon maÃtre qui perd l'esprit, le mien s'en va de compagnie. Lélio. - Je te dis qu'il ne me reste plus qu'une simple curiosité, c'est de savoir s'il ne se passerait pas quelque chose dans le coeur de la comtesse, et je donnerais tout à l'heure cent écus pour avoir soupçonné juste. Tùchons de le savoir. Arlequin. - Mais encore une fois, je vous dis que Colombine m'attrapera, je le sens bien. Lélio. - Ecoute; aprÚs tout, mon pauvre Arlequin, si tu te fais tant de violence pour ne pas aimer cette fille-là , je ne t'ai jamais conseillé l'impossible. Arlequin. - Par la mardi, vous parlez d'or, vous m'Îtez plus de cent pesant de dessus le corps, et vous prenez bien la chose. Franchement, Monsieur, la femme est un peu vaurienne, mais elle a du bon entre nous, je la crois plus ratiÚre que malicieuse. Je m'en vais tùcher de rencontrer Colombine, et je ferai votre affaire je ne veux pas l'aimer; mais si j'ai tant de peine à me retenir, adieu panier, je me laisserai aller. Si vous m'en croyez, vous ferez de mÃÂȘme. Etre amoureux et ne l'ÃÂȘtre pas, ma foi, je donnerai le choix pour un liard. C'est misÚre j'aime mieux la misÚre gaillarde que la misÚre triste. Adieu, je vais travailler pour vous. Lélio. - Attends tiens, ce n'est pas la peine que tu y ailles. Arlequin. - Pourquoi? Lélio. - C'est que ce que je pourrais apprendre ne me servirait de rien. Si elle m'aime, que m'importe? Si elle ne m'aime pas, je n'ai pas besoin de le savoir; ainsi, je ferai mieux de rester comme je suis. Arlequin. - Monsieur, si je deviens amoureux, je veux avoir la consolation que vous le soyez aussi, afin qu'on dise toujours tel valet, tel maÃtre. Je ne m'embarrasse pas d'ÃÂȘtre un ridicule, pourvu que je vous ressemble. Si la comtesse vous aime, je viendrai vitement vous le dire, afin que cela vous achÚve par bonheur que vous ÃÂȘtes déjà bien avancé, et cela me fait un grand plaisir. Je m'en vais voir l'air du bureau. ScÚne VI Lélio, Jacqueline Lélio. - Je ne le querelle point, car il est déjà tout égaré. Jacqueline. - Monsieur? Lélio, distrait. - Je prierai pourtant la comtesse d'ordonner à Colombine de laisser ce malheureux en repos; mais peut-ÃÂȘtre elle est bien aise elle-mÃÂȘme que l'autre travaille à lui détraquer la cervelle, car madame la Comtesse n'est pas dans le goût de m'obliger. Jacqueline. - Monsieur? Lélio, d'un air fùché et agité. - Eh bien, que veux-tu? Jacqueline. - Je vians vous demander mon congé. Lélio, sans l'entendre. - Morbleu, je n'entends parler que d'amour. Eh, laissez-moi respirer, vous autres! Vous me laissez, faites comme il vous plaira; j'ai la tÃÂȘte remplie de femmes et de tendresses Ces maudites idées-là me suivent partout, elles m'assiÚgent; Arlequin d'un cÎté, les folies de la comtesse de l'autre, et toi aussi. Jacqueline. - Monsieur, c'est que je vians vous dire que je veux m'en aller. Lélio. - Pourquoi? Jacqueline. - C'est que Piarre ne m'aime plus, ce mésérable-là s'est amouraché de la fille à Thomas tenez, Monsieur, ce que c'est que la cruauté des hommes, je l'ai vu qui batifolait avec elle; moi, pour le faire venir, je lui ai fait comme ça avec le bras Et y allons donc, et le vilain qu'il est m'a fait comme cela un geste du coude; cela voulait dire Va te promener. Oh que les hommes sont traÃtres! Voilà qui est fait, j'en suis si soûle, si soûle, que je n'en veux plus entendre parler; et je vians pour cet effet vous demander mon congé. Lélio. - De quoi s'avise ce coquin-là d'ÃÂȘtre infidÚle? Jacqueline. - Je ne comprends pas cela, il m'est avis que c'est un rÃÂȘve. Lélio. - Tu ne le comprends pas? C'est pourtant un vice dont il a plu aux femmes d'enrichir l'humanité. Jacqueline. - Qui que ce soit, voilà de belles richesses qu'on a boutées là dans le monde. Lélio. - Va, va, Jacqueline, il ne faut pas que tu t'en ailles. Jacqueline. - Oh, Monsieur, je ne veux pas rester dans le village, car on est si faible Si ce garçon-là me recharchait, je ne sis pas rancuneuse, il y aurait du rapatriage, et je prétends ÃÂȘtre brouillée. Lélio. - Ne te presse pas, nous verrons ce que dira la comtesse. Jacqueline. - Hom! la voilà , cette comtesse. Je m'en vas, Piarre est son valet, et ça me fùche itou contre elle. ScÚne VII Lélio, La Comtesse, qui cherche à terre avec application. Lélio, la voyant chercher. - Elle m'a fui tantÎt si je me retire, elle croira que je prends ma revanche, et que j'ai remarqué son procédé; comme il n'en est rien, il est bon de lui paraÃtre tout aussi indifférent que je le suis. Continuons de rÃÂȘver, je n'ai qu'à ne lui point parler pour remplir les conditions du billet. La Comtesse, cherchant toujours. - Je ne trouve rien. Lélio. - Ce voisinage-là me déplaÃt, je crois que je ferai fort bien de m'en aller, dût-elle en penser ce qu'elle voudra. Et puis la voyant approcher. Oh parbleu, c'en est trop, Madame, vous m'avez fait l'honneur de m'écrire qu'il était inutile de nous revoir, et j'ai trouvé que vous pensiez juste; mais je prendrai la liberté de vous représenter que vous me mettez hors d'état de vous obéir. Le moyen de ne vous point voir? Je me trouve prÚs de vous, Madame, vous venez jusqu'à moi; je me trouve irrégulier sans avoir tort! La Comtesse. - Hélas, Monsieur, je ne vous voyais pas. AprÚs cela, quand je vous aurais vu, je ne me ferais pas un grand scrupule d'approcher de l'endroit oÃÂč vous ÃÂȘtes, et je ne me détournerais pas de mon chemin à cause de vous. Je vous dirai cependant que vous outrez les termes de mon billet; il ne signifiait pas Haïssons-nous, soyons-nous odieux. Si vos dispositions de haine ou pour toutes les femmes ou pour moi vous l'ont fait expliquer comme cela, et si vous le pratiquez comme vous l'entendez, ce n'est pas ma faute. Je vous plains beaucoup de m'avoir vue; vous souffrez apparemment, et j'en suis fùchée; mais vous avez le champ libre, voilà de la place pour fuir, délivrez-vous de ma vue. Quant à moi, Monsieur, qui ne vous hais ni ne vous aime, qui n'ai ni chagrin ni plaisir à vous voir, vous trouverez bon que j'aille mon train; que vous me soyez un objet parfaitement indifférent, et que j'agisse tout comme si vous n'étiez pas là . Je cherche mon portrait, j'ai besoin de quelques petits diamants qui en ornent la boÃte; je l'ai prise pour les envoyer démonter à Paris, et Colombine, à qui je l'ai donné pour le remettre à un de mes gens qui part exprÚs, l'a perdu; voilà ce qui m'occupe. Et si je vous avais aperçu là , il ne m'en aurait coûté que de vous prier trÚs froidement et trÚs poliment de vous détourner; peut-ÃÂȘtre mÃÂȘme m'aurait-il pris fantaisie de vous prier de chercher avec moi, puisque vous vous trouvez là ; car je n'aurais pas deviné que ma présence vous affligeait; à présent que je le sais, je n'userai point d'une priÚre incivile fuyez vite, Monsieur, car je continue. Lélio. - Madame, je ne veux point ÃÂȘtre incivil non plus; et je reste, puisque je puis vous rendre service, je vais chercher avec vous. La Comtesse. - Ah non, Monsieur, ne vous contraignez pas; allez-vous-en, je vous dis que vous me haïssez, je vous l'ai dit, vous n'en disconvenez point. Allez-vous-en donc, ou je m'en vais. Lélio. - Parbleu, Madame, c'est trop souffrir de rebuts en un jour; et billet et discours, tout se ressemble. Adieu, donc, Madame, je suis votre serviteur. La Comtesse. - Monsieur, je suis votre servante. Quand il est parti, elle dit Mais à propos, cet étourdi qui s'en va, et qui n'a point marqué positivement dans son billet ce qu'il voulait donner à sa fermiÚre il me dit simplement qu'il verra ce qu'il doit faire. Ah! je ne suis pas d'humeur à mettre toujours la main à la plume. Je me moque de sa haine, il faut qu'il me parle. Dans l'instant elle part pour le rappeler, quand il revient lui-mÃÂȘme. Quoi! vous revenez, Monsieur? Lélio, d'un air agité. - Oui, Madame, je reviens, j'ai quelque chose à vous dire; et puisque vous voilà , ce sera un billet d'épargné et pour vous et pour moi. La Comtesse. - A la bonne heure, de quoi s'agit-il? Lélio. - C'est que le neveu de votre fermier ne doit plus compter sur Jacqueline. Madame, cela doit vous faire plaisir; car cela finit le peu de commerce forcé que nous avons ensemble. La Comtesse. - Le commerce forcé? Vous ÃÂȘtes bien difficile, Monsieur, et vos expressions sont bien naïves! Mais passons. Pourquoi donc, s'il vous plaÃt, Jacqueline ne veut-elle pas de ce jeune homme? Que signifie ce caprice-là ? Lélio. - Ce que signifie un caprice? Je vous le demande, Madame; cela n'est point à mon usage, et vous le définiriez mieux que moi. La Comtesse. - Vous pourriez cependant me rendre un bon compte de celui-ci, si vous vouliez il est de votre ouvrage apparemment; je me mÃÂȘlais de leur mariage, cela vous fatiguait, vous avez tout arrÃÂȘté. Je vous suis obligée de vos égards. Lélio. - Moi, Madame! La Comtesse. - Oui, Monsieur, il n'était pas nécessaire de vous y prendre de cette façon-là ; cependant je ne trouve point mauvais que le peu d'intérÃÂȘt que j'avais à vous voir fût à charge je ne condamne point dans les autres ce qui est en moi; et sans le hasard qui nous rejoint ici, vous ne m'auriez vue de votre vie, si j'avais pu. Lélio. - Eh, je n'en doute pas, Madame, je n'en doute pas. La Comtesse. - Non, Monsieur, de votre vie; et pourquoi en douteriez-vous? En vérité, je ne vous comprends pas! Vous avez rompu avec les femmes, moi avec les hommes vous n'avez pas changé de sentiments, n'est-il pas vrai? d'oÃÂč vient donc que j'en changerais? Sur quoi en changerais-je? Y songez-vous? Oh! mettez-vous dans l'esprit que mon opiniùtreté vaut bien la vÎtre, et que je n'en démordrai point. Lélio. - Eh Madame, vous m'en avez accablé, de preuves d'opiniùtreté; ne m'en donnez plus, voilà qui est fini. Je ne songe à rien, je vous assure. La Comtesse. - Qu'appelez-vous, Monsieur, vous ne songez à rien? mais du ton dont vous le dites, il semble que vous vous imaginez m'annoncer une mauvaise nouvelle? Eh bien, Monsieur, vous ne m'aimerez jamais, cela est-il si triste? Oh! je le vois bien, je vous ai écrit qu'il ne fallait plus nous voir, et je veux mourir si vous n'avez pris cela pour quelque agitation de coeur; assurément vous me soupçonnez de penchant pour vous. Vous m'assurez que vous n'en aurez jamais pour moi vous croyez me mortifier, vous le croyez, monsieur Lélio, vous le croyez, vous dis-je, ne vous en défendez point. J'espérais que vous me divertiriez en m'aimant vous avez pris un autre tour, je ne perds point au change, et je vous trouve trÚs divertissant comme vous ÃÂȘtes. Lélio, d'un air riant et piqué. - Ma foi, Madame, nous ne nous ennuierons donc point ensemble; si je vous réjouis, vous n'ÃÂȘtes point ingrate Vous espériez que je vous divertirais, mais vous ne m'aviez pas dit que je serais diverti. Quoi qu'il en soit, brisons là -dessus; la comédie ne me plaÃt pas longtemps, et je ne veux ÃÂȘtre ni acteur ni spectateur. La Comtesse, d'un ton badin. - Ecoutez, Monsieur, vous m'avouerez qu'un homme à votre place, qui se croit aimé, surtout quand il n'aime pas, se met en prise? Lélio. - Je ne pense point que vous m'aimez, Madame; vous me traitez mal, mais vous y trouvez du goût. N'usez point de prétexte, je vous ai déplu d'abord; moi spécialement, je l'ai remarqué et si je vous aimais, de tous les hommes qui pourraient vous aimer, je serais peut-ÃÂȘtre le plus humilié, le plus raillé, et le plus à plaindre. La Comtesse. - D'oÃÂč vous vient cette idée-là ? Vous vous trompez, je serais fùchée que vous m'aimassiez, parce que j'ai résolu de ne point aimer Mais quelque chose que j'aie dit, je croirais du moins devoir vous estimer. Lélio. - J'ai bien de la peine à le croire. La Comtesse. - Vous ÃÂȘtes injuste, je ne suis pas sans discernement Mais à quoi bon faire cette supposition, que si vous m'aimiez je vous traiterais plus mal qu'un autre? La supposition est inutile, puisque vous n'avez point envie de faire l'essai de mes maniÚres; que vous importe ce qui en arriverait? Cela vous doit ÃÂȘtre indifférent; vous ne m'aimez pas? car enfin, si je le pensais... Lélio. - Eh! je vous prie, point de menace, Madame vous m'avez tantÎt offert votre amitié, je ne vous demande que cela, je n'ai besoin que de cela Ainsi vous n'avez rien à craindre. La Comtesse, d'un air froid. - Puisque vous n'avez besoin que de cela, Monsieur, j'en suis ravie; je vous l'accorde, j'en serai moins gÃÂȘnée avec vous. Lélio. - Moins gÃÂȘnée? Ma foi, Madame, il ne faut pas que vous la soyez du tout; et tout bien pesé, je crois que nous ferons mieux de suivre les termes de votre billet. La Comtesse. - Oh, de tout mon coeur allons, Monsieur, ne nous voyons plus. Je fais présent de cent pistoles au neveu de mon fermier; vous me ferez savoir ce que vous voulez donner à la fille, et je verrai si je souscrirai à ce mariage, dont notre rupture va lever l'obstacle que vous y avez mis. Soyons-nous inconnus l'un à l'autre; j'oublie que je vous ai vu; je ne vous reconnaÃtrai pas demain. Lélio. - Et moi, Madame, je vous reconnaÃtrai toute ma vie; je ne vous oublierai point vos façons avec moi vous ont gravé pour jamais dans ma mémoire. La Comtesse. - Vous m'y donnerez la place qu'il vous plaira, je n'ai rien à me reprocher; mes façons ont été celles d'une femme raisonnable. Lélio. - Morbleu, Madame, vous ÃÂȘtes une dame raisonnable, à la bonne heure. Mais accordez donc cette lettre avec vos premiÚres honnÃÂȘtetés et avec vos offres d'amitié; cela est inconcevable, aujourd'hui votre ami, demain rien. Pour moi, Madame, je ne vous ressemble pas, et j'ai le coeur aussi jaloux en amitié qu'en amour ainsi nous ne nous convenons point. La Comtesse. - Adieu, Monsieur, vous parlez d'un air bien dégagé et presque offensant, si j'étais vaine Cependant, et si j'en crois Colombine, je vaux quelque chose, à vos yeux mÃÂȘmes. Lélio. - Un moment; vous ÃÂȘtes de toutes les dames que j'ai vues celle qui vaut le mieux; je sens mÃÂȘme que j'ai du plaisir à vous rendre cette justice-là . Colombine vous en a dit davantage; c'est une visionnaire, non seulement sur mon chapitre, mais encore sur le vÎtre, Madame, je vous en avertis. Ainsi n'en croyez jamais au rapport de vos domestiques. La Comtesse. - Comment! Que dites-vous, Monsieur? Colombine vous aurait fait entendre... Ah l'impertinente! je la vois qui passe. Colombine, venez ici. ScÚne VIII La Comtesse, Lélio, Colombine Colombine arrive. - Que me voulez-vous, Madame? La Comtesse. - Ce que je veux? Colombine. - Si vous ne voulez rien, je m'en retourne. La Comtesse. - Parlez, quels discours avez-vous tenus à Monsieur sur mon compte? Colombine. - Des discours trÚs sensés, à mon ordinaire. La Comtesse. - Je vous trouve bien hardie d'oser, suivant votre petite cervelle; tirer de folles conjectures de mes sentiments, et je voudrais bien vous demander sur quoi vous avez compris que j'aime Monsieur, à qui vous l'avez dit. Colombine. - N'est-ce que cela? Je vous jure que je l'ai cru comme je l'ai dit, et je l'ai dit pour le bien de la chose; c'était pour abréger votre chemin à l'un et à l'autre, car vous y viendrez tous deux. Cela ira là , et si la chose arrive, je n'aurai fait aucun mal. A votre égard, Madame, je vais vous expliquer sur quoi j'ai pensé que vous aimiez... La Comtesse, lui coupant la parole. - Je vous défends de parler. Lélio, d'un air doux et modeste. - Je suis honteux d'ÃÂȘtre la cause de cette explication-là , mais vous pouvez ÃÂȘtre persuadée que ce qu'elle a pu me dire ne m'a fait aucune impression. Non, Madame, vous ne m'aimez point, et j'en suis convaincu; et je vous avouerai mÃÂȘme, dans le moment oÃÂč je suis, que cette conviction m'est nécessaire. Je vous laisse. Si nos paysans se raccommodent, je verrai ce que je puis faire pour eux puisque vous vous intéressez à leur mariage, je me ferai un plaisir de le hùter; et j'aurai l'honneur de vous porter tantÎt ma réponse, si vous me le permettez. La Comtesse, quand il est parti. - Juste ciel! que vient-il de me dire? Et d'oÃÂč vient que je suis émue de ce que je viens d'entendre? Cette conviction m'est absolument nécessaire. Non, cela ne signifie rien, et je n'y veux rien comprendre. Colombine, à part. - Oh, notre amour se fait grand! il parlera bientÎt bon français. Acte III ScÚne premiÚre Arlequin, Colombine Colombine, à part les premiers mots. - Battons-lui toujours froid. Tous les diamants y sont, rien n'y manque, hors le portrait que monsieur Lélio a gardé. C'est un grand bonheur que vous ayez trouvé cela; je vous rends la boÃte, il est juste que vous la donniez vous-mÃÂȘme à madame la Comtesse adieu, je suis pressée. Arlequin l'arrÃÂȘte. - Eh là , là , ne vous en allez pas si vite, je suis de si bonne humeur. Colombine. - Je vous ai dit ce que je pensais de ma maÃtresse à l'égard de votre maÃtre Bonjour. Arlequin. - Eh bien, dites à cette heure ce que vous pensez de moi, hé, hé, hé. Colombine. - Je pense de vous que vous m'ennuieriez si je restais plus longtemps. Arlequin. - Fi, la mauvaise pensée! Causons pour chasser cela, c'est une migraine. Colombine. - Je n'ai pas le temps, monsieur Arlequin. Arlequin. - Et allons donc, faut-il avoir des maniÚres comme cela avec moi? Vous me traitez de Monsieur, cela est-il honnÃÂȘte? Colombine. - TrÚs honnÃÂȘte; mais vous m'amusez, laissez-moi. Que voulez-vous que je fasse ici? Arlequin. - Me dire comment je me porte, par exemple; me faire de petites questions Arlequin par-ci, Arlequin par-là ; me demander comme tantÎt si je vous aime que sait-on? peut-ÃÂȘtre je vous répondrai que oui. Colombine. - Oh! je ne m'y fie plus. Arlequin. - Si fait, si fait; fiez-vous-y pour voir. Colombine. - Non, vous haïssez trop les femmes. Arlequin. - Cela m'a passé, je leur pardonne. Colombine. - Et moi, à compter d'aujourd'hui, je me brouille avec les hommes; dans un an ou deux, je me raccommoderai peut-ÃÂȘtre avec ces nigauds-là . Arlequin. - Il faudra donc que je me tienne pendant ce temps-là les bras croisés à vous voir venir, moi? Colombine. - Voyez-moi venir dans la posture qu'il vous plaira que m'importe que vos bras soient croisés ou ne le soient pas? Arlequin. - Par la sambille, j'enrage. Maudit esprit lunatique, que je te donnerais de grand coeur un bon coup de poing, si tu ne portais pas une cornette! Colombine, riant. - Ah! je vous entends! Vous m'aimez; j'en suis fùchée, mon ami; le ciel vous assiste! Arlequin. - Mardi oui, je t'aime. Mais laisse-moi faire; tiens, mon chien d'amour s'en ira, je m'étranglerais plutÎt je m'en vais ÃÂȘtre ivrogne, je jouerai à la boule toute la journée, je prierai mon maÃtre de m'apprendre le piquet; je jouerai avec lui ou avec moi, je dormirai plutÎt que de rester sans rien faire. Tu verras, va; je cours tirer bouteille, pour commencer. Colombine. - Tu mériterais que je te fisse expirer de pur chagrin, mais je suis généreuse. Tu as méprisé toutes les suivantes de France en ma personne, je les représente. Il faut une réparation à cette insulte; à mon égard, je t'en quitterais volontiers; mais je ne puis trahir les intérÃÂȘts et l'honneur d'un corps si respectable pour toi; fais-lui donc satisfaction. Demande-lui à genoux pardon de toutes tes impertinences, et la grùce t'est accordée. Arlequin. - M'aimeras-tu aprÚs cette autre impertinence-là ? Colombine. - Humilie-toi, et tu seras instruit. Arlequin, se mettant à genoux. - Pardi, je le veux bien je demande pardon à ce drÎle de corps pour qui tu parles. Colombine. - En diras-tu du bien? Arlequin. - C'est une autre affaire. Il est défendu de mentir. Colombine. - Point de grùce. Arlequin. - Accommodons-nous. Je n'en dirai ni bien ni mal. Est-ce fait? Colombine. - Hé! la réparation est un peu cavaliÚre; mais le corps n'est pas formaliste. Baise-moi la main en signe de paix, et lÚve-toi. Tu me parais vraiment repentant, cela me fait plaisir. Arlequin, relevé. - Tu m'aimeras, au moins? Colombine. - Je l'espÚre. Arlequin, sautant. - Je me sens plus léger qu'une plume. Colombine. - Ecoute, nous avons intérÃÂȘt de hùter l'amour de nos maÃtres, il faut qu'ils se marient ensemble. Arlequin. - Oui, afin que je t'épouse par-dessus le marché. Colombine. - Tu l'as dit n'oublions rien pour les conduire à s'avouer qu'ils s'aiment. Quand tu rendras la boÃte à la comtesse, ne manque pas de lui dire pourquoi ton maÃtre en garde le portrait. Je la vois qui rÃÂȘve, retire-toi, et reviens dans un moment, de peur qu'en nous voyant ensemble, elle ne nous soupçonne d'intelligence. J'ai dessein de la faire parler; je veux qu'elle sache qu'elle aime, son amour en ira mieux, quand elle se l'avouera. ScÚne II La Comtesse, Colombine La Comtesse, d'un air de méchante humeur. - Ah! vous voilà a-t-on trouvé mon portrait? Colombine. - Je n'en sais rien, Madame, je le fais chercher. La Comtesse. - Je viens de rencontrer Arlequin, ne vous a-t-il point parlé? n'a-t-il rien à me dire de la part de son maÃtre? Colombine. - Je ne l'ai pas vu. La Comtesse. - Vous ne l'avez pas vu? Colombine. - Non, Madame. La Comtesse. - Vous ÃÂȘtes donc aveugle? Avez-vous dit au cocher de mettre les chevaux au carrosse? Colombine. - Moi? non, vraiment. La Comtesse. - Et pourquoi, s'il vous plaÃt? Colombine. - Faute de savoir deviner. La Comtesse. - Comment, deviner? Faut-il tant de fois vous répéter les choses? Colombine. - Ce qui n'a jamais été dit n'a pas été répété, Madame, cela est clair demandez cela à tout le monde. La Comtesse. - Vous ÃÂȘtes une grande raisonneuse! Colombine. - Qui diantre savait que vous voulussiez partir pour aller quelque part? Mais je m'en vais avertir le cocher. La Comtesse. - Il n'est plus temps. Colombine. - Il ne faut qu'un instant. La Comtesse. - Je vous dis qu'il est trop tard. Colombine. - Peut-on vous demander oÃÂč vous vouliez aller, Madame? La Comtesse. - Chez ma soeur, qui est à sa terre J'avais dessein d'y passer quelques jours. Colombine. - Et la raison de ce dessein-là ? La Comtesse. - Pour quitter Lélio, qui s'avise de m'aimer, je pense. Colombine. - Oh! rassurez-vous, Madame, je crois maintenant qu'il n'en est rien. La Comtesse. - Il n'en est rien? Je vous trouve plaisante de me venir dire qu'il n'en est rien, vous de qui je sais la chose en partie. Colombine. - Cela est vrai, je l'avais cru; mais je vois que je me suis trompée. La Comtesse. - Vous ÃÂȘtes faite aujourd'hui pour m'impatienter. Colombine. - Ce n'est pas mon intention. La Comtesse. - Non, d'aujourd'hui vous ne m'avez répondu que des impertinences. Colombine. - Mais, Madame, tout le monde se peut tromper. La Comtesse. - Je vous dis encore une fois que cet homme-là m'aime, et que je vous trouve ridicule de me disputer cela. Prenez-y garde, vous me répondrez de cet amour-là , au moins? Colombine. - Moi, Madame, m'a-t-il donné son coeur en garde? Eh, que vous importe qu'il vous aime? La Comtesse. - Ce n'est pas son amour qui m'importe, je ne m'en soucie guÚre; mais il m'importe de ne point prendre de fausses idées des gens, et de n'ÃÂȘtre pas la dupe éternelle de vos étourderies! Colombine. - Voilà un sujet de querelle furieusement tiré par les cheveux cela est bien subtil! La Comtesse. - En vérité, je vous admire dans vos récits! Monsieur Lélio vous aime, Madame, j'en suis certaine, votre billet l'a piqué, il l'a reçu en colÚre, il l'a lu de mÃÂȘme, il a pùli, il a rougi. Dites-moi, sur un pareil rapport, qui est-ce qui ne croira pas qu'un homme est amoureux? Cependant il n'en est rien, il ne plaÃt plus à Mademoiselle que cela soit, elle s'est trompée. Moi, je compte là -dessus, je prends des mesures pour me retirer. Mesures perdues. Colombine. - Quelles si grandes mesures avez-vous donc prises, Madame? Si vos ballots sont faits, ce n'est encore qu'en idée, et cela ne dérange rien. Au bout du compte, tant mieux s'il ne vous aime point. La Comtesse. - Oh! vous croyez que cela va comme votre tÃÂȘte, avec votre tant mieux! Il serait à souhaiter qu'il m'aimùt, pour justifier le reproche que je lui en ai fait. Je suis désolée d'avoir accusé un homme d'un amour qu'il n'a pas. Mais si vous vous ÃÂȘtes trompée, pourquoi Lélio m'a-t-il fait presque entendre qu'il m'aimait? Parlez donc, me prenez-vous pour une bÃÂȘte? Colombine. - Le ciel m'en préserve! La Comtesse. - Que signifie le discours qu'il m'a tenu en me quittant? Madame, vous ne m'aimez point, j'en suis convaincu, et je vous avouerai que cette conviction m'est absolument nécessaire; n'est-ce pas tout comme s'il m'avait dit Je serais en danger de vous aimer, si je croyais que vous puissiez m'aimer vous-mÃÂȘme? Allez, allez, vous ne savez ce que vous dites, c'est de l'amour que ce sentiment-là . Colombine. - Cela est plaisant! Je donnerais à ces paroles-là , moi, toute une autre interprétation, tant je les trouve équivoques! La Comtesse. - Oh! je vous prie, gardez votre belle interprétation, je n'en suis point curieuse, je vois d'ici qu'elle ne vaut rien. Colombine. - Je la crois pourtant aussi naturelle que la vÎtre, Madame. La Comtesse. - Pour la rareté du fait, voyons donc. Colombine. - Vous savez que monsieur Lélio fuit les femmes; cela posé, examinons ce qu'il vous dit Vous ne m'aimez pas, Madame, j'en suis convaincu, et je vous avouerai que cette conviction m'est absolument nécessaire; c'est-à -dire Pour rester oÃÂč vous ÃÂȘtes, j'ai besoin d'ÃÂȘtre certain que vous ne m'aimez pas, sans quoi je décamperais. C'est une pensée désobligeante, entortillée dans un tour honnÃÂȘte cela me paraÃt assez net. La Comtesse, aprÚs avoir rÃÂȘvé. - Cette fille-là n'a jamais eu d'esprit que contre moi; mais, Colombine, l'air affectueux et tendre qu'il a joint à cela?... Colombine. - Cet air-là , Madame, peut ne signifier encore qu'un homme honteux de dire une impertinence, et qui l'adoucit le plus qu'il peut. La Comtesse. - Non, Colombine, cela ne se peut pas; tu n'y étais point, tu ne lui as pas vu prononcer ces paroles-là je t'assure qu'il les a dites d'un ton de coeur attendri. Par quel esprit de contradiction veux-tu penser autrement? J'y étais, je m'y connais, ou bien Lélio est le plus fourbe de tous les hommes; et s'il ne m'aime pas, je fais voeu de détester son caractÚre. Oui, son honneur y est engagé, il faut qu'il m'aime, ou qu'il soit un malhonnÃÂȘte homme; car il a donc voulu me faire prendre le change? Colombine. - Il vous aimait peut-ÃÂȘtre, et je lui avais dit que vous pourriez l'aimer; mais vous vous ÃÂȘtes fùchée, et j'ai détruit mon ouvrage. J'ai dit tantÎt à Arlequin que vous ne songiez nullement à lui; que j'avais voulu flatter son maÃtre pour me divertir, et qu'enfin monsieur Lélio était l'homme du monde que vous aimeriez le moins. La Et cela n'est pas vrai! de quoi vous mÃÂȘlez-vous, Colombine? Si monsieur Lélio a du penchant pour moi, de quoi vous avisez-vous d'aller mortifier un homme à qui je ne veux point de mal, que j'estime? Il faut avoir le coeur bien dur pour donner du chagrin aux gens sans nécessité! En vérité, vous avez juré de me désobliger. Colombine. - Tenez, Madame, dussiez-vous me quereller, vous aimez cet homme à qui vous ne voulez point de mal! Oui, vous l'aimez. La Comtesse, d'un ton froid. - Retirez-vous. Colombine. - Je vous demande pardon. La Comtesse. - Retirez-vous, vous dis-je, j'aurai soin demain de vous payer et de vous renvoyer à Paris. Colombine. - Madame, il n'y a que l'intention de punissable, et je fais serment que je n'ai eu nul dessein de vous fùcher; je vous respecte et je vous aime, vous le savez. La Comtesse. - Colombine, je vous passe encore cette sottise-là observez-vous bien dorénavant. Colombine, à part les premiers mots. - Voyons la fin de cela. Je vous l'avoue, une seule chose me chagrine c'est de m'apercevoir que vous manquez de confiance pour moi, qui ne veux savoir vos secrets que pour vous servir. De grùce, ma chÚre maÃtresse, ne me donnez plus ce chagrin-là , récompensez mon zÚle pour vous, ouvrez-moi votre coeur, vous n'en serez point fùchée. Colombine approchant de sa maÃtresse et la caressant. La Comtesse. - Ah! Colombine. - Eh bien! voilà un soupir c'est un commencement de franchise; achevez donc! La Comtesse. - Colombine! Colombine. - Madame? La Comtesse. - AprÚs tout, aurais-tu raison? Est-ce que j'aimerais? Colombine. - Je crois que oui mais d'oÃÂč vient vous faire un si grand monstre de cela? Eh bien, vous aimez, voilà qui est bien rare! La Comtesse. - Non, je n'aime point encore. Colombine. - Vous avez l'équivalent de cela. La Comtesse. - Quoi! je pourrais tomber dans ces malheureuses situations, si pleines de troubles, d'inquiétudes, de chagrins? moi, moi! Non, Colombine, cela n'est pas fait encore, je serais au désespoir. Quand je suis venue ici, j'étais triste; tu me demandais ce que j'avais ah Colombine! c'était un pressentiment du malheur qui devait m'arriver. Colombine. - Voici Arlequin qui vient à nous, renfermez vos regrets. ScÚne III Arlequin, La Comtesse, Colombine Arlequin. - Madame, mon maÃtre m'a dit que vous avez perdu une boÃte de portrait; je sais un homme qui l'a trouvée; de quelle couleur est-elle? combien y-a-t-il de diamants? sont-ils gros ou petits? Colombine. - Montre, nigaud! te méfies-tu de Madame? Tu fais là d'impertinentes questions! Arlequin. - Mais c'est la coutume d'interroger le monde pour plus grande sûreté je n'y pense point à mal. La Comtesse. - OÃÂč est-elle, cette boÃte? Arlequin, la montrant. - La voilà , Madame un autre que vous ne la verrait pas, mais vous ÃÂȘtes une femme de bien. La Comtesse. - C'est la mÃÂȘme tiens, prends cela en revanche. Arlequin. - Vivent les revanches! le ciel vous soit en aide! La Comtesse. - Le portrait n'y est pas! Arlequin. - Chut, il n'est pas perdu, c'est mon maÃtre qui le garde. La Comtesse. - Il me garde mon portrait! Qu'en veut-il faire? Arlequin. - C'est pour vous mirer quand il ne vous voit plus; il dit que ce portrait ressemble à une cousine qui est morte, et qu'il aimait beaucoup. Il m'a défendu d'en rien dire, et de vous faire accroire qu'il est perdu; mais il faut bien vous donner de la marchandise pour votre argent. Motus, le pauvre homme en tient. Colombine. - Madame, la cousine dont il parle peut ÃÂȘtre morte, mais la cousine qu'il ne dit pas se porte bien, et votre cousin n'est pas votre parent. Arlequin. - Eh! eh! eh! La Comtesse. - De quoi ris-tu? Arlequin. - De ce drÎle de cousin mon maÃtre croit bonnement qu'il garde le portrait à cause de la cousine; et il ne sait pas que c'est à cause de vous, cela est risible, il fait des quiproquos d'apothicaire. La Comtesse. - Eh! que sais-tu si c'est à cause de moi? Arlequin. - Je vous dis que la cousine est un conte à dormir debout. Est-ce qu'on dit des injures à la copie d'une cousine qui est morte? Colombine. - Comment, des injures? Arlequin. - Oui, je l'ai laissé là -bas qui se fùche contre le visage de Madame; il le querelle tant qu'il peut de ce qu'il aime. Il y a à mourir de rire de le voir faire. Quelquefois il met de bons gros soupirs au bout des mots qu'il dit Oh! de ces soupirs-là , la cousine défunte n'en tùte que d'une dent. La Comtesse. - Colombine, il faut absolument qu'il me rende mon portrait, cela est de conséquence pour moi je vais lui demander. Je ne souffrirai pas mon portrait entre les mains d'un homme. OÃÂč se promÚne-t-il? Arlequin. - De ce cÎté-là ; vous le trouverez sans faute à droite ou à gauche. ScÚne IV Lélio, Colombine, Arlequin Arlequin. - Son coeur va-t-il bien? Colombine. - Oh, je te réponds qu'il va grand train. Mais voici ton maÃtre, laisse-moi faire. Lélio arrive. - Colombine, oÃÂč est madame la Comtesse? je souhaiterais lui parler. Colombine. - Madame la Comtesse va, je pense, partir tout à l'heure pour Paris. Lélio. - Quoi, sans me voir? sans me l'avoir dit? Colombine. - C'est bien à vous à vous apercevoir de cela; n'avez-vous pas dessein de vivre en sauvage? de quoi vous plaignez-vous? Lélio. - De quoi je me plains? La question est singuliÚre, mademoiselle Colombine voilà donc le penchant que vous lui connaissez pour moi. Partir sans me dire adieu, et vous voulez que je sois un homme de bon sens, et que je m'accommode de cela, moi! Non, les procédés bizarres me révolteront toujours. Colombine. - Si elle ne vous a pas dit adieu, c'est qu'entre amis on en agit sans façon. Lélio. - Amis! oh doucement, je veux du vrai dans mes amis, des maniÚres franches et stables, et je n'en trouve point là ; dorénavant je ferai mieux de n'ÃÂȘtre ami de personne, car je vois bien qu'il n'y a que du faux partout. Colombine. - Lui ferai-je vos compliments? Arlequin. - Cela sera honnÃÂȘte. Lélio. - Et moi, je ne suis point aujourd'hui dans le goût d'ÃÂȘtre honnÃÂȘte, je suis las de la bagatelle. Colombine. - Je vois bien que je ne ferai rien par la feinte, il vaut mieux vous parler franchement. Monsieur, madame la Comtesse ne part pas; elle attend, pour se déterminer, qu'elle sache si vous l'aimez ou non; mais dites-moi naturellement vous-mÃÂȘme ce qui en est; c'est le plus court. Lélio. - C'est le plus court, il est vrai; mais j'y trouve pourtant de la difficulté car enfin, dirai-je que je ne l'aime pas? Colombine. - Oui, si vous le pensez. Lélio. - Mais, madame la Comtesse est aimable, et ce serait une grossiÚreté. Arlequin. - Tirez votre réponse à la courte paille. Colombine. - Eh bien, dites que vous l'aimez. Lélio. - Mais en vérité, c'est une tyrannie que cette alternative-là ; si je vais dire que je l'aime, cela dérangera peut-ÃÂȘtre madame la Comtesse, cela la fera partir. Si je dis que je ne l'aime point... Colombine. - Peut-ÃÂȘtre aussi partira-t-elle? Lélio. - Vous voyez donc bien que cela est embarrassant. Colombine. - Adieu, je vous entends; je lui rendrai compte de votre indifférence, n'est-ce pas? Lélio. - Mon indifférence, voilà un beau rapport, et cela me ferait un joli cavalier! Vous décidez bien cela à la légÚre; en savez-vous plus que moi? Colombine. - Déterminez-vous donc. Lélio. - Vous me mettez dans une désagréable situation. Dites-lui que je suis plein d'estime, de considération et de respect pour elle. Arlequin. - Discours de normand que tout cela. Colombine. - Vous me faites pitié. Lélio. - Qui, moi? Colombine. - Oui, et vous ÃÂȘtes un étrange homme, de ne m'avoir pas confié que vous l'aimiez. Lélio. - Eh, Colombine, le savais-je? Arlequin. - Ce n'est pas ma faute, je vous en avais averti. Lélio. - Je ne sais oÃÂč je suis. Colombine. - Ah! vous voilà dans le ton songez à dire toujours de mÃÂȘme, entendez-vous, monsieur de l'ermitage? Lélio. - Que signifie cela? Colombine. - Rien, sinon que je vous ai donné la question, et que vous avez jasé dans vos souffrances. Tenez vous gai, l'homme indifférent, tout ira bien. Arlequin, je te le recommande, instruis-le plus amplement, je vais chercher l'autre. ScÚne V Lélio, Arlequin Arlequin. - Ah çà , Monsieur, voilà qui est donc fait! c'est maintenant qu'il faut dire va comme je te pousse! Vive l'amour, mon cher maÃtre, et faites chorus, car il n'y a pas deux chemins il faut passer par là , ou par la fenÃÂȘtre. Lélio. - Ah! je suis un homme sans jugement. Arlequin. - Je ne vous dispute point cela. Lélio. - Arlequin, je ne devais jamais revoir de femmes. Arlequin. - Monsieur, il fallait donc devenir aveugle. Lélio. - Il me prend envie de m'enfermer chez moi, et de n'en sortir de six mois. Arlequin siffle. De quoi t'avises-tu de siffler? Arlequin. - Vous dites une chanson, et je l'accompagne. Ne vous fùchez pas, j'ai de bonnes nouvelles à vous apprendre cette comtesse vous aime, et la voilà qui vient vous donner le dernier coup à vous. Lélio, à part. - Cachons-lui ma faiblesse; peut-ÃÂȘtre ne la sait-elle pas encore. ScÚne VI La Comtesse, Lélio, Arlequin La Comtesse. - Monsieur, vous devez savoir ce qui m'amÚne? Lélio. - Madame, je m'en doute du moins, et je consens à tout. Nos paysans se sont raccommodés, et je donne à Jacqueline autant que vous donnez à son amant C'est de quoi j'allais prendre la liberté de vous informer. La Comtesse. - Je vous suis obligée de finir cela, Monsieur, mais j'avais quelque autre chose à vous dire; bagatelle pour vous, et assez importante pour moi. Lélio. - Que serait-ce donc? La Comtesse. - C'est mon portrait, qu'on m'a dit que vous avez, et je viens vous prier de me le rendre, rien ne vous est plus inutile. Lélio. - Madame, il est vrai qu'Arlequin a trouvé une boÃte de portrait que vous cherchiez; je vous l'ai fait remettre sur-le-champ; s'il vous a dit autre chose, c'est un étourdi, et je voudrais bien lui demander oÃÂč est le portrait dont il parle? Arlequin, timidement. - Eh, Monsieur! Lélio. - Quoi? Arlequin. - Il est dans votre poche. Lélio. - Vous ne savez ce que vous dites. Arlequin. - Si fait, Monsieur, vous vous souvenez bien que vous lui avez parlé tantÎt, je vous l'ai vu mettre aprÚs dans la poche du cÎté gauche. Lélio. - Quelle impertinence! La Comtesse. - Cherchez, Monsieur, peut-ÃÂȘtre avez-vous oublié que vous l'avez tenu? Lélio. - Ah, Madame, vous pouvez m'en croire. Arlequin. - Tenez, Monsieur; tùtez, Madame, le voilà . La Comtesse, touchant à la poche de la veste. - Cela est vrai, il me paraÃt que c'est lui. Lélio, mettant la main dans sa poche, et honteux d'y trouver le portrait. - Voyons donc, il a raison! Le voulez-vous, Madame? La Comtesse, un peu confuse. - Il le faut bien, Monsieur. Lélio. - Comment donc cela s'est-il fait? Arlequin. - Eh! c'est que vous vouliez le garder, à cause, disiez-vous, qu'il ressemblait à une cousine qui est morte; et moi, qui suis fin, je vous disais que c'était à cause qu'il ressemblait à Madame, et cela était vrai. La Comtesse. - Je ne vois point d'apparence à cela. Lélio. - En vérité, Madame, je ne comprends pas ce coquin-là . A part. Tu me la paieras. Arlequin. - Madame la Comtesse! voilà Monsieur qui me menace derriÚre vous. Lélio. - Moi! Arlequin. - Oui, parce que je dis la vérité. Madame, vous me feriez bien du plaisir de l'obliger à vous dire qu'il vous aime; il n'aura pas plus tÎt avoué cela, qu'il me pardonnera. La Comtesse. - Va, mon ami, tu n'as pas besoin de mon intercession. Lélio. - Eh, Madame, je vous assure que je ne lui veux aucun mal; il faut qu'il ait l'esprit troublé. Retire-toi et ne nous romps plus la tÃÂȘte de tes sots discours. Arlequin s'en va, et un moment aprÚs Lélio continue. Je vous prie, Madame, de n'ÃÂȘtre point fùchée de ce que j'avais votre portrait, j'étais dans l'ignorance. La Comtesse, d'un air embarrassé. - Ce n'est rien que cela, Monsieur. Lélio. - C'est une aventure qui ne laisse pas que d'avoir un air singulier. La Comtesse. - Effectivement. Lélio. - Il n'y a personne qui ne se persuade là -dessus que je vous aime. La Comtesse. - Je l'aurais cru moi-mÃÂȘme, si je ne vous connaissais pas. Lélio. - Quand vous le croiriez encore, je ne vous estimerais guÚre moins clairvoyante. La Comtesse. - On n'est pas clairvoyante quand on se trompe, et je me tromperais. Lélio. - Ce n'est presque pas une erreur que cela, la chose est si naturelle à penser! La Comtesse. - Mais voudriez-vous que j'eusse cette erreur-là ? Lélio. - Moi, Madame! vous ÃÂȘtes la maÃtresse. La Comtesse. - Et vous le maÃtre, Monsieur. Lélio. - De quoi le suis-je? La Comtesse. - D'aimer ou de n'aimer pas. Lélio. - Je vous reconnais l'alternative est bien de vous, Madame. La Comtesse. - Eh! pas trop. Lélio. - Pas trop... si j'osais interpréter ce mot-là ! La Comtesse. - Et que trouvez-vous donc qu'il signifie? Lélio. - Ce qu'apparemment vous n'avez pas pensé. La Comtesse. - Voyons. Lélio. - Vous ne me le pardonneriez jamais. La Comtesse. - Je ne suis pas vindicative. Lélio, à part. - Ah! je ne sais ce que je dois faire. La Comtesse, d'un air impatient. - Monsieur Lélio, expliquez-vous, et ne vous attendez pas que je vous devine. Lélio. - Eh bien, Madame! me voilà expliqué, m'entendez-vous? Vous ne répondez rien, vous avez raison mes extravagances ont combattu trop longtemps contre vous, et j'ai mérité votre haine. La Comtesse. - Levez-vous, Monsieur. Lélio. - Non, Madame, condamnez-moi, ou faites-moi grùce. La Comtesse, confuse. - Ne me demandez rien à présent reprenez le portrait de votre parente, et laissez-moi respirer. Arlequin. - Vivat! Enfin, voilà la fin. Colombine. - Je suis contente de vous, monsieur Lélio. Pierre. - Parguenne, ça me boute la joie au coeur. Lélio. - Ne vous mettez en peine de rien, mes enfants, j'aurai soin de votre noce. Pierre. - Grand marci; mais morgué, pisque je sommes en joie, j'allons faire venir les ménétriers que j'avons retenus. Arlequin. - Colombine, pour nous, allons nous marier sans cérémonie. Colombine. - Avant le mariage, il en faut un peu; aprÚs le mariage, je t'en dispense. Divertissement Le Chanteur Je ne crains point que Mathurine S'amuse à me manquer de foi; Car drés que je vois dans sa mine Queuque indifférence envars moi, Sans li demander le pourquoi, Je laisse aller la pélerine; Je ne dis mot, je me tiens coi; Je batifole avec Claudine. En voyant ça, la Mathurine Prend du souci, rÃÂȘve à part soi; Et pis tout d'un coup la mutine Me dit J'enrage contre toi. La Chanteuse Colas me disait l'autre jour Margot, donne-moi ton amour. Je répondis Je te le donne, Mais ne va le dire à personne; Colas ne m'entendit pas bien, Car l'innocent ne reçut rien. Arlequin Femmes, nous étions de grands fous D'ÃÂȘtre aux champs pour l'amour de vous. Si de chaque femme volage L'amant allait planter des choux, Par la ventrebille! je gage Que nous serions condamnés tous A travailler au jardinage. La Double Inconstance Adresse Comédie en trois actes Représentée pour la premiÚre fois par les comédiens italiens, le mardi 6 avril 1723 A Madame la Marquise de Prie Madame, On ne verra point ici ce tas d'éloges dont les épÃtres dédicatoires sont ordinairement chargées; à quoi servent-ils? Le peu de cas que le public en fait devrait en corriger ceux qui les donnent, et en dégoûter ceux qui les reçoivent. Je serais pourtant bien tenté de vous louer d'une chose, Madame; et c'est d'avoir véritablement craint que je ne vous louasse; mais ce seul éloge que je vous donnerais, il est si distingué, qu'il aurait ici tout l'air d'un présent de flatteur, surtout s'adressant à une dame de votre ùge, à qui la nature n'a rien épargné de tout ce qui peut inviter l'amour-propre à n'ÃÂȘtre point modeste. J'en reviens donc, Madame, au seul motif que j'ai en vous offrant ce petit ouvrage; c'est de vous remercier du plaisir que vous y avez pris, ou plutÎt de la vanité que vous m'avez donnée, quand vous m'avez dit qu'il vous avait plu. Vous dirai-je tout? Je suis charmé d'apprendre à toutes les personnes de goût qu'il a votre suffrage; en vous disant cela, je vous proteste que je n'ai nul dessein de louer votre esprit; c'est seulement vous avouer que je pense aux intérÃÂȘts du mien. Je suis avec un profond respect, Madame, votre trÚs humble et trÚs obéissant serviteur. D. M. Acteurs Le Prince. Un Seigneur. Des laquais. Des filles de chambre. La scÚne est dans le palais du Prince. Acte premier ScÚne premiÚre Silvia, Trivelin et quelques femmes à la suite de Silvia Silvia paraÃt sortir comme fùchée. Trivelin. - Mais, Madame, écoutez-moi. Silvia. - Vous m'ennuyez. Trivelin. - Ne faut-il pas ÃÂȘtre raisonnable? Silvia, impatiente. - Non, il ne faut pas l'ÃÂȘtre, et je ne le serai point. Trivelin. - Cependant... Silvia, avec colÚre. - Cependant, je ne veux point avoir de raison et quand vous recommenceriez cinquante fois votre cependant, je n'en veux point avoir que ferez-vous là ? Trivelin. - Vous avez soupé hier si légÚrement, que vous serez malade, si vous ne prenez rien ce matin. Silvia. - Et moi, je hais la santé, et je suis bien aise d'ÃÂȘtre malade; ainsi, vous n'avez qu'à renvoyer tout ce qu'on m'apporte, car je ne veux aujourd'hui ni déjeuner, ni dÃner, ni souper; demain la mÃÂȘme chose. Je ne veux qu'ÃÂȘtre fùchée, vous haïr tous tant que vous ÃÂȘtes, jusqu'à tant que j'aie vu Arlequin, dont on m'a séparée voilà mes petites résolutions, et si vous voulez que je devienne folle, vous n'avez qu'à me prÃÂȘcher d'ÃÂȘtre plus raisonnable, cela sera bientÎt fait. Trivelin. - Ma foi, je ne m'y jouerai pas, je vois bien que vous me tiendriez parole; si j'osais cependant... Silvia, plus en colÚre. - Eh bien! ne voilà -t-il pas encore un cependant? Trivelin. - En vérité, je vous demande pardon, celui-là m'est échappé, mais je n'en dirai plus, je me corrigerai. Je vous prierai seulement de considérer... Silvia. - Oh! vous ne vous corrigez pas, voilà des considérations qui ne me conviennent point non plus. Trivelin, continuant. - ...que c'est votre souverain qui vous aime. Silvia. - Je ne l'empÃÂȘche pas, il est le maÃtre mais faut-il que je l'aime, moi? Non, et il ne le faut pas, parce que je ne le puis pas; cela va tout seul, un enfant le verrait, et vous ne le voyez pas. Trivelin. - Songez que c'est sur vous qu'il fait tomber le choix qu'il doit faire d'une épouse entre ses sujettes. Silvia. - Qui est-ce qui lui a dit de me choisir? M'a-t-il demandé mon avis? S'il m'avait dit Me voulez-vous, Silvia? je lui aurais répondu Non, seigneur, il faut qu'une honnÃÂȘte femme aime son mari, et je ne pourrais pas vous aimer. Voilà la pure raison, cela; mais point du tout, il m'aime, crac, il m'enlÚve, sans me demander si je le trouverai bon. Trivelin. - Il ne vous enlÚve que pour vous donner la main. Silvia. - Eh! que veut-il que je fasse de cette main, si je n'ai pas envie d'avancer la mienne pour la prendre? Force-t-on les gens à recevoir des présents malgré eux? Trivelin. - Voyez, depuis deux jours que vous ÃÂȘtes ici, comment il vous traite; n'ÃÂȘtes-vous pas déjà servie comme si vous étiez sa femme? Voyez les honneurs qu'il vous fait rendre, le nombre de femmes qui sont à votre suite, les amusements qu'on tùche de vous procurer par ses ordres. Qu'est-ce qu'Arlequin au prix d'un prince plein d'égards, qui ne veut pas mÃÂȘme se montrer qu'on ne vous ait disposée à le voir? d'un prince jeune, aimable et rempli d'amour, car vous le trouverez tel. Eh! Madame, ouvrez les yeux, voyez votre fortune, et profitez de ses faveurs. Silvia. - Dites-moi, vous et toutes celles qui me parlent, vous a-t-on mis avec moi, vous a-t-on payés pour m'impatienter, pour me tenir des discours qui n'ont pas le sens commun, qui me font pitié? Trivelin. - Oh parbleu! je n'en sais pas davantage, voilà tout l'esprit que j'ai. Silvia. - Sur ce pied-là , vous seriez tout aussi avancé de n'en point avoir du tout. Trivelin. - Mais encore, daignez, s'il vous plaÃt, me dire en quoi je me trompe. Silvia, en se tournant vivement de son cÎté. - Oui, je vais vous dire, en quoi, oui... Trivelin. - Eh! doucement, Madame, mon dessein n'est pas de vous fùcher. Silvia. - Vous ÃÂȘtes donc bien maladroit. Trivelin. - Je suis votre serviteur. Silvia. - Eh bien! mon serviteur, qui me vantez tant les honneurs que j'ai ici, qu'ai-je affaire de ces quatre ou cinq fainéantes qui m'espionnent toujours? On m'Îte mon amant, et on me rend des femmes à la place; ne voilà -t-il pas un beau dédommagement? Et on veut que je sois heureuse avec cela! Que m'importe toute cette musique, ces concerts et cette danse dont on croit me régaler? Arlequin chantait mieux que tout cela, et j'aime mieux danser moi-mÃÂȘme que de voir danser les autres, entendez-vous? Une bourgeoise contente dans un petit village vaut mieux qu'une princesse qui pleure dans un bel appartement. Si le prince est si tendre, ce n'est pas ma faute, je n'ai pas été le chercher; pourquoi m'a-t-il vue? S'il est jeune et aimable, tant mieux pour lui, j'en suis bien aise qu'il garde tout cela pour ses pareils, et qu'il me laisse mon pauvre Arlequin, qui n'est pas plus gros monsieur que je suis grosse dame, pas plus riche que moi, pas plus glorieux que moi, pas mieux logé, qui m'aime sans façon, que j'aime de mÃÂȘme, et que je mourrai de chagrin de ne pas voir. Hélas, le pauvre enfant! qu'en aura-t-on fait? qu'est-il devenu? Il se désespÚre quelque part, j'en suis sûre, car il a le coeur si bon! Peut-ÃÂȘtre aussi qu'on le maltraite... Elle se dérange de sa place. Je suis outrée. Tenez, voulez-vous me faire un plaisir? Otez-vous de là , je ne puis vous souffrir, laissez-moi m'affliger en repos. Trivelin. - Le compliment est court, mais il est net. Tranquillisez-vous pourtant, Madame. Silvia. - Sortez sans me répondre, cela vaudra mieux. Trivelin. - Encore une fois, calmez-vous, vous voulez Arlequin, il viendra incessamment, on est allé le chercher. Silvia, avec un soupir. - Je le verrai donc? Trivelin. - Et vous lui parlerez aussi. Silvia, s'en allant. - Je vais l'attendre mais si vous me trompez, je ne veux plus ni voir ni entendre personne. Pendant qu'elle sort, le Prince et Flaminia entrent d'un autre cÎté et la regardent sortir. ScÚne II Le Prince, Flaminia, Trivelin Le Prince, à Trivelin. - Eh bien, as-tu quelque espérance à me donner? Que dit-elle? Trivelin. - Ce qu'elle dit, seigneur, ma foi, ce n'est pas la peine de le répéter, il n'y a rien encore qui mérite votre curiosité. Le Prince. - N'importe, dis toujours. Trivelin. - Eh non, seigneur, ce sont de petites bagatelles dont le récit vous ennuierait, tendresse pour Arlequin, impatience de le rejoindre, nulle envie de vous connaÃtre, désir violent de ne vous point voir, et force haine pour nous; voilà l'abrégé de ses dispositions, vous voyez bien que cela n'est point réjouissant; et franchement, si j'osais dire ma pensée, le meilleur serait de la remettre oÃÂč on l'a prise. Le Prince rÃÂȘve tristement. Flaminia. - J'ai déjà dit la mÃÂȘme chose au Prince, mais cela est inutile. Ainsi continuons, et ne songeons qu'à détruire l'amour de Silvia pour Arlequin. Trivelin. - Mon sentiment à moi est qu'il y a quelque chose d'extraordinaire dans cette fille-là ; refuser ce qu'elle refuse, cela n'est point naturel, ce n'est point là une femme, voyez-vous, c'est quelque créature d'une espÚce à nous inconnue. Avec une femme, nous irions notre train; celle-ci nous arrÃÂȘte, cela nous avertit d'un prodige, n'allons pas plus loin. Le Prince. - Et c'est ce prodige qui augmente encore l'amour que j'ai conçu pour elle. Flaminia, en riant. - Eh, seigneur, ne l'écoutez pas avec son prodige, cela est bon dans un conte de fée. Je connais mon sexe, il n'a rien de prodigieux que sa coquetterie. Du cÎté de l'ambition, Silvia n'est point en prise, mais elle a un coeur, et par conséquent de la vanité; avec cela, je saurai bien la ranger à son devoir de femme. Est-on allé chercher Arlequin? Trivelin. - Oui; je l'attends. Le Prince, d'un air inquiet. - Je vous avoue, Flaminia, que nous risquons beaucoup à lui montrer son amant, sa tendresse pour lui n'en deviendra que plus forte. Trivelin. - Oui; mais si elle ne le voit, l'esprit lui tournera, j'en ai sa parole. Flaminia. - Seigneur, je vous ai déjà dit qu'Arlequin nous était nécessaire. Le Prince. - Oui, qu'on l'arrÃÂȘte autant qu'on pourra; vous pouvez lui promettre que je le comblerai de biens et de faveurs, s'il veut en épouser une autre que sa maÃtresse. Trivelin. - Il n'y a qu'à réduire ce drÎle-là , s'il ne veut pas. Le Prince. - Non, la loi qui veut que j'épouse une de mes sujettes me défend d'user de violence contre qui que ce soit. Flaminia. - Vous avez raison; soyez tranquille, j'espÚre que tout se fera à l'amiable. Silvia vous connaÃt déjà sans savoir que vous ÃÂȘtes le Prince, n'est-il pas vrai? Le Prince. - Je vous ai dit qu'un jour à la chasse, écarté de ma troupe, je la rencontrai prÚs de sa maison; j'avais soif, elle alla me chercher à boire je fus enchanté de sa beauté et de sa simplicité, et je lui en fis l'aveu. Je l'ai vue cinq ou six fois de la mÃÂȘme maniÚre, comme simple officier du palais mais quoiqu'elle m'ait traité avec beaucoup de douceur, je n'ai pu la faire renoncer à Arlequin, qui m'a surpris deux fois avec elle. Flaminia. - Il faudra mettre à profit l'ignorance oÃÂč elle est de votre rang; on l'a déjà prévenue que vous ne la verriez pas sitÎt; je me charge du reste, pourvu que vous vouliez bien agir comme je voudrai. Le Prince, en s'en allant. - J'y consens. Si vous m'acquérez le coeur de Silvia, il n'est rien que vous ne deviez attendre de ma reconnaissance. Flaminia. - Toi, Trivelin, va-t'en dire à ma soeur qu'elle tarde trop à venir. Trivelin. - Il n'est pas besoin, la voilà qui entre; adieu, je vais au-devant d'Arlequin. ScÚne III Lisette, Flaminia Lisette. - Je viens recevoir tes ordres, que me veux-tu? Flaminia. - Approche un peu que je te regarde. Lisette. - Tiens, vois à ton aise. Flaminia, aprÚs l'avoir regardée. - Oui-dà , tu es jolie aujourd'hui. Lisette, en riant. - Je le sais bien; mais qu'est-ce que cela fait? Flaminia. - Ote cette mouche galante que tu as là . Lisette, refusant. - Je ne saurais, mon miroir me l'a recommandée. Flaminia. - Il le faut, te dis-je. Lisette, en tirant sa boÃte à miroir, et Îtant la mouche. - Quel meurtre! Pourquoi persécutes-tu ma mouche? Flaminia. - J'ai mes raisons pour cela. Or ça, Lisette, tu es grande et bien faite. Lisette. - C'est le sentiment de bien des gens. Flaminia. - Tu aimes à plaire? Lisette. - C'est mon faible. Flaminia. - Saurais-tu avec une adresse naïve et modeste inspirer un tendre penchant à quelqu'un, en lui témoignant d'en avoir pour lui, et le tout pour une bonne fin? Lisette. - Mais j'en reviens à ma mouche, elle me paraÃt nécessaire à l'expédition que tu me proposes. Flaminia. - N'oublieras-tu jamais ta mouche? non, elle n'est pas nécessaire il s'agit ici d'un homme simple, d'un villageois sans expérience, qui s'imagine que nous autres femmes d'ici sommes obligées d'ÃÂȘtre aussi modestes que les femmes de son village; oh! la modestie de ces femmes-là n'est pas faite comme la nÎtre; nous avons des dispenses qui le scandaliseraient; ainsi ne regrette plus tes mouches, et mets-en la valeur dans tes maniÚres; c'est de ces maniÚres dont je te parle; je te demande si tu sauras les avoir comme il faut? Voyons, que lui diras-tu? Lisette. - Mais, je lui dirai... Que lui dirais-tu, toi? Flaminia. - Ecoute-moi, point d'air coquet d'abord. Par exemple, on voit dans ta petite contenance un dessein de plaire, oh! il faut en effacer cela; tu mets je ne sais quoi d'étourdi et de vif dans ton geste, quelquefois c'est du nonchalant, du tendre, du mignard; tes yeux veulent ÃÂȘtre fripons, veulent attendrir, veulent frapper, font mille singeries; ta tÃÂȘte est légÚre; ton menton porte au vent; tu cours aprÚs un air jeune, galant et dissipé; parles-tu aux gens, leur réponds-tu? tu prends de certains tons, tu te sers d'un certain langage, et le tout finement relevé de saillies folles; oh! toutes ces petites impertinences-là sont trÚs jolies dans une fille du monde, il est décidé que ce sont des grùces, le coeur des hommes s'est tourné comme cela, voilà qui est fini mais ici il faut, s'il te plaÃt, faire main basse sur tous ces agréments-là ; le petit homme en question ne les approuverait point, il n'a pas le goût si fort, lui. Tiens, c'est tout comme un homme qui n'aurait jamais bu que de belle eau bien claire, le vin ou l'eau-de-vie ne lui plairaient pas. Lisette, étonnée. - Mais de la façon dont tu arranges mes agréments, je ne les trouve pas si jolis que tu dis. Flaminia, d'un air naïf. - Bon! c'est que je les examine, moi, voilà pourquoi ils deviennent ridicules mais tu es en sûreté de la part des hommes. Lisette. - Que mettrai-je donc à la place de ces impertinences que j'ai? Flaminia. - Rien tu laisseras aller tes regards comme ils iraient si ta coquetterie les laissait en repos; ta tÃÂȘte comme elle se tiendrait, si tu ne songeais pas à lui donner des airs évaporés; et ta contenance tout comme elle est quand personne ne te regarde. Pour essayer, donne-moi quelque échantillon de ton savoir-faire; regarde-moi d'un air ingénu. Lisette, se tournant. - Tiens, ce regard-là est-il bon? Flaminia. - Hum! il a encore besoin de quelque correction. Lisette. - Oh dame, veux-tu que je te dise? Tu n'es qu'une femme, est-ce que cela anime? Laissons cela, car tu m'emporterais la fleur de mon rÎle. C'est pour Arlequin, n'est-ce-pas? Flaminia. - Pour lui-mÃÂȘme. Lisette. - Mais le pauvre garçon, si je ne l'aime pas, je le tromperai; je suis fille d'honneur, et je m'en fais un scrupule. Flaminia. - S'il vient à t'aimer, tu l'épouseras, et cela te fera ta fortune; as-tu encore des scrupules? Tu n'es, non plus que moi, que la fille d'un domestique du Prince, et tu deviendras grande dame. Lisette. - Oh! voilà ma conscience en repos, et en ce cas-là , si je l'épouse, il n'est pas nécessaire que je l'aime. Adieu, tu n'as qu'à m'avertir quand il sera temps de commencer. Flaminia. - Je me retire aussi; car voilà Arlequin qu'on amÚne. ScÚne IV Arlequin, Trivelin Arlequin regarde Trivelin et tout l'appartement avec étonnement. Trivelin. - Eh bien, seigneur Arlequin, comment vous trouvez-vous ici? Arlequin ne dit mot. N'est-il pas vrai que voilà une belle maison? Arlequin. - Que diantre, qu'est-ce que cette maison-là et moi avons affaire ensemble? qu'est-ce que c'est que vous? que me voulez-vous? oÃÂč allons-nous? Trivelin. - Je suis un honnÃÂȘte homme, à présent votre domestique je ne veux que vous servir, et nous n'allons pas plus loin. Arlequin. - HonnÃÂȘte homme ou fripon, je n'ai que faire de vous, je vous donne votre congé, et je m'en retourne. Trivelin, l'arrÃÂȘtant. - Doucement. Arlequin. - Parlez donc, eh! vous ÃÂȘtes bien impertinent d'arrÃÂȘter votre maÃtre? Trivelin. - C'est un plus grand maÃtre que vous qui vous a fait le mien. Arlequin. - Qui est donc cet original-là , qui me donne des valets malgré moi? Trivelin. - Quand vous le connaÃtrez, vous parlerez autrement. Expliquons-nous à présent. Arlequin. - Est-ce que nous avons quelque chose à nous dire? Trivelin. - Oui, sur Silvia. Arlequin, charmé, et vivement. - Ah! Silvia! hélas, je vous demande pardon, voyez ce que c'est, je ne savais pas que j'avais à vous parler. Trivelin. - Vous l'avez perdue depuis deux jours? Arlequin. - Oui, des voleurs me l'ont dérobée. Trivelin. - Ce ne sont pas des voleurs. Arlequin. - Enfin, si ce ne sont pas des voleurs, ce sont toujours des fripons. Trivelin. - Je sais oÃÂč elle est. Arlequin, charmé et le caressant. - Vous savez oÃÂč elle est, mon ami, mon valet, mon maÃtre, mon tout ce qu'il vous plaira? Que je suis fùché de n'ÃÂȘtre pas riche, je vous donnerais tous mes revenus pour gages. Dites, l'honnÃÂȘte homme, de quel cÎté faut-il tourner? Est-ce à droite, à gauche, ou tout devant moi? Trivelin. - Vous la verrez ici. Arlequin, charmé et d'un air doux. - Mais quand j'y songe, il faut que vous soyez bien bon, bien obligeant pour m'amener ici comme vous faites? O Silvia! chÚre enfant de mon ùme, ma mie, je pleure de joie. Trivelin, à part les premiers mots. - De la façon dont ce drÎle-là prélude, il ne nous promet rien de bon. Ecoutez, j'ai bien autre chose à vous dire. Arlequin, le pressant. - Allons d'abord voir Silvia, prenez pitié de mon impatience. Trivelin. - Je vous dis que vous la verrez mais il faut que je vous entretienne auparavant. Vous souvenez-vous d'un certain cavalier, qui a rendu cinq ou six visites à Silvia, et que vous avez vu avec elle? Arlequin, triste. - Oui il avait la mine d'un hypocrite. Trivelin. - Cet homme-là a trouvé votre maÃtresse fort aimable. Arlequin. - Pardi, il n'a rien trouvé de nouveau. Trivelin. - Et il en a fait au Prince un récit qui l'a enchanté. Arlequin. - Le babillard! Trivelin. - Le Prince a voulu la voir, et a donné ordre qu'on l'amenùt ici. Arlequin. - Mais il me la rendra, comme cela est juste? Trivelin. - Hum! il y a une petite difficulté il en est devenu amoureux, et souhaiterait d'en ÃÂȘtre aimé à son tour. Arlequin. - Son tour ne peut pas venir, c'est moi qu'elle aime. Trivelin. - Vous n'allez point au fait, écoutez jusqu'au bout. Arlequin, haussant le ton. - Mais le voilà , le bout. Est-ce qu'on veut me chicaner mon bon droit? Trivelin. - Vous savez que le Prince doit se choisir une femme dans ses Etats? Arlequin, brusquement. - Je ne sais point cela cela m'est inutile. Trivelin. - Je vous l'apprends. Arlequin, brusquement. - Je ne me soucie pas de nouvelles. Trivelin. - Silvia plaÃt donc au Prince, et il voudrait lui plaire avant que de l'épouser. L'amour qu'elle a pour vous fait obstacle à celui qu'il tùche de lui donner pour lui. Arlequin. - Qu'il fasse donc l'amour ailleurs; car il n'aurait que la femme, moi, j'aurais le coeur, il nous manquerait quelque chose à l'un et à l'autre, et nous serions tous trois mal à notre aise. Trivelin. - Vous avez raison mais ne voyez-vous pas que si vous épousez Silvia, le Prince resterait malheureux? Arlequin, aprÚs avoir rÃÂȘvé. - A la vérité il sera d'abord un peu triste, mais il aura fait le devoir d'un brave homme, et cela console; au lieu que s'il l'épouse, il fera pleurer ce pauvre enfant, je pleurerai aussi, moi, il n'y aura que lui qui rira, et il n'y a pas de plaisir à rire tout seul. Trivelin. - Seigneur Arlequin, croyez-moi, faites quelque chose pour votre maÃtre. Il ne peut se résoudre à quitter Silvia, je vous dirai mÃÂȘme qu'on lui a prédit l'aventure qui la lui a fait connaÃtre, et qu'elle doit ÃÂȘtre sa femme; il faut que cela arrive, cela est écrit là -haut. Arlequin. - Là -haut on n'écrit pas de telles impertinences pour marque de cela, si on avait prédit que je dois vous assommer, vous tuer par derriÚre, trouveriez-vous bon que j'accomplisse la prédiction? Trivelin. - Non vraiment, il ne faut jamais faire de mal à personne. Arlequin. - Eh bien, c'est ma mort qu'on a prédite; ainsi c'est prédire rien qui vaille, et dans tout cela il n'y a que l'astrologue à pendre. Trivelin. - Eh morbleu, on ne prétend pas vous faire du mal; nous avons ici d'aimables filles, épousez-en une, vous y trouverez votre avantage. Arlequin. - Oui-da, que je me marie à une autre, afin de mettre Silvia en colÚre et qu'elle porte son amitié ailleurs! Oh, oh, mon mignon, combien vous a-t-on donné pour m'attraper? Allez, mon fils, vous n'ÃÂȘtes qu'un butor, gardez vos filles, nous ne nous accommoderons pas, vous ÃÂȘtes trop cher. Trivelin. - Savez-vous bien que le mariage que je vous propose vous acquerra l'amitié du Prince? Arlequin. - Bon! mon ami ne serait pas seulement mon camarade. Trivelin. - Mais les richesses que vous promet cette amitié? Arlequin. - On n'a que faire de toutes ces babioles-là , quand on se porte bien, qu'on a bon appétit et de quoi vivre. Trivelin. - Vous ignorez le prix de ce que vous refusez. Arlequin, d'un air négligent. - C'est à cause de cela que je n'y perds rien. Trivelin. - Maison à la ville, maison à la campagne. Arlequin. - Ah, que cela est beau! il n'y a qu'une chose qui m'embarrasse; qui est-ce qui habitera ma maison de ville, quand je serai à ma maison de campagne? Trivelin. - Parbleu, vos valets! Arlequin. - Mes valets? Qu'ai-je besoin de faire fortune pour ces canailles-là ? Je ne pourrai donc pas les habiter toutes à la fois? Trivelin, riant. - Non, que je pense; vous ne serez pas en deux endroits en mÃÂȘme temps. Arlequin. - Eh bien, innocent que vous ÃÂȘtes, si je n'ai pas ce secret-là , il est inutile d'avoir deux maisons. Trivelin. - Quand il vous plaira, vous irez de l'une à l'autre. Arlequin. - A ce compte, je donnerai donc ma maÃtresse pour avoir le plaisir de déménager souvent? Trivelin. - Mais rien ne vous touche, vous ÃÂȘtes bien étrange! Cependant tout le monde est charmé d'avoir de grands appartements, nombre de domestiques... Arlequin. - Il ne me faut qu'une chambre, je n'aime pont à nourrir des fainéants, et je ne trouverai point de valet plus fidÚle, plus affectionné à mon service que moi. Trivelin. - Je conviens que vous ne serez point en danger de mettre ce domestique-là dehors mais ne seriez-vous pas sensible au plaisir d'avoir un bon équipage, un bon carrosse, sans parler de l'agrément d'ÃÂȘtre meublé superbement? Arlequin. - Vous ÃÂȘtes un grand nigaud, mon ami, de faire entrer Silvia en comparaison avec des meubles, un carrosse et des chevaux qui le traÃnent; dites-moi, fait-on autre chose dans sa maison que s'asseoir, prendre ses repas et se coucher? Eh bien, avec un bon lit, une bonne table, une douzaine de chaises de paille, ne suis-je pas bien meublé? N'ai-je pas toutes mes commodités? Oh, mais je n'ai pas de carrosse? Eh bien en montrant ses jambes, je ne verserai point. Ne voilà -t-il pas un équipage que ma mÚre m'a donné? N'est-ce pas là de bonnes jambes? Eh morbleu, il n'y a pas de raison à vous d'avoir une autre voiture que la mienne. Alerte, alerte, paresseux, laissez vos chevaux à tant d'honnÃÂȘtes laboureurs qui n'en ont point, cela nous fera du pain; vous marcherez, et vous n'aurez pas les gouttes. Trivelin. - TÃÂȘtubleu! vous ÃÂȘtes vif si l'on vous en croyait, on ne pourrait fournir les hommes de souliers. Arlequin, brusquement. - Ils porteraient des sabots. Mais je commence à m'ennuyer de tous vos comptes. Vous m'avez promis de me montrer Silvia, et un honnÃÂȘte homme n'a que sa parole. Trivelin. - Un moment vous ne vous souciez ni d'honneurs, ni de richesses, ni de belles maisons, ni de magnificence, ni de crédit, ni d'équipages. Arlequin. - Il n'y a pas là pour un sol de bonne marchandise. Trivelin. - La bonne chÚre vous tenterait-elle? Une cave remplie de vin exquis vous plairait-elle? Seriez-vous bien aise d'avoir un cuisinier qui vous apprÃÂȘtùt délicatement à manger, et en abondance? Imaginez-vous ce qu'il y a de meilleur, de plus friand en viande et en poisson vous l'aurez, et pour toute votre vie. Arlequin est quelque temps à répondre. Vous ne répondez rien? Arlequin. - Ce que vous dites là serait plus de mon goût que tout le reste; car je suis gourmand, je l'avoue mais j'ai encore plus d'amour que de gourmandise. Trivelin. - Allons, seigneur Arlequin, faites-vous un sort heureux; il ne s'agira seulement que de quitter une fille pour en prendre une autre. Arlequin. - Non, non, je m'en tiens au boeuf, et au vin de mon cru. Trivelin. - Que vous auriez bu de bon vin! Que vous auriez mangé de bons morceaux! Arlequin. - J'en suis fùché, mais il n'y a rien à faire; le coeur de Silvia est un morceau encore plus friand que tout cela voulez-vous me la montrer, ou ne le voulez-vous pas? Trivelin. - Vous l'entretiendrez, soyez-en sûr, mais il est encore un peu matin. ScÚne V Lisette, Arlequin, Trivelin Lisette, à Trivelin. - Je vous cherche partout, Monsieur Trivelin, le Prince vous demande. Trivelin. - Le Prince me demande, j'y cours mais tenez donc compagnie au seigneur Arlequin pendant mon absence. Arlequin. - Oh! ce n'est pas la peine; quand je suis seul, moi, je me fais compagnie. Trivelin. - Non, non, vous pourriez vous ennuyer. Adieu, je vous rejoindrai bientÎt. Trivelin sort. ScÚne VI Arlequin, Lisette Arlequin, se retirant au coin du théùtre. - Je gage que voilà une éveillée qui vient pour m'affriander d'elle. Néant. Lisette, doucement. - C'est donc vous, Monsieur, qui ÃÂȘtes l'amant de Mademoiselle Silvia? Arlequin, froidement. - Oui. Lisette. - C'est une trÚs jolie fille. Arlequin, du mÃÂȘme ton. - Oui. Lisette. - Tout le monde l'aime. Arlequin, brusquement. - Tout le monde a tort. Lisette. - Pourquoi cela, puisqu'elle le mérite? Arlequin, brusquement. - C'est quelle n'aimera personne que moi. Lisette. - Je n'en doute pas, et je lui pardonne son attachement pour vous. Arlequin. - A quoi cela sert-il, ce pardon-là ? Lisette. - Je veux dire que je ne suis plus si surprise que je l'étais de son obstination à vous aimer. Arlequin. - Et en vertu de quoi étiez-vous surprise? Lisette. - C'est qu'elle refuse un prince aimable. Arlequin. - Et quand il serait aimable, cela empÃÂȘche-t-il que je ne le sois aussi, moi? Lisette, d'un air doux. - Non, mais enfin c'est un prince. Arlequin. - Qu'importe? en fait de fille, ce prince n'est pas plus avancé que moi. Lisette, doucement. - A la bonne heure; j'entends seulement qu'il a des sujets et des Etats, et que, tout aimable que vous ÃÂȘtes, vous n'en avez point. Arlequin. - Vous me la baillez belle avec vos sujets et vos Etats; si je n'ai pas de sujets, je n'ai charge de personne; et si tout va bien, je m'en réjouis, si tout va mal, ce n'est pas ma faute. Pour des Etats, qu'on en ait ou qu'on n'en ait point, on n'en tient pas plus de place, et cela ne rend ni plus beau ni plus laid ainsi, de toutes façons, vous étiez surprise à propos de rien. Lisette, à part. - Voilà un vilain petit homme, je lui fais des compliments, et il me querelle. Arlequin, comme lui demandant ce qu'elle dit. - Hem? Lisette. - J'ai du malheur dans ce que je vous dis; et j'avoue qu'à vous voir seulement, je me serais promis une conversation plus douce. Arlequin. - Dame, Mademoiselle, il n'y a rien de si trompeur que la mine des gens. Lisette. - Il est vrai que la vÎtre m'a trompée, et voilà comme on a souvent tort de se prévenir en faveur de quelqu'un. Arlequin. - Oh trÚs tort mais que voulez-vous? je n'ai pas choisi ma physionomie. Lisette, en le regardant comme étonnée. - Non, je n'en saurais revenir quand je vous regarde. Arlequin. - Me voilà pourtant, et il n'y a point de remÚde, je serai toujours comme cela. Lisette, d'un air un peu fùché. - Oh j'en suis persuadée. Arlequin. - Par bonheur vous ne vous en souciez guÚre? Lisette. - Pourquoi me demandez-vous cela? Arlequin. - Eh pour le savoir. Lisette, d'un air naturel. - Je serais bien sotte de vous dire la vérité là -dessus, et une fille doit se taire. Arlequin, à part les premiers mots. - Comme elle y va! Tenez, dans le fond, c'est dommage que vous soyez une si grande coquette. Lisette. - Moi? Arlequin. - Vous-mÃÂȘme. Lisette. - Savez-vous bien qu'on n'a jamais dit pareille chose à une femme, et que vous m'insultez? Arlequin, d'un air naïf. - Point du tout il n'y a point de mal à voir ce que les gens nous montrent; ce n'est point moi qui ai tort de vous trouver coquette, c'est vous qui avez tort de l'ÃÂȘtre, Mademoiselle. Lisette, d'un air un peu vif. - Mais par oÃÂč voyez-vous donc que je le suis? Arlequin. - Parce qu'il y a une heure que vous me dites des douceurs, et que vous prenez le tour pour me dire que vous m'aimez. Ecoutez, si vous m'aimez tout de bon, retirez-vous vite, afin que cela s'en aille; car je suis pris, et naturellement je ne veux pas qu'une fille me fasse l'amour la premiÚre, c'est moi qui veux commencer à le faire à la fille, cela est bien meilleur. Et si vous ne m'aimez pas, eh fi! Mademoiselle, fi! fi! Lisette. - Allez, allez, vous n'ÃÂȘtes qu'un visionnaire. Arlequin. - Comment est-ce que les garçons à la cour peuvent souffrir ces maniÚres-là dans leurs maÃtresses? Par la morbleu! qu'une femme est laide quand elle est coquette. Lisette. - Mais, mon pauvre garçon, vous extravaguez. Arlequin. - Vous parlez de Silvia, c'est cela qui est aimable; si je vous contais notre amour, vous tomberiez dans l'admiration de sa modestie. Les premiers jours, il fallait voir comme elle se reculait d'auprÚs de moi, et puis elle reculait plus doucement, et puis petit à petit elle ne reculait plus, ensuite elle me regardait en cachette, et puis elle avait honte quand je l'avais vu faire, et puis moi j'avais un plaisir de roi à voir sa honte; ensuite j'attrapais sa main, qu'elle me laissait prendre, et puis elle était encore toute confuse; et puis je lui parlais; ensuite elle ne me répondait rien, mais n'en pensait pas moins; ensuite elle me donnait des regards pour des paroles, et puis des paroles qu'elle laissait aller sans y songer, parce que son coeur allait plus vite qu'elle enfin c'était un charme, aussi j'étais comme un fou. Et voilà ce qui s'appelle une fille; mais vous ne ressemblez point à Silvia. Lisette. - En vérité vous me divertissez, vous me faites rire. Arlequin, en s'en allant. - Oh! pour moi, je m'ennuie de vous faire rire à vos dépens adieu, si tout le monde était comme moi, vous trouveriez plus tÎt un merle blanc qu'un amoureux. Trivelin arrive quand il sort. ScÚne VII Arlequin, Lisette, Trivelin Trivelin, à Arlequin. - Vous sortez? Arlequin. - Oui; cette demoiselle veut que je l'aime, mais il n'y a pas moyen. Trivelin. - Allons, allons faire un tour en attendant le dÃner, cela vous désennuiera. ScÚne VIII Le Prince, Flaminia, Lisette Flaminia, à Lisette. - Eh bien, nos affaires avancent-elles? Comment va le coeur d'Arlequin? Lisette, d'un air fùché. - Il va trÚs brutalement pour moi. Flaminia. - Il t'a donc mal reçue? Lisette. - Eh fi! Mademoiselle, vous ÃÂȘtes une coquette voilà de son style. Le Prince. - J'en suis fùché, Lisette mais il ne faut pas que cela vous chagrine, vous n'en valez pas moins. Lisette. - Je vous avoue, seigneur, que si j'étais vaine, je n'aurais pas mon compte; j'ai des preuves que je puis déplaire, et nous autres femmes nous nous passons bien de ces preuves-là . Flaminia. - Allons, allons, c'est maintenant à moi à tenter l'aventure. Le Prince. - Puisqu'on ne peut gagner Arlequin, Silvia ne m'aimera jamais. Flaminia. - Et moi je vous dis, seigneur, que j'ai vu Arlequin, qu'il me plaÃt à moi, que je me suis mise dans la tÃÂȘte de vous rendre content; que je vous ai promis que vous le seriez; que je vous tiendrai parole, et que de tout ce que je vous dis là , je n'en rabattrais pas la valeur d'un mot. Oh! vous ne me connaissez pas. Quoi, seigneur, Arlequin et Silvia me résisteraient? Je ne gouvernerais pas deux coeurs de cette espÚce-là , moi qui l'ai entrepris, moi qui suis opiniùtre, moi qui suis femme? c'est tout dire. Eh mais j'irais me cacher, mon sexe me renoncerait. Seigneur, vous pouvez en toute sûreté ordonner les apprÃÂȘts de votre mariage, vous arranger pour cela; je vous garantis aimé, je vous garantis marié, Silvia va vous donner son coeur, ensuite sa main; je l'entends d'ici vous dire Je vous aime; je vois vos noces, elles se font; Arlequin m'épouse, vous nous honorez de vos bienfaits, et voilà qui est fini Lisette, d'un air incrédule. - Tout est fini, rien n'est commencé. Flaminia. - Tais-toi, esprit court. Le Prince. - Vous m'encouragez à espérer; mais je vous avoue que je ne vois d'apparence à rien. Flaminia. - Je les ferai bien venir, ces apparences, j'ai de bons moyens pour cela; je vais commencer par aller chercher Silvia, il est temps qu'elle voie Arlequin. Lisette. - Quand ils se seront vus, j'ai bien peur que tes moyens n'aillent mal. Le Prince. - Je pense de mÃÂȘme. Flaminia, d'un air indifférent. - Eh! nous ne différons que du oui et du non, ce n'est qu'une bagatelle. Pour moi, j'ai résolu qu'ils se voient librement sur la liste des mauvais tours que je veux jouer à leur amour, c'est ce tour-là que j'ai mis à la tÃÂȘte. Le Prince. - Faites donc à votre fantaisie. Flaminia. - Retirons-nous, voici Arlequin qui vient. ScÚne IX Arlequin, Trivelin et une suite de valets. Arlequin. - Par parenthÚse, dites-moi une chose il y a une heure que je rÃÂȘve à quoi servent ces grands drÎles bariolés qui nous accompagnent partout. Ces gens-là sont bien curieux! Trivelin. - Le Prince, qui vous aime, commence par là à vous donner des témoignages de sa bienveillance; il veut que ces gens-là vous suivent pour vous faire honneur. Arlequin. - Oh! oh! c'est donc une marque d'honneur? Trivelin. - Oui sans doute. Arlequin. - Et dites-moi, ces gens-là qui me suivent, qui est-ce qui les suit, eux? Trivelin. - Personne. Arlequin. - Eh vous, n'avez-vous personne aussi? Trivelin. - Non. Arlequin. - On ne vous honore donc pas, vous autres? Trivelin. - Nous ne méritons pas cela. Arlequin, en colÚre et prenant son bùton. - Allons, cela étant, hors d'ici, tournez-moi les talons avec toutes ces canailles-là . Trivelin. - D'oÃÂč vient donc cela? Arlequin. - Détalez, je n'aime point les gens sans honneur et qui ne méritent pas qu'on les honore. Trivelin. - Vous ne m'entendez pas. Arlequin, en le frappant. - Je m'en vais donc vous parler plus clairement. Trivelin, en s'enfuyant. - ArrÃÂȘtez, arrÃÂȘtez, que faites-vous? Arlequin court aussi aprÚs les autres valets qu'il chasse, et Trivelin se réfugie dans une coulisse. ScÚne X Arlequin, Trivelin Arlequin revient sur le théùtre. - Ces maurauds-là ! j'ai eu toutes les peines du monde à les congédier. Voilà une drÎle de façon d'honorer un honnÃÂȘte homme, que de mettre une troupe de coquins aprÚs lui c'est se moquer du monde. Il se retourne et voit Trivelin qui revient. Mon ami, est-ce que je ne me suis pas bien expliqué? Trivelin, de loin. - Ecoutez, vous m'avez battu mais je vous le pardonne, je vous crois un garçon raisonnable. Arlequin. - Vous le voyez bien. Trivelin, de loin. - Quand je vous dis que nous ne méritons pas d'avoir des gens à notre suite, ce n'est pas que nous manquions d'honneur; c'est qu'il n'y a que les personnes considérables, les seigneurs, les gens riches, qu'on honore de cette maniÚre-là s'il suffisait d'ÃÂȘtre honnÃÂȘte homme, moi qui vous parle, j'aurais aprÚs moi une armée de valets. Arlequin, remettant sa latte. - Oh! à présent je vous comprends; que diantre! que ne dites-vous les choses comme il faut? Je n'aurais pas les bras démis, et vos épaules s'en porteraient mieux. Trivelin. - Vous m'avez fait mal. Arlequin. - Je le crois bien, c'était mon intention; par bonheur ce n'est qu'un malentendu, et vous devez ÃÂȘtre bien aise d'avoir reçu innocemment les coups de bùton que je vous ai donnés. Je vois bien à présent que c'est qu'on fait ici tout l'honneur aux gens considérables, riches, et à celui qui n'est qu'honnÃÂȘte homme, rien. Trivelin. - C'est cela mÃÂȘme. Arlequin, d'un air dégoûté. - Sur ce pied-là ce n'est pas grand-chose que d'ÃÂȘtre honoré, puisque cela ne signifie pas qu'on soit honorable. Trivelin. - Mais on peut ÃÂȘtre honorable avec cela. Arlequin. - Ma foi, tout bien compté, vous me ferez plaisir de me laisser là sans compagnie; ceux qui me verront tout seul me prendront tout d'un coup pour un honnÃÂȘte homme, j'aime autant cela que d'ÃÂȘtre pris pour un grand seigneur. Trivelin. - Nous avons ordre de rester auprÚs de vous. Arlequin. - Menez-moi donc voir Silvia. Trivelin. - Vous serez satisfait, elle va venir... Parbleu je ne vous trompe pas, car la voilà qui entre adieu, je me retire. ScÚne XI Silvia, Flaminia, Arlequin Silvia, en entrant, accourt avec joie. - Ah le voici! Eh! mon cher Arlequin, c'est donc vous! Je vous revois donc! Le pauvre enfant! que je suis aise! Arlequin, tout étouffé de joie. - Et moi aussi. Il prend respiration. Oh! oh! je me meurs de joie. Silvia. - Là , là , mon fils, doucement; comme il m'aime, quel plaisir d'ÃÂȘtre aimée comme cela! Flaminia, en les regardant tous deux. - Vous me ravissez tous deux, mes chers enfants, et vous ÃÂȘtes bien aimables de vous ÃÂȘtre si fidÚles. Et comme tout bas. Si quelqu'un m'entendait dire cela, je serais perdue mais dans le fond du coeur je vous estime, et je vous plains. Silvia, lui répondant. - Hélas! c'est que vous ÃÂȘtes un bon coeur. J'ai bien soupiré, mon cher Arlequin. Arlequin, tendrement et lui prenant la main. - M'aimez-vous toujours? Silvia. - Si je vous aime! Cela se demande-t-il? est-ce une question à faire? Flaminia, d'un air naturel à Arlequin. - Oh! pour cela, je puis vous certifier sa tendresse. Je l'ai vue au désespoir, je l'ai vue pleurer de votre absence; elle m'a touchée moi-mÃÂȘme, je mourais d'envie de vous voir ensemble; vous voilà adieu, mes amis, je m'en vais, car vous m'attendrissez; vous me faites tristement ressouvenir d'un amant que j'avais, et qui est mort; il avait de l'air d'Arlequin, et je ne l'oublierai jamais. Adieu, Silvia, on m'a mise auprÚs de vous, mais je ne vous desservirai point. Aimez toujours Arlequin, il le mérite; et vous, Arlequin, quelque chose qu'il arrive, regardez-moi comme une amie, comme une personne qui voudrait pouvoir vous obliger, je ne négligerai rien pour cela. Arlequin, doucement. - Allez, Mademoiselle, vous ÃÂȘtes une fille de bien; je suis votre ami aussi, moi; je suis fùché de la mort de votre amant, c'est bien dommage que vous soyez affligée, et nous aussi. Flaminia sort. ScÚne XII Arlequin, Silvia Silvia, d'un air plaintif. - Eh bien, mon cher Arlequin? Arlequin. - Eh bien, mon ùme? Silvia. - Nous sommes bien malheureux. Arlequin. - Aimons-nous toujours; cela nous aidera à prendre patience. Silvia. - Oui, mais notre amitié, que deviendra-t-elle? Cela m'inquiÚte. Arlequin. - Hélas! m'amour, je vous dis de prendre patience, mais je n'ai pas plus de courage que vous. Il lui prend la main. Pauvre petit trésor à moi, ma mie; il y a trois jours que je n'ai vu ces beaux yeux-là , regardez-moi toujours pour me récompenser. Silvia, d'un air inquiet. - Ah! j'ai bien des chose à vous dire! j'ai peur de vous perdre; j'ai peur qu'on ne vous fasse quelque mal par méchanceté de jalousie; j'ai peur que vous ne soyez trop longtemps sans me voir, et que vous ne vous y accoutumiez. Arlequin. - Petit coeur, est-ce que je m'accoutumerais à ÃÂȘtre malheureux? Silvia. - Je ne veux point que vous m'oubliiez; je ne veux point non plus que vous enduriez rien à cause de moi; je ne sais point dire ce que je veux, je vous aime trop, c'est une pitié que mon embarras, tout me chagrine. Arlequin pleure. - Hi! hi! hi! hi! Silvia, tristement. - Oh bien, Arlequin, je m'en vais donc pleurer aussi, moi. Arlequin. - Comment voulez-vous que je m'empÃÂȘche de pleurer, puisque vous voulez ÃÂȘtre si triste? si vous aviez un peu de compassion pour moi, est-ce que vous seriez si affligée? Silvia. - Demeurez donc en repos, je ne vous dirai plus que je suis chagrine. Arlequin. - Oui; mais je devinerai que vous l'ÃÂȘtes; il faut me promettre que vous ne le serez plus. Silvia. - Oui, mon fils mais promettez-moi aussi que vous m'aimerez toujours. Arlequin, en s'arrÃÂȘtant tout court pour la regarder. - Silvia, je suis votre amant, vous ÃÂȘtes ma maÃtresse, retenez-le bien, car cela est vrai, et tant que je serai en vie, cela ira toujours le mÃÂȘme train, cela ne branlera pas, je mourrai de compagnie avec cela. Ah çà , dites-moi le serment que vous voulez que je vous fasse? Silvia, bonnement. - Voilà qui va bien, je ne sais point de serments; vous ÃÂȘtes un garçon d'honneur, j'ai votre amitié, vous avez la mienne, je ne la reprendrai pas. A qui est-ce que je la porterais? N'ÃÂȘtes-vous pas le plus joli garçon qu'il y ait? Y a-t-il quelque fille qui puisse vous aimer autant que moi? Eh bien, n'est-ce pas assez? Nous en faut-il davantage? Il n'y a qu'à rester comme nous sommes, il n'y aura pas besoin de serments. Arlequin. - Dans cent ans d'ici, nous serons tout de mÃÂȘme. Silvia. - Sans doute. Arlequin. - Il n'y a donc rien à craindre, ma mie, tenons-nous joyeux. Silvia. - Nous souffrirons peut-ÃÂȘtre un peu, voilà tout. Arlequin. - C'est une bagatelle; quand on a un peu pùti, le plaisir en semble meilleur. Silvia. - Oh! pourtant, je n'aurais que faire de pùtir pour ÃÂȘtre bien aise, moi. Arlequin. - Il n'y aura qu'à ne pas songer que nous pùtissons. Silvia, en le regardant tendrement. - Ce cher petit homme, comme il m'encourage! Arlequin, tendrement. - Je ne m'embarrasse que de vous. Silvia, en le regardant. - OÃÂč est-ce qu'il prend tout ce qu'il me dit? Il n'y a que lui au monde comme cela; mais aussi il n'y a que moi pour vous aimer, Arlequin. Arlequin saute d'aise. - C'est comme du miel, ces paroles-là . En mÃÂȘme temps viennent Flaminia et Trivelin. ScÚne XIII Arlequin, Silvia, Flaminia, Trivelin Trivelin, à Silvia. - Je suis au désespoir de vous interrompre mais votre mÚre vient d'arriver, Mademoiselle Silvia, et elle demande instamment à vous parler. Silvia, regardant Arlequin. - Arlequin, ne me quittez pas, je n'ai rien de secret pour vous. Arlequin, la prenant sous le bras. - Marchons, ma petite. Flaminia, d'un air de confiance, et s'approchant d'eux. - Ne craignez rien, mes enfants; allez toute seule trouver votre mÚre, ma chÚre Silvia; cela sera plus séant. Vous ÃÂȘtes libres de vous voir autant qu'il vous plaira, c'est moi qui vous en assure, vous savez bien que je ne voudrais pas vous tromper. Arlequin. - Oh non; vous ÃÂȘtes de notre parti, vous. Silvia. - Adieu donc, mon fils, je vous rejoindrai bientÎt. Elle sort. Arlequin, à Flaminia qui veut s'en aller, et qu'il arrÃÂȘte. - Notre amie, pendant qu'elle sera là , restez avec moi, pour empÃÂȘcher que je ne m'ennuie; il n'y a ici que votre compagnie que je puisse endurer. Flaminia, comme en secret. - Mon cher Arlequin, la vÎtre me fait bien du plaisir aussi mais j'ai peur qu'on ne s'aperçoive de l'amitié que j'ai pour vous. Trivelin. - Seigneur Arlequin, le dÃner est prÃÂȘt. Arlequin, tristement. - Je n'ai point de faim. Flaminia, d'un air d'amitié. - Je veux que vous mangiez, vous en avez besoin. Arlequin, doucement. - Croyez-vous? Flaminia. - Oui. Arlequin. - Je ne saurais. A Trivelin. La soupe est-elle bonne? Trivelin. - Exquise. Arlequin. - Hum, il faut attendre Silvia; elle aime le potage. Flaminia. - Je crois qu'elle dÃnera avec sa mÚre; vous ÃÂȘtes le maÃtre pourtant mais je vous conseille de les laisser ensemble, n'est-il pas vrai? AprÚs dÃner vous la verrez. Arlequin. - Je veux bien mais mon appétit n'est pas encore ouvert. Trivelin. - Le vin est au frais, et le rÎt tout prÃÂȘt. Arlequin. - Je suis si triste... Ce rÎt est donc friand? Trivelin. - C'est du gibier qui a une mine... Arlequin. - Que de chagrins! Allons donc; quand la viande est froide, elle ne vaut rien. Flaminia. - N'oubliez pas de boire à ma santé. Arlequin. - Venez boire à la mienne, à cause de la connaissance. Flaminia. - Oui-da, de tout mon coeur, j'ai une demi-heure à vous donner. Arlequin. - Bon, je suis content de vous. Acte II ScÚne premiÚre Flaminia, Silvia Silvia. - Oui, je vous crois, vous paraissez me vouloir du bien; aussi vous voyez que je ne souffre que vous, je regarde tous les autres comme mes ennemis. Mais oÃÂč est Arlequin? Flaminia. - Il va venir, il dÃne encore. Silvia. - C'est quelque chose d'épouvantable que ce pays-ci! Je n'ai jamais vu de femmes si civiles, des hommes si honnÃÂȘtes, ce sont des maniÚres si douces, tant de révérences, tant de compliments, tant de signes d'amitié, vous diriez que ce sont les meilleures gens du monde, qu'ils sont pleins de coeur et de conscience; point du tout, de tous ces gens-là , il n'y en a pas un qui ne vienne me dire d'un air prudent Mademoiselle, croyez-moi, je vous conseille d'abandonner Arlequin, et d'épouser le Prince. Mais ils me conseillent cela tout naturellement, sans avoir honte, non plus que s'ils m'exhortaient à quelque bonne action. Mais, leur dis-je, j'ai promis à Arlequin; oÃÂč est la fidélité, la probité, la bonne foi? Ils ne m'entendent pas; ils ne savent ce que c'est que tout cela, c'est tout comme si je leur parlais grec; ils me rient au nez, me disent que je fais l'enfant, qu'une grande fille doit avoir de la raison Eh! cela n'est-il pas joli? Ne valoir rien, tromper son prochain, lui manquer de parole, ÃÂȘtre fourbe et mensonger, voilà le devoir des grandes personnes de ce maudit endroit-ci. Qu'est-ce que c'est que ces gens-là ? D'oÃÂč sortent-ils? De quelle pùte sont-ils? Flaminia. - De la pùte des autres hommes, ma chÚre Silvia; que cela ne vous étonne pas, ils s'imaginent que ce serait votre bonheur que le mariage du Prince. Silvia. - Mais ne suis-je pas obligée d'ÃÂȘtre fidÚle? N'est-ce pas mon devoir d'honnÃÂȘte fille? et quand on ne fait pas son devoir, est-on heureuse? Par-dessus le marché, cette fidélité n'est-elle pas mon charme? Et on a le courage de me dire Là , fais un mauvais tour, qui ne te rapportera que du mal, perds ton plaisir et ta bonne foi. Et parce que je ne veux pas, moi, on me trouve dégoûtée. Flaminia. - Que voulez-vous? ces gens-là pensent à leur façon, et souhaiteraient que le Prince fût content. Silvia. - Mais ce Prince, que ne prend-il une fille qui se rende à lui de bonne volonté? Quelle fantaisie d'en vouloir une qui ne veut pas de lui? Quel goût trouve-t-il à cela? Car c'est un abus que tout ce qu'il fait, tous ces concerts, ces comédies, ces grands repas qui ressemblent à des noces, ces bijoux qu'il m'envoie; tout cela lui coûte un argent infini, c'est un abÃme, il se ruine; demandez-moi ce qu'il y gagne? Quand il me donnerait toute la boutique d'un mercier, cela ne me ferait pas tant de plaisir qu'un petit peloton qu'Arlequin m'a donné. Flaminia. - Je n'en doute pas, voilà ce que c'est que l'amour; j'ai aimé de mÃÂȘme, et je me reconnais au petit peloton. Silvia. - Tenez, si j'avais eu à changer Arlequin contre un autre, ç'aurait été contre un officier du palais, qui m'a vue cinq ou six fois, et qui est d'aussi bonne façon qu'on puisse ÃÂȘtre il y a bien à tirer si le Prince le vaut; c'est dommage que je n'aie pu l'aimer dans le fond, et je le plains plus que le Prince. Flaminia, souriant en cachette. - Oh! Silvia, je vous assure que vous plaindrez le Prince autant que lui quand vous le connaÃtrez. Silvia. - Eh bien, qu'il tùche de m'oublier, qu'il me renvoie, qu'il voie d'autres filles; il y en a ici qui ont leur amant tout comme moi mais cela ne les empÃÂȘche pas d'aimer tout le monde, j'ai bien vu que cela ne leur coûte rien mais pour moi, cela m'est impossible. Flaminia. - Eh ma chÚre enfant, avons-nous rien ici qui vous vaille, rien qui approche de vous? Silvia, d'un air modeste. - Oh que si, il y en a de plus jolies que moi; et quand elles seraient la moitié moins jolies, cela leur fait plus de profit qu'à moi d'ÃÂȘtre tout à fait belle j'en vois ici de laides qui font si bien aller leur visage, qu'on y est trompé. Flaminia. - Oui, mais le vÎtre va tout seul, et cela est charmant. Silvia. - Bon, moi, je ne parais rien, je suis toute d'une piÚce auprÚs d'elles, je demeure là , je ne vais ni ne viens; au lieu qu'elles, elles sont d'une humeur joyeuse, elles ont des yeux qui caressent tout le monde, elles ont une mine hardie, une beauté libre qui ne se gÃÂȘne point, qui est sans façon; cela plaÃt davantage que non pas une honteuse comme moi, qui n'ose regarder les gens et qui est confuse qu'on la trouve belle. Flaminia. - Eh! voilà justement ce qui touche le Prince, voilà ce qu'il estime; c'est cette ingénuité, cette beauté simple, ce sont ces grùces naturelles Eh! croyez-moi, ne louez pas tant les femmes d'ici, car elles ne vous louent guÚre. Silvia. - Qu'est-ce donc qu'elles disent? Flaminia. - Des impertinences; elles se moquent de vous, raillent le Prince, lui demandent comment se porte sa beauté rustique. Y a-t-il de visage plus commun disaient l'autre jour ces jalouses entre elles; de taille plus gauche? Là -dessus l'une vous prenait par les yeux, l'autre par la bouche; il n'y avait pas jusqu'aux hommes qui ne vous trouvaient pas trop jolie; j'étais dans une colÚre... Silvia, fùchée. - Pardi, voilà de vilains hommes, de trahir comme cela leur pensée pour plaire à ces sottes-là . Flaminia. - Sans difficulté. Silvia. - Que je les hais, ces femmes-là ! Mais puisque je suis si peu agréable à leur compte, pourquoi donc est-ce que le Prince m'aime et qu'il les laisse là ? Flaminia. - Oh! elles sont persuadées qu'il ne vous aimera pas longtemps, que c'est un caprice qui lui passera, et qu'il en rira tout le premier. Silvia, piquée, et aprÚs avoir un peu regardé Flaminia. - Hum! elles sont bien heureuses que j'aime Arlequin, sans cela j'aurais grand plaisir à les faire mentir, ces babillardes-là . Flaminia. - Ah! qu'elles mériteraient bien d'ÃÂȘtre punies! Je leur ai dit Vous faites ce que vous pouvez pour faire renvoyer Silvia et pour plaire au Prince; et si elle voulait, il ne daignerait pas vous regarder. Silvia. - Pardi, vous voyez bien ce qu'il en est, il ne tient qu'à moi de les confondre. Flaminia. - Voilà de la compagnie qui vous vient. Silvia. - Eh! je crois que c'est cet officier dont je vous ai parlé, c'est lui-mÃÂȘme. Voyez la belle physionomie d'homme! ScÚne II Le Prince, sous le nom d'officier du palais, et Lisette, sous le nom de dame de la cour, et les acteurs précédents. Le Prince, en voyant Silvia, salue avec beaucoup de soumission. Silvia. - Comment, vous voilà , Monsieur? Vous saviez donc bien que j'étais ici? Le Prince. - Oui, Mademoiselle, je le savais; mais vous m'aviez dit de ne plus vous voir, et je n'aurais osé paraÃtre sans Madame, qui a souhaité que je l'accompagnasse, et qui a obtenu du Prince l'honneur de vous faire la révérence. La dame ne dit mot, et regarde seulement Silvia avec attention; Flaminia et elle se font des mines. Silvia, doucement. - Je ne suis pas fùchée de vous revoir, et vous me retrouvez bien triste. A l'égard de cette dame, je la remercie de la volonté qu'elle a de me faire une révérence, je ne mérite pas cela; mais qu'elle me la fasse, puisque c'est son désir, je lui en rendrai une comme je pourrai, elle excusera si je la fais mal. Lisette. - Oui, ma mie, je vous excuserai de bon coeur, je ne vous demande pas l'impossible. Silvia, répétant d'un air fùché, et à part, et faisant une révérence. - Je ne vous demande pas l'impossible, quelle maniÚre de parler! Lisette. - Quel ùge avez-vous, ma fille? Silvia. - Je l'ai oubliée, ma mÚre. Flaminia, à Silvia. - Bon. Le Prince paraÃt et affecte d'ÃÂȘtre surpris. Lisette. - Elle se fùche, je pense? Le Prince. - Mais, Madame, que signifient ces discours-là ? Sous prétexte de venir saluer Silvia, vous lui faites une insulte! Lisette. - Ce n'est pas mon dessein; j'avais la curiosité de voir cette petite fille qu'on aime tant, qui fait naÃtre une si forte passion; et je cherche ce qu'elle a de si aimable. On dit qu'elle est naïve, c'est un agrément campagnard qui doit la rendre amusante, priez-la de nous donner quelques traits de naïveté; voyons son esprit. Silvia. - Eh non, Madame, ce n'est pas la peine, il n'est pas si plaisant que le vÎtre. Lisette, riant. - Ah! ah! vous demandiez du naïf, en voilà . Le Prince. - Allez-vous-en, Madame. Silvia. - Cela m'impatiente à la fin, et si elle ne s'en va, je me fùcherai tout de bon. Le Prince, à Lisette. - Vous vous repentirez de votre procédé. Lisette, en se retirant d'un air dédaigneux. - Adieu; un pareil objet me venge assez de celui qui en a fait choix. ScÚne III Le Prince, Flaminia, Silvia Flaminia. - Voilà une créature bien effrontée! Silvia. - Je suis outrée, j'ai bien affaire qu'on m'enlÚve pour se moquer de moi; chacun a son prix, ne semble-t-il pas que je ne vaille pas bien ces femmes-là ? je ne voudrais pas ÃÂȘtre changée contre elles. Flaminia. - Bon, ce sont des compliments que les injures de cette jalouse-là . Le Prince. - Belle Silvia, cette femme-là nous a trompés, le Prince et moi; vous m'en voyez au désespoir, n'en doutez pas. Vous savez que je suis pénétré de respect pour vous; vous connaissez mon coeur, je venais ici pour me donner la satisfaction de vous voir, pour jeter encore une fois les yeux sur une personne si chÚre, et reconnaÃtre notre souveraine; mais je ne prends pas garde que je me découvre, que Flaminia m'écoute, et que je vous importune encore. Flaminia, d'un air naturel. - Quel mal faites-vous? ne sais-je pas bien qu'on ne peut la voir sans l'aimer? Silvia. - Et moi, je voudrais qu'il ne m'aimùt pas, car j'ai du chagrin de ne pouvoir lui rendre le change; encore si c'était un homme comme tant d'autres, à qui on dit ce qu'on veut; mais il est trop agréable pour qu'on le maltraite, lui, et il a toujours été comme vous le voyez. Le Prince. - Ah! que vous ÃÂȘtes obligeante, Silvia! Que puis-je faire pour mériter ce que vous venez de me dire, si ce n'est de vous aimer toujours! Silvia. - Eh bien! aimez-moi, à la bonne heure, j'y aurai du plaisir, pourvu que vous promettiez de prendre votre mal en patience; car je ne saurais mieux faire, en vérité Arlequin est venu le premier, voilà tout ce qui vous nuit. Si j'avais deviné que vous viendriez aprÚs lui, en bonne foi je vous aurais attendu; mais vous avez du malheur, et moi je ne suis pas heureuse. Le Prince. - Flaminia, je vous en fais juge, pourrait-on cesser d'aimer Silvia? Connaissez-vous de coeur plus compatissant, plus généreux que le sien? Non, la tendresse d'une autre me toucherait moins que la seule bonté qu'elle a de me plaindre. Silvia, à Flaminia. - Et moi, je vous en fais juge aussi; là , vous l'entendez, comment se comporter avec un homme qui me remercie toujours, qui prend tout ce qu'on lui dit en bien? Flaminia. - Franchement, il a raison, Silvia, vous ÃÂȘtes charmante, et à sa place je serais tout comme il est. Silvia. - Ah çà ! n'allez-vous pas l'attendrir encore, il n'a pas besoin qu'on lui dise tant que je suis jolie, il le croit assez. A Lélio. Croyez-moi, tùchez de m'aimer tranquillement, et vengez-moi de cette femme qui m'a injuriée. Le Prince. - Oui, ma chÚre Silvia, j'y cours; à mon égard, de quelque façon que vous me traitiez, mon parti est pris, j'aurai du moins le plaisir de vous aimer toute ma vie. Silvia. - Oh! je m'en doutais bien, je vous connais. Flaminia. - Allez, Monsieur, hùtez-vous d'informer le Prince du mauvais procédé de la dame en question; il faut que tout le monde sache ici le respect qui est dû à Silvia. Le Prince. - Vous aurez bientÎt de mes nouvelles. Il sort. ScÚne IV Flaminia, Silvia Flaminia. - Vous, ma chÚre, pendant que je vais chercher Arlequin, qu'on retient peut-ÃÂȘtre un peu trop longtemps à table, allez essayer l'habit qu'on vous a fait, il me tarde de vous le voir. Silvia. - Tenez, l'étoffe est belle, elle m'ira bien; mais je ne veux point de tous ces habits-là , car le Prince me veut en troc, et jamais nous ne finirons ce marché-là . Flaminia. - Vous vous trompez; quand il vous quitterait, vous emporteriez tout; vraiment, vous ne le connaissez pas. Silvia. - Je m'en vais donc sur votre parole; pourvu qu'il ne me dise pas aprÚs Pourquoi as-tu pris mes présents? Flaminia. - Il vous dira Pourquoi n'en avoir pas pris davantage? Silvia. - En ce cas-là , j'en prendrai tant qu'il voudra, afin qu'il n'ait rien à me dire. Flaminia. - Allez, je réponds de tout. ScÚne V Flaminia, Arlequin, tout éclatant de rire, entre avec Trivelin Flaminia, à part. - Il me semble que les choses commencent à prendre forme; voici Arlequin. En vérité, je ne sais, mais si ce petit homme venait à m'aimer, j'en profiterais de bon coeur. Arlequin, riant. - Ah! ah! ah! Bonjour, mon amie. Flaminia, en souriant. - Bonjour, Arlequin; dites-moi donc de quoi vous riez, afin que j'en rie aussi? Arlequin. - C'est que mon valet Trivelin, que je ne paye point, m'a mené par toutes les chambres de la maison, oÃÂč l'on trotte comme dans les rues; oÃÂč l'on jase comme dans notre halle, sans que le maÃtre de la maison s'embarrasse de tous ces visages-là , et qui viennent chez lui sans lui donner le bonjour, qui vont le voir manger, sans qu'il leur dise Voulez-vous boire un coup? Je me divertissais de ces originaux-là en revenant, quand j'ai vu un grand coquin qui a levé l'habit d'une dame par-derriÚre. Moi, j'ai cru qu'il lui faisait quelque niche, et je lui ai dit bonnement ArrÃÂȘtez-vous, polisson, vous badinez malhonnÃÂȘtement. Elle, qui m'a entendu, s'est retournée et m'a dit Ne voyez-vous pas bien qu'il me porte la queue? Et pourquoi vous la laissez-vous porter, cette queue? ai-je repris. Sur cela le polisson s'est mis à rire, la dame riait, Trivelin riait, tout le monde riait par compagnie je me suis mis à rire aussi. A cette heure je vous demande pourquoi nous avons ri, tous? Flaminia. - D'une bagatelle c'est que vous ne savez pas que ce que vous avez vu faire à ce laquais est un usage pour les dames. Arlequin. - C'est donc encore un honneur? Flaminia. - Oui, vraiment. Arlequin. - Pardi, j'ai donc bien fait d'en rire; car cet honneur-là est bouffon et à bon marché. Flaminia. - Vous ÃÂȘtes gai, j'aime à vous voir comme cela; avez-vous bien mangé depuis que je vous ai quitté? Arlequin. - Ah! morbleu, qu'on a apporté de friandes drogues! Que le cuisinier d'ici fait de bonnes fricassées! Il n'y a pas moyen de tenir contre sa cuisine; j'ai tant bu à la santé de Silvia et de vous, que si vous ÃÂȘtes malades, ce ne sera pas ma faute. Flaminia. - Quoi! vous vous ÃÂȘtes encore ressouvenu de moi? Arlequin. - Quand j'ai donné mon amitié à quelqu'un, jamais je ne l'oublie, surtout à table. Mais à propos de Silvia, est-elle encore avec sa mÚre? Trivelin. - Mais, seigneur Arlequin, songerez-vous toujours à Silvia? Arlequin. - Taisez-vous quand je parle. Flaminia. - Vous avez tort, Trivelin. Trivelin. - Comment, j'ai tort! Flaminia. - Oui; pourquoi l'empÃÂȘchez-vous de parler de ce qu'il aime? Trivelin. - A ce que je vois, Flaminia, vous vous souciez beaucoup des intérÃÂȘts du Prince! Flaminia, comme épouvantée. - Arlequin, cet homme-là me fera des affaires à cause de vous. Arlequin, en colÚre. - Non, ma bonne. A Trivelin. Ecoute, je suis ton maÃtre, car tu me l'as dit; je n'en savais rien, fainéant que tu es! S'il t'arrive de faire le rapporteur, et qu'à cause de toi on fasse seulement la moue à cette honnÃÂȘte fille-là , c'est deux oreilles que tu auras de moins je te les garantis dans ma poche. Trivelin. - Je ne suis pas à cela prÚs, et je veux faire mon devoir. Arlequin. - Deux oreilles, entends-tu bien à présent? Va-t'en. Trivelin. - Je vous pardonne tout à vous, car enfin il le faut mais vous me le paierez, Flaminia. Arlequin veut retourner sur lui, et Flaminia l'arrÃÂȘte; quand il est revenu, il dit ScÚne VI Arlequin, Flaminia Arlequin. - Cela est terrible! Je n'ai trouvé ici qu'une personne qui entende la raison, et l'on vient chicaner ma conversation avec elle. Ma chÚre Flaminia, à présent, parlons de Silvia à notre aise; quand je ne la vois point, il n'y a qu'avec vous que je m'en passe. Flaminia, d'un air simple. - Je ne suis point ingrate, il n'y a rien que je ne fisse pour vous rendre contents tous deux; et d'ailleurs vous ÃÂȘtes si estimable, Arlequin, quand je vois qu'on vous chagrine, je souffre autant que vous. Arlequin. - La bonne sorte de fille! Toutes les fois que vous me plaignez, cela m'apaise, je suis la moitié moins fùché d'ÃÂȘtre triste. Flaminia. - Pardi, qui est-ce qui ne vous plaindrait pas? Qui est-ce qui ne s'intéresserait pas à vous? Vous ne connaissez pas ce que vous valez, Arlequin. Arlequin. - Cela se peut bien, je n'y ai jamais regardé de si prÚs. Flaminia. - Si vous saviez combien il m'est cruel de n'avoir point de pouvoir! si vous lisiez dans mon coeur! Arlequin. - Hélas! je ne sais point lire, mais vous me l'expliqueriez. Par la mardi, je voudrais n'ÃÂȘtre plus affligé, quand ce ne serait que pour l'amour du souci que cela vous donne; mais cela viendra. Flaminia, d'un ton triste. - Non, je ne serai jamais témoin de votre contentement, voilà qui est fini; Trivelin causera, l'on me séparera d'avec vous, et que sais-je, moi, oÃÂč l'on m'emmÚnera? Arlequin, je vous parle peut-ÃÂȘtre pour la derniÚre fois, et il n'y a plus de plaisir pour moi dans le monde. Arlequin, triste. - Pour la derniÚre fois! J'ai donc bien du guignon! Je n'ai qu'une pauvre maÃtresse, ils me l'ont emportée, vous emporteraient-ils encore? et oÃÂč est-ce que je prendrai du courage pour endurer tout cela? Ces gens-là croient-ils que j'aie un coeur de fer? ont-ils entrepris mon trépas? seront-ils si barbares? Flaminia. - En tout cas, j'espÚre que vous n'oublierez jamais Flaminia, qui n'a rien tant souhaité que votre bonheur. Arlequin. - Ma mie, vous me gagnez le coeur; conseillez-moi dans ma peine, avisons-nous, quelle est votre pensée? Car je n'ai point d'esprit, moi, quand je suis fùché; il faut que j'aime Silvia, il faut que je vous garde, il ne faut pas que mon amour pùtisse de notre amitié, ni notre amitié de mon amour, et me voilà bien embarrassé. Flaminia. - Et moi bien malheureuse. Depuis que j'ai perdu mon amant, je n'ai eu de repos qu'en votre compagnie, je respire avec vous; vous lui ressemblez tant, que je crois quelquefois lui parler; je n'ai vu dans le monde que vous et lui de si aimables. Arlequin. - Pauvre fille! il est fùcheux que j'aime Silvia, sans cela je vous donnerais de bon coeur la ressemblance de votre amant. C'était donc un joli garçon? Flaminia. - Ne vous ai-je pas dit qu'il était fait comme vous, que vous ÃÂȘtes son portrait? Arlequin. - Eh vous l'aimiez donc beaucoup? Flaminia. - Regardez-vous, Arlequin, voyez combien vous méritez d'ÃÂȘtre aimé, et vous verrez combien je l'aimais. Arlequin. - Je n'ai vu personne répondre si doucement que vous, votre amitié se met partout; je n'aurais jamais cru ÃÂȘtre si joli que vous le dites; mais puisque vous aimiez tant ma copie, il faut bien croire que l'original mérite quelque chose. Flaminia. - Je crois que vous m'auriez encore plu davantage; mais je n'aurais pas été assez belle pour vous. Arlequin, avec feu. - Par la sambille, je vous trouve charmante avec cette pensée-là . Flaminia. - Vous me troublez, il faut que je vous quitte; je n'ai que trop de peine à m'arracher d'auprÚs de vous mais oÃÂč cela nous conduirait-il? Adieu, Arlequin, je vous verrai toujours, si on me le permet; je ne sais oÃÂč je suis. Arlequin. - Je suis tout de mÃÂȘme. Flaminia. - J'ai trop de plaisir à vous voir. Arlequin. - Je ne vous refuse pas ce plaisir-là , moi, regardez-moi à votre aise, je vous rendrai la pareille. Flaminia, s'en allant. - Je n'oserais adieu. Arlequin, seul. - Ce pays-ci n'est pas digne d'avoir cette fille-là ; si par quelque malheur Silvia venait à manquer, dans mon désespoir je crois que je me retirerais avec elle. ScÚne VII Trivelin arrive avec un Seigneur qui vient derriÚre lui. Arlequin Trivelin. - Seigneur Arlequin, n'y a-t-il point de risque à reparaÃtre? N'est-ce point compromettre mes épaules? Car vous jouez merveilleusement de votre épée de bois. Arlequin. - Je serai bon, quand vous serez sage. Trivelin. - Voilà un seigneur qui demande à vous parler. Le Seigneur approche, et fait des révérences, qu'Arlequin lui rend. Arlequin, à part. - J'ai vu cet homme-là quelque part. Le Seigneur. - Je viens vous demander une grùce; mais ne vous incommodé-je point, Monsieur Arlequin? Arlequin. - Non, Monsieur, vous ne me faites ni bien ni mal, en vérité. Et voyant le Seigneur qui se couvre. Vous n'avez seulement qu'à me dire si je dois aussi mettre mon chapeau. Le Seigneur. - De quelque façon que vous soyez, vous me ferez honneur. Arlequin, se couvrant. - Je vous crois, puisque vous le dites. Que souhaite de moi Votre Seigneurie? Mais ne me faites point de compliments, ce serait autant de perdu, car je n'en sais point rendre. Le Seigneur. - Ce ne sont point des compliments, mais des témoignages d'estime. Arlequin. - Galbanum que tout cela! Votre visage ne m'est point nouveau, Monsieur; je vous ai vu quelque part à la chasse, oÃÂč vous jouiez de la trompette; je vous ai Îté mon chapeau en passant, et vous me devez ce coup de chapeau-là . Le Seigneur. - Quoi! je ne vous saluai point? Arlequin. - Pas un brin. Le Seigneur. - Je ne m'aperçus donc pas de votre honnÃÂȘteté? Arlequin. - Oh que si; mais vous n'aviez pas de grùce à me demander, voilà pourquoi je perdis mon étalage. Le Seigneur. - Je ne me reconnais point à cela. Arlequin. - Ma foi, vous n'y perdez rien. Mais que vous plaÃt-il? Le Seigneur. - Je compte sur votre bon coeur; voici ce que c'est j'ai eu le malheur de parler cavaliÚrement de vous devant le Prince. Arlequin. - Vous n'avez encore qu'à ne vous pas reconnaÃtre à cela. Le Seigneur. - Oui; mais le Prince s'est fùché contre moi. Arlequin. - Il n'aime donc pas les médisants? Le Seigneur. - Vous le voyez bien. Arlequin. - Oh! oh! voilà qui me plaÃt; c'est un honnÃÂȘte homme; s'il ne me retenait pas ma maÃtresse, je serais fort content de lui. Et que vous a-t-il dit? Que vous étiez un mal appris? Le Seigneur. - Oui. Arlequin. - Cela est trÚs raisonnable de quoi vous plaignez-vous? Le Seigneur. - Ce n'est pas là tout Arlequin, m'a-t-il répondu, est un garçon d'honneur; je veux qu'on l'honore, puisque je l'estime; la franchise et la simplicité de son caractÚre sont des qualités que je voudrais que vous eussiez tous. Je nuis à son amour, et je suis au désespoir que le mien m'y force. Arlequin, attendri. - Par la morbleu, je suis son serviteur; franchement, je fais cas de lui, et je croyais ÃÂȘtre plus en colÚre contre lui que je ne le suis. Le Seigneur. - Ensuite il m'a dit de me retirer; mes amis là -dessus ont tùché de le fléchir pour moi. Arlequin. - Quand ces amis-là s'en iraient aussi avec vous, il n'y aurait pas grand mal; car dis-moi qui tu hantes, et je te dirai qui tu es. Le Seigneur. - Il s'est aussi fùché contre eux. Arlequin. - Que le ciel bénisse cet homme de bien, il a vidé là sa maison d'une mauvaise graine de gens. Le Seigneur. - Et nous ne pouvons reparaÃtre tous qu'à condition que vous demandiez notre grùce. Arlequin. - Par ma foi, Messieurs, allez oÃÂč il vous plaira; je vous souhaite un bon voyage. Le Seigneur. - Quoi! vous refuserez de prier pour moi? Si vous n'y consentiez pas, ma fortune serait ruinée; à présent qu'il ne m'est plus permis de voir le Prince, que ferais-je à la cour? Il faudra que je m'en aille dans mes terres; car je suis comme exilé. Arlequin. - Comment, ÃÂȘtre exilé, ce n'est donc point vous faire d'autre mal que de vous envoyer manger votre bien chez vous? Le Seigneur. - Vraiment non; voilà ce que c'est. Arlequin. - Et vous vivrez là paix et aise, vous ferez vos quatre repas comme à l'ordinaire? Le Seigneur. - Sans doute, qu'y a-t-il d'étrange à cela? Arlequin. - Ne me trompez-vous pas? Est-il sûr qu'on est exilé quand on médit? Le Seigneur. - Cela arrive assez souvent. Arlequin saute d'aise. - Allons, voilà qui est fait, je m'en vais médire du premier venu, et j'avertirai Silvia et Flaminia d'en faire autant. Le Seigneur. - Eh la raison de cela? Arlequin. - Parce que je veux aller en exil, moi; de la maniÚre dont on punit les gens ici, je vais gager qu'il y a plus de gain à ÃÂȘtre puni que récompensé. Le Seigneur. - Quoi qu'il en soit, épargnez-moi cette punition-là , je vous prie; d'ailleurs, ce que j'ai dit de vous n'est pas grande chose. Arlequin. - Qu'est-ce que c'est? Le Seigneur. - Une bagatelle, vous dis-je. Arlequin. - Mais voyons. Le Seigneur. - J'ai dit que vous aviez l'air d'un homme ingénu, sans malice, là , d'un garçon de bonne foi. Arlequin rit de tout son coeur. - L'air d'un innocent, pour parler à la franquette; mais qu'est-ce que cela fait? Moi, j'ai l'air d'un innocent; vous, vous avez l'air d'un homme d'esprit; eh bien, à cause de cela, faut-il s'en fier à notre air? N'avez-vous rien dit que cela? Le Seigneur. - Non; j'ai ajouté seulement que vous donniez la comédie à ceux qui vous parlaient. Arlequin. - Pardi, il faut bien vous donner votre revanche à vous autres. Voilà donc toute votre faute? Le Seigneur. - Oui. Arlequin. - C'est se moquer, vous ne méritez pas d'ÃÂȘtre exilé, vous avez cette bonne fortune-là pour rien. Le Seigneur. - N'importe, empÃÂȘchez que je ne le sois; un homme comme moi ne peut demeurer qu'à la cour il n'est en considération, il n'est en état de pouvoir se venger de ses envieux qu'autant qu'il se rend agréable au Prince, et qu'il cultive l'amitié de ceux qui gouvernent les affaires. Arlequin. - J'aimerais mieux cultiver un bon champ, cela rapporte toujours peu ou prou, et je me doute que l'amitié de ces gens-là n'est pas aisée à avoir ni à garder. Le Seigneur. - Vous avez raison dans le fond ils ont quelquefois des caprices fùcheux, mais on n'oserait s'en ressentir, on les ménage, on est souple avec eux, parce que c'est par leur moyen que vous vous vengez des autres. Arlequin. - Quel trafic! C'est justement recevoir des coups de bùton d'un cÎté, pour avoir le privilÚge d'en donner d'un autre; voilà une drÎle de vanité! A vous voir si humbles, vous autres, on ne croirait jamais que vous ÃÂȘtes si glorieux. Le Seigneur. - Nous sommes élevés là -dedans. Mais écoutez, vous n'aurez point de peine à me remettre en faveur, car vous connaissez bien Flaminia? Arlequin. - Oui, c'est mon intime. Le Seigneur. - Le Prince a beaucoup de bienveillance pour elle; elle est la fille d'un de ses officiers; et je me suis imaginé de lui faire sa fortune en la mariant à un petit-cousin que j'ai à la campagne, que je gouverne, et qui est riche. Dites-le au Prince, mon dessein me conciliera ses bonnes grùces. Arlequin. - Oui, mais ce n'est pas là le chemin des miennes; car je n'aime point qu'on épouse mes amies, moi, et vous n'imaginez rien qui vaille avec votre petit-cousin. Le Seigneur. - Je croyais... Arlequin. - Ne croyez plus. Le Seigneur. - Je renonce à mon projet. Arlequin. - N'y manquez pas; je vous promets mon intercession, sans que le petit-cousin s'en mÃÂȘle. Le Seigneur. - Je vous ai beaucoup d'obligation; j'attends l'effet de vos promesses adieu, Monsieur Arlequin. Arlequin. - Je suis votre serviteur. Diantre, je suis en crédit, car on fait ce que je veux. Il ne faut rien dire à Flaminia du cousin. ScÚne VIII Arlequin, Flaminia arrive. Flaminia. - Mon cher, je vous amÚne Silvia; elle me suit. Arlequin. - Mon amie, vous deviez bien venir m'avertir plus tÎt, nous l'aurions attendue en causant ensemble. Silvia arrive. ScÚne IX Arlequin, Flaminia, Silvia Silvia. - Bonjour, Arlequin. Ah! que je viens d'essayer un bel habit! Si vous me voyiez, en vérité, vous me trouveriez jolie; demandez à Flaminia. Ah! ah! si je portais ces habits-là , les femmes d'ici seraient bien attrapées, elles ne diraient pas que j'ai l'air gauche. Oh! que les ouvriÚres d'ici sont habiles! Arlequin. - Ah, m'amour, elles ne sont pas si habiles que vous ÃÂȘtes bien faite. Silvia. - Si je suis bien faite, Arlequin, vous n'ÃÂȘtes pas moins honnÃÂȘte. Flaminia. - Du moins ai-je le plaisir de vous voir un peu plus contents à présent. Silvia. - Eh dame, puisqu'on ne nous gÃÂȘne plus, j'aime autant ÃÂȘtre ici qu'ailleurs; qu'est-ce que cela fait d'ÃÂȘtre là ou là ? On s'aime partout. Arlequin. - Comment, nous gÃÂȘner! On envoie les gens me demander pardon pour la moindre impertinence qu'ils disent de moi. Silvia, d'un air content. - J'attends une dame aussi, moi, qui viendra devant moi se repentir de ne m'avoir pas trouvée belle. Flaminia. - Si quelqu'un vous fùche dorénavant, vous n'avez qu'à m'en avertir. Arlequin. - Pour cela, Flaminia nous aime comme si nous étions frÚres et soeurs. Il dit cela à Flaminia. Aussi, de notre part, c'est queussi queumi. Silvia. - Devinez, Arlequin, qui j'ai encore rencontré ici? Mon amoureux qui venait me voir chez nous, ce grand monsieur si bien tourné; je veux que vous soyez amis ensemble, car il a bon coeur aussi. Arlequin, d'un air négligent. - A la bonne heure, je suis de tous bons accords. Silvia. - AprÚs tout, quel mal y a-t-il qu'il me trouve à son gré? Prix pour prix, les gens qui nous aiment sont de meilleure compagnie que ceux qui ne se soucient pas de nous, n'est-il pas vrai? Flaminia. - Sans doute. Arlequin, gaiement. - Mettons encore Flaminia, elle se soucie de nous, et nous serons partie carrée. Flaminia. - Arlequin, vous me donnez là une marque d'amitié que je n'oublierai point. Arlequin. - Ah ça, puisque nous voilà ensemble, allons faire collation, cela amuse. Silvia. - Allez, allez, Arlequin; à cette heure que nous nous voyons quand nous voulons, ce n'est pas la peine de nous Îter notre liberté à nous-mÃÂȘmes; ne vous gÃÂȘnez point. Arlequin fait signe à Flaminia de venir. Flaminia, sur son geste, dit. - Je m'en vais avec vous; aussi bien voilà quelqu'un qui entre et qui tiendra compagnie à Silvia. ScÚne X Lisette entre avec quelques femmes pour témoins de ce qu'elle va faire, et qui restent derriÚre. Silvia. Lisette fait de grandes révérences. Silvia, d'un air un peu piqué. - Ne faites point tant de révérences, Madame, cela m'exemptera de vous en faire; je m'y prends de si mauvaise grùce, à votre fantaisie! Lisette, d'un ton triste. - On ne vous trouve que trop de mérite. Silvia. - Cela se passera. Ce n'est pas moi qui ai envie de plaire, telle que vous me voyez; il me fùche assez d'ÃÂȘtre si jolie, et que vous ne soyez pas assez belle. Lisette. - Ah, quelle situation! Silvia. - Vous soupirez à cause d'une petite villageoise, vous ÃÂȘtes bien de loisir; et oÃÂč avez-vous mis votre langue de tantÎt, Madame? Est-ce que vous n'avez plus de caquet quand il faut bien dire? Lisette. - Je ne puis me résoudre à parler. Silvia. - Gardez donc le silence; car quand vous vous lamenteriez jusqu'à demain, mon visage n'empirera pas beau ou laid, il restera comme il est. Qu'est-ce que vous me voulez? Est-ce que vous ne m'avez pas assez querellée? Eh bien, achevez, prenez-en votre suffisance. Lisette. - Epargnez-moi, Mademoiselle; l'emportement que j'ai eu contre vous a mis toute ma famille dans l'embarras le Prince m'oblige à venir vous faire une réparation, et je vous prie de la recevoir sans me railler. Silvia. - Voilà qui est fini, je ne me moquerai plus de vous; je sais bien que l'humilité n'accommode pas les glorieux, mais la rancune donne de la malice. Cependant je plains votre peine, et je vous pardonne. De quoi aussi vous avisiez-vous de me mépriser? Lisette. - J'avais cru m'apercevoir que le Prince avait quelque inclination pour moi, et je ne croyais pas en ÃÂȘtre indigne mais je vois bien que ce n'est pas toujours aux agréments qu'on se rend. Silvia, d'un ton vif. - Vous verrez que c'est à la laideur et à la mauvaise façon, à cause qu'on se rend à moi. Comme ces jalouses ont l'esprit tourné! Lisette. - Eh bien oui, je suis jalouse, il est vrai; mais puisque vous n'aimez pas le Prince, aidez-moi à le remettre dans les dispositions oÃÂč j'ai cru qu'il était pour moi il est sûr que je ne lui déplaisais pas, et je le guérirai de l'inclination qu'il a pour vous, si vous me laissez faire. Silvia, d'un air piqué. - Croyez-moi, vous ne le guérirez de rien; mon avis est que cela vous passe. Lisette. - Cependant cela me paraÃt possible; car enfin je ne suis ni si maladroite, ni si désagréable. Silvia. - Tenez, tenez, parlons d'autre chose; vos bonnes qualités m'ennuient. Lisette. - Vous me répondez d'une étrange maniÚre! Quoi qu'il en soit, avant qu'il soit quelques jours, nous verrons si j'ai si peu de pouvoir. Silvia, vivement. - Oui, nous verrons des balivernes. Pardi, je parlerai au Prince; il n'a pas encore osé me parler, lui, à cause que je suis trop fùchée mais je lui ferai dire qu'il s'enhardisse, seulement pour voir. Lisette. - Adieu, Mademoiselle, chacune de nous fera ce qu'elle pourra. J'ai satisfait à ce qu'on exigeait de moi à votre égard, et je vous prie d'oublier tout ce qui s'est passé entre nous. Silvia, brusquement. - Marchez, marchez, je ne sais pas seulement si vous ÃÂȘtes au monde. ScÚne XI Silvia, Flaminia arrive. Flaminia. - Qu'avez-vous, Silvia? Vous ÃÂȘtes bien émue! Silvia. - J'ai, que je suis en colÚre; cette impertinente femme de tantÎt est venue pour me demander pardon, et sans faire semblant de rien, voyez la méchanceté, elle m'a encore fùchée, m'a dit que c'était à ma laideur qu'on se rendait, qu'elle était plus agréable, plus adroite que moi, qu'elle ferait bien passer l'amour du Prince; qu'elle allait travailler pour cela; que je verrais, pati, pata; que sais-je, moi, tout ce qu'elle mis en avant contre mon visage! Est-ce que je n'ai pas raison d'ÃÂȘtre piquée? Flaminia, d'un air vif et d'intérÃÂȘt. - Ecoutez, si vous ne faites taire tous ces gens-là , il faut vous cacher pour toute votre vie. Silvia. - Je ne manque pas de bonne volonté; mais c'est Arlequin qui m'embarrasse. Flaminia. - Eh! je vous entends; voilà un amour aussi mal placé, qui se rencontre là aussi mal à propos qu'on le puisse. Silvia. - Oh! j'ai toujours eu du guignon dans les rencontres. Flaminia. - Mais si Arlequin vous voit sortir de la cour et méprisée, pensez-vous que cela le réjouisse? Silvia. - Il ne m'aimera pas tant, voulez-vous dire? Flaminia. - Il y a tout à craindre. Silvia. - Vous me faites rÃÂȘver à une chose, ne trouvez-vous pas qu'il est un peu négligent depuis que nous sommes ici, Arlequin? il m'a quittée tantÎt pour aller goûter; voilà une belle excuse! Flaminia. - Je l'ai remarqué comme vous; mais ne me trahissez pas au moins; nous nous parlons de fille à fille dites-moi, aprÚs tout, l'aimez-vous tant, ce garçon? Silvia, d'un air indifférent. - Mais vraiment oui, je l'aime, il le faut bien. Flaminia. - Voulez-vous que je vous dise? Vous me paraissez mal assortis ensemble. Vous avez du goût, de l'esprit, l'air fin et distingué; lui il a l'air pesant, les maniÚres grossiÚres; cela ne cadre point, et je ne comprends pas comment vous l'avez aimé; je vous dirai mÃÂȘme que cela vous fait tort. Silvia. - Mettez-vous à ma place. C'était le garçon le plus passable de nos cantons, il demeurait dans mon village, il était mon voisin, il est assez facétieux, je suis de bonne humeur, il me faisait quelquefois rire, il me suivait partout, il m'aimait, j'avais coutume de le voir, et de coutume en coutume je l'ai aimé aussi, faute de mieux mais j'ai toujours bien vu qu'il était enclin au vin et à la gourmandise. Flaminia. - Voilà de jolies vertus, surtout dans l'amant de l'aimable et tendre Silvia! Mais à quoi vous déterminez-vous donc? Silvia. - Je ne puis que dire; il me passe tant de oui et de non par la tÃÂȘte, que je ne sais auquel entendre. D'un cÎté, Arlequin est un petit négligent qui ne songe ici qu'à manger; d'un autre cÎté, si on me renvoie, ces glorieuses de femmes feront accroire partout qu'on m'aura dit Va-t'en, tu n'es pas assez jolie. D'un autre cÎté, ce monsieur que j'ai retrouvé ici... Flaminia. - Quoi? Silvia. - Je vous le dis en secret; je ne sais ce qu'il m'a fait depuis que je l'ai revu; mais il m'a toujours paru si doux, il m'a dit des choses si tendres, m'a conté son amour d'un air si poli, si humble, que j'en ai une véritable pitié, et cette pitié-là m'empÃÂȘche encore d'ÃÂȘtre la maÃtresse de moi. Flaminia. - L'aimez-vous? Silvia. - Je ne crois pas; car je dois aimer Arlequin. Flaminia. - C'est un homme aimable. Silvia. - Je le sens bien. Flaminia. - Si vous négligiez de vous venger pour l'épouser, je vous le pardonnerais, voilà la vérité. Silvia. - Si Arlequin se mariait à une autre fille que moi, à la bonne heure; je serais en droit de lui dire Tu m'as quittée, je te quitte, je prends ma revanche mais il n'y a rien à faire; qui est-ce qui voudrait d'Arlequin ici, rude et bourru comme il est? Flaminia. - Il n'y a pas presse, entre nous pour moi, j'ai toujours eu dessein de passer ma vie aux champs; Arlequin est grossier, je ne l'aime point, mais je ne le hais pas; et dans les sentiments oÃÂč je suis, s'il voulait, je vous en débarrasserais volontiers pour vous faire plaisir. Silvia. - Mais mon plaisir, oÃÂč est-il? il n'est ni là , ni là ; je le cherche. Flaminia. - Vous verrez le Prince aujourd'hui. Voici ce cavalier qui vous plaÃt, tùchez de prendre votre parti. Adieu, nous nous retrouverons tantÎt. ScÚne XII Silvia, Le Prince, qui entre. Silvia. - Vous venez vous allez encore me dire que vous m'aimez, pour me mettre davantage en peine. Le Prince. - Je venais voir si la dame qui vous a fait insulte s'était bien acquittée de son devoir. Quant à moi, belle Silvia, quand mon amour vous fatiguera, quand je vous déplairai moi-mÃÂȘme, vous n'avez qu'à m'ordonner de me taire et de me retirer; je me tairai, j'irai oÃÂč vous voudrez, et je souffrirai sans me plaindre, résolu de vous obéir en tout. Silvia. - Ne voilà -t-il pas? ne l'ai-je pas bien dit? Comment voulez-vous que je vous renvoie? Vous vous tairez, s'il me plaÃt; vous vous en irez, s'il me plaÃt; vous n'oserez pas vous plaindre, vous m'obéirez en tout. C'est bien là le moyen de faire que je vous commande quelque chose! Le Prince. - Mais que puis-je mieux que de vous rendre maÃtresse de mon sort? Silvia. - Qu'est-ce que cela avance? Vous rendrai-je malheureux? en aurai-je le courage? Si je vous dis Allez-vous en, vous croirez que je vous hais; si je vous dis de vous taire, vous croirez que je ne me soucie pas de vous; et toutes ces croyances-là ne seront pas vraies; elles vous affligeront; en serai-je plus à mon aise aprÚs? Le Prince. - Que voulez-vous donc que je devienne, belle Silvia? Silvia. - Oh! ce que je veux! j'attends qu'on me le dise; j'en suis encore plus ignorante que vous; voilà Arlequin qui m'aime, voilà le Prince qui demande mon coeur, voilà vous qui mériteriez de l'avoir, voilà ces femmes qui m'injurient, et que je voudrais punir, voilà que j'aurai un affront, si je n'épouse pas le Prince Arlequin m'inquiÚte, vous me donnez du souci, vous m'aimez trop, je voudrais ne vous avoir jamais connu, et je suis bien malheureuse d'avoir tout ce tracas-là dans la tÃÂȘte. Le Prince. - Vos discours me pénÚtrent, Silvia, vous ÃÂȘtes trop touchée de ma douleur; ma tendresse, toute grande qu'elle est, ne vaut pas le chagrin que vous avez de ne pouvoir m'aimer. Silvia. - Je pourrais bien vous aimer, cela ne serait pas difficile, si je voulais. Le Prince. - Souffrez donc que je m'afflige, et ne m'empÃÂȘchez pas de vous regretter toujours. Silvia, comme impatiente. - Je vous en avertis, je ne saurais supporter de vous voir si tendre; il semble que vous le fassiez exprÚs. Y a-t-il de la raison à cela? Pardi, j'aurais moins de mal à vous aimer tout à fait qu'à ÃÂȘtre comme je suis; pour moi, je laisserai tout là ; voilà ce que vous gagnerez. Le Prince. - Je ne veux donc plus vous ÃÂȘtre à charge; vous souhaitez que je vous quitte et je ne dois pas résister aux volontés d'une personne si chÚre. Adieu, Silvia. Silvia, vivement. - Adieu, Silvia! Je vous querellerais volontiers; oÃÂč allez-vous? Restez-là , c'est ma volonté; je la sais mieux que vous, peut-ÃÂȘtre. Le Prince. - J'ai cru vous obliger. Silvia. - Quel train que tout cela! Que faire d'Arlequin? Encore si c'était vous qui fût le Prince! Le Prince, d'un air ému. - Eh quand je le serais? Silvia. - Cela serait différent, parce que je dirais à Arlequin que vous prétendriez ÃÂȘtre le maÃtre, ce serait mon excuse mais il n'y a que pour vous que je voudrais prendre cette excuse-là . Le Prince, à part les premiers mots. - Qu'elle est aimable! il est temps de dire qui je suis. Silvia. - Qu'avez-vous? est-ce que je vous fùche? Ce n'est pas à cause de la principauté que je voudrais que vous fussiez prince, c'est seulement à cause de vous tout seul; et si vous l'étiez, Arlequin ne saurait pas que je vous prendrais par amour; voilà ma raison. Mais non, aprÚs tout, il vaut mieux que vous ne soyez pas le maÃtre; cela me tenterait trop. Et quand vous le seriez, tenez, je ne pourrais me résoudre à ÃÂȘtre une infidÚle, voilà qui est fini. Le Prince, à part les premiers mots. - Différons encore de l'instruire. Silvia, conservez-moi seulement les bontés que vous avez pour moi le Prince vous a fait préparer un spectacle, permettez que je vous y accompagne, et que je profite de toutes les occasions d'ÃÂȘtre avec vous. AprÚs la fÃÂȘte, vous verrez le Prince, et je suis chargé de vous dire que vous serez libre de vous retirer, si votre coeur ne vous dit rien pour lui. Silvia. - Oh! il ne me dira pas un mot, c'est tout comme si j'étais partie; mais quand je serai chez nous, vous y viendrez; eh, que sait-on ce qui peut arriver? peut-ÃÂȘtre que vous m'aurez. Allons-nous-en toujours, de peur qu'Arlequin ne vienne. Acte III ScÚne premiÚre Le Prince, Flaminia Flaminia. - Oui, seigneur, vous avez fort bien fait de ne pas vous découvrir tantÎt, malgré tout ce que Silvia vous a dit de tendre; ce retardement ne gùte rien, et lui laisse le temps de se confirmer dans le penchant qu'elle a pour vous. Grùces au ciel, vous voilà presque arrivé oÃÂč vous le souhaitiez. Le Prince. - Ah! Flaminia, qu'elle est aimable! Flaminia. - Elle l'est infiniment. Le Prince. - Je ne connais rien comme elle parmi les gens du monde. Quand une maÃtresse, à force d'amour, nous dit clairement Je vous aime, cela fait assurément un grand plaisir. Eh bien, Flaminia, ce plaisir-là , imaginez-vous qu'il n'est que fadeur, qu'il n'est qu'ennui, en comparaison du plaisir que m'ont donné les discours de Silvia, qui ne m'a pourtant point dit Je vous aime. Flaminia. - Mais, seigneur, oserais-je vous prier de m'en répéter quelque chose? Le Prince. - Cela est impossible je suis ravi, je suis enchanté, je ne peux pas vous répéter cela autrement. Flaminia. - Je présume beaucoup du rapport singulier que vous m'en faites. Le Prince. - Si vous saviez combien, dit-elle, elle est affligée de ne pouvoir m'aimer, parce que cela me rend malheureux et qu'elle doit ÃÂȘtre fidÚle à Arlequin... J'ai vu le moment oÃÂč elle allait me dire Ne m'aimez plus, je vous prie, parce que vous seriez cause que je vous aimerais aussi. Flaminia. - Bon, cela vaut mieux qu'un aveu. Le Prince. - Non, je le dis encore, il n'y a que l'amour de Silvia qui soit véritablement de l'amour; les autres femmes qui aiment ont l'esprit cultivé, elles ont une certaine éducation, un certain usage, et tout cela chez elles falsifie la nature; ici c'est le coeur tout pur qui me parle; comme ses sentiments viennent, il les montre; sa naïveté en fait tout l'art, et sa pudeur toute la décence. Vous m'avouerez que cela est charmant. Tout ce qui la retient à présent, c'est qu'elle se fait un scrupule de m'aimer sans l'aveu d'Arlequin. Ainsi, Flaminia, hùtez-vous; sera-t-il bientÎt gagné, Arlequin? Vous savez que je ne dois ni ne veux le traiter avec violence. Que dit-il? Flaminia. - A vous dire le vrai, seigneur, je le crois tout à fait amoureux de moi; mais il n'en sait rien; comme il ne m'appelle encore que sa chÚre amie, il vit sur la bonne foi de ce nom qu'il me donne, et prend toujours de l'amour à bon compte. Le Prince. - Fort bien. Flaminia. - Oh! dans la premiÚre conversation, je l'instruirai de l'état de ses petites affaires avec moi, et ce penchant qui est incognito chez lui, et que je lui ferai sentir par un autre stratagÚme, la douceur avec laquelle vous lui parlerez, comme nous en sommes convenus, tout cela, je pense, va vous tirer d'inquiétude, et terminer mes travaux dont je sortirai, seigneur, victorieuse et vaincue. Le Prince. - Comment donc? Flaminia. - C'est une petite bagatelle qui ne mérite pas de vous ÃÂȘtre dite; c'est que j'ai pris du goût pour Arlequin, seulement pour me désennuyer dans le cours de notre intrigue. Mais retirons-nous, et rejoignez Silvia; il ne faut pas qu'Arlequin vous voie encore, et je le vois qui vient. Ils se retirent tous deux. ScÚne II Trivelin, Arlequin entre d'un air un peu sombre. Trivelin, aprÚs quelque temps. - Eh bien, que voulez-vous que je fasse de l'écritoire et du papier que vous m'avez fait prendre? Arlequin. - Donnez-vous patience, mon domestique. Trivelin. - Tant qu'il vous plaira. Arlequin. - Dites-moi, qui est-ce qui me nourrit ici? Trivelin. - C'est le Prince. Arlequin. - Par la sambille! la bonne chÚre que je fais me donne des scrupules. Trivelin. - D'oÃÂč vient donc? Arlequin. - Mardi, j'ai peur d'ÃÂȘtre en pension sans le savoir. Trivelin, riant. - Ha, ha, ha, ha. Arlequin. - De quoi riez-vous, grand benÃÂȘt? Trivelin. - Je ris de votre idée, qui est plaisante. Allez, allez, seigneur Arlequin, mangez en toute sûreté de conscience, et buvez de mÃÂȘme. Arlequin. - Dame, je prends mes repas dans la bonne foi; il me serait bien rude de me voir un jour apporter le mémoire de ma dépense; mais je vous crois. Dites-moi, à présent, comment s'appelle celui qui rend compte au Prince de ses affaires? Trivelin. - Son secrétaire d'Etat, voulez-vous dire? Arlequin. - Oui; j'ai dessein de lui faire un écrit pour le prier d'avertir le Prince que je m'ennuie, et lui demander quand il veut finir avec nous; car mon pÚre est tout seul. Trivelin. - Eh bien? Arlequin. - Si on veut me garder, il faut lui envoyer une carriole afin qu'il vienne. Trivelin. - Vous n'avez qu'à parler, la carriole partira sur-le-champ. Arlequin. - Il faut, aprÚs cela, qu'on nous marie Silvia et moi, et qu'on m'ouvre la porte de la maison; car j'ai accoutumé de trotter partout, et d'avoir la clef des champs, moi. Ensuite nous tiendrons ici ménage avec l'amie Flaminia, qui ne veut pas nous quitter à cause de son affection pour nous; et si le Prince a toujours bonne envie de nous régaler, ce que je mangerai me profitera davantage. Trivelin. - Mais, seigneur Arlequin, il n'est pas besoin de mÃÂȘler Flaminia là -dedans. Arlequin. - Cela me plaÃt, à moi. Trivelin, d'un air mécontent. - Hum! Arlequin, le contrefaisant. - Hum! Le mauvais valet! Allons vite, tirez votre plume, et griffonnez-moi mon écriture. Trivelin, se mettant en état. - Dictez. Arlequin. - Monsieur. Trivelin. - Halte-là , dites Monseigneur. Arlequin. - Mettez les deux, afin qu'il choisisse. Trivelin. - Fort bien. Arlequin. - Vous saurez que je m'appelle Arlequin. Trivelin. - Doucement. Vous devez dire Votre Grandeur saura. Arlequin. - Votre Grandeur saura. C'est donc un géant, ce secrétaire d'Etat? Trivelin. - Non, mais n'importe. Arlequin. - Quel diantre de galimatias! Qui jamais a entendu dire qu'on s'adresse à la taille d'un homme quand on a affaire à lui? Trivelin, écrivant. - Je mettrai comme il vous plaira. Vous saurez que je m'appelle Arlequin. AprÚs? Arlequin. - Que j'ai une maÃtresse qui s'appelle Silvia, bourgeoise de mon village et fille d'honneur. Trivelin, écrivant. - Courage! Arlequin. - Avec une bonne amie que j'ai faite depuis peu, qui ne saurait se passer de nous, ni nous d'elle ainsi, aussitÎt la présente reçue... Trivelin, s'arrÃÂȘtant comme affligé. - Flaminia ne saurait se passer de vous? Ahi! la plume me tombe des mains. Arlequin. - Oh, oh! que signifie donc cette impertinente pùmoison-là ? Trivelin. - Il y a deux ans, seigneur Arlequin, il y a deux ans que je soupire en secret pour elle. Arlequin, tirant sa latte. - Cela est fùcheux, mon mignon; mais en attendant qu'elle en soit informée, je vais toujours vous en faire quelques remerciements pour elle. Trivelin. - Des remerciements à coups de bùton! je ne suis pas friand de ces compliments-là . Eh que vous importe que je l'aime? Vous n'avez que de l'amitié pour elle, et l'amitié ne rend point jaloux. Arlequin. - Vous vous trompez, mon amitié fait tout comme l'amour, en voilà des preuves. Il le bat. Trivelin s'enfuit en disant. - Oh! diable soit de l'amitié! ScÚne III Flaminia arrive, Trivelin sort. Flaminia, à Arlequin. - Qu'est-ce que c'est? Qu'avez-vous, Arlequin? Arlequin. - Bonjour, ma mie; c'est ce faquin qui dit qu'il vous aime depuis deux ans. Flaminia. - Cela se peut bien. Arlequin. - Et vous, ma mie, que dites-vous de cela? Que c'est tant pis pour lui. Arlequin. - Tout de bon? Flaminia. - Sans doute mais est-ce que vous seriez fùché que l'on m'aimùt? Arlequin. - Hélas! vous ÃÂȘtes votre maÃtresse mais si vous aviez un amant, vous l'aimeriez peut-ÃÂȘtre; cela gùterait la bonne amitié que vous me portez, et vous m'en feriez ma part plus petite Oh! de cette part-là , je n'en voudrais rien perdre. Flaminia, d'un air doux. - Arlequin, savez-vous bien que vous ne ménagez pas mon coeur? Arlequin. - Moi! eh, quel mal lui fais-je donc? Flaminia. - Si vous continuez de me parler toujours de mÃÂȘme, je ne saura plus bientÎt de quelle espÚce seront mes sentiments pour vous en vérité je n'ose m'examiner là -dessus, j'ai peur de trouver plus que je ne veux. Arlequin. - C'est bien fait, n'examinez jamais, Flaminia, cela sera ce que cela pourra; au reste, croyez-moi, ne prenez point d'amant j'ai une maÃtresse, je la garde; si je n'en avais point, je n'en chercherais pas. Qu'en ferais-je avec vous? elle m'ennuierait. Flaminia. - Elle vous ennuierait! Le moyen, aprÚs tout ce que vous dites, de rester votre amie? Arlequin. - Eh! que serez-vous donc? Flaminia. - Ne me le demandez pas, je n'en veux rien savoir; ce qui est de sûr, c'est que dans le monde je n'aime rien plus que vous. Vous n'en pouvez pas dire autant; Silvia va devant moi, comme de raison. Arlequin. - Chut vous allez de compagnie ensemble. Flaminia. - Je vais vous l'envoyer si je la trouve, Silvia; en serez-vous bien aise? Arlequin. - Comme vous voudrez mais il ne faut pas l'envoyer, il faut venir toutes deux. Flaminia. - Je ne pourrai pas; car le Prince m'a mandée, et je vais voir ce qu'il me veut. Adieu, Arlequin, je serai bientÎt de retour. En sortant, elle sourit à celui qui entre. ScÚne IV Arlequin, Le Seigneur du deuxiÚme acte entre avec des lettres de noblesse. Arlequin, le voyant. - Voilà mon homme de tantÎt; ma foi, Monsieur le médisant, car je ne sais point votre autre nom, je n'ai rien dit de vous au Prince, par la raison que je ne l'ai point vu. Le Seigneur. - Je vous suis obligé de votre bonne volonté, seigneur Arlequin mais je suis sorti d'embarras et rentré dans les bonnes grùces du Prince, sur l'assurance que je lui ai donnée que vous lui parleriez pour moi j'espÚre qu'à votre tour vous me tiendrez parole. Arlequin. - Oh! quoique je paraisse un innocent, je suis homme d'honneur. Le Seigneur. - De grùce, ne vous ressouvenez plus de rien, et réconciliez-vous avec moi, en faveur du présent que je vous apporte de la part du Prince; c'est de tous les présents le plus grand qu'on puisse vous faire. Arlequin. - Est-ce Silvia que vous m'apportez? Le Seigneur. - Non, le présent dont il s'agit est dans ma poche; ce sont des lettres de noblesse dont le Prince vous gratifie comme parent de Silvia, car on dit que vous l'ÃÂȘtes un peu. Arlequin. - Pas un brin, remportez cela, car si je le prenais, ce serait friponner la gratification. Le Seigneur. - Acceptez toujours, qu'importe? Vous ferez plaisir au Prince; refuseriez-vous ce qui fait l'ambition de tous les gens de coeur? Arlequin. - J'ai pourtant bon coeur aussi; pour de l'ambition, j'en ai bien entendu parler, mais je ne l'ai jamais vue, et j'en ai peut-ÃÂȘtre sans le savoir. Le Seigneur. - Si vous n'en avez pas, cela vous en donnera. Arlequin. - Qu'est-ce que c'est donc? Le Seigneur, à part les premiers mots. - En voilà bien d'un autre! L'ambition, c'est un noble orgueil de s'élever. Arlequin. - Un orgueil qui est noble! donnez-vous comme cela de jolis noms à toutes les sottises, vous autres? Le Seigneur. - Vous ne comprenez pas; cet orgueil ne signifie là qu'un désir de gloire. Arlequin. - Par ma foi, sa signification ne vaut pas mieux que lui, c'est bonnet blanc, et blanc bonnet. Le Seigneur. - Prenez, vous dis-je ne serez-vous pas bien aise d'ÃÂȘtre gentilhomme? Arlequin. - Eh! je n'en serais ni bien aise ni fùché; c'est suivant la fantaisie qu'on a. Le Seigneur. - Vous y trouverez de l'avantage, vous en serez plus respecté et plus craint de vos voisins. Arlequin. - J'ai opinion que cela les empÃÂȘcherait de m'aimer de bon coeur; car quand je respecte les gens, moi, et que je les crains, je ne les aime pas de si bon courage; je ne saurais faire tant de choses à la fois. Le Seigneur. - Vous m'étonnez. Arlequin. - Voilà comme je suis bùti; d'ailleurs voyez-vous, je suis le meilleur enfant du monde, je ne fais de mal à personne mais quand je voudrais nuire, je n'en ai pas le pouvoir. Eh bien, si j'avais ce pouvoir, si j'étais noble, diable emporte si je voudrais gager d'ÃÂȘtre toujours brave homme je ferais parfois comme le gentilhomme de chez nous, qui n'épargne pas les coups de bùton à cause qu'on n'oserait lui rendre. Le Seigneur. - Et si on vous donnait ces coups de bùton, ne souhaiteriez-vous pas ÃÂȘtre en état de les rendre? Arlequin. - Pour cela, je voudrais payer cette dette-là sur-le-champ. Le Seigneur. - Oh! comme les hommes sont quelquefois méchants, mettez-vous en état de faire du mal, seulement afin qu'on n'ose pas vous en faire, et pour cet effet prenez vos lettres de noblesse. Arlequin prend les lettres. - TÃÂȘtubleu, vous avez raison, je ne suis qu'une bÃÂȘte allons, me voilà noble, je garde le parchemin, je ne crains plus que les rats, qui pourraient bien gruger ma noblesse; mais j'y mettrai bon ordre. Je vous remercie, et le Prince aussi; car il est bien obligeant dans le fond. Le Seigneur. - Je suis charmé de vous voir content; adieu. Arlequin. - Je suis votre serviteur. Quand le Seigneur a fait dix ou douze pas, Arlequin le rappelle. Monsieur! Monsieur! Le Seigneur. - Que me voulez-vous? Arlequin. - Ma noblesse m'oblige-t-elle à rien? car il faut faire son devoir dans une charge. Le Seigneur. - Elle oblige à ÃÂȘtre honnÃÂȘte homme. Arlequin, trÚs sérieusement. - Vous aviez donc des exemptions, vous, quand vous avez dit du mal de moi? Le Seigneur. - N'y songez plus, un gentilhomme doit ÃÂȘtre généreux. Arlequin. - Généreux et honnÃÂȘte homme! Vertuchoux, ces devoirs-là sont bons! je les trouve encore plus nobles que mes lettres de noblesse. Et quand on ne s'en acquitte pas, est-on encore gentilhomme? Le Seigneur. - Nullement. Arlequin. - Diantre! il y a donc bien des nobles qui payent la taille? Le Seigneur. - Je n'en sais pas le nombre. Arlequin. - Est-ce là tout? N'y a-t-il plus d'autre devoir? Le Seigneur. - Non; cependant, vous qui, suivant toute apparence, serez favori du Prince, vous aurez un devoir de plus ce sera de mériter cette faveur par toute la soumission, tout le respect et toute la complaisance possibles. A l'égard du reste, comme je vous ai dit, ayez de la vertu, aimez l'honneur plus que la vie, et vous serez dans l'ordre. Arlequin. - Tout doucement ces derniÚres obligations-là ne me plaisent pas tant que les autres. PremiÚrement, il est bon d'expliquer ce que c'est que cet honneur qu'on doit aimer plus que la vie. Malapeste, quel honneur! Le Seigneur. - Vous approuverez ce que cela veut dire; c'est qu'il faut se venger d'une injure, ou périr plutÎt que de la souffrir. Arlequin. - Tout ce que vous m'avez dit n'est donc qu'un coq-à -l'ùne; car si je suis obligé d'ÃÂȘtre généreux, il faut que je pardonne aux gens; si je suis obligé d'ÃÂȘtre méchant, il faut que je les assomme. Comment donc faire pour tuer le monde et le laisser vivre? Le Seigneur. - Vous serez généreux et bon, quand on ne vous insultera pas. Arlequin. - Je vous entends, il m'est défendu d'ÃÂȘtre meilleur que les autres; et si je rends le bien pour le mal, je serai donc un homme sans honneur? Par la mardi! la méchanceté n'est pas rare; ce n'était pas la peine de la recommander tant. Voilà une vilaine invention! Tenez, accommodons-nous plutÎt; quand on me dira une grosse injure, j'en répondrai une autre si je suis le plus fort. Voulez-vous me laisser votre marchandise à ce prix-là ? dites-moi votre dernier mot. Le Seigneur. - Une injure répondue à une injure ne suffit point; cela ne peut se laver, s'effacer que par le sang de votre ennemi ou le vÎtre. Arlequin. - Que la tache y reste; vous parlez du sang comme si c'était de l'eau de la riviÚre. Je vous rends votre paquet de noblesse, mon honneur n'est pas fait pour ÃÂȘtre noble, il est trop raisonnable pour cela. Bonjour. Le Seigneur. - Vous n'y songez pas. Arlequin. - Sans compliment, reprenez votre affaire. Le Seigneur. - Gardez-la toujours, vous vous ajusterez avec le Prince, on n'y regardera pas de si prÚs avec vous. Arlequin, les reprenant. - Il faudra donc qu'il me signe un contrat comme quoi je serai exempt de me faire tuer par mon prochain, pour le faire repentir de son impertinence avec moi. Le Seigneur. - A la bonne heure, vous ferez vos conventions. Adieu, je suis votre serviteur. Arlequin. - Et moi le vÎtre. ScÚne V Le Prince arrive, Arlequin Arlequin, le voyant. - Qui diantre vient encore me rendre visite? Ah! c'est celui-là qui est cause qu'on m'a pris Silvia! Vous voilà donc, Monsieur le babillard, qui allez dire partout que la maÃtresse des gens est belle; ce qui fait qu'on m'a escamoté la mienne. Le Prince. - Point d'injure, Arlequin. Arlequin. - Etes-vous gentilhomme, vous? Le Prince. - Assurément. Arlequin. - Mardi, vous ÃÂȘtes bienheureux; sans cela je vous dirais de bon coeur ce que vous méritez mais votre honneur voudrait peut-ÃÂȘtre faire son devoir, et aprÚs cela, il faudrait vous tuer pour vous venger de moi. Le Prince. - Calmez-vous, je vous prie, Arlequin, le Prince m'a donné ordre de vous entretenir. Arlequin. - Parlez, il vous est libre mais je n'ai pas ordre de vous écouter, moi. Le Prince. - Eh bien, prends un esprit plus doux, connais-moi, puisqu'il le faut. C'est ton prince lui-mÃÂȘme qui te parle, et non pas un officier du palais, comme tu l'as cru jusqu'ici aussi bien que Silvia. Arlequin. - Votre foi? Le Prince. - Tu dois m'en croire. Arlequin, humblement. - Excusez, Monseigneur, c'est donc moi qui suis un sot d'avoir été un impertinent avec vous? Le Prince. - Je te pardonne volontiers. Arlequin, tristement. - Puisque vous n'avez pas de rancune contre moi, ne permettez que j'en aie contre vous; je ne suis pas digne d'ÃÂȘtre fùché contre un prince, je suis trop petit pour cela si vous m'affligez, je pleurerai de toute ma force, et puis c'est tout; cela doit faire compassion à votre puissance, vous ne voudriez pas avoir une principauté pour le contentement de vous tout seul. Le Prince. - Tu te plains donc bien de moi, Arlequin? Arlequin. - Que voulez-vous, Monseigneur, j'ai une fille qui m'aime; vous, vous en avez plein votre maison, et nonobstant vous m'Îtez la mienne. Prenez que je suis pauvre, et que tout mon bien est un liard; vous qui ÃÂȘtes riche de plus de mille écus, vous vous jetez sur ma pauvreté et vous m'arrachez mon liard; cela n'est-il pas bien triste? Le Prince, à part. - Il a raison, et ses plaintes me touchent. Arlequin. - Je sais bien que vous ÃÂȘtes un bon prince, tout le monde le dit dans le pays, il n'y aura que moi qui n'aurai pas le plaisir de le dire comme les autres. Le Prince. - Je te prive de Silvia, il est vrai mais demande-moi ce que tu voudras, je t'offre tous les biens que tu pourras souhaiter, et laisse-moi cette seule personne que j'aime. Arlequin. - Ne parlons point de ce marché-là , vous gagneriez trop sur moi; disons en conscience si un autre que vous me l'avait prise, est-ce que vous ne me la feriez pas remettre? Eh bien, personne ne me l'a prise que vous; voyez la belle occasion de montrer que la justice est pour tout le monde. Le Prince. - Que lui répondre? Arlequin. - Allons, Monseigneur, dites-vous comme cela Faut-il que je retienne le bonheur de ce petit homme parce que j'ai le pouvoir de le garder? N'est-ce pas à moi à ÃÂȘtre son protecteur, puisque je suis son maÃtre? S'en ira-t-il sans avoir justice? n'en aurais-je pas du regret? Qui est-ce qui fera mon office de prince, si je ne le fais pas? J'ordonne donc que je lui rendrai Silvia. Le Prince. - Ne changeras-tu jamais de langage? Regarde comme j'en agis avec toi. Je pourrais te renvoyer, et garder Silvia sans t'écouter; cependant, malgré l'inclination que j'ai pour elle, malgré ton obstination et le peu de respect que tu me montres, je m'intéresse à ta douleur, je cherche à la calmer par mes faveurs, je descends jusqu'à te prier de me céder Silvia de bonne volonté; tout le monde t'y exhorte, tout le monde te blùme, et te donne un exemple de l'ardeur qu'on a de me plaire, tu es le seul qui résiste; tu dis que je suis ton prince marque-le-moi donc par un peu de docilité. Arlequin, toujours triste. - Eh! Monseigneur, ne vous fiez pas à ces gens qui vous disent que vous avez raison avec moi, car ils vous trompent. Vous prenez cela pour argent comptant; et puis vous avez beau ÃÂȘtre bon, vous avez beau ÃÂȘtre brave homme, c'est autant de perdu, cela ne vous fait point de profit; sans ces gens-là , vous ne me chercheriez point chicane, vous ne diriez pas que je vous manque de respect parce que je vous représente mon bon droit allez, vous ÃÂȘtes mon prince, et je vous aime bien; mais je suis votre sujet, et cela mérite quelque chose. Le Prince. - Va, tu me désespÚres. Arlequin. - Que je suis à plaindre! Le Prince. - Faudra-t-il donc que je renonce à Silvia? Le moyen d'en ÃÂȘtre jamais aimé, si tu ne veux pas m'aider? Arlequin, je t'ai causé du chagrin, mais celui que tu me laisses est plus cruel que le tien. Arlequin. - Prenez quelque consolation, Monseigneur, promenez-vous, voyagez quelque part, votre douleur se passera dans les chemins. Le Prince. - Non, mon enfant, j'espérais quelque chose de ton coeur pour moi, je t'aurais eu plus d'obligation que je n'en aurai jamais à personne mais tu me fais tout le mal qu'on peut me faire; va, n'importe, mes bienfaits t'étaient réservés, et ta dureté n'empÃÂȘchera pas que tu n'en jouisses. Arlequin. - Ahi! qu'on a de mal dans la vie! Le Prince. - Il est vrai que j'ai tort à ton égard; je me reproche l'action que j'ai faite, c'est une injustice mais tu n'en es que trop vengé. Arlequin. - Il faut que je m'en aille, vous ÃÂȘtes trop fùché d'avoir tort, j'aurais peur de vous donner raison. Le Prince. - Non, il est juste que tu sois content; tu souhaites que je te rende justice; sois heureux aux dépens de tout mon repos. Arlequin. - Vous avez tant de charité pour moi, n'en aurais-je donc pas pour vous? Le Prince, triste. - Ne t'embarrasse pas de moi. Arlequin. - Que j'ai de souci! le voilà désolé. Le Prince, en caressant Arlequin. - Je te sais bon gré de la sensibilité oÃÂč je te vois. Adieu, Arlequin, je t'estime malgré tes refus. Arlequin laisse faire un ou deux pas au Prince. - Monseigneur! Le Prince. - Que me veux-tu? me demandes-tu quelque grùce? Arlequin. - Non, je ne suis qu'en peine de savoir si je vous accorderai celle que vous voulez. Le Prince. - Il faut avouer que tu as le coeur excellent! Arlequin. - Et vous aussi, voilà ce qui m'Îte le courage hélas! que les bonnes gens sont faibles! Le Prince. - J'admire tes sentiments. Arlequin. - Je le crois bien; je ne vous promets pourtant rien, il y a trop d'embarras dans ma volonté mais à tout hasard, si je vous donnais Silvia, avez-vous dessein que je sois votre favori? Le Prince. - Et qui le serait donc? Arlequin. - C'est qu'on m'a dit que vous aviez coutume d'ÃÂȘtre flatté; moi, j'ai coutume de dire vrai, et une bonne coutume comme celle-là ne s'accorde pas avec une mauvaise; jamais votre amitié ne sera assez forte pour endurer la mienne. Le Prince. - Nous nous brouillerons ensemble si tu ne me réponds toujours ce que tu penses. Il ne me reste qu'une chose à te dire, Arlequin souviens-toi que je t'aime; c'est tout ce que je te recommande. Arlequin. - Flaminia sera-t-elle sa maÃtresse? Le Prince. - Ah ne me parle point de Flaminia; tu n'étais pas capable de me donner tant de chagrins sans elle. Il s'en va. Arlequin. - Point du tout; c'est la meilleure fille du monde, vous ne devez point lui vouloir de mal. ScÚne VI Arlequin, seul. Arlequin. - Apparemment que mon coquin de valet aura médit de ma bonne amie; par la mardi, il faut que j'aille voir oÃÂč elle est. Mais moi, que ferai-je à cette heure? Est-ce que je quitterai Silvia là ? cela se pourra-t-il? y aura-t-il moyen? ma foi non, non assurément. J'ai un peu fait le nigaud avec le Prince, parce que je suis tendre à la peine d'autrui; mais le Prince est tendre aussi lui, et il ne dira mot. ScÚne VII Flaminia arrive d'un air triste; Arlequin Arlequin. - Bonjour, Flaminia, j'allais vous chercher. Flaminia, en soupirant. - Adieu, Arlequin. Arlequin. - Qu'est-ce que cela veut dire, adieu? Flaminia. - Trivelin nous a trahis; le Prince a su l'intelligence qui est entre nous; il vient de m'ordonner de sortir d'ici, et m'a défendu de vous voir jamais. Malgré cela, je n'ai pu m'empÃÂȘcher de venir vous parler encore une fois; ensuite j'irai oÃÂč je pourrai pour éviter sa colÚre. Arlequin, étonné et déconcerté. - Ah me voilà un joli garçon à présent! Flaminia. - Je suis au désespoir, moi! me voir séparée pour jamais d'avec vous, de tout ce que j'avais de plus cher au monde! Le temps me presse, je suis forcée de vous quitter mais avant que de partir, il faut que je vous ouvre mon coeur. Arlequin, en reprenant son haleine. - Ahi, qu'est-ce, ma mie? qu'a-t-il, ce cher coeur? Flaminia. - Ce n'est point de l'amitié que j'avais pour vous, Arlequin, je m'étais trompée. Arlequin, d'un ton essoufflé - C'est donc de l'amour? Flaminia. - Et du plus tendre. Adieu. Arlequin, la retenant. - Attendez... Je me suis peut-ÃÂȘtre trompé, moi aussi, sur mon compte. Flaminia. - Comment, vous vous seriez mépris? vous m'aimeriez, et nous ne nous verrons plus? Arlequin, ne m'en dites pas davantage, je m'enfuis. Elle fait un ou deux pas. Arlequin. - Restez. Flaminia. - Laissez-moi aller, que ferons-nous? Arlequin. - Parlons raison. Flaminia. - Que vous dirai-je? Arlequin. - C'est que mon amitié est aussi loin que la vÎtre; elle est partie voilà que je vous aime, cela est décidé, et je n'y comprends rien. Ouf! Flaminia. - Quelle aventure! Arlequin. - Je ne suis point marié, par bonheur. Flaminia. - Il est vrai. Arlequin. - Silvia se mariera avec le Prince, et il sera content. Flaminia. - Je n'en doute point. Arlequin. - Ensuite, puisque notre coeur s'est mécompté et que nous nous aimons par mégarde, nous prendrons patience et nous nous accommoderons à l'avenant. Flaminia, d'un ton doux. - J'entends bien, vous voulez dire que nous nous marierons ensemble. Arlequin. - Vraiment oui; est-ce ma faute, à moi? Pourquoi ne m'avertissiez-vous pas que vous m'attraperiez et que vous seriez ma maÃtresse? Flaminia. - M'avez-vous avertie que vous deviendriez mon amant? Arlequin. - Morbleu! le devinais-je? Flaminia. - Vous étiez assez aimable pour le deviner. Arlequin. - Ne nous reprochons rien; s'il ne tient qu'à ÃÂȘtre aimable, vous avez plus de tort que moi. Flaminia. - Epousez-moi, j'y consens mais il n'y a point de temps à perdre, et je crains qu'on ne vienne m'ordonner de sortir. Arlequin, en soupirant. - Ah! je pars pour parler au Prince; ne dites pas à Silvia que je vous aime, elle croirait que je suis dans mon tort, et vous savez que je suis innocent; je ne ferai semblant de rien avec elle, je lui dirai que c'est pour sa fortune que je la laisse là . Flaminia. - Fort bien; j'allais vous le conseiller. Arlequin. - Attendez, et donnez-moi votre main que je la baise... AprÚs avoir baisé sa main. Qui est-ce qui aurait cru que j'y prendrais tant de plaisir? Cela me confond. ScÚne VIII Flaminia, Silvia Flaminia. - En vérité, le Prince a raison; ces petites personnes-là font l'amour d'une maniÚre à ne pouvoir y résister. Voici l'autre. A quoi rÃÂȘvez-vous, belle Silvia? Silvia. - Je rÃÂȘve à moi, et je n'y entends rien. Flaminia. - Que trouvez-vous donc en vous de si incompréhensible? Silvia. - Je voulais me venger de ces femmes, vous savez bien, cela s'est passé. Flaminia. - Vous n'ÃÂȘtes guÚre vindicative. Silvia. - J'aimais Arlequin, n'est-ce pas? Flaminia. - Il me le semblait. Silvia. - Eh bien, je crois que je ne l'aime plus. Flaminia. - Ce n'est pas un si grand malheur. Silvia. - Quand ce serait un malheur, qu'y ferais-je? Lorsque je l'ai aimé, c'était un amour qui m'était venu; à cette heure que je ne l'aime plus, c'est un amour qui s'en est allé; il est venu sans mon avis, il s'en retourne de mÃÂȘme, je ne crois pas ÃÂȘtre blùmable. Flaminia, les premiers mots à part. - Rions un moment. Je le pense à peu prÚs de mÃÂȘme. Silvia, vivement. - Qu'appelez-vous à peu prÚs? Il faut le penser tout à fait comme moi, parce que cela est voilà de mes gens qui disent tantÎt oui, tantÎt non. Flaminia. - Sur quoi vous emportez-vous donc? Silvia. - Je m'emporte à propos; je vous consulte bonnement, et vous allez me répondre des à peu prÚs qui me chicanent. Flaminia. - Ne voyez-vous pas bien que je badine, et que vous n'ÃÂȘtes que louable? Mais n'est-ce pas cet officier que vous aimez? Silvia. - Eh, qui donc? Pourtant je n'y consens pas encore, à l'aimer mais à la fin il faudra bien y venir; car dire toujours non à un homme qui demande toujours oui, le voir triste, toujours se lamentant, toujours le consoler de la peine qu'on lui fait, dame, cela lasse; il vaut mieux ne lui en plus faire. Flaminia. - Oh! vous allez le charmer; il mourra de joie. Silvia. - Il mourrait de tristesse, et c'est encore pis. Flaminia. - Il n'y a pas de comparaison. Silvia. - Je l'attends; nous avons été plus de deux heures ensemble, et il va revenir pour ÃÂȘtre avec moi quand le Prince me parlera. Cependant j'ai peur qu'Arlequin ne s'afflige trop, qu'en dites-vous? Mais ne me rendez pas scrupuleuse. Flaminia. - Ne vous inquiétez pas, on trouvera aisément moyen de l'apaiser. Silvia, avec un petit air d'inquiétude. - De l'apaiser! Diantre, il est donc bien facile de m'oublier, à ce compte? Est-ce qu'il a fait quelque maÃtresse ici? Flaminia. - Lui, vous oublier! J'aurais donc perdu l'esprit si je vous le disais; vous serez trop heureuse s'il ne se désespÚre pas. Silvia. - Vous avez bien affaire de me dire cela; vous ÃÂȘtes cause que je redeviens incertaine, avec votre désespoir. Flaminia. - Et s'il ne vous aime plus, que diriez-vous? Silvia. - S'il ne m'aime plus, vous n'avez qu'à garder votre nouvelle. Flaminia. - Eh bien, il vous aime encore, et vous en ÃÂȘtes fùchée; que vous faut-il donc? Silvia. - Hom! vous qui riez, je voudrais bien vous voir à ma place. Flaminia. - Votre amant vous cherche; croyez-moi, finissez avec lui sans vous inquiéter du reste. ScÚne IX Silvia, Le Prince Le Prince. - Eh quoi! Silvia, vous ne me regardez pas? Vous devenez triste toutes les fois que je vous aborde; j'ai toujours le chagrin de penser que je vous suis importun. Bon, importun! je parlais de lui tout à l'heure. Le Prince. - Vous parliez de moi? et qu'en disiez-vous, belle Silvia? Silvia. - Oh je disais bien des choses; je disais que vous ne saviez pas encore ce que je pensais. Le Prince. - Je sais que vous ÃÂȘtes résolue à me refuser votre coeur, et c'est là savoir ce que vous pensez. Silvia. - Hom, vous n'ÃÂȘtes pas si savant que vous le croyez, ne vous vantez pas tant. Mais, dites-moi, vous ÃÂȘtes un honnÃÂȘte homme, et je suis sûre que vous me direz la vérité vous savez comme je suis avec Arlequin; à présent, prenez que j'aie envie de vous aimer si je contentais mon envie, ferais-je bien? ferais-je mal? Là , conseillez-moi dans la bonne foi. Le Prince. - Comme on n'est pas le maÃtre de son coeur, si vous aviez envie de m'aimer, vous seriez en droit de vous satisfaire; voilà mon sentiment. Silvia. - Me parlez-vous en ami? Le Prince. - Oui, Silvia, en homme sincÚre. Silvia. - C'est mon avis aussi; j'ai décidé de mÃÂȘme, et je crois que nous avons raison tous deux; ainsi je vous aimerai, s'il me plaÃt, sans qu'il y ait le petit mot à dire. Le Prince. - Je n'y gagne rien, car il ne vous plaÃt point. Silvia. - Ne vous mÃÂȘlez point de deviner, car je n'ai point de foi à vous. Mais enfin ce prince, puisqu'il faut que je le voie, quand viendra-t-il? S'il veut, je l'en quitte. Le Prince. - Il ne viendra que trop tÎt pour moi; lorsque vous le connaÃtrez, vous ne voudrez peut-ÃÂȘtre plus de moi. Silvia. - Courage, vous voilà dans la crainte à cette heure; je crois qu'il a juré de n'avoir jamais un moment de bon temps. Le Prince. - Je vous avoue que j'ai peur. Silvia. - Quel homme! il faut bien que je lui remette l'esprit. Ne tremblez plus, je n'aimerai jamais le Prince, je vous en fais un serment par... Le Prince. - ArrÃÂȘtez, Silvia, n'achevez pas votre serment, je vous en conjure. Silvia. - Vous m'empÃÂȘchez de jurer cela est joli! j'en suis bien aise. Le Prince. - Voulez-vous que je vous laisse jurer contre moi? Silvia. - Contre vous! est-ce que vous ÃÂȘtes le Prince? Le Prince. - Oui, Silvia; je vous ai jusqu'ici caché mon rang, pour essayer de ne devoir votre tendresse qu'à la mienne je ne voulais rien perdre du plaisir qu'elle pouvait me faire. A présent que vous me connaissez, vous ÃÂȘtes libre d'accepter ma main et mon coeur, ou de refuser l'un et l'autre. Parlez, Silvia. Silvia. - Ah, mon cher Prince! j'allais faire un beau serment; si vous avez cherché le plaisir d'ÃÂȘtre aimé de moi, vous avez bien trouvé ce que vous cherchiez; vous savez que je dis la vérité, voilà ce qui m'en plaÃt. Le Prince. - Notre union est donc assurée. ScÚne X et derniÚre Arlequin, Flaminia, Silvia, Le Prince Arlequin. - J'ai tout entendu, Silvia. Silvia. - Eh bien, Arlequin, je n'aurai donc pas la peine de vous le dire; consolez-vous comme vous pourrez de vous-mÃÂȘme; le Prince vous parlera, j'ai le coeur tout entrepris voyez, accommodez-vous, il n'y a plus de raison à moi, c'est la vérité. Qu'est-ce que vous me diriez? que je vous quitte. Qu'est-ce que je vous répondrais? que je le sais bien. Prenez que vous l'avez dit, prenez que j'ai répondu, laissez-moi aprÚs, et voilà qui sera fini. Le Prince. - Flaminia, c'est à vous que je remets Arlequin; je l'estime et je vais le combler de biens. Toi, Arlequin, accepte de ma main Flaminia pour épouse, et sois pour jamais assuré de la bienveillance de ton prince. Belle Silvia, souffrez que des fÃÂȘtes qui vous sont préparées annoncent ma joie à des sujets dont vous allez ÃÂȘtre la souveraine. Arlequin. - A présent, je me moque du tour que notre amitié nous a joué; patience, tantÎt nous lui en jouerons d'un autre. Le Prince travesti Acteurs Comédie en trois actes et en prose Représentée pour la premiÚre fois le 5 février 1724 par les comédiens italiens Acteurs La Princesse de Barcelone. Le Prince de Léon, sous le nom de Lélio. Frédéric, ministre de la Princesse. Arlequin, valet de Lélio. Lisette, maÃtresse d'Arlequin. Le Roi de Castille, sous le nom d'ambassadeur. Un garde de la Princesse. Femmes de la Princesse. La scÚne est à Barcelone. Acte premier ScÚne premiÚre La Princesse et sa suite, Hortense La scÚne représente une salle oÃÂč la Princesse entre rÃÂȘveuse, accompagnée de quelques femmes qui s'arrÃÂȘtent au milieu du théùtre. La Princesse, se retournant vers ses femmes. - Hortense ne vient point, qu'on aille lui dire encore que je l'attends avec impatience. Hortense entre. Je vous demandais, Hortense. Hortense. - Vous me paraissez bien agitée, Madame. La Princesse, à ses femmes. - Laissez-nous. ScÚne II La Princesse, Hortense La Princesse. - Ma chÚre Hortense, depuis un an que vous ÃÂȘtes absente, il m'est arrivé une grande aventure. Hortense. - Hier au soir en arrivant, quand j'eus l'honneur de vous revoir, vous me parûtes aussi tranquille que vous l'étiez avant mon départ. La Princesse. - Cela est bien différent, et je vous parus hier ce que je n'étais pas; mais nous avions des témoins, et d'ailleurs vous aviez besoin de repos. Hortense. - Que vous est-il donc arrivé, Madame? Car je compte que mon absence n'aura rien diminué des bontés et de la confiance que vous aviez pour moi. La Princesse. - Non, sans doute. Le sang nous unit; je sais votre attachement pour moi, et vous me serez toujours chÚre; mais j'ai peur que vous ne condamniez mes faiblesses. Hortense. - Moi, Madame, les condamner! Eh n'est-ce pas un défaut que de n'avoir point de faiblesse? Que ferions-nous d'une personne parfaite? A quoi nous serait-elle bonne? Entendrait-elle quelque chose à nous, à notre coeur, à ses petits besoins? quel service pourrait-elle nous rendre avec sa raison ferme et sans quartier, qui ferait main basse sur tous nos mouvements? Croyez-moi Madame; il faut vivre avec les autres, et avoir du moins moitié raison et moitié folie, pour lier commerce; avec cela vous nous ressemblerez un peu; car pour nous ressembler tout à fait, il ne faudrait presque que de la folie; mais je ne vous en demande pas tant. Venons au fait. Quel est le sujet de votre inquiétude? La Princesse. - J'aime, voilà ma peine. Hortense. - Que ne dites-vous J'aime, voilà mon plaisir? car elle est faite comme un plaisir, cette peine que vous dites. La Princesse. - Non, je vous assure; elle m'embarrasse beaucoup. Hortense. - Mais vous ÃÂȘtes aimée, sans doute? La Princesse. - Je crois voir qu'on n'est pas ingrat. Hortense. - Comment, vous croyez voir! Celui qui vous aime met-il son amour en énigme? Oh! Madame, il faut que l'amour parle bien clairement et qu'il répÚte toujours, encore avec cela ne parle-t-il pas assez. La Princesse. - Je rÚgne; celui dont il s'agit ne pense pas sans doute qu'il lui soit permis de s'expliquer autrement que par ses respects. Hortense. - Eh bien! Madame, que ne lui donnez-vous un pouvoir plus ample? Car qu'est-ce que c'est que du respect? L'amour est bien enveloppé là -dedans. Sans lui dire précisément Expliquez-vous mieux, ne pouvez-vous lui glisser la valeur de cela dans quelque regard? Avec deux yeux ne dit-on pas ce que l'on veut? La Princesse. - Je n'ose, Hortense, un reste de fierté me retient. Hortense. - Il faudra pourtant bien que ce reste-là s'en aille avec le reste, si vous voulez vous éclaircir. Mais quelle est la personne en question? La Princesse. - Vous avez entendu parler de Lélio? Hortense. - Oui, comme d'un illustre étranger qui, ayant rencontré notre armée, y servit volontaire il y a six ou sept mois, et à qui nous dûmes le gain de la derniÚre bataille. La Princesse. - Celui qui commandait l'armée l'engagea par mon ordre à venir ici; depuis qu'il y est, ses sages conseils dans mes affaires ne m'ont pas été moins avantageux que sa valeur; c'est d'ailleurs l'ùme la plus généreuse... Hortense. - Est-il jeune? La Princesse. - Il est dans la fleur de son ùge. Hortense. - De bonne mine? La Princesse. - Il me le paraÃt. Hortense. - Jeune, aimable, vaillant, généreux et sage, cet homme-là vous a donné son coeur; vous lui avez rendu le vÎtre en revanche, c'est coeur pour coeur, le troc est sans reproche, et je trouve que vous avez fait là un fort bon marché. Comptons; dans cet homme-là vous avez d'abord un amant, ensuite un ministre, ensuite un général d'armée, ensuite un mari, s'il le faut, et le tout pour vous; voilà donc quatre hommes pour un, et le tout en un seul, Madame; ce calcul-là mérite attention. La Princesse. - Vous ÃÂȘtes toujours badine. Mais cet homme qui en vaut quatre, et que vous voulez que j'épouse, savez-vous qu'il n'est, à ce qu'il dit, qu'un simple gentilhomme, et qu'il me faut un prince? Il est vrai que dans nos Etats le privilÚge des princesses qui rÚgnent est d'épouser qui elles veulent; mais il ne sied pas toujours de se servir de ses privilÚges. Hortense. - Madame, il vous faut un prince ou un homme qui mérite de l'ÃÂȘtre, c'est la mÃÂȘme chose; un peu d'attention, s'il vous plaÃt. Jeune, aimable, vaillant, généreux et sage, Madame, avec cela, fût-il né dans une chaumiÚre, sa naissance est royale, et voilà mon Prince; je vous défie d'en trouver un meilleur. Croyez-moi, je parle quelquefois sérieusement; vous et moi nous restons seules de la famille de nos maÃtres; donnez à vos sujets un souverain vertueux; ils se consoleront avec sa vertu du défaut de sa naissance. La Princesse. - Vous avez raison, et vous m'encouragez; mais, ma chÚre Hortense, il vient d'arriver ici un ambassadeur de Castille, dont je sais que la commission est de demander ma main pour son maÃtre; aurais-je bonne grùce de refuser un prince pour n'épouser qu'un particulier? Hortense. - Si vous aurez bonne grùce? Eh! qui en empÃÂȘchera? Quand on refuse les gens bien poliment, ne les refuse-t-on pas de bonne grùce? La Princesse. - Eh bien! Hortense, je vous en croirai; mais j'attends un service de vous. Je ne saurais me résoudre à montrer clairement mes dispositions à Lélio; souffrez que je vous charge de ce soin-là , et acquittez-vous-en adroitement dÚs que vous le verrez. Hortense. - Avec plaisir, Madame; car j'aime à faire de bonnes actions. A la charge que, quand vous aurez épousé cet honnÃÂȘte homme-là , il y aura dans votre histoire un petit article que je dresserai moi-mÃÂȘme, et qui dira précisément "Ce fut la sage Hortense qui procura cette bonne fortune au peuple; la Princesse craignait de n'avoir pas bonne grùce en épousant Lélio; Hortense lui leva ce vain scrupule, qui eût peut-ÃÂȘtre privé la république de cette longue suite de bons princes qui ressemblÚrent à leur pÚre." Voilà ce qu'il faudra mettre pour la gloire de mes descendants, qui, par ce moyen, auront en moi une aïeule d'heureuse mémoire. La Princesse. - Quel fonds de gaieté!... Mais, ma chÚre Hortense, vous parlez de vos descendants; vous n'avez été qu'un an avec votre mari, qui ne vous a pas laissé d'enfants, et toute jeune que vous ÃÂȘtes, vous ne voulez pas vous remarier; oÃÂč prendrez-vous votre postérité? Hortense. - Cela est vrai, je n'y songeais pas, et voilà tout d'un coup ma postérité anéantie... Mais trouvez-moi quelqu'un qui ait à peu prÚs le mérite de Lélio, et le goût du mariage me reviendra peut-ÃÂȘtre; car je l'ai tout à fait perdu, et je n'ai point tort. Avant que le comte Rodrigue m'épousùt, il n'y avait amour ancien ni moderne qui pût figurer auprÚs du sien. Les autres amants auprÚs de lui rampaient comme de mauvaises copies d'un excellent original, c'était une chose admirable, c'était une passion formée de tout ce qu'on peut imaginer en sentiments, langueurs, soupirs, transports, délicatesses, douce impatience, et le tout ensemble; pleurs de joie au moindre regard favorable, torrent de larmes au moindre coup d'oeil un peu froid; m'adorant aujourd'hui, m'idolùtrant demain; plus qu'idolùtre ensuite, se livrant à des hommages toujours nouveaux; enfin, si l'on avait partagé sa passion entre un million de coeurs, la part de chacun d'eux aurait été fort raisonnable. J'étais enchantée. Deux siÚcles, si nous les passions ensemble, n'épuiseraient pas cette tendresse-là , disais-je en moi-mÃÂȘme; en voilà pour plus que je n'en userai. Je ne craignais qu'une chose, c'est qu'il ne mourût de tant d'amour avant que d'arriver au jour de notre union. Quand nous fûmes mariés, j'eus peur qu'il n'expirùt de joie. Hélas! Madame, il ne mourut ni avant ni aprÚs, il soutint fort bien sa joie. Le premier mois elle fut violente; le second elle devint plus calme, à l'aide d'une de mes femmes qu'il trouva jolie; le troisiÚme elle baissa à vue d'oeil, et le quatriÚme il n'y en avait plus. Ah! c'était un triste personnage aprÚs cela que le mien. La Princesse. - J'avoue que cela est affligeant. Hortense. - Affligeant, Madame, affligeant! Imaginez-vous ce que c'est que d'ÃÂȘtre humiliée, rebutée, abandonnée, et vous aurez quelque légÚre idée de tout ce qui compose la douleur d'une jeune femme alors. Etre aimée d'un homme autant que je l'étais, c'est faire son bonheur et ses délices; c'est ÃÂȘtre l'objet de toutes ses complaisances, c'est régner sur lui, disposer de son ùme; c'est voir sa vie consacrée à vos désirs, à vos caprices, c'est passer la vÎtre dans la flatteuse conviction de vos charmes; c'est voir sans cesse qu'on est aimable ah! que cela est doux à voir! le charmant point de vue pour une femme! En vérité, tout est perdu quand vous perdez cela. Eh bien! Madame, cet homme dont vous étiez l'idole, concevez qu'il ne vous aime plus; et mettez-vous vis-à -vis de lui; la jolie figure que vous y ferez! Quel opprobre! Lui parlez-vous, toutes ses réponses sont des monosyllabes, oui, non; car le dégoût est laconique. L'approchez-vous, il fuit; vous plaignez-vous, il querelle; quelle vie! quelle chute! quelle fin tragique! Cela fait frémir l'amour-propre. Voilà pourtant mes aventures; et si je me rembarquais, j'ai du malheur, je ferais encore naufrage, à moins que de trouver un autre Lélio. La Princesse. - Vous ne tiendrez pas votre colÚre, et je chercherai de quoi vous réconcilier avec les hommes. Hortense. - Cela est inutile; je ne sache qu'un homme dans le monde qui pût me convertir là -dessus, homme que je ne connais point, que je n'ai jamais vu que deux jours. Je revenais de mon chùteau pour retourner dans la province dont mon mari était gouverneur, quand ma chaise fut attaquée par des voleurs qui avaient déjà fait plier le peu de gens que j'avais avec moi. L'homme dont je vous parle, accompagné de trois autres, vint à mes cris, et fondit sur mes voleurs, qu'il contraignit à prendre la fuite. J'étais presque évanouie; il vint à moi, s'empressa à me faire revenir, et me parut le plus aimable et le plus galant homme que j'aie encore vu. Si je n'avais pas été mariée, je ne sais ce que mon coeur serait devenu, je ne sais pas trop mÃÂȘme ce qu'il devint alors; mais il ne s'agissait plus de cela, je priai mon libérateur de se retirer. Il insista à me suivre prÚs de deux jours; à la fin je lui marquai que cela m'embarrassait; j'ajoutai que j'allais joindre mon mari, et je tirai un diamant de mon doigt que je le pressai de prendre; mais sans le regarder il s'éloigna trÚs vite, et avec quelque sorte de douleur. Mon mari mourut deux mois aprÚs, et je ne sais par quelle fatalité l'homme que j'ai vu m'est toujours resté dans l'esprit. Mais il y a apparence que nous ne nous reverrons jamais; ainsi mon coeur est en sûreté. Mais qui est-ce qui vient à nous? La Princesse. - C'est un homme à Lélio. Hortense. - Il me vient une idée pour vous; ne saurait-il pas qui est son maÃtre? La Princesse. - Il n'y a pas d'apparence; car Lélio perdit ses gens à la derniÚre bataille, et il n'a que de nouveaux domestiques. Hortense. - N'importe, faisons-lui toujours quelque question. ScÚne III La Princesse, Hortense, Arlequin Arlequin arrive d'un air désoeuvré en regardant de tous cÎtés. Il voit la Princesse et Hortense, et veut s'en aller. La Princesse. - Que cherches-tu, Arlequin? ton maÃtre est-il dans le palais? Arlequin. - Madame, je supplie Votre Principauté de pardonner l'impertinence de mon étourderie; si j'avais su que votre présence eût été ici, je n'aurais pas été assez nigaud pour y venir apporter ma personne. La Princesse. - Tu n'as point fait de mal. Mais, dis-moi, cherches-tu ton maÃtre? Arlequin. - Tout juste, vous l'avez deviné, Madame. Depuis qu'il vous a parlé tantÎt, je l'ai perdu de vue dans cette peste de maison, et, ne vous déplaise, je me suis aussi perdu, moi. Si vous vouliez bien m'enseigner mon chemin, vous me feriez plaisir; il y a ici un si grand tas de chambres, que j'y voyage depuis une heure sans en trouver le bout. Par la mardi! si vous louez tout cela, cela vous doit rapporter bien de l'argent, pourtant. Que de fatras de meubles, de drÎleries, de colifichets! Tout un village vivrait un an de ce que cela vaut. Depuis six mois que nous sommes ici, je n'avais point encore vu cela. Cela est si beau, si beau, qu'on n'ose pas le regarder; cela fait peur à un pauvre homme comme moi. Que vous ÃÂȘtes riches, vous autres Princes! et moi, qu'est-ce que je suis en comparaison de cela? Mais n'est-ce pas encore une autre impertinence que je fais, de raisonner avec vous comme avec ma pareille? Hortense rit. Voilà votre camarade qui rit; j'aurai dit quelque sottise. Adieu, Madame; je salue Votre Grandeur. La Princesse. - ArrÃÂȘte, arrÃÂȘte... Hortense. - Tu n'as point dit de sottise; au contraire, tu me parais de bonne humeur. Arlequin. - Pardi! je ris toujours; que voulez-vous? je n'ai rien à perdre. Vous vous amusez à ÃÂȘtre riches, vous autres, et moi je m'amuse à ÃÂȘtre gaillard; il faut bien que chacun ait son amusette en ce monde. Hortense. - Ta condition est-elle bonne? Es-tu bien avec Lélio? Arlequin. - Fort bien nous vivons ensemble de bonne amitié; je n'aime pas le bruit, ni lui non plus; je suis drÎle, et cela l'amuse. Il me paie bien, me nourrit bien, m'habille bien honnÃÂȘtement et de belle étoffe, comme vous voyez; me donne par-ci par-là quelques petits profits, sans ceux qu'il veut bien que je prenne, et qu'il ne sait pas; et, comme cela, je passe tout bellement ma vie. La Princesse, à part. - Il est aussi babillard que joyeux. Arlequin. - Est-ce que vous savez une meilleure condition pour moi, Madame? Hortense. - Non, je n'en sache point de meilleure que celle de ton maÃtre; car on dit qu'il est grand seigneur. Arlequin. - Il a l'air d'un garçon de famille. Hortense. - Tu me réponds comme si tu ne savais pas qui il est. Arlequin. - Non, je n'en sais rien, de bonne vérité. Je l'ai rencontré comme il sortait d'une bataille; je lui fis un petit plaisir; il me dit grand merci. Il disait que son monde avait été tué; je lui répondis Tant pis. Il me dit Tu me plais, veux-tu venir avec moi? Je lui dis Tope, je le veux bien. Ce qui fut dit, fut fait; il prit encore d'autre monde; et puis le voilà qui part pour venir ici, et puis moi je pars de mÃÂȘme, et puis nous voilà en voyage, en courant la poste, qui est le train du diable; car parlant par respect, j'ai été prÚs d'un mois sans pouvoir m'asseoir. Ah! les mauvaises mazettes! La Princesse, en riant. - Tu es un historien bien exact. Arlequin. - Oh! quand je compte quelque chose, je n'oublie rien; bref, tant y a que nous arrivùmes ici, mon maÃtre et moi. La Grandeur de Madame l'a trouvé brave homme, elle l'a favorisé de sa faveur; car on l'appelle favori; il n'en est pas plus impertinent qu'il l'était pour cela, ni moi non plus. Il est courtisé, et moi aussi; car tout le monde me respecte, tout le monde est ici en peine de ma santé, et me demande mon amitié; moi, je la donne à tout hasard, cela ne me coûte rien, ils en feront ce qu'ils pourront, ils n'en feront pas grand-chose. C'est un drÎle de métier que d'avoir un maÃtre ici qui a fait fortune; tous les courtisans veulent ÃÂȘtre les serviteurs de son valet. La Princesse. - Nous n'en apprendrons rien; allons-nous-en. Adieu, Arlequin. Arlequin. - Ah! Madame, sans compliment, je ne suis pas digne d'avoir cet adieu-là ... Quand elles sont parties. Cette Princesse est une bonne femme; elle n'a pas voulu me tourner le dos sans me faire une civilité. Bon! voilà mon maÃtre. ScÚne IV Lélio, Arlequin Lélio. - Qu'est-ce que tu fais ici? Arlequin. - J'y fais connaissance avec la Princesse, et j'y reçois ses compliments. Lélio. - Que veux-tu dire avec ta connaissance et tes compliments? Est-ce que tu l'as vue, la Princesse? OÃÂč est-elle? Arlequin. - Nous venons de nous quitter. Lélio. - Explique-toi donc; que t'a-t-elle dit? Arlequin. - Bien des choses. Elle me demandait si nous nous trouvions bien ensemble, comment s'appelaient votre pÚre et votre mÚre, de quel métier ils étaient, s'ils vivaient de leurs rentes ou de celles d'autrui. Moi, je lui ai dit Que le diable emporte celui qui les connaÃt! je ne sais pas quelle mine ils ont, s'ils sont nobles ou vilains, gentilshommes ou laboureurs mais que vous aviez l'air d'un enfant d'honnÃÂȘtes gens. AprÚs cela elle m'a dit Je vous salue. Et moi je lui ai dit Vous me faites trop de grùces. Et puis c'est tout. Lélio, à part. - Quel galimatias! Tout ce que j'en puis comprendre, c'est que la Princesse s'est informée de lui s'il me connaissait. Enfin tu lui as donc dit que tu ne savais pas qui je suis? Arlequin. - Oui; cependant je voudrais bien le savoir; car quelquefois cela me chicane. Dans la vie il y a tant de fripons, tant de vauriens qui courent par le monde pour fourber l'un, pour attraper l'autre, et qui ont bonne mine comme vous. Je vous crois un honnÃÂȘte garçon, moi. Lélio, en riant. - Va, va, ne t'embarrasse pas, Arlequin; tu as bon maÃtre, je t'en assure. Arlequin. - Vous me payez bien, je n'ai pas besoin d'autre caution; et au cas que vous soyez quelque bohémien, pardi! au moins vous ÃÂȘtes un bohémien de bon compte. Lélio. - En voilà assez, ne sors point du respect que tu me dois. Arlequin. - Tenez, d'un autre cÎté, je m'imagine quelquefois que vous ÃÂȘtes quelque grand seigneur; car j'ai entendu dire qu'il y a eu des princes qui ont couru la prétantaine pour s'ébaudir, et peut-ÃÂȘtre que c'est un vertigo qui vous a pris aussi. Lélio, à part. - Ce benÃÂȘt-là se serait-il aperçu de ce que je suis... Et par oÃÂč juges-tu que je pourrais ÃÂȘtre un prince? Voilà une plaisante idée! Est-ce par le nombre des équipages que j'avais quand je t'ai pris? par ma magnificence? Arlequin. - Bon! belles bagatelles! tout le monde a de cela; mais, par la mardi! personne n'a si bon coeur que vous, et il m'est avis que c'est là la marque d'un prince. Lélio. - On peut avoir le coeur bon sans ÃÂȘtre prince, et pour l'avoir tel, un prince a plus à travailler qu'un autre; mais comme tu es attaché à moi, je veux bien te confier que je suis un homme de condition qui me divertis à voyager inconnu pour étudier les hommes, et voir ce qu'ils sont dans tous les Etats. Je suis jeune, c'est une étude qui me sera nécessaire un jour; voilà mon secret, mon enfant. Arlequin. - Ma foi! cette étude-là ne vous apprendra que misÚre; ce n'était pas la peine de courir la poste pour aller étudier toute cette racaille. Qu'est-ce que vous ferez de cette connaissance des hommes? Vous n'apprendrez rien que des pauvretés. Lélio. - C'est qu'ils ne me tromperont plus. Arlequin. - Cela vous gùtera. Lélio. - D'oÃÂč vient? Arlequin. - Vous ne serez plus si bon enfant quand vous serez bien savant sur cette race-là . En voyant tant de canailles, par dépit canaille vous deviendrez. Lélio, à part les premiers mots. - Il ne raisonne pas mal. Adieu, te voilà instruit, garde-moi le secret; je vais retrouver la Princesse. Arlequin. - De quel cÎté tournerai-je pour retrouver notre cuisine? Lélio. - Ne sais-tu pas ton chemin? Tu n'as qu'à traverser cette galerie-là . ScÚne V Lélio, seul. Lélio. - La Princesse cherche à me connaÃtre, et me confirme dans mes soupçons; les services que je lui ai rendu ont disposé son coeur à me vouloir du bien, et mes respects empressés l'ont persuadée que je l'aimais sans oser le dire. Depuis que j'ai quitté les Etats de mon pÚre, et que je voyage sous ce déguisement pour hùter l'expérience dont j'aurai besoin si je rÚgne un jour, je n'ai fait nulle part un séjour si long qu'ici; à quoi donc aboutira-t-il? Mon pÚre souhaite que je me marie, et me laisse le choix d'une épouse. Ne dois-je pas m'en tenir à cette Princesse? Elle est aimable; et si je lui plais, rien n'est plus flatteur pour moi que son inclination, car elle ne me connaÃt pas. N'en cherchons donc point d'autre qu'elle; déclarons-lui qui je suis, enlevons-la au prince de Castille, qui envoie la demander. Elle ne m'est pas indifférente; mais que je l'aimerais sans le souvenir inutile que je garde encore de cette belle personne que je sauvai des mains des voleurs! ScÚne VI Lélio, Hortense, à qui un garde dit en montrant Lélio. [Un Garde.] - Le voilà , Madame. Lélio, surpris. - Je connais cette dame-là . Hortense, étonnée. - Que vois-je? Lélio, s'approchant. - Me reconnaissez-vous, Madame? Hortense. - Je crois que oui, Monsieur. Lélio. - Me fuirez-vous encore? Hortense. - Il le faudra peut-ÃÂȘtre bien. Lélio. - Eh pourquoi donc le faudra-t-il? Vous déplais-je tant, que vous ne puissiez au moins supporter ma vue? Hortense. - Monsieur, la conversation commence d'une maniÚre qui m'embarrasse; je ne sais que vous répondre; je ne saurais vous dire que vous me plaisez. Lélio. - Non, Madame; je ne l'exige point non plus; ce bonheur-là n'est pas fait pour moi, et je ne mérite sans doute que votre indifférence. Hortense. - Je ne serais pas assez modeste si je vous disais que vous l'ÃÂȘtes trop, mais de quoi s'agit-il? Je vous estime, je vous ai une grande obligation; nous nous retrouvons ici, nous nous reconnaissons; vous n'avez pas besoin de moi, vous avez la Princesse; que pourriez-vous me vouloir encore? Lélio. - Vous demander la seule consolation de vous ouvrir mon coeur. Hortense. - Oh! je vous consolerais mal; je n'ai point de talents pour ÃÂȘtre confidente. Lélio. - Vous, confidente, Madame! Ah! vous ne voulez pas m'entendre. Hortense. - Non, je suis naturelle; et pour preuve de cela, vous pouvez vous expliquer mieux, je ne vous en empÃÂȘche point, cela est sans conséquence. Lélio. - Eh quoi! Madame, le chagrin que j'eus en vous quittant, il y a sept ou huit mois, ne vous a point appris mes sentiments? Hortense. - Le chagrin que vous eûtes en me quittant? et à propos de quoi? Qu'est-ce que c'était que votre tristesse? Rappelez-m'en le sujet, voyons, car je ne m'en souviens plus. Lélio. - Que ne m'en coûta-t-il pas pour vous quitter, vous que j'aurais voulu ne quitter jamais, et dont il faudra pourtant que je me sépare? Hortense. - Quoi! c'est là ce que vous entendiez? En vérité, je suis confuse de vous avoir demandé cette explication-là , je vous prie de croire que j'étais dans la meilleure foi du monde. Lélio. - Je vois bien que vous ne voudrez jamais en apprendre davantage. Hortense, le regardant de cÎté. - Vous ne m'avez donc point oubliée? Lélio. - Non, Madame, je ne l'ai jamais pu; et puisque je vous revois, je ne le pourrai jamais... Mais quelle était mon erreur quand je vous quittai! Je crus recevoir de vous un regard dont la douceur me pénétra; mais je vois bien que je me suis trompé. Hortense. - Je me souviens de ce regard-là , par exemple. Lélio. - Et que pensiez-vous, Madame, en me gardant ainsi? Hortense. - Je pensais apparemment que je vous devais la vie. Lélio. - c'était donc une pure reconnaissance? Hortense. - J'aurais de la peine à vous rendre compte de cela; j'étais pénétrée du service que vous m'aviez rendu, de votre générosité; vous alliez me quitter, je vous voyais triste, je l'étais peut-ÃÂȘtre moi-mÃÂȘme; je vous regardai comme je pus, sans savoir comment, sans me gÃÂȘner; il y a des moments oÃÂč des regards signifient ce qu'ils peuvent, on ne répond de rien, on ne sait point trop ce qu'on y met; il y entre trop de choses, et peut-ÃÂȘtre de tout. Tout ce que je sais, c'est que je me serais bien passée de savoir votre secret. Lélio. - Eh que vous importe de le savoir, puisque j'en souffrirai tout seul? Hortense. - Tout seul! Îtez-moi donc mon coeur, Îtez-moi ma reconnaissance, Îtez-vous vous-mÃÂȘme... Que vous dirai-je? je me méfie de tout. Lélio. - Il est vrai que votre pitié m'est bien due; j'ai plus d'un chagrin; vous ne m'aimerez jamais, et vous m'avez dit que vous étiez mariée. Hortense. - Hé bien, je suis veuve; perdez du moins la moitié de vos chagrins; à l'égard de celui de n'ÃÂȘtre point aimé... Lélio. - Achevez, Madame à l'égard de celui-là ?... Hortense. - Faites comme vous pourrez, je ne suis pas mal intentionnée... Mais supposons que je vous aime, n'y a-t-il pas une princesse qui croit que vous l'aimez, qui vous aime peut-ÃÂȘtre elle-mÃÂȘme, qui est la maÃtresse ici, qui est vive, qui peut disposer de vous et de moi? A quoi donc mon amour aboutirait-il? Lélio. - Il n'aboutira à rien, dÚs lors qu'il n'est qu'une supposition. Hortense. - J'avais oublié que je le supposais. Lélio. - Ne deviendra-t-il jamais réel? Hortense, s'en allant. - Je ne vous dirai plus rien; vous m'avez demandé la consolation de m'ouvrir votre coeur, et vous me trompez; au lieu de cela, vous prenez la consolation de voir dans le mien. Je sais votre secret, en voilà assez; laissez-moi garder le mien, si je l'ai encore. Elle part. ScÚne VII Lélio, un moment seul. Lélio. - Voici un coup de hasard qui change mes desseins; il ne s'agit plus maintenant d'épouser la Princesse; tùchons de m'assurer parfaitement du coeur de la personne que j'aime, et s'il est vrai qu'il soit sensible pour moi. ScÚne VIII Lélio, Hortense Hortense, revient. - J'oubliais à vous informer d'une chose la Princesse vous aime, vous pouvez aspirer à tout; je vous l'apprends de sa part, il en arrivera ce qu'il pourra. Adieu. Lélio, l'arrÃÂȘtant avec un air et un ton de surprise. - Eh! de grùce, Madame, arrÃÂȘtez-vous un instant. Quoi! la Princesse elle-mÃÂȘme vous aurait chargée de me dire... Hortense. - Voilà de grands transports; mais je n'ai pas charge de les rapporter; j'ai dit ce que j'avais à vous dire, vous m'avez entendue; je n'ai pas le temps de le répéter, et je n'ai rien à savoir de vous. Elle s'en va; Lélio, piqué, l'arrÃÂȘte. Lélio. - Et moi, Madame, ma réponse à cela est que je vous adore, et je vais de ce pas la porter à la Princesse. Hortense, l'arrÃÂȘtant. - Y songez-vous? Si elle sait que vous m'aimez, vous ne pourrez plus me le dire, je vous en avertis. Lélio. - Cette réflexion m'arrÃÂȘte; mais il est cruel de se voir soupçonné de joie, quand on n'a que du trouble. Hortense, d'un air de dépit. - Oh fort cruel! Vous avez raison de vous fùcher! La vivacité qui vient de me prendre vous fait beaucoup de tort! Il doit vous rester de violents chagrins! Lélio, lui baisant la main. - Il ne me reste que des sentiments de tendresse qui ne finiront qu'avec ma vie. Hortense. - Que voulez-vous que je fasse de ces sentiments-là ? Lélio. - Que vous les honoriez d'un peu de retour. Hortense. - Je ne veux point, car je n'oserais. Lélio. - Je réponds de tout; nous prendrons nos mesures, et je suis d'un rang... Hortense. - Votre rang est d'ÃÂȘtre un homme aimable et vertueux, et c'est là le plus beau rang du monde; mais je vous dis encore une fois que cela est résolu; je ne vous aimerai point, je n'en conviendrai jamais. Qui? moi, vous aimer... vous accorder mon amour pour vous empÃÂȘcher de régner, pour causer la perte de votre liberté, peut-ÃÂȘtre pis! mon coeur vous ferait là de beaux présents! Non, Lélio, n'en parlons plus, donnez-vous tout entier à la Princesse, je vous le pardonne; cachez votre tendresse pour moi, ne me demandez plus la mienne, vous vous exposeriez à l'obtenir, je ne veux point vous l'accorder, je vous aime trop pour vous perdre, je ne peux pas vous mieux dire. Adieu, je crois que quelqu'un vient. Lélio l'arrÃÂȘte. - J'obéirai, je me conduirai comme vous voudrez; je ne vous demande plus qu'une grùce; c'est de vouloir bien, quand l'occasion s'en présentera, que j'aie encore une conversation avec vous. Hortense. - Prenez-y garde; une conversation en amÚnera une autre, et cela ne finira point, je le sens bien. Lélio. - Ne me refusez pas. Hortense. - N'abusez point de l'envie que j'ai d'y consentir. Lélio. - Je vous en conjure. Hortense, en s'en allant. - Soit; perdez-vous donc, puisque vous le voulez. ScÚne IX Lélio, seul. Lélio. - Je suis au comble de la joie; j'ai retrouvé ce que j'aimais, j'ai touché le seul coeur qui pouvait rendre le mien heureux; il ne s'agit plus que de convenir avec cette aimable personne de la maniÚre dont je m'y prendrai pour m'assurer sa main. ScÚne X Frédéric, Lélio Frédéric. - Puis-je avoir l'honneur de vous dire un mot? Lélio. - Volontiers, Monsieur. Frédéric. - Je me flatte d'ÃÂȘtre de vos amis. Lélio. - Vous me faites honneur. Frédéric. - Sur ce pied-là , je prendrai la liberté de vous prier d'une chose. Vous savez que le premier secrétaire d'Etat de la Princesse vient de mourir, et je vous avoue que j'aspire à sa place; dans le rang oÃÂč je suis; je n'ai plus qu'un pas à faire pour la remplir; naturellement elle me paraÃt due; il y a vingt-cinq ans que je sers l'Etat en qualité de conseiller de la Princesse; je sais combien elle vous estime et défÚre à vos avis, je vous prie de faire en sorte qu'elle pense à moi; vous ne pouvez obliger personne qui soit plus votre serviteur que je le suis. On sait à la cour en quels termes je parle de vous. Lélio, le regardant d'un air aisé. - Vous y dites donc beaucoup de bien de moi? Frédéric. - Assurément. Lélio. - Ayez la bonté de me regarder un peu fixement en me disant cela. Frédéric. - Je vous le répÚte encore. D'oÃÂč vient que vous me tenez ce discours? Lélio, aprÚs l'avoir examiné. - Oui, vous soutenez cela à merveille; l'admirable homme de cour que vous ÃÂȘtes! Frédéric. - Je ne vous comprends pas. Lélio. - Je vais m'expliquer mieux. C'est que le service que vous me demandez ne vaut pas qu'un honnÃÂȘte homme, pour l'obtenir, s'abaisse jusqu'à trahir ses sentiments. Frédéric. - Jusqu'à trahir mes sentiments! Et par oÃÂč jugez-vous que l'amitié dont je vous parle ne soit pas vraie? Lélio. - Vous me haïssez, vous dis-je, je le sais, et ne vous en veux aucun mal; il n'y a que l'artifice dont vous vous servez que je condamne. Frédéric. - Je vois bien que quelqu'un de mes ennemis vous aura indisposé contre moi. Lélio. - C'est de la Princesse elle-mÃÂȘme que je tiens ce que je vous dis; et quoiqu'elle ne m'en ait fait aucun mystÚre, vous ne le sauriez pas sans vos compliments. J'ignore si vous avez craint la confiance dont elle m'honore; mais depuis que je suis ici, vous n'avez rien oublié pour lui donner de moi des idées désavantageuses, et vous tremblez tous les jours, dites-vous, que je ne sois un espion gagé de quelque puissance, ou quelque aventurier qui s'enfuira au premier jour avec de grandes sommes, si on le met en état d'en prendre. Oh! si vous appelez cela de l'amitié, vous en avez beaucoup pour moi; mais vous aurez de la peine à faire passer votre définition. Frédéric, d'un ton sérieux. - Puisque vous ÃÂȘtes si bien instruit, je vous avouerai franchement que mon zÚle pour l'Etat m'a fait tenir ces discours-là , et que je craignais qu'on ne se repentÃt de vous avancer trop; je vous ai cru suspect et dangereux; voilà la vérité. Lélio. - Parbleu! vous me charmez de me parler ainsi! Vous ne vouliez me perdre que parce que vous me soupçonniez d'ÃÂȘtre dangereux pour l'Etat? Vous ÃÂȘtes louable, Monsieur, et votre zÚle est digne de récompense; il me servira d'exemple. Oui, je le trouve si beau que je veux l'imiter, moi qui dois tant à la Princesse. Vous avez craint qu'on ne m'avançùt, parce que vous me croyez un espion; et moi je craindrais qu'on ne vous fÃt ministre, parce que je ne crois pas que l'Etat y gagnùt; ainsi je ne parlerai point pour vous... Ne m'en louez-vous pas aussi? Frédéric. - Vous ÃÂȘtes fùché. Lélio. - Non, en homme d'honneur, je ne suis pas fait pour me venger de vous. Frédéric. - Rapprochons-nous. Vous ÃÂȘtes jeune, la Princesse vous estime, et j'ai une fille aimable, qui est un assez bon parti. Unissons nos intérÃÂȘts, et devenez mon gendre. Lélio. - Vous n'y pensez pas, mon cher Monsieur. Ce mariage-là serait une conspiration contre l'Etat, il faudrait travailler à vous faire ministre. Frédéric. - Vous refusez l'offre que je vous fais! Lélio. - Un espion devenir votre gendre! Votre fille devenir la femme d'un aventurier! Ah! je vous demande grùce pour elle; j'ai pitié de la victime que vous voulez sacrifier à votre ambition; c'est trop aimer la fortune. Frédéric. - Je crois offrir ma fille à un homme d'honneur; et d'ailleurs vous m'accusez d'un plaisant crime, d'aimer la fortune! Qui est-ce qui n'aimerait pas à gouverner? Lélio. - Celui qui en serait digne. Frédéric. - Celui qui en serait digne? Lélio. - Oui, et c'est l'homme qui aurait plus de vertu que d'ambition et d'avarice. Oh cet homme-là n'y verrait que de la peine. Frédéric. - Vous avez bien de la fierté. Lélio. - Point du tout, ce n'est que du zÚle. Frédéric. - Ne vous flattez pas tant; on peut tomber de plus haut que vous n'ÃÂȘtes, et la Princesse verra clair un jour. Lélio. - Ah vous voilà dans votre figure naturelle, je vous vois le visage à présent; il n'est pas joli, mais cela vaut toujours mieux que le masque que vous portiez tout à l'heure. ScÚne XI Lélio, Frédéric, La Princesse La Princesse. - Je vous cherchais, Lélio. Vous ÃÂȘtes de ces personnes que les souverains doivent s'attacher; il ne tiendra pas à moi que vous ne vous fixiez ici, et j'espÚre que vous accepterez l'emploi de mon premier secrétaire d'Etat, que je vous offre. Lélio. - Vos bontés sont infinies, Madame; mais mon métier est la guerre. La Princesse. - Vous faites mieux qu'un autre tout ce que vous voulez faire; et quand votre présence sera nécessaire à l'armée, vous choisirez pour exercer vos fonctions ici ceux que vous en jugerez les plus capables ce que vous ferez n'est pas sans exemple dans cet Etat. Lélio. - Madame, vous avez d'habiles gens ici, d'anciens serviteurs, à qui cet emploi convient mieux qu'à moi. La Princesse. - La supériorité de mérite doit l'emporter en pareil cas sur l'ancienneté de services; et d'ailleurs Frédéric est le seul que cette fonction pouvait regarder, si vous n'y étiez pas; mais il m'est affectionné, et je suis sûre qu'il se soumet de bon coeur au choix qui m'a paru le meilleur. Frédéric, soyez ami de Lélio; je vous le recommande. Frédéric fait une profonde révérence; la Princesse continue. C'est aujourd'hui le jour de ma naissance, et ma cour, suivant l'usage me donne aujourd'hui une fÃÂȘte que je vais voir. Lélio, donnez-moi la main pour m'y conduire; vous y verra-t-on, Frédéric? Frédéric. - Madame, les fÃÂȘtes ne me conviennent plus. ScÚne XII Frédéric, seul. Frédéric. - Si je ne viens à bout de perdre cet homme-là , ma chute est sûre... Un homme sans nom, sans parents, sans patrie, car on ne sait d'oÃÂč il vient, m'arrache le ministÚre, le fruit de trente années de travail!... Quel coup de malheur! je ne puis digérer une aussi bizarre aventure. Et je n'en saurais douter, c'est l'amour qui a nommé ce ministre-là oui, la Princesse a du penchant pour lui... Ne pourrait-on savoir l'histoire de sa vie errante, et prendre ensuite quelques mesures avec l'ambassadeur du roi de Castille, dont j'ai la confiance? Voici le valet de cet aventurier; tùchons à quelque prix que ce soit de le mettre dans mes intérÃÂȘts, il pourra m'ÃÂȘtre utile. ScÚne XIII Frédéric, Arlequin Il entre en comptant de l'argent dans son chapeau. Frédéric. - Bonjour, Arlequin. Es-tu bien riche? Arlequin. - Chut! Vingt-quatre, vingt-cinq, vingt-six et vingt-sept sols. J'en avais trente. Comptez, vous, Monseigneur le conseiller; n'est-ce pas trois sols que je perds? Frédéric. - Cela est juste. Arlequin. - Hé bien, que le diable emporte le jeu et les fripons avec! Frédéric. - Quoi! tu jures pour trois sols de perte! Oh je veux te rendre la joie. Tiens, voilà une pistole. Arlequin. - Le brave conseiller que vous ÃÂȘtes! Il saute. Hi! hi! Vous méritez bien une cabriole. Frédéric. - Te voilà de meilleure humeur. Arlequin. - Quand j'ai dit que le diable emporte les fripons; je ne vous comptais pas, au moins. Frédéric. - J'en suis persuadé. Arlequin, recomptant son argent. - Mais il me manque toujours trois sols. Frédéric. - Non, car il y a bien des trois sols dans une pistole. Arlequin. - Il y a bien des trois sols dans une pistole! mais cela ne fait rien aux trois sols qui manquent dans mon chapeau. Frédéric. - Je vois bien qu'il t'en faut encore une autre. Arlequin. - Ho ho deux cabrioles. Frédéric. - Aimes-tu l'argent? Arlequin. - Beaucoup. Frédéric. - Tu serais donc bien aise de faire une petite fortune? Arlequin. - Quand elle serait grosse, je la prendrais en patience. Frédéric. - Ecoute; j'ai bien peur que la faveur de ton maÃtre ne soit pas longue; elle est un grand coup de hasard. Arlequin. - C'est comme s'il avait gagné aux cartes. Frédéric. - Le connais-tu? Arlequin. - Non, je crois que c'est quelque enfant trouvé. Frédéric. - Je te conseillerais de t'attacher à quelqu'un de stable; à moi, par exemple. Arlequin. - Ah! vous avez l'air d'un bon homme; mais vous ÃÂȘtes trop vieux. Frédéric. - Comment, trop vieux! Arlequin. - Oui, vous mourrez bientÎt, et vous me laisseriez orphelin de votre amitié. Frédéric. - J'espÚre que tu ne seras pas bon prophÚte; mais je puis te faire beaucoup de bien en trÚs peu de temps. Arlequin. - Tenez, vous avez raison; mais on sait bien ce qu'on quitte, et l'on ne sait pas ce que l'on prend. Je n'ai point d'esprit; mais de la prudence, j'en ai que c'est une merveille; et voilà comme je dis Un homme qui se trouve bien assis, qu'a-t-il besoin de se mettre debout? J'ai bon pain, bon vin, bonne fricassée et bon visage, cent écus par an, et les étrennes au bout; cela n'est-il pas magnifique? Frédéric. - Tu me cites là de beaux avantages! Je ne prétends pas que tu t'attaches à moi pour ÃÂȘtre mon domestique; je veux te donner des emplois qui t'enrichiront, et par-dessus le marché te marier avec une jolie fille qui a du bien. Arlequin. - Oh! dame! ma prudence dit que vous avez raison; je suis debout, et vous me faites asseoir; cela vaut mieux. Frédéric. - Il n'y a point de comparaison. Arlequin. - Pardi! vous me traitez comme votre enfant; il n'y a pas à tortiller à cela. Du bien, des emplois et une jolie fille! voilà une pleine boutique de vivres, d'argent et de friandises; par la sanguenne, vous m'aimez beaucoup, pourtant! Frédéric. - Oui, ta physionomie me plaÃt, je te trouve un bon garçon. Arlequin. - Oh! pour cela, je suis drÎle comme un coffre; laissez faire, nous rirons comme des fous ensemble; mais allons faire venir ce bien, ces emplois, et cette jolie fille, car j'ai hùte d'ÃÂȘtre riche et bien aise. Frédéric. - Ils te sont assurés, te dis-je; mais il faut que tu me rendes un petit service; puisque tu te donnes à moi, tu n'en dois pas faire de difficulté. Arlequin. - Je vous regarde comme mon pÚre. Frédéric. - Je ne veux de toi qu'une bagatelle. Tu es chez le seigneur Lélio; je serais curieux de savoir qui il est. Je souhaiterais donc que tu y restasses encore trois semaines ou un mois, pour me rapporter tout ce que tu lui entendras dire en particulier, et tout ce que tu lui verras faire. Il peut arriver que, dans des moments, un homme chez lui dise de certaines choses et en fasse d'autres qui le décÚlent, et dont on peut tirer des conjectures. Observe tout soigneusement; et en attendant que je te récompense entiÚrement voilà par avance de l'argent que je te donne encore. Arlequin. - Avancez-moi encore la fille; nous la rabattrons sur le reste. Frédéric. - On ne paie un service qu'aprÚs qu'il est rendu, mon enfant; c'est la coutume. Arlequin. - Coutume de vilain que cela! Frédéric. - Tu n'attendras que trois semaines. Arlequin. - J'aime mieux vous faire mon billet comme quoi j'aurai reçu cette fille à compte; je ne plaiderai pas contre mon écrit. Frédéric. - Tu me serviras de meilleur courage en l'attendant. Acquitte-toi d'abord de ce que je te dis; pourquoi hésites-tu? Arlequin. - Tout franc, c'est que la commission me chiffonne. Frédéric. - Quoi tu mets mon argent dans ta poche, et tu refuses de me servir! Arlequin. - Ne parlons point de votre argent, il est fort bon, je n'ai rien à lui dire; mais, tenez, j'ai opinion que vous voulez me donner un office de fripon; car qu'est-ce que vous voulez faire des paroles du seigneur Lélio, mon maÃtre, là ? Frédéric. - C'est une simple curiosité qui me prend. Arlequin. - Hom... il y a de la malice là -dessous; vous avez l'air d'un sournois; je m'en vais gager dix sols contre vous, que vous ne valez rien. Frédéric. - Que te mets-tu donc dans l'esprit? Tu n'y songes pas, Arlequin. Arlequin, d'un ton triste. - Allez, vous ne devriez pas tenter un pauvre garçon, qui n'a pas plus d'honneur qu'il lui en faut, et qui aime les filles. J'ai bien de la peine à m'empÃÂȘcher d'ÃÂȘtre un coquin; faut-il que l'honneur me ruine, qu'il m'Îte mon bien, mes emplois et une jolie fille? Par la mardi, vous ÃÂȘtes bien méchant, d'avoir été trouver l'invention de cette fille. Frédéric, à part. - Ce butor-là m'inquiÚte avec ses réflexions. Encore une fois, es-tu fou d'ÃÂȘtre si longtemps à prendre ton parti? D'oÃÂč vient ton scrupule? De quoi s'agit-il? de me donner quelques instructions innocentes sur le chapitre d'un homme inconnu, qui demain tombera peut-ÃÂȘtre, et qui te laissera sur le pavé. Songes-tu bien que je t'offre la fortune, et que tu la perds? Arlequin. - Je songe que cette commission-là sent le tricot tout pur; et par bonheur que ce tricot fortifie mon pauvre honneur, qui a pensé barguigner. Tenez, votre jolie fille, ce n'est qu'une guenon; vos emplois, de la marchandise de chien; voilà mon dernier mot, et je m'en vais tout droit trouver la Princesse et mon maÃtre; peut-ÃÂȘtre récompenseront-ils le dommage que je souffre pour l'amour de ma bonne conscience. Frédéric. - Comment! tu vas trouver la Princesse et ton maÃtre! Et d'oÃÂč vient? Arlequin. - Pour leur compter mon désastre, et toute votre marchandise. Frédéric. - Misérable! as-tu donc résolu de me perdre, de me déshonorer? Arlequin. - Bon, quand on n'a point d'honneur, est-ce qu'il faut avoir de la réputation? Frédéric. - Si tu parles, malheureux que tu es, je prendrai de toi une vengeance terrible. Ta vie me répondra de ce que tu feras; m'entends-tu bien? Arlequin, se moquant. - Brrrr! ma vie n'a jamais servi de caution; je boirai encore bouteille trente ans aprÚs votre trépassement. Vous ÃÂȘtes vieux comme le pÚre à trétous, et moi je m'appelle le cadet Arlequin. Adieu. Frédéric, outré. - ArrÃÂȘte, Arlequin; tu me mets au désespoir, tu ne sais pas la conséquence de ce que tu vas faire, mon enfant, tu me fais trembler; c'est toi-mÃÂȘme que je te conjure d'épargner, en te priant de sauver mon honneur; encore une fois; arrÃÂȘte, la situation d'esprit oÃÂč tu me mets ne me punit que trop de mon imprudence. Arlequin, comme transporté. - Comment! cela est épouvantable. Je passe mon chemin sans penser à mal, et puis vous venez à l'encontre de moi pour m'offrir des filles, et puis vous me donnez une pistole pour trois sols est-ce que cela se fait? Moi, je prends cela, parce que je suis honnÃÂȘte, et puis vous me fourbez encore avec je ne sais combien d'autres pistoles que j'ai dans ma poche, et que je ferai venir en témoignage contre vous, comme quoi vous avez mitonné le coeur d'un innocent, qui a eu sa conscience et la crainte du bùton devant les yeux, et qui sans cela aurait trahi son bon maÃtre, qui est le plus brave et le plus gentil garçon, le meilleur corps qu'on puisse trouver dans tous les corps du monde, et le factotum de la Princesse; cela se peut-il souffrir? Frédéric. - Doucement, Arlequin; quelqu'un peut venir; j'ai tort mais finissons; j'achÚterai ton silence de tout ce que tu voudras; parle, que me demandes-tu? Arlequin. - Je ne vous ferai pas bon marché, prenez-y garde. Frédéric. - Dis ce que tu veux; tes longueurs me tuent. Arlequin, réfléchissant. - Pourtant, ce que c'est que d'ÃÂȘtre honnÃÂȘte homme! Je n'ai que cela pour tout potage, moi. Voyez comme je me carre avec vous! Allons, présentez-moi votre requÃÂȘte, appelez-moi un peu Monseigneur, pour voir comment cela fait; je suis Frédéric à cette heure, et vous, vous ÃÂȘtes Arlequin. Frédéric, à part. - Je ne sais oÃÂč j'en suis. Quand je nierais le fait, c'est un homme simple qu'on n'en croira que trop sur une infinité d'autres présomptions, et la quantité d'argent que je lui ai donné prouve encore contre moi. A Arlequin. Finissons, mon enfant, que te faut-il? Arlequin. - Oh tout bellement; pendant que je suis Frédéric, je veux profiter un petit brin de ma seigneurie. Quand j'étais Arlequin, vous faisiez le gros dos avec moi; à cette heure que c'est vous qui l'ÃÂȘtes, je veux prendre ma revanche. Frédéric soupire. - Ah je suis perdu! Arlequin, à part. - Il me fait pitié. Allons, consolez-vous; je suis las de faire le glorieux, cela est trop sot; il n'y a que vous autres qui puissiez vous accoutumer à cela. Ajustons-nous. Frédéric. - Tu n'as qu'à dire. Arlequin. - Avez-vous encore de cet argent jaune? J'aime cette couleur-là ; elle dure plus longtemps qu'une autre. Frédéric. - Voilà tout ce qui m'en reste. Arlequin. - Bon; ces pistoles-là , c'est pour votre pénitence de m'avoir donné les autres pistoles. Venons au reste de la boutique, parlons des emplois. Frédéric. - Mais, ces emplois, tu ne peux les exercer qu'en quittant ton maÃtre. Arlequin. - J'aurai un commis; et pour l'argent qu'il m'en coûtera, vous me donnerez une bonne pension de cent écus par an. Frédéric. - Soit, tu seras content; mais me promets-tu de te taire? Arlequin. - Touchez là ; c'est marché fait. Frédéric. - Tu ne te repentiras pas de m'avoir tenu parole. Adieu, Arlequin, je m'en vais tranquille. Arlequin, le rappelant. - St st st st st... Frédéric, revenant. - Que me veux-tu? Arlequin. - Et à propos, nous oublions cette jolie fille. Frédéric. - Tu dis que c'est une guenon. Arlequin. - Oh j'aime assez les guenons. Frédéric. - Eh bien! je tùcherai de te la faire avoir. Arlequin. - Et moi, je tùcherai de me taire. Frédéric. - Puisqu'il te la faut absolument, reviens me trouver tantÎt; tu la verras. A part. Peut-ÃÂȘtre me le débauchera-t-elle mieux que je n'ai su faire. Arlequin. - Je veux avoir son coeur sans tricherie. Frédéric. - Sans doute; sortons d'ici. Arlequin. - Dans un quart d'heure je suis à vous. Tenez-moi la fille prÃÂȘte. Acte II ScÚne premiÚre Lisette, Arlequin Arlequin. - Mon bijou, j'ai fait une offense envers vos grùces, et je suis d'avis de vous en demander pardon, pendant que j'en ai la repentance. Lisette. - Quoi! un si joli garçon que vous est-il capable d'offenser quelqu'un? Arlequin. - Un aussi joli garçon que moi! Oh! cela me confond; je ne mérite pas le pain que je mange. Lisette. - Pourquoi donc? Qu'avez-vous fait? Arlequin. - J'ai fait une insolence; donnez-moi conseil. Voulez-vous que je m'en accuse à genoux, ou bien sur mes deux jambes? dites-moi sans façon; faites-moi bien de la honte, ne m'épargnez pas. Lisette. - Je ne veux ni vous battre ni vous voir à genoux; je me contenterai de savoir ce que vous avez dit. Arlequin, s'agenouillant. - M'amie, vous n'ÃÂȘtes point assez rude, mais je sais mon devoir. Lisette. - Levez-vous donc, mon cher; je vous ai déjà pardonné. Arlequin. - Ecoutez-moi; j'ai dit, en parlant de votre inimitable personne, j'ai dit... le reste est si gros qu'il m'étrangle. Lisette. - Vous avez dit?... Arlequin. - J'ai dit que vous n'étiez qu'une guenon. Lisette, fùchée. - Pourquoi donc m'aimez-vous, si vous me trouvez telle? Arlequin, pleurant. - Je confesse que j'en ai menti. Lisette. - Je me croyais plus supportable; voilà la vérité. Arlequin. - Ne vous ai-je pas dit que j'étais un misérable? Mais, m'amour, je n'avais pas encore vu votre gentil minois... ois... ois... ois... Lisette. - Comment! vous ne me connaissiez pas dans ce temps-là ? Vous ne m'aviez jamais vue? Arlequin. - Pas seulement le bout de votre nez. Lisette. - Eh! mon cher Arlequin, je ne suis plus fùchée. Ne me trouvez-vous pas de votre goût à présent? Arlequin. - Vous ÃÂȘtes délicieuse. Lisette. - Eh bien! vous ne m'avez pas insultée; et, quand cela serait, y a-t-il de meilleure réparation que l'amour que vous avez pour moi? Allez, mon ami, ne songez plus à cela. Arlequin. - Quand je vous regarde, je me trouve si sot! Lisette. - Tant mieux, je suis bien aise que vous m'aimiez; car vous me plaisez beaucoup, vous. Arlequin, charmé. - Oh! oh! oh! vous me faites mourir d'aise. Lisette. - Mais, est-il bien vrai que vous m'aimiez? Arlequin. - Tenez, je vous aime... Mais qui diantre peut dire cela, combien je vous aime?... Cela est si gros, que je n'en sais pas le compte. Lisette. - Vous voulez m'épouser? Arlequin. - Oh! je ne badine point; je vous recherche honnÃÂȘtement, par-devant notaire. Lisette. - Vous ÃÂȘtes tout à moi? Arlequin. - Comme un quarteron d'épingles que vous auriez acheté chez le marchand. Lisette. - Vous avez envie que je sois heureuse? Arlequin. - Je voudrais pouvoir vous entretenir fainéante toute votre vie manger, boire et dormir, voilà l'ouvrage que je vous souhaite. Lisette. - Eh bien! mon ami, il faut que je vous avoue une chose; j'ai fait tirer mon horoscope il n'y a pas plus de huit jours. Arlequin. - Oh! oh! Lisette. - Vous passùtes dans ce moment-là , et on me dit Voyez-vous ce joli brunet qui passe? il s'appelle Arlequin. Arlequin. - Tout juste. Lisette. - Il vous aimera. Arlequin. - Ah! l'habile homme! Lisette. - Le seigneur Frédéric lui proposera de le servir contre un inconnu; il refusera d'abord de le faire, parce qu'il s'imaginera que cela ne serait pas bien; mais vous obtiendrez de lui ce qu'il aura refusé au seigneur Frédéric; et de là , s'ensuivra pour vous deux une grosse fortune, dont vous jouirez mariés ensemble. Voilà ce qu'on m'a prédit. Vous m'aimez déjà , vous voulez m'épouser; la prédiction est bien avancée; à l'égard de la proposition du seigneur Frédéric, je ne sais ce que c'est; mais vous savez bien ce qu'il vous a dit; quant à moi, il m'a seulement recommandé de vous aimer, et je suis en bon train de cela, comme vous voyez. Arlequin, étonné. - Cela est admirable! je vous aime, cela est vrai; je veux vous épouser, cela est encore vrai, et véritablement le seigneur Frédéric m'a proposé d'ÃÂȘtre un fripon; je n'ai pas voulu l'ÃÂȘtre, et pourtant vous verrez qu'il faudra que j'en passe par là ; car quand une chose est prédite, elle ne manque pas d'arriver. Lisette. - Prenez garde on ne m'a pas prédit que le seigneur Frédéric vous proposerait une friponnerie; on m'a seulement prédit que vous croiriez que c'en serait une. Arlequin. - Je l'ai cru, et apparemment je me suis trompé. Lisette. - Cela va tout seul. Arlequin. - Je suis un grand nigaud; mais, au bout du compte, cela avait la mine d'une friponnerie, comme j'ai la mine d'Arlequin; je suis fùché d'avoir vilipendé ce bon seigneur Frédéric; je lui ai fait donner tout son argent; par bonheur je ne suis pas obligé à restitution; je ne devinais pas qu'il y avait une prédiction qui me donnait le tort. Lisette. - Sans doute. Arlequin. - Avec cela, cette prédiction doit avoir prédit que je lui viderais sa bourse. Lisette. - Oh! gardez ce que vous avez reçu. Arlequin. - Cet argent-là m'était dû comme une lettre de change; si j'allais le rendre, cela gùterait l'horoscope, et il ne faut pas aller à l'encontre d'un astrologue. Lisette. - Vous avez raison. Il ne s'agit plus à présent que d'obéir à ce qui est prédit, en faisant ce que souhaite le seigneur Frédéric, afin de gagner pour nous cette grosse fortune qui nous est promise. Arlequin. - Gagnons, ma mie, gagnons, cela est juste, Arlequin est à vous, tournez-le, virez-le à votre fantaisie, je ne m'embrasse plus de lui, la prédiction m'a transporté à vous, elle sait bien ce qu'elle fait, il ne m'appartient pas de contredire à son ordonnance, je vous aime, je vous épouserai, je tromperai Monsieur Lélio, et je m'en gausse, le vent me pousse, il faut que j'aille, il me pousse à baiser votre menotte, il faut que je la baise. Lisette, riant. - L'astrologue n'a pas parlé de cet article-là . Arlequin. - Il l'aura peut-ÃÂȘtre oublié. Lisette. - Apparemment; mais allons trouver le seigneur Frédéric, pour vous réconcilier avec lui. Arlequin. - Voilà mon maÃtre; je dois ÃÂȘtre encore trois semaines avec lui pour guetter ce qu'il fera, et je vais voir s'il n'a pas besoin de moi. Allez, mes amours, allez m'attendre chez le seigneur Frédéric. Lisette. - Ne tardez pas. ScÚne II Lélio, Arlequin Lélio arrive rÃÂȘveur, sans voir Arlequin qui se retire à quartier. Lélio s'arrÃÂȘte sur le bord du théùtre en rÃÂȘvant. Arlequin, à part. - Il ne me voit pas. Voyons sa pensée. Lélio. - Me voilà dans un embarras dont je ne sais comment me tirer. Arlequin, à part. - Il est embarrassé. Lélio. - Je tremble que la Princesse, pendant la fÃÂȘte, n'ait surpris mes regards sur la personne que j'aime. Arlequin, à part. - Il tremble à cause de la Princesse... tubleu!... ce frisson-là est une affaire d'Etat... vertuchoux! Lélio. - Si la Princesse vient à soupçonner mon penchant pour son amie, sa jalousie me la dérobera, et peut-ÃÂȘtre fera-t-elle pis. Arlequin, à part. - Oh! oh!... la dérobera... Il traite la Princesse de friponne. Par la sambille! Monsieur le conseiller fera bien ses orges de ces bribes-là que je ramasse, et je vois bien que cela me vaudra pignon sur rue. Lélio. - J'aurais besoin d'une entrevue. Arlequin, à part. - Qu'est-ce que c'est qu'une entrevue? Je crois qu'il parle latin... Le pauvre homme! il me fait pitié pourtant; car peut-ÃÂȘtre qu'il en mourra; mais l'horoscope le veut. Cependant si j'avais un peu sa permission... Voyons, je vais lui parler. Il retourne dans le fond du théùtre et de là il accourt comme s'il arrivait, et dit Ah! mon cher maÃtre! Lélio. - Que me veux-tu? Arlequin. - Je viens vous demander ma petite fortune. Lélio. - Qu'est-ce que c'est que cette fortune? Arlequin. - C'est que le seigneur Frédéric m'a promis tout plein mes poches d'argent, si je lui contais un peu ce que vous ÃÂȘtes, et tout ce que je sais de vous; il m'a bien recommandé le secret, et je suis obligé de le garder en conscience; ce que j'en dis, ce n'est que par maniÚre de parler. Voulez-vous que je lui rapporte toutes les babioles qu'il demande? Vous savez que je suis pauvre; l'argent qui m'en viendra, je le mettrai en rente ou je le prÃÂȘterai à usure. Lélio. - Que Frédéric est lùche! Mon enfant, je pardonne à ta simplicité le compliment que tu me fais. Tu as de l'honneur à ta maniÚre, et je ne vois nul inconvénient pour moi à te laisser profiter de la bassesse de Frédéric. Oui, reçois son argent; je veux bien que tu lui rapportes ce que je t'ai dit que j'étais, et ce que tu sais. Arlequin. - Votre foi? Lélio. - Fais; j'y consens. Arlequin. - Ne vous gÃÂȘnez point, parlez-moi sans façon; je vous laisse la liberté; rien de force. Lélio. - Va ton chemin, et n'oublie pas surtout de lui marquer le souverain mépris que j'ai pour lui. Arlequin. - Je ferai votre commission. Lélio. - J'aperçois la Princesse. Adieu, Arlequin, va gagner ton argent. ScÚne III Arlequin, seul. Arlequin. - Quand on a un peu d'esprit, on accommode tout. Un butor aurait été chagriner son maÃtre sans lui en demander honnÃÂȘtement le privilÚge. A cette heure, si je lui cause du chagrin, ce sera de bonne amitié, au moins... Mais voilà cette Princesse avec sa camarade. ScÚne IV La Princesse, Hortense, Arlequin La Princesse, à Arlequin. - Il me semble avoir vu de loin ton maÃtre avec toi. Arlequin. - Il vous a semblé la vérité, Madame; et quand cela ne serait pas, je ne suis pas là pour vous dédire. La Princesse. - Va le chercher, et dis-lui que j'ai à lui parler. Arlequin. - J'y cours, Madame. Il va et revient. Si je ne le trouve pas, qu'est-ce que je lui dirai? La Princesse. - Il ne peut pas encore ÃÂȘtre loin, tu le trouveras sans doute. Arlequin, à part. - Bon, je vais tout d'un coup chercher le seigneur Frédéric. ScÚne V La Princesse, Hortense La Princesse. - Ma chÚre Hortense, apparemment que ma rÃÂȘverie est contagieuse; car vous devenez rÃÂȘveuse aussi bien que moi. Hortense. - Que voulez-vous, Madame? Je vous vois rÃÂȘver, et cela me donne un air pensif; je vous copie de figure. La Princesse. - Vous copiez si bien, qu'on s'y méprendrait. Quant à moi, je ne suis point tranquille; le rapport que vous me faites de Lélio ne me satisfait pas. Un homme à qui vous avez fait apercevoir que je l'aime, un homme à qui j'ai cru voir du penchant pour moi, devrait, à votre discours, donner malgré lui quelques marques de joie, et vous ne me parlez que de son profond respect; cela est bien froid. Hortense. - Mais, Madame, ordinairement le respect n'est ni chaud ni froid; je ne lui ai pas dit crûment La Princesse vous aime; il ne m'a pas répondu crûment J'en suis charmé; il ne lui a pas pris des transports; mais il m'a paru pénétré d'un profond respect. J'en reviens toujours à ce respect, et je le trouve en sa place. La Princesse. - Vous ÃÂȘtes femme d'esprit; lui avez vous senti quelque surprise agréable? Hortense. - De la surprise? Oui, il en a montré; à l'égard de savoir si elle était agréable ou non, quand un homme sent du plaisir, et qu'il ne le dit point, il en aurait un jour entier sans qu'on le devinùt; mais enfin, pour moi, je suis fort contente de lui. La Princesse, souriant d'un air forcé. - Vous ÃÂȘtes fort contente de lui, Hortense; N'y aurait-il rien d'équivoque là -dessous? Qu'est-ce que cela signifie? Hortense. - Ce que signifie je suis contente de lui? Cela veut dire... En vérité, Madame, cela veut dire que je suis contente de lui; on ne saurait expliquer cela qu'en le répétant. Comment feriez-vous pour dire autrement? Je suis satisfaite de ce qu'il m'a répondu sur votre chapitre; l'aimez-vous mieux de cette façon-là ? La Princesse. - Cela est plus clair. Hortense. - C'est pourtant la mÃÂȘme chose. La Princesse. - Ne vous fùchez point; je suis dans une situation d'esprit qui mérite un peu d'indulgence. Il me vient des idées fùcheuses, déraisonnables. Je crains tout, je soupçonne tout; je crois que j'ai été jalouse de vous, oui de vous-mÃÂȘme, qui ÃÂȘtes la meilleure de mes amies, qui méritez ma confiance, et qui l'avez. Vous ÃÂȘtes aimable, Lélio l'est aussi; vous vous ÃÂȘtes vu tous deux; vous m'avez fait un rapport de lui qui n'a pas rempli mes espérances; je me suis égarée là -dessus; j'ai vu mille chimÚres; vous étiez déjà ma rivale. Qu'est-ce que c'est que l'amour, ma chÚre Hortense! OÃÂč est l'estime que j'ai pour vous, la justice que je dois vous rendre? Me reconnaissez-vous? Ne sont-ce pas là les faiblesses d'un enfant que je rapporte? Hortense. - Oui; mais les faiblesses d'un enfant de votre ùge sont dangereuses, et je voudrais bien n'avoir rien à démÃÂȘler avec elles. La Princesse. - Ecoutez; je n'ai pas tant de tort; tantÎt pendant que nous étions à cette fÃÂȘte, Lélio n'a presque regardé que vous, vous le savez bien. Hortense. - Moi, Madame? La Princesse. - Hé bien, vous n'en convenez pas; cela est mal entendu, par exemple; il semblerait qu'il y a du mystÚre; n'ai-je pas remarqué que les regards de Lélio vous embarrassaient, et que vous n'osiez pas le regarder, par considération pour moi sans doute?... Vous ne me répondez pas? Hortense. - C'est que je vous vois en train de remarquer, et si je réponds, j'ai peur que vous ne remarquiez encore quelque chose dans ma réponse; cependant je n'y gagne rien, car vous faites une remarque sur mon silence. Je ne sais plus comment me conduire; si je me tais, c'est du mystÚre; si je parle, autre mystÚre; enfin je suis mystÚre depuis les pieds jusqu'à la tÃÂȘte. En vérité, je n'ose pas me remuer; j'ai peur que vous n'y trouviez un équivoque. Quel étrange amour que le vÎtre, Madame! Je n'en ai jamais vu de cette humeur-là . La Princesse. - Encore une fois, je me condamne; mais vous n'ÃÂȘtes pas mon amie pour rien; vous ÃÂȘtes obligée de me supporter; j'ai de l'amour, en un mot, voilà mon excuse. Hortense. - Mais, Madame, c'est plus mon amour que le vÎtre; de la maniÚre dont vous le prenez, il me fatigue plus que vous; ne pourriez-vous me dispenser de votre confidence? Je me trouve une passion sur les bras qui ne m'appartient pas; peut-on de fardeau plus ingrat? La Princesse, d'un air sérieux. - Hortense, je vous croyais plus d'attachement pour moi; et je ne sais que penser, aprÚs tout, du dégoût que vous témoignez. Quand je répare mes soupçons à votre égard par l'aveu franc que je vous en fais, mon amour vous déplaÃt trop; je n'y comprends rien; on dirait presque que vous en avez peur. Hortense. - Ah la désagréable situation! Que je suis malheureuse de ne pouvoir ouvrir ni fermer la bouche en sûreté! Que faudra-t-il donc que je devienne? Les remarques me suivent, je n'y saurais tenir; vous me désespérez, je vous tourmente, toujours je vous fùcherai en parlant, toujours je vous fùcherai en ne disant mot je ne saurais donc me corriger; voilà une querelle fondée pour l'éternité; le moyen de vivre ensemble, j'aimerais mieux mourir. Vous me trouvez rÃÂȘveuse; aprÚs cela il faut que je m'explique. Lélio m'a regardée, vous ne savez que penser, vous ne me comprenez pas, vous m'estimez, vous me croyez fourbe; haine, amitié, soupçon, confiance, le calme, l'orage, vous mettez tout ensemble, je m'y perds, la tÃÂȘte me tourne, je ne sais oÃÂč je suis; je quitte la partie, je me sauve, je m'en retourne; dussiez-vous prendre encore mon voyage pour une finesse. La Princesse, la caressant. - Non, ma chÚre Hortense, vous ne me quitterez point; je ne veux point vous perdre, je veux vous aimer, je veux que vous m'aimiez; j'abjure toutes mes faiblesses; vous ÃÂȘtes mon amie, je suis la vÎtre, et cela durera toujours. Hortense. - Madame, cet amour-là nous brouillera ensemble, vous le verrez; laissez-moi partir; comptez que je le fais pour le mieux. La Princesse. - Non, ma chÚre; je vais faire arrÃÂȘter tous vos équipages, vous ne vous servirez que des miens; et, pour plus de sûreté, à toutes les portes de la ville vous trouverez des gardes qui ne vous laisseront passer qu'avec moi. Nous irons quelquefois nous promener ensemble; voilà tous les voyages que vous ferez; point de mutinerie; je n'en rabattrai rien. A l'égard de Lélio, vous continuerez de le voir avec moi ou sans moi, quand votre amie vous en priera. Hortense. - Moi, voir Lélio, Madame! Et si Lélio me regarde? il a des yeux. Et si je le regarde? j'en ai aussi. Ou bien si je ne le regarde pas? car tout est égal avec vous. Que voulez-vous que je fasse dans la compagnie d'un homme avec qui toute fonction de mes deux yeux est interdite? les fermerai-je? les détournerai-je? Voilà tout ce qu'on en peut faire, et rien de tout cela ne vous convient. D'ailleurs, s'il a toujours ce profond respect qui n'est pas de votre goût, vous vous en prendrez à moi, vous me direz encore Cela est bien froid; comme si je n'avais qu'à lui dire Monsieur, soyez plus tendre. Ainsi son respect, ses yeux et les miens, voilà trois choses que vous ne me passerez jamais. Je ne sais si, pour vous accommoder, il me suffirait d'ÃÂȘtre aveugle, sourde et muette; je ne serais peut-ÃÂȘtre pas encore à l'abri de votre chicane. La Princesse. - Toute cette vivacité-là ne me fait point de peur; je vous connais vous ÃÂȘtes bonne, mais impatiente; et quelque jour, vous et moi, nous rirons de ce qui nous arrive aujourd'hui. Hortense. - Souffrez que je m'éloigne pendant que vous aimez. Au lieu de rire de mon séjour, nous rirons de mon absence; n'est-ce pas la mÃÂȘme chose? La Princesse. - Ne m'en parlez plus, vous m'affligez. Voici Lélio, qu'apparemment Arlequin aura averti de ma part; prenez de grùce, un air moins triste; je n'ai qu'un mot à lui dire; aprÚs l'instruction que vous lui avez donnée, nous jugerons bientÎt de ses sentiments, par la maniÚre dont il se comportera dans la suite. Le don de ma main lui fait un beau rang; mais il peut avoir le coeur pris. ScÚne VI Lélio, Hortense, La Princesse Lélio. - Je me rends à vos ordres, Madame. Arlequin m'a dit que vous souhaitiez me parler. La Princesse. - Je vous attendais, Lélio; vous savez quelle est la commission de l'ambassadeur du roi de Castille, qu'on est convenu d'en délibérer aujourd'hui. Frédéric s'y trouvera; mais c'est à vous seul à décider. Il s'agit de ma main que le roi de Castille demande; vous pouvez l'accorder ou la refuser. Je ne vous dirai point quelles seraient mes intentions là -dessus; je m'en tiens à souhaiter que vous les deviniez. J'ai quelques ordres à donner; je vous laisse un moment avec Hortense, à peine vous connaissez-vous encore, elle est mon amie, et je suis bien aise que l'estime que j'ai pour vous ait son aveu. Elle sort. ScÚne VII Lélio, Hortense Lélio. - Enfin, Madame, il est temps que vous décidiez de mon sort, il n'y a point de moments à perdre. Vous venez d'entendre la Princesse; elle veut que je prononce sur le mariage qu'on lui propose. Si je refuse de le conclure, c'est entrer dans ses vues, et lui dire que je l'aime; si je le conclus, c'est lui donner des preuves d'une indifférence dont elle cherchera les raisons. La conjoncture est pressante; que résolvez-vous en ma faveur? Il faut que je me dérobe d'ici incessamment; mais vous, Madame, y resterez-vous? Je puis vous offrir un asile oÃÂč vous ne craindrez personne. Oserai-je espérer que vous consentiez aux mesures promptes et nécessaires?... Hortense. - Non, Monsieur, n'espérez rien, je vous prie; ne parlons plus de votre coeur, et laissez le mien en repos; vous le troublez, je ne sais ce qu'il est devenu; je n'entends parler que d'amour à droite et à gauche, il m'environne; il m'obsÚde, et le vÎtre, au bout du compte, est celui qui me presse le plus. Lélio. - Quoi! Madame, c'en est donc fait, mon amour vous fatigue, et vous me rebutez? Hortense. - Si vous cherchez à m'attendrir, je vous avertis que je vous quitte; je n'aime point qu'on exerce mon courage. Lélio. - Ah! Madame, il ne vous en faut pas beaucoup pour résister à ma douleur. Hortense. - Eh! Monsieur, je ne sais point ce qu'il m'en faut, et ne trouve point à propos de le savoir. Laissez-moi me gouverner, chacun se sent; brisons là -dessus. Lélio. - Il n'est que trop vrai que vous pouvez m'écouter sans aucun risque. Hortense. - Il n'est que trop vrai! Oh! je suis plus difficile en vérités que vous; et ce qui est trop vrai pour vous ne l'est pas assez pour moi. Je crois que j'irais loin avec vos sûretés, surtout avec un garant comme vous! En vérité, Monsieur, vous n'y songez pas il n'est que trop vrai! Si cela était si vrai, j'en saurais quelque chose; car vous me forcez, à vous dire plus que je ne veux, et je ne vous le pardonnerai pas. Lélio. - Si vous sentez quelque heureuse disposition pour moi, qu'ai-je fait depuis tantÎt qui puisse mériter que vous la combattiez? Hortense. - Ce que vous avez fait? Pourquoi me rencontrez-vous ici? Qu'y venez-vous chercher? Vous ÃÂȘtes arrivé à la cour; vous avez plu à la Princesse, elle vous aime; vous dépendez d'elle, j'en dépends de mÃÂȘme; elle est jalouse de moi voilà ce que vous avez fait, Monsieur, et il n'y a point de remÚde à cela, puisque je n'en trouve point. Lélio, étonné. - La Princesse est jalouse de vous? Hortense. - Oui, trÚs jalouse peut-ÃÂȘtre actuellement sommes-nous observés l'un et l'autre; et aprÚs cela vous venez me parler de votre passion, vous voulez que je vous aime; vous le voulez, et je tremble de ce qui en peut arriver car enfin on se lasse. J'ai beau vous dire que cela ne se peut pas, que mon coeur vous serait inutile; vous ne m'écoutez point, vous vous plaisez à me pousser à bout. Eh! Lélio, qu'est-ce que c'est que votre amour? Vous ne me ménagez point; aime-t-on les gens quand on les persécute, quand ils sont plus à plaindre que nous, quand ils ont leurs chagrins et les nÎtres, quand ils ne nous font un peu de mal que pour éviter de nous en faire davantage? Je refuse de vous aimer qu'est-ce que j'y gagne? Vous imaginez-vous que j'y prends plaisir? Non, Lélio, non; le plaisir n'est pas grand. Vous ÃÂȘtes un ingrat; vous devriez me remercier de mes refus, vous ne les méritez pas. Dites-moi, qu'est-ce qui m'empÃÂȘche de vous aimer? cela est-il si difficile? n'ai-je pas le coeur libre? n'ÃÂȘtes-vous pas aimable? ne m'aimez-vous pas assez? que vous manque-t-il? vous n'ÃÂȘtes pas raisonnable. Je vous refuse mon coeur avec le péril qu'il y a de l'avoir; mon amour vous perdrait. Voilà pourquoi vous ne l'aurez point; voilà d'oÃÂč me vient ce courage que vous me reprochez. Et vous vous plaignez de moi, et vous me demandez encore que je vous aime, expliquez-vous donc, que me demandez-vous? Que vous faut-il? Qu'appelez-vous aimer? Je n'y comprends rien. Lélio, vivement. - C'est votre main qui manque à mon bonheur. Hortense, tendrement. - Ma main!... Ah! je ne périrais pas seule, et le don que je vous en ferais me coûterait mon époux; et je ne veux pas mourir, en perdant un homme comme vous. Non, si je faisais jamais votre bonheur, je voudrais qu'il durùt longtemps. Lélio, animé. - Mon coeur ne peut suffire à toute ma tendresse. Madame, prÃÂȘtez-moi, de grùce, un moment d'attention, je vais vous instruire. Hortense. - ArrÃÂȘtez, Lélio; j'envisage un malheur qui me fait frémir; je ne sache rien de si cruel que votre obstination; il me semble que tout ce que vous me dites m'entretient de votre mort. Je vous avais prié de laisser mon coeur en repos, vous n'en faites rien; voilà qui est fini; poursuivez, je ne vous crains plus. Je me suis d'abord contentée de vous dire que je ne pouvais pas vous aimer, cela ne vous a pas épouvanté; mais je sais des façons de parler plus positives, plus intelligibles, et qui assurément vous guériront de toute espérance. Voici donc, à la lettre, ce que je pense, et ce que je penserai toujours c'est que je ne vous aime point, et que je ne vous aimerai jamais. Ce discours est net, je le crois sans réplique; il ne reste plus de question à faire. Je ne sortirai point de là ; je ne vous aime point, vous ne me plaisez point. Si je savais une maniÚre de m'expliquer plus dure, je m'en servirais pour vous punir de la douleur que je souffre à vous en faire. Je ne pense pas qu'à présent vous ayez envie de parler de votre amour; ainsi changeons de sujet. Lélio. - Oui, Madame, je vois bien que votre résolution est prise. La seule espérance d'ÃÂȘtre uni pour jamais avec vous m'arrÃÂȘtait encore ici; je m'étais flatté, je l'avoue; mais c'est bien peu de chose que l'intérÃÂȘt que l'on prend à un homme à qui l'on peut parler comme vous le faites. Quand je vous apprendrais qui je suis, cela ne servirait de rien; vos refus n'en seraient que plus affligeants. Adieu, Madame; il n'y a plus de séjour ici pour moi; je pars dans l'instant, et je ne vous oublierai jamais. Il s'éloigne. Hortense, pendant qu'il s'en va. - Oh! je ne sais plus oÃÂč j'en suis; je n'avais pas prévu ce coup-là . Elle l'appelle. Lélio! Lélio, revenant. - Que me voulez-vous, Madame? Hortense. - Je n'en sais rien; vous ÃÂȘtes au désespoir, vous m'y mettez, je ne sais encore que cela. Lélio. - Vous me haïrez si je ne vous quitte. Hortense. - Je ne vous hais plus quand vous me quittez. Lélio. - Daignez donc consulter votre coeur. Hortense. - Vous voyez bien les conseils qu'il me donne; vous partez, je vous rappelle; je vous rappellerai, si je vous renvoie; mon coeur ne finira rien. Lélio. - Eh! Madame, ne me renvoyez plus; nous échapperons aisément à tous les malheurs que vous craignez; laissez-moi vous expliquer mes mesures, et vous dire que ma naissance... Hortense, vivement. - Non, je me retrouve enfin, je ne veux plus rien entendre. Echapper à nos malheurs! Ne s'agit-il pas de sortir d'ici? le pourrons-nous? n'a-t-on pas les yeux sur nous? ne serez-vous pas arrÃÂȘté? Adieu; je vous dois la vie; je ne vous devrai rien, si vous ne sauvez la vÎtre. Vous dites que vous m'aimez; non, je n'en crois rien, si vous ne partez. Partez donc, ou soyez mon ennemi mortel; partez, ma tendresse vous l'ordonne; ou restez ici l'homme du monde le plus haï de moi, et le plus haïssable que je connaisse. Elle s'en va comme en colÚre. Lélio, d'un ton de dépit. - Je partirai donc, puisque vous le voulez; mais vous prétendez me sauver la vie, et vous n'y réussirez pas. Hortense, se retournant de loin. - Vous me rappelez donc à votre tour? Lélio. - J'aime autant mourir que de ne vous plus voir. Hortense. - Ah! voyons donc les mesures que vous voulez prendre. Lélio, transporté de joie. - Quel bonheur! je ne saurais retenir mes transports. Hortense, nonchalamment. - Vous m'aimez beaucoup, je le sais bien; passons votre reconnaissance, nous dirons cela une autre fois. Venons aux mesures... Lélio. - Que n'ai-je, au lieu d'une couronne qui m'attend, l'empire de la terre à vous offrir? Hortense, avec une surprise modeste. - Vous ÃÂȘtes né prince? Mais vous n'avez qu'à me garder votre coeur, vous ne me donnerez rien qui le vaille; achevons. Lélio. - J'attends demain incognito un courrier du roi de Léon, mon pÚre. Hortense. - ArrÃÂȘtez, Prince; Frédéric vient, l'Ambassadeur le suit sans doute. Vous m'informerez tantÎt de vos résolutions. Lélio. - Je crains encore vos inquiétudes. Hortense. - Et moi, je ne crains plus rien; je me sens l'imprudence la plus tranquille du monde; vous me l'avez donnée, je m'en trouve bien; c'est à vous à me la garantir, faites comme vous pourrez. Lélio. - Tout ira bien, Madame; je ne conclurai rien avec l'Ambassadeur pour gagner du temps; je vous reverrai tantÎt. ScÚne VIII L'Ambassadeur, Lélio, Frédéric Frédéric, à part à l'Ambassadeur. - Vous sentirez, j'en suis sûr, jusqu'oÃÂč va l'audace de ses espérances. L'Ambassadeur, à Lélio. - Vous savez, Monsieur, ce qui m'amÚne ici, et votre habileté me répond du succÚs de ma commission. Il s'agit d'un mariage entre votre Princesse et le roi de Castille, mon maÃtre. Tout invite à le conclure; jamais union ne fut peut-ÃÂȘtre plus nécessaire. Vous n'ignorez pas les justes droits que les rois de Castille prétendent avoir sur une partie de cet Etat, par les alliances... Lélio. - Laissons là ces droits historiques, Monsieur; je sais ce que c'est; et quand on voudra, la Princesse en produira de mÃÂȘme valeur sur les Etats du roi votre maÃtre. Nous n'avons qu'à relire aussi les alliances passées, vous verrez qu'il y aura quelqu'une de vos provinces qui nous appartiendra. Frédéric. - Effectivement vos droits ne sont pas fondés, et il n'est pas besoin d'en appuyer le mariage dont il s'agit. L'Ambassadeur. - Laissons-les donc pour le présent, j'y consens; mais la trop grande proximité des deux Etats entretient depuis vingt ans des guerres qui ne finissent que pour des instants, et qui recommenceront bientÎt entre deux nations voisines, et dont les intérÃÂȘts se croiseront toujours. Vos peuples sont fatigués; mille occasions vous ont prouvé que vos ressources sont inégales aux nÎtres. La paix que nous venons de faire avec vous, vous la devez à des circonstances qui ne se rencontreront pas toujours. Si la Castille n'avait été occupée ailleurs, les choses auraient bien changé de face. Lélio. - Point du tout; il en aurait été de cette guerre comme de toutes les autres. Depuis tant de siÚcles que cet Etat se défend contre le vÎtre, oÃÂč sont vos progrÚs? Je n'en vois point qui puissent justifier cette grande inégalité de forces dont vous parlez. L'Ambassadeur. - Vous ne vous ÃÂȘtes soutenus que par des secours étrangers. Lélio. - Ces mÃÂȘmes secours dans bien des occasions vous ont aussi rendu de grands services; et voilà comment subsistent les Etats la politique de l'un arrÃÂȘte l'ambition de l'autre. Frédéric. - Retranchons-nous sur des choses plus effectives, sur la tranquillité durable que ce mariage assurerait aux deux peuples qui ne seraient plus qu'un, et qui n'auraient plus qu'un mÃÂȘme maÃtre. Lélio. - Fort bien; mais nos peuples n'ont-ils pas leurs lois particuliÚres? Etes-vous sûr, Monsieur, qu'ils voudront bien passer sous une domination étrangÚre, et peut-ÃÂȘtre se soumettre aux coutumes d'une nation qui leur est antipathique? L'Ambassadeur. - Désobéiront-ils à leur souveraine? Lélio. - Ils lui désobéiront par amour pour elle. Frédéric. - En ce cas-là , il ne sera pas difficile de les réduire. Lélio. - Y pensez-vous, Monsieur? S'il faut les opprimer pour les rendre tranquilles, comme vous l'entendez, ce n'est pas de leur souveraine que doit leur venir un pareil repos; il n'appartient qu'à la fureur d'un ennemi de leur faire un présent si funeste. Frédéric, à part, à l'Ambassadeur. - Vous voyez des preuves de ce que je vous ai dit. L'Ambassadeur, à Lélio. - Votre avis est donc de rejeter le mariage que je propose? Lélio. - Je ne le rejette point; mais il mérite réflexion. Il faut examiner mûrement les choses; aprÚs quoi, je conseillerai à la Princesse ce que je jugerai de mieux pour sa gloire et pour le bien de ses peuples; le seigneur Frédéric dira ses raisons, et moi les miennes. Frédéric. - On décidera sur les vÎtres. L'Ambassadeur, à Lélio. Me permettez-vous de vous parler à coeur ouvert? Lélio. - Vous ÃÂȘtes le maÃtre. L'Ambassadeur. - Vous ÃÂȘtes ici dans une belle situation, et vous craignez d'en sortir, si la Princesse se marie; mais le Roi mon maÃtre est assez grand seigneur pour vous dédommager, et j'en réponds pour lui. Lélio, froidement. - Ah! de grùce, ne citez point ici le Roi votre maÃtre; soupçonnez-moi tant que vous voudrez de manquer de droiture, mais ne l'associez point à vos soupçons. Quand nous faisons parler les princes, Monsieur, que ce soit toujours d'une maniÚre noble et digne d'eux; c'est un respect que nous leur devons, et vous me faites rougir pour le roi de Castille. L'Ambassadeur. - ArrÃÂȘtons là . Une discussion là -dessus nous mÚnerait trop loin; il ne me reste qu'un mot à vous dire; et ce n'est plus le roi de Castille, c'est moi qui vous parle à présent. On m'a averti que je vous trouverais contraire au mariage dont il s'agit, tout convenable, tout nécessaire qu'il est, si jamais la Princesse veut épouser un prince. On a prévu les difficultés que vous faites, et l'on prétend que vous avez vos raisons pour les faire, raisons si hardies que je n'ai pu les croire, et qui sont fondées, dit-on, sur la confiance dont la Princesse vous honore. Lélio. - Vous m'allez encore parler à coeur ouvert, Monsieur, et si vous m'en croyez, vous n'en ferez rien; la franchise ne vous réussit pas; le Roi votre maÃtre s'en est mal trouvé tout à l'heure, et vous m'inquiétez pour la Princesse. L'Ambassadeur. - Ne craignez rien; loin de manquer moi-mÃÂȘme à ce que je lui dois, je ne veux que l'apprendre à ceux qui l'oublient. Lélio. - Voyons; j'en sais tant là -dessus, que je suis en état de corriger vos leçons mÃÂȘmes. Que dit-on de moi? L'Ambassadeur. - Des choses hors de toute vraisemblance. Frédéric. - Ne les expliquez point; je crois savoir ce que c'est; on me les a dites aussi, et j'en ai ri comme d'une chimÚre. Lélio, regardant Frédéric. - N'importe; je serai bien aise de voir jusqu'oÃÂč va la lùche inimitié de ceux dont je blesse ici les yeux, que vous connaissez comme moi, et à qui j'aurais fait bien du mal si j'avais voulu, mais qui ne valent pas la peine qu'un honnÃÂȘte homme se venge. Revenons. L'Ambassadeur. - Non, le seigneur Frédéric a raison; n'expliquons rien; ce sont des illusions. Un homme d'esprit comme vous, dont la fortune est déjà si prodigieuse, et qui la mérite, ne saurait avoir des sentiments aussi périlleux que ceux qu'on vous attribue. La Princesse n'est sans doute que l'objet de vos respects; mais le bruit qui court sur votre compte vous expose, et pour le détruire, je vous conseillerais de porter la Princesse à un mariage avantageux à l'Etat. Lélio. - Je vous suis trÚs obligé de vos conseils, Monsieur; mais j'ai regret à la peine que vous prenez de m'en donner. Jusqu'ici les Ambassadeurs n'ont jamais été les précepteurs des ministres chez qui ils vont, et je n'ose renverser l'ordre. Quand je verrai votre nouvelle méthode bien établie, je vous promets de la suivre. L'Ambassadeur. - Je n'ai pas tout dit. Le roi de Castille a pris de l'inclination pour la Princesse sur un portrait qu'il en a vu; c'est en amant que ce jeune prince souhaite un mariage que la raison, l'égalité d'ùge et la politique doivent presser de part et d'autre. S'il ne s'achÚve pas, si vous en détournez la Princesse par des motifs qu'elle ne sait pas, faites du moins qu'à son tour ce prince ignore les secrÚtes raisons qui s'opposent en vous à ce qu'il souhaite; la vengeance des princes peut porter loin; souvenez-vous-en. Lélio. - Encore une fois, je ne rejette point votre proposition, nous l'examinerons plus à loisir; mais si les raisons secrÚtes que vous voulez dire étaient réelles, Monsieur, je ne laisserais pas que d'embarrasser le ressentiment de votre prince. Il serait plus difficile de se venger de moi que vous ne pensez. L'Ambassadeur, outré. - De vous? Lélio, froidement. - Oui, de moi. L'Ambassadeur. - Doucement; vous ne savez pas à qui vous parlez. Lélio. - Je sais qui je suis, en voilà assez. L'Ambassadeur. - Laissez là ce que vous ÃÂȘtes, et soyez sûr que vous me devez respect. Lélio. - Soit; et moi je n'ai, si vous le voulez, que mon coeur pour tout avantage; mais les égards que l'on doit à la seule vertu sont aussi légitimes que les respects que l'on doit aux princes; et fussiez-vous le roi de Castille mÃÂȘme, si vous ÃÂȘtes généreux, vous ne sauriez penser autrement. Je ne vous ai point manqué de respect, supposé que je vous en doive; mais les sentiments que je vous montre depuis que je vous parle méritaient de votre part plus d'attention que vous ne leur en avez donné. Cependant je continuerai à vous respecter, puisque vous dites qu'il le faut, sans pourtant en examiner moins si le mariage dont il s'agit est vraiment convenable. Il sort fiÚrement. ScÚne IX Frédéric, L'Ambassadeur Frédéric. - La maniÚre dont vous venez de lui parler me fait présumer bien des choses; peut-ÃÂȘtre sous le titre d'Ambassadeur nous cachez-vous... L'Ambassadeur. - Non, Monsieur, il n'y a rien à présumer; c'est un ton que j'ai cru pouvoir prendre avec un aventurier que le sort a élevé. Frédéric. - Eh bien! que dites-vous de cet homme-là ? L'Ambassadeur. - Je dis que je l'estime. Frédéric. - Cependant, si nous ne le renversons, vous ne pouvez réussir; ne joindrez-vous pas vos efforts aux nÎtres? L'Ambassadeur. - J'y consens, à condition que nous ne tenterons rien qui soit indigne de nous; je veux le combattre généreusement, comme il le mérite. Frédéric. - Toutes actions sont généreuses, quand elles tendent au bien général. L'Ambassadeur. - Ne vous en fiez pas à vous vous haïssez Lélio, et la haine entend mal à faire des maximes d'honneur. Je tùcherai de voir aujourd'hui la Princesse. Je vous quitte, j'ai quelques dépÃÂȘches à faire, nous nous reverrons tantÎt. ScÚne X Frédéric, Arlequin, arrivant tout essoufflé. Frédéric, à part. - Monsieur l'Ambassadeur me paraÃt bien scrupuleux! Mais voici Arlequin qui accourt à moi. Arlequin. - Par la mardi! Monsieur le conseiller, il y a longtemps que je galope aprÚs vous; vous ÃÂȘtes plus difficile à trouver qu'une botte de foin dans une aiguille. Frédéric. - Je ne me suis pourtant pas écarté; as-tu quelque chose à me dire? Arlequin. - Attendez, je crois que j'ai laissé ma respiration par les chemins; ouf... Frédéric. - Reprends haleine. Arlequin. - Oh dame, cela ne se prend pas avec la main. Ohi! ohi! Je vous ai été chercher au palais, dans les salles, dans les cuisines; je trottais par-ci, je trottais par-là , je trottais partout; et y allons vite, et boute et gare. N'avez-vous pas vu le seigneur Frédéric? Hé non, mon ami! OÃÂč diable est-il donc? que la peste l'étouffe! Et puis je cours encore, patati, patata; je jure, je rencontre un porteur d'eau, je renverse son eau N'avez-vous pas vu le seigneur Frédéric? Attends, attends, je vais te donner du seigneur Frédéric par les oreilles. Moi, je m'enfuis. Par la sambleu, morbleu, ne serait-il pas au cabaret? J'y rentre, je trouve du vin, je bois chopine, je m'apaise, et puis je reviens; et puis vous voilà . Frédéric. - AchÚve; sais-tu quelque chose? Tu me donnes bien de l'impatience. Arlequin. - Cent mille écus ne seraient pas dignes de me payer ma peine; pourtant j'en rabattrai beaucoup. Frédéric. - Je n'ai point d'argent sur moi, mais je t'en promets au sortir d'ici. Arlequin. - Pourquoi est-ce que vous laissez votre bourse à la maison? Si j'avais su cela, je ne vous aurais pas trouvé; car, pendant que j'y suis, il faut que je vous tienne. Frédéric. - Tu n'y perdras rien; parle, que sais-tu? Arlequin. - De bonnes choses, c'est du nanan. Frédéric. - Voyons. Arlequin. - Cet argent promis m'envoie des scrupules; si vous pouviez me donner des gages; ce petit diamant qui est à votre doigt, par exemple? quand cela promet de l'argent, cela tient parole. Frédéric. - Prends; le voilà pour garant de la mienne; ne me fais plus languir. Arlequin. - Vous ÃÂȘtes honnÃÂȘte homme, et votre bague aussi. Or donc, tantÎt, Monsieur Lélio, qui vous méprise que c'est une bénédiction, il parlait à lui tout seul... Frédéric. - Bon! Arlequin. - Oui, bon!... Voilà la Princesse qui vient. Dirai-je tout devant elle? Frédéric, aprÚs avoir rÃÂȘvé. - Tu m'en fais venir l'idée. Oui; mais ne dis rien de tes engagements avec moi. Je vais parler le premier; conforme-toi à ce que tu m'entendras dire. ScÚne XI La Princesse, Hortense, Frédéric, Arlequin La Princesse. - Eh bien! Frédéric, qu'a-t-on conclu avec l'Ambassadeur? Frédéric. - Madame, Monsieur Lélio penche à croire que sa proposition est recevable. La Princesse. - Lui, son sentiment est que j'épouse le roi de Castille? Frédéric. - Il n'a demandé que le temps d'examiner un peu la chose. La Princesse. - Je n'aurais pas cru qu'il dût penser comme vous le dites. Arlequin, derriÚre elle. - Il en pense, ma foi, bien d'autres! La Princesse. - Ah! te voilà ? A Frédéric. Que faites-vous de son valet ici? Frédéric. - Quand vous ÃÂȘtes arrivée, Madame, il venait, disait-il, me déclarer quelque chose qui vous concerne, et que le zÚle qu'il a pour vous l'oblige de découvrir. Monsieur Lélio y est mÃÂȘlé; mais je n'ai pas eu encore le temps de savoir ce que c'est. La Princesse. - Sachons-le; de quoi s'agit-il? Arlequin. - C'est que, voyez-vous, Madame, il n'y a mardi point de chanson à cela, je suis bon serviteur de Votre Principauté. Hortense. - Eh quoi Madame, pouvez-vous prÃÂȘter l'oreille aux discours de pareilles gens? La Princesse. - On s'amuse de tout. Continue. Arlequin. - Je n'entends ni à dia ni à huau, quand on ne vous rend pas la révérence qui vous appartient. La Princesse. - A merveille. Mais viens au fait sans compliment. Arlequin. - Oh! dame, quand on vous parle, à vous autres, ce n'est pas le tout que d'Îter son chapeau, il faut bien mettre en avant quelque petite faribole au bout. A cette heure voilà mon histoire. Vous saurez donc, avec votre permission, que tantÎt j'écoutais Monsieur Lélio, qui faisait la conversation des fous, car il parlait tout seul. Il était devant moi, et moi derriÚre. Or, ne vous déplaise, il ne savait pas que j'étais là ; il se virait, je me virais; c'était une farce. Tout d'un coup il ne s'est plus viré, et puis s'est mis à dire comme cela Ouf je suis diablement embarrassé. Moi j'ai deviné qu'il avait de l'embarras. Quand il a eu dit cela, il n'a rien dit davantage, il s'est promené; ensuite il y a pris un grand frisson. Hortense. - En vérité, Madame, vous m'étonnez. La Princesse. - Que veux-tu dire un frisson? Arlequin. - Oui, il a dit Je tremble. Et ce n'était pas pour des prunes, le gaillard! Car, a-t-il repris, j'ai lorgné ma gentille maÃtresse pendant cette belle fÃÂȘte; et si cette Princesse, qui est plus fine qu'un merle, a vu trotter ma prunelle, mon affaire va mal, j'en dis du mirlirot. Là -dessus autre promenade, ensuite autre conversation. Par la ventre-bleu! a-t-il dit, j'ai du guignon je suis amoureux de cette gracieuse personne, et si la Princesse vient à le savoir, et y allons donc, nous verrons beau train, je serai un joli mignon; elle sera capable de me friponner ma mie. Jour de Dieu! ai-je dit en moi-mÃÂȘme, friponner, c'est le fait des larrons, et non pas d'une Princesse qui est fidÚle comme l'or. Vertuchoux! qu'est-ce que c'est que tout ce tripotage-là ? toutes ces paroles-là ont mauvaise mine; mon patron songe à la malice, et il faut avertir cette pauvre Princesse à qui on en ferait passer quinze pour quatorze. Je suis donc venu comme un honnÃÂȘte garçon, et voilà que je vous découvre le pot aux roses peut-ÃÂȘtre que je ne vous dis pas les mots, mais je vous dis la signification du discours, et le tout gratis, si cela vous plaÃt. Hortense, à part. - Quelle aventure! Frédéric, à la Princesse. - Madame, vous m'avez dit quelquefois que je présumais mal de Lélio; voyez l'abus qu'il fait de votre estime. La Princesse. - Taisez-vous; je n'ai que faire de vos réflexions. A Arlequin. Pour toi, je vais t'apprendre à trahir ton maÃtre, à te mÃÂȘler de choses que tu ne devais pas entendre et à me compromettre dans l'impertinente répétition que tu en fais; une étroite prison me répondra de ton silence. Arlequin, se mettant à genoux. - Ah! ma bonne dame, ayez pitié de moi; arrachez-moi la langue, et laissez-moi la clef des champs. Miséricorde, ma reine! je ne suis qu'un butor, et c'est ce misérable conseiller de malheur qui m'a brouillé avec votre charitable personne. La princesse. - Comment cela? Frédéric. - Madame, c'est un valet qui vous parle, et qui cherche à se sauver; je ne sais ce qu'il veut dire. Hortense. - Laissez, laissez-le parler, Monsieur. Arlequin, à Frédéric. - Allez, je vous ai bien dit que vous ne valiez rien, et vous ne m'avez pas voulu croire. Je ne suis qu'un chétif valet, et si pourtant, je voulais ÃÂȘtre homme de bien; et lui, qui est riche et grand seigneur, il n'a jamais eu le coeur d'ÃÂȘtre honnÃÂȘte homme. Frédéric. - Il va vous en imposer, Madame. La Princesse. - Taisez-vous, vous dis-je; je veux qu'il parle. Arlequin. - Tenez, Madame, voilà comme cela est venu. Il m'a trouvé comme j'allais tout droit devant moi... Veux-tu me faire un plaisir? m'a-t-il dit. - Hélas! de toute mon ùme, car je suis bon et serviable de mon naturel. - Tiens, voilà une pistole. - Grand merci. - En voilà encore une autre. - Donnez, mon brave homme. - Prends encore cette poignée de pistoles. - Et oui-da, mon bon Monsieur. - Veux-tu me rapporter ce que tu entendras dire à ton maÃtre? - Et pourquoi cela? - Pour rien, par curiosité. - Oh! non, mon compÚre, non. - Mais je te donnerai tant de bonnes drogues; je te ferai ci, je te ferai cela; je sais une fille qui est jolie, qui est dans ses meubles; je la tiens dans ma manche; je te la garde. - Oh! oh! montrez-la pour voir. - Je l'ai laissée au logis; mais, suis-moi, tu l'auras. - Non, non, brocanteur, non. - Quoi! tu ne veux pas d'une jolie fille?... A la vérité, Madame, cette fille-là me trottait dans l'ùme; il me semblait que je la voyais, qu'elle était blanche, potelée. Quelle satisfaction! Je trouvais cela bien friand. Je bataillais, je bataillais comme un César; vous m'auriez mangé de plaisir en voyant mon courage; à la fin je suis chu. Il me doit encore une pension de cent écus par an, et j'ai déjà reçu la fillette, que je ne puis pas vous montrer, parce qu'elle n'est pas là ; sans compter une prophétie qui a parlé, à ce qu'ils disent, de mon argent, de ma fortune et de ma friponnerie. La Princesse. - Comment s'appelle-t-elle, cette fille? Arlequin. - Lisette. Ah! Madame, si vous voyiez sa face, vous seriez ravie; avec cette créature-là , il faut que l'honneur d'un homme plie bagage, il n'y a pas moyen. Frédéric. - Un misérable comme celui-là peut-il imaginer tant d'impostures? Arlequin. - Tenez, Madame, voilà encore sa bague qu'il m'a mise en gage pour de l'argent qu'il me doit donner tantÎt. Regardez mon innocence. Vous qui ÃÂȘtes une princesse, si on vous donnait tant d'argent, de pensions, de bagues, et un joli garçon, est-ce que vous y pourriez tenir? Mettez la main sur la conscience. Je n'ai rien inventé; j'ai dit ce que Monsieur Lélio a dit. Hortense, à part. - Juste ciel! La Princesse, à Frédéric en s'en allant. - Je verrai ce que je dois faire de vous, Frédéric; mais vous ÃÂȘtes le plus indigne et le plus lùche de tous les hommes. Arlequin. - Hélas! délivre-moi de la prison. La Princesse. - Laisse-moi. Hortense, déconcertée. - Voulez-vous que je vous suive, Madame? La Princesse. - Non, Madame, restez, je suis bien aise d'ÃÂȘtre seule; mais ne vous écartez point. ScÚne XII Frédéric, Hortense, Arlequin Arlequin. - Me voilà bien accommodé! je suis un bel oiseau! j'aurai bon air en cage! Et puis aprÚs cela fiez-vous aux prophéties! prenez des pensions, et aimez les filles! Pauvre Arlequin! adieu la joie; je n'userai plus de souliers, on va m'enfermer dans un étui, à cause de ce Sarrasin-là en montrant Frédéric. Frédéric. - Que je suis malheureux, Madame! Vous n'avez jamais paru me vouloir du mal; dans la situation oÃÂč m'a mis un zÚle imprudent pour les intérÃÂȘts de la Princesse, puis-je espérer de vous une grùce? Hortense, outrée. - Oui-da, Monsieur, faut-il demander qu'on vous Îte la vie, pour vous délivrer du malheur d'ÃÂȘtre détesté de tous les hommes? Voilà , je pense, tout le service qu'on peut vous rendre, et vous pouvez compter sur moi. ScÚne XIII Lélio, arrive, Hortense, Frédéric, Arlequin Frédéric. - Que vous ai-je fait, Madame Arlequin, voyant Lélio. - Ah! mon maÃtre bien-aimé, venez que je vous baise les pieds, je ne suis pas digne de vous baiser les mains. Vous savez bien le privilÚge que vous m'avez donné tantÎt; eh bien ce privilÚge est ma perdition pour deux ou trois petites miettes de paroles que j'ai lùchées de vous à la Princesse, elle veut que je garde la chambre; et j'allais faire mes fiançailles. Lélio. - Que signifient les paroles qu'il a dites, Madame? Je m'aperçois qu'il se passe quelque chose d'extraordinaire dans le palais; les gardes m'ont reçu avec une froideur qui m'a surpris; qu'est-il arrivé? Hortense. - Votre valet, payé par Frédéric, a rapporté à la Princesse ce qu'il vous a entendu dire dans un moment oÃÂč vous vous croyiez seul. Lélio. - Eh qu'a-t-il rapporté? Hortense. - Que vous aimiez certaine dame; que vous aviez peur que la Princesse ne vous l'eût vu regarder pendant la fÃÂȘte, et ne vous l'Îtùt, si elle savait que vous l'aimiez. Lélio. - Et cette dame, l'a-t-on nommée? Hortense. - Non; mais apparemment on la connaÃt bien; et voilà l'obligation que vous avez à Frédéric, dont les présents ont corrompu votre valet. Arlequin. - Oui, c'est fort bien dit; il m'a corrompu; j'avais le coeur plus net qu'une perle; j'étais tout à fait gentil; mais depuis que je l'ai fréquenté, je vaux moins d'écus que je ne valais de mailles. Frédéric, se retirant de son abstraction. - Oui, Monsieur, je vous l'avouerai encore une fois, j'ai cru bien servir l'Etat et la Princesse en tùchant d'arrÃÂȘter votre fortune; suivez ma conduite, elle me justifie. Je vous ai prié de travailler à me faire premier ministre, il est vrai; mais quel pouvait ÃÂȘtre mon dessein? Suis-je dans un ùge à souhaiter un emploi si fatigant? Non, Monsieur; trente années d'exercice m'ont rassasié d'emplois et d'honneurs, il ne me faut que du repos; mais je voulais m'assurer de vos idées, et voir si vous aspiriez vous-mÃÂȘme au rang que je feignais de souhaiter. J'allais dans ce cas parler à la Princesse, et la détourner, autant que j'aurais pu, de remettre tant de pouvoir entre des mains dangereuses et tout à fait inconnues. Pour achever de vous pénétrer, je vous ai offert ma fille; vous l'avez refusée; je l'avais prévu, et j'ai tremblé du projet dont je vous ai soupçonné sur ce refus, et du succÚs que pouvait avoir ce projet mÃÂȘme. Car enfin, vous avez la faveur de la Princesse, vous ÃÂȘtes jeune et aimable, tranchons le mot, vous pouvez lui plaire, et jeter dans son coeur de quoi lui faire oublier ses véritables intérÃÂȘts et les nÎtres, qui étaient qu'elle épousùt le roi de Castille. Voilà ce que j'appréhendais, et la raison de tous les efforts que j'ai fait contre vous. Vous m'avez cru jaloux de vous, quand je n'étais inquiet que pour le bien public. Je ne vous le reproche pas les vues jalouses et ambitieuses ne sont que trop ordinaires à mes pareils; et ne me connaissant pas, il vous était permis de me confondre avec eux, de méconnaÃtre un zÚle assez rare, et qui d'ailleurs se montrait par des actions équivoques. Quoi qu'il en soit, tout louable qu'il est, ce zÚle, je me vois prÚs d'en ÃÂȘtre la victime. J'ai combattu vos desseins, parce qu'ils m'ont paru dangereux. Peut-ÃÂȘtre ÃÂȘtes-vous digne qu'ils réussissent, et la maniÚre dont vous en userez avec moi dans l'état oÃÂč je suis, l'usage que vous ferez de votre crédit auprÚs de la Princesse, enfin la destinée que j'éprouverai, décidera de l'opinion que je dois avoir de vous. Si je péris aprÚs d'aussi louables intentions que les miennes, je ne me serai point trompé sur votre compte; je périrai du moins avec la consolation d'avoir été l'ennemi d'un homme qui, en effet, n'était pas vertueux. Si je ne péris pas, au contraire, mon estime, ma reconnaissance et mes satisfactions vous attendent. Arlequin. - Il n'y aura donc que moi qui resterai un fripon, faute de savoir faire une harangue. Lélio, à Frédéric. - Je vous sauverai si je puis, Frédéric; vous me faites du tort; mais l'honnÃÂȘte homme n'est pas méchant, et je ne saurais refuser ma pitié aux opprobres dont vous couvre votre caractÚre. Frédéric. - Votre pitié!... Adieu, Lélio; peut-ÃÂȘtre à votre tour aurez-vous besoin de la mienne. Il s'en va. Lélio, à Arlequin. - Va m'attendre. Arlequin sort en pleurant. ScÚne XIV Lélio, Hortense Lélio. - Vous l'avez prévu, Madame, mon amour vous met dans le péril, et je n'ose presque vous regarder. Hortense. - Quoi! l'on va peut-ÃÂȘtre me séparer d'avec vous, et vous ne voulez pas me regarder, ni voir combien je vous aime! Montrez-moi du moins combien vous m'aimez, je veux vous voir. Lélio, lui baisant la main. - Je vous adore. Hortense. - J'en dirai autant que vous, si vous le voulez; cela ne tient à rien; je ne vous verrai plus, je ne me gÃÂȘne point, je dis tout. Lélio. - Quel bonheur! mais qu'il est traversé; cependant, Madame, ne vous alarmez point, je vais déclarer qui je suis à la Princesse, et lui avouer... Hortense. - Lui dire qui vous ÃÂȘtes!... Je vous le défends; c'est une ùme violente, elle vous aime, elle se flattait que vous l'aimiez, elle vous aurait épousé, tout inconnu que vous lui ÃÂȘtes; elle verrait à présent que vous lui convenez. Vous ÃÂȘtes dans son palais sans secours, vous m'avez donné votre coeur, tout cela serait affreux pour elle; vous péririez, j'en suis sûre; elle est déjà jalouse, elle deviendrait furieuse, elle en perdrait l'esprit; elle aurait raison de le perdre, je le perdrais comme elle, et toute la terre le perdrait. Je sens cela; mon amour le dit; fiez-vous à lui, il vous connaÃt bien. Se voir enlever un homme comme vous! vous ne savez pas ce que c'est; j'en frémis, n'en parlons plus. Laissez-vous gouverner; réglons-nous sur les événements, je le veux. Peut-ÃÂȘtre allez-vous ÃÂȘtre arrÃÂȘté; ne restons point ici, retirons-nous; je suis mourante de frayeur pour vous; mon cher Prince, que vous m'avez donné d'amour! N'importe, je vous le pardonne, sauvez-vous, je vous en promets encore davantage. Adieu; ne restons point à présent ensemble, peut-ÃÂȘtre nous verrons-nous libres. Lélio. - Je vous obéis; mais si l'on s'en prend à vous, vous devez me laisser faire. Acte III ScÚne premiÚre Hortense, seule. Hortense. - La Princesse m'envoie chercher que je crains la conversation que nous aurons ensemble! Que me veut-elle? aurait-elle encore découvert quelque chose? Il a fallu me servir d'Arlequin, qui m'a paru fidÚle. On n'a permis qu'à lui de voir Lélio. M'aurait-il trahi? l'aurait-on surpris? Voici quelqu'un, retirons-nous, c'est peut-ÃÂȘtre la Princesse, et je ne veux pas qu'elle me voie dans ce moment-ci. ScÚne II Arlequin, Lisette Lisette. - Il semble que vous vous défiez de moi, Arlequin; vous ne m'apprenez rien de ce qui vous regarde. La Princesse vous a tantÎt envoyé chercher; est-elle encore fùchée contre nous? Qu'a-t-elle dit? Arlequin. - D'abord, elle ne m'a rien dit, elle m'a regardé d'un air suffisant; moi, la peur m'a pris; je me tenais comme cela tout dans un tas; ensuite elle m'a dit approche. J'ai donc avancé un pied, et puis un autre pied, et puis un troisiÚme pied, et de pied en pied je me suis trouvé vers elle, mon chapeau sur mes deux mains. Lisette. - AprÚs?... Arlequin. - AprÚs, nous sommes entrés en conversation; elle m'a dit veux-tu que je te pardonne ce que tu as fait? Tout comme il vous plaira, ai-je dit, je n'ai rien à vous commander, ma bonne dame. Elle a répondu Va-t'en dire à Hortense que ton maÃtre, à qui on t'a permis de parler, t'a donné en secret ce billet pour elle. Tu me rapporteras sa réponse. Madame, dormez en repos, et tenez-vous gaillarde; vous voyez le premier homme du monde pour donner une bourde, vous ne la donneriez pas mieux que moi; car je mens à faire plaisir, foi de garçon d'honneur. Lisette. - Vous avez pris le billet? Arlequin. - Oui, bien proprement. Lisette. - Et vous l'avez porté à Hortense? Arlequin. - Oui, mais la prudence m'a pris, et j'ai fait une réflexion; j'ai dit Par la mardi, c'est que cette Princesse avec Hortense veut éprouver si je serai encore un coquin. Lisette. - Hé bien, à quoi vous a conduit cette réflexion-là ? Avez-vous dit à Hortense que ce billet venait de la Princesse, et non pas de Monsieur Lélio? Arlequin. - Vous l'avez deviné, ma mie. Lisette. - Et vous croyez qu'Hortense est de concert avec la Princesse, et qu'elle lui rendra compte de votre sincérité? Arlequin. - Eh quoi donc? elle ne l'a pas dit; mais plus fin que moi n'est pas bÃÂȘte. Lisette. - Qu'a-t-elle répondu à votre message? Arlequin. - Oh, elle a voulu m'enjÎler, en me disant que j'étais un honnÃÂȘte garçon; ensuite elle a fait semblant de griffonner un papier pour Monsieur Lélio. Lisette. - Qu'elle vous a recommandé de lui rendre? Arlequin. - Oui; mais il n'aura pas besoin de lunettes pour le lire; c'est encore une attrape qu'on me fait. Lisette. - Et qu'en ferez-vous donc? Arlequin. - Je n'en sais rien; mon honneur est dans l'embarras là -dessus. Lisette. - Il faut absolument le remettre à la Princesse, Arlequin, n'y manquez pas; son intention n'était pas que vous avouassiez que ce billet venait d'elle; par bonheur que votre aveu n'a servi qu'à persuader à Hortense qu'elle pouvait se fier à vous; peut-ÃÂȘtre mÃÂȘme ne vous aurait-elle pas donné un billet pour Lélio sans cela; votre imprudence a réussi; mais encore une fois, remettez la réponse à la Princesse, elle ne vous pardonnera qu'à ce prix. Arlequin. - Votre foi? Lisette. - J'entends du bruit, c'est peut-ÃÂȘtre elle qui vient pour vous le demander. Adieu; vous me direz ce qui en sera arrivé. ScÚne III Arlequin, La Princesse Arlequin, seul un moment. - TantÎt on voulait m'emprisonner pour une fourberie; et à cette heure, pour une fourberie, on me pardonne. Quel galimatias que l'honneur de ce pays-ci! La Princesse. - As-tu vu Hortense? Arlequin. - Oui, Madame, je lui ai menti, suivant votre ordonnance. La Princesse. - A-t-elle fait réponse? Arlequin. - Notre tromperie va à merveille; j'ai un billet doux pour Monsieur Lélio. La Princesse. - Juste ciel! donne vite et retire-toi. Arlequin, aprÚs avoir fouillé dans toutes ses poches, les vide, et en tire toutes sortes de brimborions. - Ah! le maudit tailleur, qui m'a fait des poches percées! Vous verrez que la lettre aura passé par ce trou-là . Attendez, attendez, j'oubliais une poche; la voilà . Non; peut-ÃÂȘtre que je l'aurai oubliée à l'office, oÃÂč j'ai été pour me rafraÃchir. La Princesse. - Va la chercher, et me l'apporte sur-le-champ... Arlequin s'en va... Elle continue. ScÚne IV La Princesse La Princesse. - Indigne amie, tu lui fais réponse, et me voici convaincue de ta trahison, tu ne l'aurais jamais avoué sans ce malheureux stratagÚme, qui ne m'instruit que trop; allons, poursuivons mon projet, privons l'ingrat de ses honneurs, qu'il ait la douleur de voir son ennemi en sa place, promettons ma main au roi de Castille, et punissons aprÚs les deux perfides de la honte dont ils me couvrent. La voici; contraignons-nous, en attendant le billet qui doit la convaincre. ScÚne V La Princesse, Hortense Hortense. - Je me rends à vos ordres, Madame, on m'a dit que vous vouliez me parler. La Princesse. - Vous jugez bien que, dans l'état oÃÂč je suis, j'ai besoin de consolation, Hortense; et ce n'est qu'à vous seule à qui je puis ouvrir mon coeur. Hortense. - Hélas! Madame, j'ose vous assurer que vos chagrins sont les miens. La Princesse, à part. - Je le sais bien, perfide... Je vous ai confié mon secret comme à la seule amie que j'aie au monde; Lélio ne m'aime point, vous le savez. Hortense. - On aurait de la peine à se l'imaginer; et à votre place, je voudrais encore m'éclaircir. Il entre peut-ÃÂȘtre dans son coeur plus de timidité que d'indifférence. La Princesse. - De la timidité, Madame! Votre amitié pour moi vous fournit des motifs de consolation bien faibles, ou vous ÃÂȘtes bien distraite! Hortense. - On ne peut ÃÂȘtre plus attentive que je le suis, Madame. La Princesse. - Vous oubliez pourtant les obligations que je vous ai; lui, n'oser me dire qu'il m'aime! eh! ne l'avez-vous pas informé de ma part des sentiments que j'avais pour lui? Hortense. - J'y pensais tout à l'heure, Madame; mais je crains de l'en avoir mal informé. Je parlais pour une princesse; la matiÚre était délicate, je vous aurai peut-ÃÂȘtre un peu trop ménagée, je me serai expliquée d'une maniÚre obscure, Lélio ne m'aura pas entendue et ce sera ma faute. La Princesse. - Je crains, à mon tour, que votre ménagement pour moi n'ait été plus loin que vous ne dites; peut-ÃÂȘtre ne l'avez-vous pas entretenu de mes sentiments; peut-ÃÂȘtre l'avez-vous trouvé prévenu pour une autre; et vous, qui prenez à mon coeur un intérÃÂȘt si tendre, si généreux, vous m'avez fait un mystÚre de tout ce qui s'est passé; c'est une discrétion prudente, dont je vous crois trÚs capable. Hortense. - Je lui ai dit que vous l'aimiez, Madame, soyez-en persuadée. La Princesse. - Vous lui avez dit que je l'aimais, et il ne vous a pas entendue, dites-vous? Ce n'est pourtant pas s'expliquer d'une maniÚre énigmatique; je suis outrée, je suis trahie, méprisée, et par qui, Hortense? Hortense. - Madame, je puis vous ÃÂȘtre importune en ce moment-ci; je me retirerai, si vous voulez. La Princesse. - C'est moi qui vous suis à charge; notre conversation vous fatigue, je le sens bien; mais cependant restez, vous me devez un peu de complaisance. Hortense. - Hélas! Madame, si vous lisiez dans mon coeur, vous verriez combien vous m'inquiétez. La Princesse, à part. - Ah! je n'en doute pas... Arlequin ne vient point... Calmez cependant vos inquiétudes sur mon compte; ma situation est triste, à la vérité; j'ai été le jouet de l'ingratitude et de la perfidie; mais j'ai pris mon parti. Il ne me reste plus qu'à découvrir ma rivale, et cela va ÃÂȘtre fait; vous auriez pu me la faire connaÃtre, sans doute; mais vous la trouvez trop coupable, et vous avez raison. Hortense. - Votre rivale! mais en avez-vous une, ma chÚre Princesse? Ne serait-ce pas moi que vous soupçonneriez encore? parlez-moi franchement, c'est moi, vos soupçons continuent. Lélio, disiez-vous tantÎt, m'a regardée pendant la fÃÂȘte, Arlequin en dit autant, vous me condamnez là -dessus, vous n'envisagez que moi voilà comment l'amour juge. Mais mettez-vous l'esprit en repos; souffrez que je me retire, comme je le voulais. Je suis prÃÂȘte à partir tout à l'heure, indiquez-moi l'endroit oÃÂč vous voulez que j'aille, Îtez-moi la liberté, s'il est nécessaire, rendez-la ensuite à Lélio, faites-lui un accueil obligeant, rejetez sa détention sur quelques faux avis; montrez-lui dÚs aujourd'hui plus d'estime, plus d'amitié que jamais, et de cette amitié qui le frappe, qui l'avertisse de vous étudier; et dans trois jours, dans vingt-quatre heures, peut-ÃÂȘtre saurez-vous à quoi vous en tenir avec lui. Vous voyez comment je m'y prends avec vous; voilà , de mon cÎté, tout ce que je puis faire. Je vous offre tout ce qui dépend de moi pour vous calmer, bien mortifiée de n'en pouvoir faire davantage. La Princesse. - Non, Madame, la vérité mÃÂȘme ne peut s'expliquer d'une maniÚre plus naïve. Et que serait-ce donc que votre coeur, si vous étiez coupable aprÚs cela? Calmez-vous, j'attends des preuves incontestables de votre innocence. A l'égard de Lélio, je donne la place à Frédéric, qui n'a péché, j'en suis sûre, que par excÚs de zÚle. Je l'ai envoyé chercher, et je veux le charger du soin de mettre Lélio en lieu oÃÂč il ne pourra me nuire; il m'échapperait s'il était libre, et me rendrait la fable de toute la terre. Hortense. - Ah! voilà d'étranges résolutions, Madame. La Princesse. - Elles sont judicieuses. ScÚne VI La Princesse, Hortense, Arlequin Arlequin. - Madame, c'est là le billet que Madame Hortense m'a donné... la voilà pour le dire elle-mÃÂȘme. Hortense. - Oh ciel! La Princesse. - Va-t'en. Il s'en va. Hortense. - Souvenez-vous que vous ÃÂȘtes généreuse. La Princesse lit. - Arlequin est le seul par qui je puisse vous avertir de ce que j'ai à vous dire, tout dangereux qu'il est peut-ÃÂȘtre de s'y fier; il vient de me donner une preuve de fidélité, sur laquelle je crois pouvoir hasarder ce billet pour vous, dans le péril oÃÂč vous ÃÂȘtes. Demandez à parler à la Princesse, plaignez-vous avec douleur de votre situation, calmez son coeur, et n'oubliez rien de ce qui pourra lui faire espérer qu'elle touchera le vÎtre... Devenez libre, si vous voulez que je vive; fuyez aprÚs, et laissez à mon amour le soin d'assurer mon bonheur et le vÎtre. La Princesse. - Je ne sais oÃÂč j'en suis. Hortense. - C'est lui qui m'a sauvé la vie. La Princesse. - Et c'est vous qui m'arrachez la mienne. Adieu; je vais me résoudre à ce que je dois faire. Hortense. - ArrÃÂȘtez un moment, Madame, je suis moins coupable que vous ne pensez... Elle fuit... elle ne m'écoute point; cher Prince, qu'allez-vous devenir... je me meurs, c'est moi, c'est mon amour qui vous perd! Mon amour! ah! juste ciel! mon sort sera-t-il de vous faire périr? Cherchons-lui partout du secours. Voici Frédéric; essayons de le gagner lui-mÃÂȘme. ScÚne VII Frédéric, Hortense Hortense. - Seigneur, je vous demande un moment d'entretien. Frédéric. - J'ai ordre d'aller trouver la Princesse, Madame. Hortense. - Je le sais, et je n'ai qu'un mot à vous dire. Je vous apprends que vous allez remplir la place de Lélio. Frédéric. - Je l'ignorais; mais si la Princesse le veut, il faudra bien obéir. Hortense. - Vous haïssez Lélio, il ne mérite plus votre haine, il est à plaindre aujourd'hui. Frédéric. - J'en suis fùché, mais son malheur ne me surprend point; il devait mÃÂȘme lui arriver plus tÎt sa conduite était si hardie... Hortense. - Moins que vous ne croyez, Seigneur; c'est un homme estimable, plein d'honneur. Frédéric. - A l'égard de l'honneur, je n'y touche pas; j'attends toujours à la derniÚre extrémité pour décider contre les gens là -dessus. Hortense. - Vous ne le connaissez pas, soyez persuadé qu'il n'avait nulle intention de vous nuire. Frédéric. - J'aurais besoin pour cet article-là d'un peu plus de crédulité que je n'en ai, Madame. Hortense. - Laissons donc cela, Seigneur; mais me croyez-vous sincÚre? Frédéric. - Oui, Madame, trÚs sincÚre, c'est un titre que je ne pourrais vous disputer sans injustice; tantÎt, quand je vous ai demandé votre protection, vous m'avez donné des preuves de franchise qui ne souffrent pas un mot de réplique. Hortense. - Je vous regardais alors comme l'auteur d'une intrigue qui m'était fùcheuse; mais achevons. La Princesse a des desseins contre Lélio, dont elle doit vous charger; détournez-la de ces desseins; obtenez d'elle que Lélio sorte dÚs à présent de ses Etats; vous n'obligerez point un ingrat. Ce service que vous lui rendrez, que vous me rendrez à moi-mÃÂȘme, le fruit n'en sera pas borné pour vous au seul plaisir d'avoir fait une bonne action, je vous en garantis des récompenses au-dessus de ce que vous pourriez vous imaginer, et telles enfin que je n'ose vous le dire. Frédéric. - Des récompenses, Madame! Quand j'aurais l'ùme intéressée, que pourrais-je attendre de Lélio? Mais, grùces au ciel, je n'envie ni ses biens ni ses emplois; ses emplois, j'en accepterai l'embarras, s'il le faut, par dévouement aux intérÃÂȘts de la Princesse. A l'égard de ses biens, l'acquisition en a été trop rapide et trop aisée à faire; je n'en voudrais pas, quand il ne tiendrait qu'à moi de m'en saisir; je rougirais de les mÃÂȘler avec les miens; c'est à l'Etat à qui ils appartiennent, et c'est à l'Etat à les reprendre. Hortense. - Ha Seigneur! Que l'Etat s'en saisisse, de ces biens dont vous parlez, si on les lui trouve. Frédéric. - Si on les lui trouve? C'est fort bien dit, Madame; car les aventuriers prennent leurs mesures; il est vrai que, lorsqu'on les tient, on peut les engager à révéler leur secret. Hortense. - Si vous saviez de qui vous parlez, vous changeriez bien de langage; je n'ose en dire plus, je jetterais peut-ÃÂȘtre Lélio dans un nouveau péril. Quoi qu'il en soit, les avantages que vous trouveriez à le servir n'ont point de rapport à sa fortune présente; ceux dont je vous entretiens sont d'une autre sorte, et bien supérieurs. Je vous le répÚte vous ne ferez jamais rien qui puisse vous en apporter de si grands, je vous en donne ma parole; croyez-moi, vous m'en remercierez. Frédéric. - Madame, modérez l'intérÃÂȘt que vous prenez à lui; supprimez des promesses dont vous ne remarquez pas l'excÚs, et qui se décréditent d'elles-mÃÂȘmes. La Princesse a fait arrÃÂȘter Lélio, et elle ne pouvait se déterminer à rien de plus sage. Si, avant que d'en venir là , elle m'avait demandé mon avis, ce qu'elle a fait, j'aurais cru, je vous jure, ÃÂȘtre obligé en conscience de lui conseiller de le faire; cela posé, vous voyez quel est mon devoir dans cette occasion-ci, Madame, la conséquence est aisée à tirer. Hortense. - TrÚs aisée, seigneur Frédéric; vous avez raison; dÚs que vous me renvoyez à votre conscience, tout est dit; je sais quelle espÚce de devoirs sa délicatesse peut vous dicter. Frédéric. - Sur ce pied-là , Madame, loin de conseiller à la Princesse de laisser échapper un homme aussi dangereux que Lélio, et qui pourrait le devenir encore, vous approuverez que je lui montre la nécessité qu'il y a de m'en laisser disposer d'une maniÚre qui sera douce pour Lélio, et qui pourtant remédiera à tout. Hortense. - Qui remédiera à tout!... A part. Le scélérat! Je serais curieuse, seigneur Frédéric, de savoir par quelles voies vous rendriez Lélio suspect; voyons, de grùce, jusqu'oÃÂč l'industrie de votre iniquité pourrait tromper la Princesse sur un homme aussi ennemi du mal que vous l'ÃÂȘtes du bien; car voilà son portrait et le vÎtre. Frédéric. - Vous vous emportez sans sujet, Madame; encore une fois, cachez vos chagrins sur le sort de cet inconnu; ils vous feraient tort, et je ne voudrais pas que la Princesse en fût informée. Vous ÃÂȘtes du sang de nos souverains; Lélio travaillait à se rendre maÃtre de l'Etat; son malheur vous consterne tout cela amÚnerait des réflexions qui pourraient vous embarrasser. Hortense. - Allez, Frédéric, je ne vous demande plus rien; vous ÃÂȘtes trop méchant pour ÃÂȘtre à craindre; votre méchanceté vous met hors d'état de nuire à d'autres qu'à vous-mÃÂȘme; à l'égard de Lélio, sa destinée, non plus que la mienne, ne relÚvera jamais de la lùcheté de vos pareils. Frédéric. - Madame, je crois que vous voudrez bien me dispenser d'en écouter davantage; je puis me passer de vous entendre achever mon éloge. Voici Monsieur l'Ambassadeur, et vous me permettrez de le joindre. ScÚne VIII L'Ambassadeur, Hortense, Frédéric Hortense. - Il me fera raison de vos refus. Seigneur, daignez m'accorder une grùce; je vous la demande avec la confiance que l'Ambassadeur d'un roi si vanté me paraÃt mériter. La Princesse est irritée contre Lélio; elle a dessein de le mettre entre les mains du plus grand ennemi qu'il ait ici, c'est Frédéric. Je réponds cependant de son innocence. Vous en dirai-je encore plus, Seigneur? Lélio m'est cher, c'est aveu que je donne au péril oÃÂč il est; le temps vous prouvera que j'ai pu le faire. Sauvez Lélio, Seigneur, engagez la Princesse à vous le confier; vous serez charmé de l'avoir servi, quand vous le connaÃtrez, et le roi de Castille mÃÂȘme vous saura gré du service que vous lui rendrez. Frédéric. - DÚs que Lélio est désagréable à la Princesse, et qu'elle l'a jugé coupable, Monsieur l'Ambassadeur n'ira point lui faire une priÚre qui lui déplairait. L'Ambassadeur. - J'ai meilleure opinion de la Princesse; elle ne désapprouvera pas une action qui d'elle-mÃÂȘme est louable. Oui, Madame, la confiance que vous avez en moi me fait honneur, je ferai tous mes efforts pour la rendre heureuse. Hortense. - Je vois la Princesse qui arrive, et je me retire, sûre de vos bontés. ScÚne IX La Princesse, Frédéric, L'Ambassadeur La Princesse. - Qu'on dise à Hortense de venir, et qu'on amÚne Lélio. L'Ambassadeur. - Madame, puis-je espérer que vous voudrez bien obliger le roi de Castille? Ce prince, en me chargeant des intérÃÂȘts de son coeur auprÚs de vous, m'a recommandé encore d'ÃÂȘtre secourable à tout le monde; c'est donc en son nom que je vous prie de pardonner à Lélio les sujets de colÚre que vous pouvez avoir contre lui. Quoiqu'il ait mis quelque obstacle aux désirs de mon maÃtre, il faut que je lui rende justice; il m'a paru trÚs estimable, et je saisis avec plaisir l'occasion qui s'offre de lui ÃÂȘtre utile. Frédéric. - Rien de plus beau que ce que fait Monsieur l'Ambassadeur pour Lélio, Madame; mais je m'expose encore à vous dire qu'il y a du risque à le rendre libre. L'Ambassadeur. - Je le crois incapable de rien de criminel. La Princesse. - Laissez-nous, Frédéric. Frédéric. - Souhaitez-vous que je revienne, Madame? La Princesse. - Il n'est pas nécessaire. ScÚne X L'Ambassadeur, La Princesse La Princesse. - La priÚre que vous me faites aurait suffi, Monsieur, pour m'engager à rendre la liberté à Lélio, quand mÃÂȘme je n'y aurais pas été déterminée; mais votre recommandation doit hùter mes résolutions, et je ne l'envoie chercher que pour vous satisfaire. ScÚne XI Lélio, Hortense entrent. La Princesse. - Lélio, je croyais avoir à me plaindre de vous; mais je suis détrompée. Pour vous faire oublier le chagrin que je vous ai donné, vous aimez Hortense, elle vous aime, et je vous unis ensemble. Pour vous, Monsieur, qui m'avez prié si généreusement de pardonner à Lélio, vous pouvez informer le Roi votre maÃtre que je suis prÃÂȘte à recevoir sa main et à lui donner la mienne. J'ai grande idée d'un prince qui sait se choisir des ministres aussi estimables que vous l'ÃÂȘtes, et son coeur... L'Ambassadeur. - Madame, il ne me siérait pas d'en entendre davantage; c'est le roi de Castille lui-mÃÂȘme qui reçoit le bonheur dont vous le comblez. La Princesse. - Vous, Seigneur! Ma main est bien due à un prince qui la demande d'une maniÚre si galante et si peu attendue. Lélio. - Pour moi, Madame, il ne me reste plus qu'à vous jurer une reconnaissance éternelle. Vous trouverez dans le prince de Léon tout le zÚle qu'il eut pour vous en qualité de ministre; je me flatte qu'à son tour le roi de Castille voudra bien accepter mes remerciements. Le Roi de Castille. - Prince, votre rang ne me surprend point il répond aux sentiments que vous m'avez montrés. La Princesse, à Hortense. - Allons, Madame, de si grands événements méritent bien qu'on se hùte de les terminer. Arlequin. - Pourtant, sans moi, il y aurait eu encore du tapage. Lélio. - Suis-moi, j'aurai soin de toi. La Fausse Suivante ou le fourbe puni Acteurs Comédie en trois actes et en prose Représentée pour la premiÚre fois par les comédiens italiens le 8 juillet 1724 Acteurs La Comtesse. Lélio. Le Chevalier. Trivelin, valet du Chevalier. Arlequin, valet de Lélio. Frontin, autre valet du Chevalier. Paysans et paysannes. Danseurs et danseuses. La scÚne est devant le chùteau de la Comtesse. Acte premier ScÚne premiÚre Frontin, Trivelin Frontin. - Je pense que voilà le seigneur Trivelin; c'est lui-mÃÂȘme. Eh! comment te portes-tu, mon cher ami? Trivelin. - A merveille, mon cher Frontin, à merveille. Je n'ai rien perdu des vrais biens que tu me connaissais, santé admirable et grand appétit. Mais toi, que fais-tu à présent? Je t'ai vu dans un petit négoce qui t'allait bientÎt rendre citoyen de Paris; l'as-tu quitté? Frontin. - Je suis culbuté, mon enfant; mais toi-mÃÂȘme, comment la fortune t'a-t-elle traité depuis que je ne t'ai vu? Trivelin. - Comme tu sais qu'elle traite tous les gens de mérite. Frontin. - Cela veut dire trÚs mal? Trivelin. - Oui. Je lui ai pourtant une obligation c'est qu'elle m'a mis dans l'habitude de me passer d'elle. Je ne sens plus ses disgrùces, je n'envie point ses faveurs, et cela me suffit; un homme raisonnable n'en doit pas demander davantage. Je ne suis pas heureux, mais je ne me soucie pas de l'ÃÂȘtre. Voilà ma façon de penser. Frontin. - Diantre! je t'ai toujours connu pour un garçon d'esprit et d'une intrigue admirable; mais je n'aurais jamais soupçonné que tu deviendrais philosophe. Malepeste! que tu es avancé! Tu méprises déjà les biens de ce monde! Trivelin. - Doucement, mon ami, doucement, ton admiration me fait rougir, j'ai peur de ne la pas mériter. Le mépris que je crois avoir pour les biens n'est peut-ÃÂȘtre qu'un beau verbiage; et, à te parler confidemment, je ne conseillerais encore à personne de laisser les siens à la discrétion de ma philosophie. J'en prendrais, Frontin, je le sens bien; j'en prendrais, à la honte de mes réflexions. Le coeur de l'homme est un grand fripon! Frontin. - Hélas! je ne saurais nier cette vérité-là , sans blesser ma conscience. Trivelin. - Je ne la dirais pas à tout le monde; mais je sais bien que je ne parle pas à un profane. Frontin. - Eh! dis-moi, mon ami qu'est-ce que c'est que ce paquet-là que tu portes? Trivelin. - C'est le triste bagage de ton serviteur; ce paquet enferme toutes mes possessions. Frontin. - On ne peut pas les accuser d'occuper trop de terrain. Trivelin. - Depuis quinze ans que je roule dans le monde, tu sais combien je me suis tourmenté, combien j'ai fait d'efforts pour arriver à un état fixe. J'avais entendu dire que les scrupules nuisaient à la fortune; je fis trÃÂȘve avec les miens, pour n'avoir rien à me reprocher. Etait-il question d'avoir de l'honneur? j'en avais. Fallait-il ÃÂȘtre fourbe? j'en soupirais, mais j'allais mon train. Je me suis vu quelquefois à mon aise; mais le moyen d'y rester avec le jeu, le vin et les femmes? Comment se mettre à l'abri de ces fléaux-là ? Frontin. - Cela est vrai. Trivelin. - Que te dirai-je enfin? TantÎt maÃtre, tantÎt valet; toujours prudent, toujours industrieux, ami des fripons par intérÃÂȘt, ami des honnÃÂȘtes gens par goût; traité poliment sous une figure, menacé d'étriviÚres sous une autre; changeant à propos de métier, d'habit, de caractÚre, de moeurs; risquant beaucoup, réussissant peu; libertin dans le fond, réglé dans la forme; démasqué par les uns, soupçonné par les autres, à la fin équivoque à tout le monde, j'ai tùté de tout; je dois partout; mes créanciers sont de deux espÚces les uns ne savent pas que je leur dois; les autres le savent et le sauront longtemps. J'ai logé partout, sur le pavé; chez l'aubergiste, au cabaret, chez le bourgeois, chez l'homme de qualité, chez moi, chez la justice, qui m'a souvent recueilli dans mes malheurs; mais ses appartements sont trop tristes, et je n'y faisais que des retraites; enfin, mon ami, aprÚs quinze ans de soins, de travaux et de peines, ce malheureux paquet est tout ce qui me reste; voilà ce que le monde m'a laissé, l'ingrat! aprÚs ce que j'ai fait pour lui! tous ses présents ne valent pas une pistole! Frontin. - Ne t'afflige point, mon ami. L'article de ton récit qui m'a paru le plus désagréable, ce sont les retraites chez la justice; mais ne parlons plus de cela. Tu arrives à propos; j'ai un parti à te proposer. Cependant qu'as-tu fait depuis deux ans que je ne t'ai vu, et d'oÃÂč sors-tu à présent? Trivelin. - Primo, depuis que je ne t'ai vu, je me suis jeté dans le service. Frontin. - Je t'entends, tu t'es fait soldat; ne serais-tu pas déserteur par hasard? Trivelin. - Non, mon habit d'ordonnance était une livrée. Frontin. - Fort bien. Trivelin. - Avant que de me réduire tout à fait à cet état humiliant, je commençai par vendre ma garde-robe. Frontin. - Toi, une garde-robe? Trivelin. - Oui, c'étaient trois ou quatre habits que j'avais trouvés convenables à ma taille chez les fripiers, et qui m'avaient servi à figurer en honnÃÂȘte homme. Je crus devoir m'en défaire, pour perdre de vue tout ce qui pouvait me rappeler ma grandeur passée. Quand on renonce à la vanité, il n'en faut pas faire à deux fois; qu'est-ce que c'est que se ménager des ressources? Point de quartier, je vendis tout; ce n'est pas assez, j'allai tout boire. Frontin. - Fort bien. Trivelin. - Oui, mon ami; j'eus le courage de faire deux ou trois débauches salutaires, qui me vidÚrent ma bourse, et me garantirent ma persévérance dans la condition que j'allais embrasser; de sorte que j'avais le plaisir de penser, en m'enivrant, que c'était la raison qui me versait à boire. Quel nectar! Ensuite, un beau matin, je me trouvai sans un sol. Comme j'avais besoin d'un prompt secours, et qu'il n'y avait point de temps à perdre, un de mes amis que je rencontrai me proposa de me mener chez un honnÃÂȘte particulier qui était marié, et qui passait sa vie à étudier des langues mortes; cela me convenait assez, car j'ai de l'étude je restai donc chez lui. Là , je n'entendis parler que de sciences, et je remarquai que mon maÃtre était épris de passion pour certains quidams, qu'il appelait des anciens, et qu'il avait une souveraine antipathie pour d'autres, qu'il appelait des modernes; je me fis expliquer tout cela. Frontin. - Et qu'est-ce que c'est que les anciens et les modernes? Trivelin. - Des anciens..., attends, il y en a un dont je sais le nom, et qui est le capitaine de la bande; c'est comme qui te dirait un HomÚre. Connais-tu cela? Frontin. - Non. Trivelin. - C'est dommage; car c'était un homme qui parlait bien grec. Frontin. - Il n'était donc pas Français cet homme-là ? Trivelin. - Oh! que non; je pense qu'il était de Québec, quelque part dans cette Egypte, et qu'il vivait du temps du déluge. Nous avons encore de lui le fort belles satires; et mon maÃtre l'aimait beaucoup, lui et tous les honnÃÂȘtes gens de son temps, comme Virgile, Néron, Plutarque, Ulysse et DiogÚne. Frontin. - Je n'ai jamais entendu parler de cette race-là , mais voilà de vilains noms. Trivelin. - De vilains noms! c'est que tu n'y es pas accoutumé. Sais-tu bien qu'il y a plus d'esprit dans ces noms-là que dans le royaume de France? Frontin. - Je le crois. Et que veulent dire les modernes? Trivelin. - Tu m'écartes de mon sujet; mais n'importe. Les modernes, c'est comme qui dirait... toi, par exemple. Frontin. - Oh! oh! je suis un moderne, moi!. Trivelin. - Oui, vraiment, tu es un moderne, et des plus modernes; il n'y a que l'enfant qui vient de naÃtre qui l'est plus que toi, car il ne fait que d'arriver. Frontin. - Et pourquoi ton maÃtre nous haïssait-il? Trivelin. - Parce qu'il voulait qu'on eût quatre mille ans sur la tÃÂȘte pour valoir quelque chose. Oh! moi, pour gagner son amitié, je me mis à admirer tout ce qui me paraissait ancien; j'aimais les vieux meubles, je louais les vieilles modes, les vieilles espÚces, les médailles, les lunettes; je me coiffais chez les crieuses de vieux chapeaux; je n'avais commerce qu'avec des vieillards il était charmé de mes inclinations; j'avais la clef de la cave, oÃÂč logeait un certain vin vieux qu'il appelait son vin grec; il m'en donnait quelquefois, et j'en détournais aussi quelques bouteilles, par amour louable pour tout ce qui était vieux. Non que je négligeasse le vin nouveau; je n'en demandais point d'autre à sa femme, qui vraiment estimait bien autrement les modernes que les anciens, et, par complaisance pour son goût, j'en emplissais aussi quelques bouteilles, sans lui en faire ma cour. Frontin. - A merveille! Trivelin. - Qui n'aurait pas cru que cette conduite aurait dû me concilier ces deux esprits? Point du tout; ils s'aperçurent du ménagement judicieux que j'avais pour chacun d'eux; ils m'en firent un crime. Le mari crut les anciens insultés par la quantité de vin nouveau que j'avais bu; il m'en fit mauvaise mine. La femme me chicana sur le vin vieux; j'eus beau m'excuser, les gens de partis n'entendent point raison; il fallut les quitter, pour avoir voulu me partager entre les anciens et les modernes. Avais-je tort? Frontin. - Non; tu avais observé toutes les rÚgles de la prudence humaine. Mais je ne puis en écouter davantage. Je dois aller coucher ce soir à Paris, oÃÂč l'on m'envoie, et je cherchais quelqu'un qui tÃnt ma place auprÚs de mon maÃtre pendant mon absence; veux-tu que je te présente? Trivelin. - Oui-da. Et qu'est-ce que c'est que ton maÃtre? Fait-il bonne chÚre? Car, dans l'état oÃÂč je suis, j'ai besoin d'une bonne cuisine. Frontin. - Tu seras content; tu serviras la meilleure fille... Trivelin. - Pourquoi donc l'appelles-tu ton maÃtre? Frontin. - Ah, foin de moi, je ne sais ce que je dis, je rÃÂȘve à autre chose. Trivelin. - Tu me trompes, Frontin. Frontin. - Ma foi, oui, Trivelin. C'est une fille habillée en homme dont il s'agit. Je voulais te le cacher; mais la vérité m'est échappée, et je me suis blousé comme un sot. Sois discret, je te prie. Trivelin. - Je le suis dÚs le berceau. C'est donc une intrigue que vous conduisez tous deux ici, cette fille-là et toi? Frontin. - Oui. A part. Cachons-lui son rang... Mais la voilà qui vient; retire-toi à l'écart, afin que je lui parle. Trivelin se retire et s'éloigne. ScÚne II Le Chevalier, Frontin Le Chevalier. - Eh bien, m'avez-vous trouvé un domestique? Frontin. - Oui, Mademoiselle; j'ai rencontré... Le Chevalier. - Vous m'impatientez avec votre Demoiselle; ne sauriez-vous m'appeler Monsieur? Frontin. - Je vous demande pardon, Mademoiselle... je veux dire Monsieur. J'ai trouvé un de mes amis, qui est fort brave garçon; il sort actuellement de chez un bourgeois de campagne qui vient de mourir, et il est là qui attend que je l'appelle pour offrir ses respects. Le Chevalier. - Vous n'avez peut-ÃÂȘtre pas eu l'imprudence de lui dire qui j'étais? Frontin. - Ah! Monsieur, mettez-vous l'esprit en repos je sais garder un secret bas, pourvu qu'il ne m'échappe pas... Souhaitez-vous que mon ami s'approche? Le Chevalier. - Je le veux bien; mais partez sur-le-champ pour Paris. Frontin. - Je n'attends que vos dépÃÂȘches. Le Chevalier. - Je ne trouve point à propos de vous en donner, vous pourriez les perdre. Ma soeur, à qui je les adresserais pourrait les égarer aussi; et il n'est pas besoin, que mon aventure soit sue de tout le monde. Voici votre commission, écoutez-moi Vous direz à ma soeur qu'elle ne soit point en peine de moi; qu'à la derniÚre partie de bal oÃÂč mes amies m'amenÚrent dans le déguisement oÃÂč me voilà , le hasard me fit connaÃtre le gentilhomme que je n'avais jamais vu, qu'on disait ÃÂȘtre encore en province, et qui est ce Lélio avec qui, par lettres, le mari de ma soeur a presque arrÃÂȘté mon mariage; que, surprise de le trouver à Paris sans que nous le sussions, et le voyant avec une dame, je résolus sur-le-champ de profiter de mon déguisement pour me mettre au fait de l'état de son coeur et de son caractÚre; qu'enfin nous liùmes amitié ensemble aussi promptement que des cavaliers peuvent le faire, et qu'il m'engagea à le suivre le lendemain à une partie de campagne chez la dame avec qui il était, et qu'un de ses parents accompagnait; que nous y sommes actuellement, que j'ai déjà découvert des choses qui méritent que je les suive avant que de me déterminer à épouser Lélio; que je n'aurai jamais d'intérÃÂȘt plus sérieux. Partez; ne perdez point de temps. Faites venir ce domestique que vous avez arrÃÂȘté; dans un instant j'irai voir si vous ÃÂȘtes parti. ScÚne III Le Chevalier, seul. Le Chevalier. - Je regarde le moment oÃÂč j'ai connu Lélio, comme une faveur du ciel dont je veux profiter, puisque je suis ma maÃtresse, et que je ne dépends plus de personne. L'aventure oÃÂč je me suis mise ne surprendra point ma soeur; elle sait la singularité de mes sentiments. J'ai du bien; il s'agit de le donner avec ma main et mon coeur; ce sont de grands présents, et je veux savoir à qui je les donne. ScÚne IV Le Chevalier, Trivelin, Frontin Frontin, au Chevalier. - Le voilà , Monsieur. Bas à Trivelin. Garde-moi le secret. Trivelin. - Je te le rendrai mot pour mot, comme tu me l'as donné, quand tu voudras. ScÚne V Le Chevalier, Trivelin Le Chevalier. - Approchez; comment vous appelez-vous? Trivelin. - Comme vous voudrez, Monsieur; Bourguignon, Champagne, Poitevin, Picard, tout cela m'est indifférent le nom sous lequel j'aurais l'honneur de vous servir sera toujours le plus beau nom du monde. Le Chevalier. - Sans compliment, quel est le tien, à toi? Trivelin. - Je vous avoue que je ferais quelque difficulté de le dire, parce que dans ma famille je suis le premier du nom qui n'ait pas disposé de la couleur de son habit, mais peut-on porter rien de plus galant que vos couleurs? Il me tarde d'en ÃÂȘtre chamarré sur toutes les coutures. Le Chevalier, à part. - Qu'est-ce que c'est que ce langage-là ? Il m'inquiÚte. Trivelin. - Cependant, Monsieur, j'aurai l'honneur de vous dire que je m'appelle Trivelin. C'est un nom que j'ai reçu de pÚre en fils trÚs correctement, et dans la derniÚre fidélité; et de tous les Trivelins qui furent jamais, votre serviteur en ce moment s'estime le plus heureux de tous. Le Chevalier. - Laissez là vos politesses. Un maÃtre ne demande à son valet que l'attention dans ce à quoi il l'emploie. Trivelin. - Son valet! le terme est dur; il frappe mes oreilles d'un son disgracieux; ne purgera-t-on jamais le discours de tous ces noms odieux? Le Chevalier. - La délicatesse est singuliÚre! De grùce, ajustons-nous; convenons d'une formule plus douce. Le Chevalier, à part. - Il se moque de moi. Vous riez, je pense? Trivelin. - C'est la joie que j'ai d'ÃÂȘtre à vous qui l'emporte sur la petite mortification que je viens d'essuyer. Le Chevalier. - Je vous avertis, moi, que je vous renvoie, et que vous ne m'ÃÂȘtes bon à rien. Trivelin. - Je ne vous suis bon à rien! Ah! ce que vous dites là ne peut pas ÃÂȘtre sérieux. Le Chevalier, à part. - Cet homme-là est un extravagant. A Trivelin. Retirez-vous. Trivelin. - Non, vous m'avez piqué; je ne vous quitterai point, que vous ne soyez convenu avec moi que je vous suis bon à quelque chose. Le Chevalier. - Retirez-vous, vous dis-je. Trivelin. - OÃÂč vous attendrai-je? Le Chevalier. - Nulle part. Trivelin. - Ne badinons point; le temps se passe, et nous ne décidons rien. Le Chevalier. - Savez-vous bien, mon ami, que vous risquez beaucoup? Trivelin. - Je n'ai pourtant qu'un écu à perdre. Le Chevalier. - Ce coquin-là m'embarrasse. Il fait comme s'il en allait. Il faut que je m'en aille. A Trivelin. Tu me suis?. Trivelin. - Vraiment oui, je soutiens mon caractÚre ne vous ai-je pas dit que j'étais opiniùtre? Le Chevalier. -Insolent! Trivelin. - Cruel! Le Chevalier. - Comment, cruel! Trivelin. - Oui, cruel; c'est un reproche tendre que je vous fais. Continuez, vous n'y ÃÂȘtes pas; j'en viendrai jusqu'aux soupirs; vos rigueurs me l'annoncent. Le Chevalier. - Je ne sais plus que penser de tout ce qu'il me dit. Trivelin. - Ah! ah! ah! vous rÃÂȘvez, mon cavalier, vous délibérez; votre ton baisse, vous devenez traitable, et nous nous accommoderons, je le vois bien. La passion que j'ai de vous servir est sans quartier; premiÚrement cela est dans mon sang, je ne saurais me corriger. Le Chevalier, mettant la main sur la garde de son épée. Il me prend envie de te traiter comme tu le mérites. Trivelin, - Fi! ne gesticulez point de cette maniÚre-là ; ce geste-là n'est point de votre compétence; laissez là cette arme qui vous est étrangÚre votre oeil est plus redoutable que ce fer inutile qui vous pend au cÎté. Le Chevalier. - Ah! je suis trahie! Trivelin. - Masque, venons au fait; je vous connais. Le Chevalier. - Toi? Trivelin. - Oui; Frontin vous connaissait pour nous deux. Le Chevalier. - Le coquin! Et t'a-t-il dit qui j'étais? Trivelin. - Il m'a dit que vous étiez une fille, et voilà tout; et moi je l'ai cru; car je ne chicane sur la qualité de personne. Le Chevalier. - Puisqu'il m'a trahie, il vaut autant que je t'instruise du reste. Trivelin. - Voyons; pourquoi ÃÂȘtes-vous dans cet équipage-là ? Le Chevalier. - Ce n'est point pour faire du mal. Trivelin. - Je le crois bien; si c'était pour cela, vous ne déguiseriez pas votre sexe; ce serait perdre vos commodités. Le Chevalier, à part. - Il faut le tromper. A Trivelin. Je t'avoue que j'avais envie de te cacher la vérité, parce que mon déguisement regarde une dame de condition, ma maÃtresse, qui a des vues sur un Monsieur Lélio, que tu verras, et qu'elle voudrait détacher d'une inclination qu'il a pour une, comtesse à qui appartient ce chùteau. Trivelin. - Eh! quelle espÚce de commission vous donne-t-elle auprÚs de ce Lélio? L'emploi me paraÃt gaillard, soubrette de mon ùme. Le Chevalier. - Point du tout. Ma charge, sous cet habit-ci, est d'attaquer le coeur de la Comtesse; je puis passer, comme tu vois, pour un assez joli cavalier, et j'ai déjà vu les yeux de la Comtesse s'arrÃÂȘter plus d'une fois sur moi; si elle vient à m'aimer, je la ferai rompre avec Lélio; il reviendra à Paris, on lui proposera ma maÃtresse qui y est; elle est aimable, il la connaÃt, et les noces seront bientÎt faites. Trivelin. - Parlons à présent à rez-de-chaussée as-tu le coeur libre? Le Chevalier. - Oui Trivelin. - Et moi aussi. Ainsi, de compte arrÃÂȘté; cela fait deux coeurs libres, n'est-ce pas? Le Chevalier. - Sans doute. Trivelin. - Ergo, je conclus que nos deux coeurs soient désormais camarades. Le Chevalier. - Bon. Trivelin. - Et je conclus encore, toujours aussi judicieusement, que, deux amis devant s'obliger en tout ce qu'ils peuvent, tu m'avances deux mois de récompense sur l'exacte discrétion que je promets d'avoir. Je ne parle point du service domestique que je te rendrai; sur cet article, c'est à l'amour à me payer mes gages. Le Chevalier, lui donnant de l'argent. - Tiens, voilà déjà six louis d'or d'avance pour ta discrétion, et en voilà déjà trois pour tes services. Trivelin, d'un air indifférent. - J'ai assez de coeur pour refuser ces trois derniers louis-là ; mais donne; la main qui me les présente étourdit ma générosité. Le Chevalier. - Voici Monsieur Lélio; retire-toi, et va-t'en m'attendre à la porte de ce chùteau oÃÂč nous logeons. Trivelin. - Souviens-toi, ma friponne, à ton tour, que je suis ton valet sur la scÚne, et ton amant dans les coulisses. Tu me donneras des ordres en public, et des sentiments dans le tÃÂȘte-à -tÃÂȘte. Il se retire en arriÚre, quand Lélio entre avec Arlequin. Les valets se rencontrant se saluent. ScÚne VI Lélio, Le Chevalier, Arlequin, Trivelin, derriÚre leurs maÃtres. Lélio vient d'un air rÃÂȘveur. Le Chevalier. - Le voilà plongé dans une grande rÃÂȘverie. Arlequin, à Trivelin derriÚre eux. - Vous m'avez l'air d'un bon vivant. Trivelin. - Mon air ne vous ment pas d'un mot, et vous ÃÂȘtes fort bon physionomiste. Lélio, se retournant vers Arlequin, et apercevant le Chevalier. - Arlequin!... Ah! Chevalier, je vous cherchais. Le Chevalier. - Qu'avez-vous, Lélio? Je vous vois enveloppé dans une distraction qui m'inquiÚte. Lélio. - Je vous dirai ce que c'est. A Arlequin. Arlequin, n'oublie pas d'avertir les musiciens de se rendre ici tantÎt. Arlequin. - Oui, Monsieur. A Trivelin. Allons boire, pour faire aller notre amitié plus vite. Trivelin. - Allons, la recette est bonne; j'aime assez votre maniÚre de hùter le coeur. ScÚne VII Lélio, Le Chevalier Le Chevalier. - Eh bien! mon cher, de quoi s'agit-il? Qu'avez-vous? Puis-je vous ÃÂȘtre utile à quelque chose? Lélio. - TrÚs utile. Le Chevalier. - Parlez. Lélio. - Etes-vous mon ami? Le Chevalier. - Vous méritez que je vous dise non, puisque vous me faites cette question-là . Lélio. - Ne te fùche point, Chevalier; ta vivacité m'oblige; mais passe-moi cette question-là , j'en ai encore une à te faire. Le Chevalier. - Voyons. Lélio. - Es-tu scrupuleux? Le Chevalier. - Je le suis raisonnablement. Lélio. - Voilà ce qu'il me faut; tu n'as pas un honneur mal entendu sur une infinité de bagatelles qui arrÃÂȘtent les sots? Le Chevalier, à part. - Fi! voilà un vilain début. Lélio. - Par exemple, un amant qui dupe sa maÃtresse pour se débarrasser d'elle en est-il moins honnÃÂȘte homme à ton gré? Le Chevalier. - Quoi! il ne s'agit que de tromper une femme? Lélio. - Non, vraiment. Le Chevalier. - De lui faire une perfidie? Lélio. - Rien que cela. Le Chevalier. - Je croyais pour le moins que tu voulais mettre le feu à une ville. Eh! comment donc! trahir une femme, c'est avoir une action glorieuse par-devers soi! Lélio, gai. - Oh! parbleu, puisque tu le prends sur ce ton-là , je te dirai que je n'ai rien à me reprocher; et, sans vanité, tu vois un homme couvert de gloire. Le Chevalier, étonné et comme charmé. - Toi, mon ami? Ah! je te prie, donne-moi le plaisir de te regarder à mon aise; laisse-moi contempler un homme chargé de crimes si honorables. Ah! petit traÃtre, vous ÃÂȘtes bien heureux d'avoir de si brillantes indignités sur votre compte. Lélio, riant. - Tu me charmes de penser ainsi; viens que je t'embrasse. Ma foi; à ton tour, tu m'as tout l'air d'avoir été l'écueil de bien des coeurs. Fripon, combien de réputations as-tu blessé à mort dans ta vie? Combien as-tu désespéré d'Arianes? Dis. Le Chevalier. - Hélas! Tu te trompes; je ne connais point d'aventures plus communes que les miennes; j'ai toujours eu le malheur de ne trouver que des femmes trÚs sages. Lélio. - Tu n'as trouvé que des femmes trÚs sages? OÃÂč diantre t'es-tu donc fourré? Tu as fait là des découvertes bien singuliÚres! AprÚs cela, qu'est-ce que ces femmes-là gagnent à ÃÂȘtre si sages? Il n'en est ni plus ni moins. Sommes-nous heureux, nous le disons; ne le sommes-nous pas, nous mentons; cela revient au mÃÂȘme pour elles. Quant à moi, j'ai toujours dit plus de vérités que de mensonges. Le Chevalier. - Tu traites ces matiÚres-là avec une légÚreté qui m'enchante. Lélio. - Revenons à mes affaires. Quelque jour je te dirai de mes espiÚgleries qui te feront rire. Tu es un cadet de maison, et, par conséquent, tu n'es pas extrÃÂȘmement riche. Le Chevalier. - C'est raisonner juste. Lélio. - Tu es beau et bien fait; devine à quel dessein je t'ai engagé à nous suivre avec tous tes agréments? c'est pour te prier de vouloir bien faire ta fortune. Le Chevalier. - J'exauce ta priÚre. A présent, dis-moi la fortune que je vais faire. Lélio. - Il s'agit de te faire aimer de la Comtesse, et d'arriver à la conquÃÂȘte de sa main par celle de son coeur. Le Chevalier. - Tu badines ne sais-je pas que tu l'aimes, la Comtesse? Lélio - Non; je l'aimais ces jours passés, mais j'ai trouvé à propos de ne plus l'aimer. Le Chevalier. - Quoi! lorsque tu as pris de l'amour, et que tu n'en veux plus, il s'en retourne comme cela sans plus de façon? Tu lui dis Va-t'en, et il s'en va? Mais, mon ami, tu as un coeur impayable. Lélio. - En fait d'amour, j'en fais assez ce que je veux. J'aimais la Comtesse, parce qu'elle est aimable; je devais l'épouser, parce qu'elle est riche, et que je n'avais rien de mieux à faire; mais derniÚrement, pendant que j'étais à ma terre, on m'a proposé en mariage une demoiselle de Paris, que je ne connais point, et qui me donne douze mille livres de rente; la Comtesse n'en a que six. J'ai donc calculé que six valaient moins que douze. Oh! l'amour que j'avais pour elle pouvait-il honnÃÂȘtement tenir bon contre un calcul si raisonnable? Cela aurait été ridicule. Six doivent reculer devant douze; n'est-il pas vrai? Tu ne me réponds rien! Le Chevalier. - Eh! que diantre veux-tu que je réponde à une rÚgle d'arithmétique? Il n'y a qu'à savoir compter pour voir que tu as raison. Lélio. - C'est cela mÃÂȘme. Le Chevalier. - Mais qu'est-ce qui t'embarrasse là -dedans? Faut-il tant de cérémonie pour quitter la Comtesse? Il s'agit d'ÃÂȘtre infidÚle, d'aller la trouver, de lui porter ton calcul, de lui dire Madame, comptez vous-mÃÂȘme, voyez si je me trompe. Voilà tout. Peut-ÃÂȘtre qu'elle pleurera, qu'elle maudira l'arithmétique, qu'elle te traitera d'indigne, de perfide cela pourrait arrÃÂȘter un poltron; mais un brave homme comme toi, au-dessus des bagatelles de l'honneur, ce bruit-là l'amuse; il écoute, s'excuse négligemment, et se retire en faisant une révérence trÚs profonde, en cavalier poli, qui sait avec quel respect il doit recevoir, en pareil cas, les titres de fourbe et d'ingrat. Lélio. - Oh! parbleu! de ces titres-là , j'en suis fourni, et je sais faire la révérence. Madame la Comtesse aurait déjà reçu la mienne, s'il ne tenait plus qu'à cette politesse-là ; mais il y a une petite épine qui m'arrÃÂȘte c'est que, pour achever l'achat que j'ai fait d'une nouvelle terre il y a quelque temps, Madame la Comtesse m'a prÃÂȘté dix mille écus, dont elle a mon billet. Le Chevalier. - Ah! tu as raison, c'est une autre affaire. Je ne sache point de révérence qui puisse acquitter ce billet-là ; le titre de débiteur est bien sérieux, vois-tu! celui d'infidÚle n'expose qu'à des reproches, l'autre à des assignations; cela est différent, et je n'ai point de recette pour ton mal. Lélio. - Patience! Madame la Comtesse croit qu'elle va m'épouser; elle n'attend plus que l'arrivée de son frÚre; et, outre la somme de dix mille écus dont elle a mon billet, nous avons encore fait, antérieurement à cela, un dédit entre elle et moi de la mÃÂȘme somme. Si c'est moi qui romps avec elle, je lui devrai le billet et le dédit, et je voudrais bien ne payer ni l'un ni l'autre; m'entends-tu? Le Chevalier, à part. - Ah! l'honnÃÂȘte homme! Haut. Oui, je commence à te comprendre. Voici ce que c'est si je donne de l'amour à la Comtesse, tu crois qu'elle aimera mieux payer le dédit, en te rendant ton billet de dix mille écus, que de t'épouser; de façon que tu gagneras dix mille écus avec elle; n'est-ce pas cela? Lélio. - Tu entres on ne peut pas mieux dans mes idées. Le Chevalier. - Elles sont trÚs ingénieuses, trÚs lucratives, et dignes de couronner ce que tu appelles tes espiÚgleries. En effet, l'honneur que tu as fait à la Comtesse, en soupirant pour elle, vaut dix mille écus comme un sou. Lélio. - Elle n'en donnerait pas cela, si je m'en fiais à son estimation. Le Chevalier. - Mais crois-tu que je puisse surprendre le coeur de la Comtesse? Lélio. - Je n'en doute pas. Le Chevalier, à part. - Je n'ai pas lieu d'en douter non plus. Lélio. - Je me suis aperçu qu'elle aime ta compagnie; elle te loue souvent, te trouve de l'esprit; il n'y a qu'à suivre cela. Le Chevalier. Je n'ai. pas une grande vocation pour ce mariage-là . Lélio. - Pourquoi? Le Chevalier. - Par mille raisons... parce que je ne pourrai jamais avoir de l'amour pour la Comtesse; si elle ne voulait que de l'amitié, je serais à son service; mais n'importe. Lélio. - Eh! qui est-ce qui te prie d'avoir de l'amour pour elle? Est-il besoin d'aimer sa femme? Si tu ne l'aimes pas, tant pis pour elle; ce sont ses affaires et non pas les tiennes. Le Chevalier. - Bon! mais je croyais qu'il fallait aimer sa femme, fondé sur ce qu'on vivait mal avec elle quand on ne l'aimait pas. Lélio. - Eh! tant mieux quand on vit mal avec elle; cela vous dispense de la voir, c'est autant de gagné. Le Chevalier. - Voilà qui est fait; me voilà prÃÂȘt à exécuter ce que tu souhaites. Si j'épouse la Comtesse, j'irai me fortifier avec le brave Lélio dans le dédain qu'on doit à son épouse. Lélio. - Je t'en donnerai un vigoureux exemple, je t'en assure; crois-tu, par exemple, que j'aimerai la demoiselle de Paris, moi? Une quinzaine de jours tout au plus; aprÚs quoi, je crois que j'en serai bien las. Le Chevalier. - Eh! donne-lui le mois tout entier à cette pauvre femme, à cause de ses douze mille livres de rente. Lélio. - Tant que le coeur m'en dira. Le Chevalier. - T'a-t-on dit qu'elle fût jolie? Lélio. - On m'écrit qu'elle est belle; mais, de l'humeur dont je suis, cela ne l'avance pas de beaucoup. Si elle n'est pas laide, elle le deviendra, puisqu'elle sera ma femme; cela ne peut pas lui manquer. Le Chevalier. - Mais, dis-moi, une femme se dépite quelquefois. Lélio. - En ce cas-là , j'ai une terre écartée qui est le plus beau désert du monde, oÃÂč Madame irait calmer son esprit de vengeance. Le Chevalier. - Oh! dÚs que tu as un désert, à la bonne heure; voilà son affaire. Diantre! l'ùme se tranquillise beaucoup dans une solitude on y jouit d'une certaine mélancolie, d'une douce tristesse, d'un repos de toutes les couleurs; elle n'aura qu'à choisir. Lélio. - Elle sera la maÃtresse. Le Chevalier. - L'heureux tempérament! Mais j'aperçois la Comtesse. Je te recommande une chose feins toujours de l'aimer. Si tu te montrais inconstant, cela intéresserait sa vanité; elle courrait aprÚs toi, et me laisserait là . Lélio dit. - Je me gouvernerai bien; je vais au-devant d'elle. Il va au-devant de la Comtesse qui ne paraÃt pas encore, et pendant qu'il y va. ScÚne VIII Le Chevalier Le Chevalier dit. - Si j'avais épousé le seigneur Lélio, je serais tombée en de bonnes mains! Donner douze mille livres de rente pour acheter le séjour d'un désert! Oh! vous ÃÂȘtes trop cher, Monsieur Lélio, et j'aurai mieux que cela au mÃÂȘme prix. Mais puisque. je suis en train, continuons pour me divertir et punir ce fourbe-là , et pour en débarrasser la Comtesse. ScÚne IX La Comtesse, Lélio, Le Chevalier Lélio, à la Comtesse, en entrant. - J'attendais nos musiciens, Madame, et je cours les presser moi-mÃÂȘme. Je vous laisse avec le Chevalier, il veut nous quitter; son séjour ici l'embarrasse; je crois qu'il vous craint; cela est de bon sens, et je ne m'en inquiÚte point je vous connais; mais il est mon ami; notre amitié doit durer plus d'un jour, et il faut bien qu'il se fasse au danger de vous voir; je vous prie de le rendre plus raisonnable. Je reviens dans l'instant. ScÚne X La Comtesse, Le Chevalier La Comtesse. - Quoi! Chevalier, vous prenez de pareils prétextes pour nous quitter? Si vous nous disiez les véritables raisons qui pressent votre retour à Paris, on ne vous retiendrait peut-ÃÂȘtre pas. Le Chevalier. - Mes véritables raisons, Comtesse? Ma foi, Lélio vous les a dites. La Comtesse. - Comment! que vous vous défiez de votre coeur auprÚs de moi? Le Chevalier. - Moi, m'en défier! je m'y prendrais un peu tard; est-ce que vous m'en avez donné le temps? Non, Madame, le mal est fait; il ne s'agit plus que d'en arrÃÂȘter le progrÚs. La Comtesse, riant. - En vérité, Chevalier, vous ÃÂȘtes bien à plaindre, et je ne savais pas que j'étais si dangereuse. Le Chevalier. - Oh! que si; je ne vous dis rien là dont tous les jours votre miroir ne vous accuse d'ÃÂȘtre capable; il doit vous avoir dit que vous aviez des yeux qui violeraient l'hospitalité avec moi, si vous m'ameniez ici. La Comtesse. - Mon miroir ne me flatte pas, Chevalier. Le Chevalier. - Parbleu! je l'en défie; il ne vous prÃÂȘtera jamais rien. La nature y a mis bon ordre, et c'est elle qui vous a flattée. La Comtesse. - Je ne vois point que ce soit avec tant d'excÚs. Le Chevalier. Comtesse, vous m'obligeriez beaucoup de me donner votre façon de voir; car, avec la mienne, il n'y a pas moyen de vous rendre justice. La Comtesse, riant. - Vous ÃÂȘtes bien galant. Le Chevalier. - Ah! je suis mieux que cela; ce ne serait là qu'une bagatelle. La Comtesse. - Cependant ne vous gÃÂȘnez point, Chevalier quelque inclination, sans doute, vous rappelle à Paris, et vous vous ennuieriez, avec nous. Le Chevalier. - Non, je n'ai point d'inclination à Paris, si vous n'y venez pas. Il lui prend la main. A l'égard de l'ennui; si vous saviez l'art de m'en donner auprÚs de vous, ne me l'épargnez pas, Comtesse; c'est un vrai présent que vous me ferez; ce sera mÃÂȘme une bonté; mais cela vous passe, et vous ne donnez que de l'amour; voilà tout ce que vous savez faire. La Comtesse. - Je le fais assez mal. ScÚne XI La Comtesse, Le Chevalier, Lélio, etc. Lélio. - Nous ne pouvons avoir notre divertissement que tantÎt, Madame; mais en revanche, voici une noce de village, dont tous les acteurs viennent pour vous divertir. Au Chevalier. Ton valet et le mien sont à la tÃÂȘte, et mÚnent le branle. Divertissement Le Chanteur Chantons tous l'agriable emplette Que Lucas a fait de Colette. Qu'il est heureux, ce garçon-là ! J'aimerais bien le mariage,... Sans un petit défaut qu'il a Par lui la fille la plus sage, Zeste, vous vient entre les bras. Et boute, et gare, allons courage Rien n'est si biau que le tracas Des fins premiers jours du ménage. Mais, morgué! ça ne dure pas; Le coeur vous faille, et c'est dommage. Un Paysan Que dis-tu, gente Mathurine, De cette noce que tu vois? T'agace-t-elle un peu pour moi? Il me semble voir à ta mine Que tu sens un je ne sais quoi. L'ami Lucas et la cousine Riront tant qu'ils pourront tous deux, En se gaussant des médiseux; Dis la vérité, Mathurine, Ne ferais-tu pas bien comme eux? Mathurine Voyez le biau discours à faire, De demander en pareil cas Que fais-tu? que ne fais-tu pas? Eh! Colin sans tant de mystÚre, Marions-nous; tu le sauras. A présent si j'étais sincÚre, Je vais souvent dans le vallon, Tu m'y suivrais, malin garçon On n'y trouve point de notaire, Mais on y trouve du gazon. On danse. Branle Qu'on se dise tout ce qu'on voudra, Tout ci, tout ça, Je veux tùter du mariage. En arrive ce qui pourra, Tout ci, tout ça; Diluvion C’est pas l’homme qui prend la mer! – DĂ©couverte -12mnoupas. Par Wildpumpk1n le 11 fĂ©vrier 2017 | Pas de commentaires. Partager Tweet. Bonjour Ă  toi moussaillon! Viens donc rejoindre notre Ă©quipage dans une folle aventure sentant le fioul et le renfermĂ© Ă  bord de notre beau sous-marin Diluvion! Diluvion est un nouveau jeu en 3D/2D
Moderator ModĂ©rateurs Mleg Membre RP Posts 4202 Joined 24 February 2015 Ă  21h25 Contact ♂ C'est pas l'homme qui prend la mer Bonjour KiB Viewed 69 times cdltMleg ASarahM ModĂ©rateur Posts 4439 Joined 01 January 2019 Ă  14h04 Location Haute Savoie Contact ♀ Re C'est pas l'homme qui prend la mer Postby ASarahM » 03 November 2021 Ă  09h36 Le titre m'a tout de suite envie de regarder la photo - Renaud, quand tu nous tiens !Une jolie composition avec le regard qui circule bien dans l'image Ever tried. Ever failed. No matter. Try Again. Fail again. Fail better. Samuel Beckett Membre RP Posts 2405 Joined 17 November 2019 Ă  13h30 Location Clermont-Fd Contact ♂ Re C'est pas l'homme qui prend la mer Postby » 03 November 2021 Ă  13h30 Bien bien Claudius Membre RP Posts 2976 Joined 07 November 2014 Ă  14h33 Location Fort fort lointain Contact Re C'est pas l'homme qui prend la mer Postby Claudius » 03 November 2021 Ă  17h24 L'attitude des personnages emmĂšne notre regard dans la diagonale du cadre vers le cargo. Superbe composition trĂšs dynamique. Belle image; bravo ! Toutes mes photos sont parties Ă  la poubelle; c'est une avancĂ©e dĂ©cisive. Return to “Forum essais & traitements” Who is online Users browsing this forum No registered users and 0 guests

Commele disait si bien Renaud dans son tube "DĂšs que le vent soufflera", ce n'est pas l'homme qui prend la mer, mais le contraire. En tout cas, c'est l'option qu'a choisi le conducteur d'une

Portrait François Richer C’est pas l’homme qui prend la mer » !Africa-Press – Congo Brazzaville. Cap sur Pointe-Noire oĂč François Richer, grand spĂ©cialiste de toutes les pĂȘches, fin cuisinier et installĂ© au Congo depuis 10 ans, flirte depuis toujours avec les ocĂ©ans. Comme dit la chanson C’est pas l’homme qui prend la mer, c’est la mer qui prend l’homme »Il est nĂ© en France en 1969, dans une petite commune d’à peine 20 000 habitants appelĂ©e Saint LĂŽ au cƓur de la rĂ©gion de Normandie. François Richer a grandi dans un milieu modeste, entre une mĂšre au foyer et un pĂšre employĂ© aux PTT Postes et tĂ©lĂ©communications dont il a gardĂ© l’uniforme bleu de nuit. Cette veste de facteur, j’y tiens, elle est vintage, presque collector, c’est un souvenir d’enfance du temps oĂč j’ai commencĂ© la pĂȘche avec mon pĂšre dans les marais du Cotentin. On y pĂȘchait le brochet et la perche, deux poissons carnassiers d’eau douce. L’amour de la pĂȘche m’est venu de cette Ă©poque de l’enfance », s’est-il souvenu. Comme hameçonnĂ© Ă  cet amour de la pĂȘche, François dĂ©sertera une Ă©cole qu’il n’aime que trop peu pour s’embarquer dĂšs l’ñge de 17 ans sur un caseyeur bulotier au port de Granville. L’ancre est levĂ©e, voilĂ  François devenu matelot Ă  pĂȘcher ces mollusques marins qu’on appelle bulots. C’est pas l’homme qui prend la mer, c’est la mer qui prend l’homme », chantait aime bien Renaud. Il aime aussi les chansons de marins qu’il connaĂźt sur le bout de ses doigts qui se frottent au sel des ocĂ©ans car, de Granville Ă  la Baie de Pointe-Noire, c’est une longue histoire. C’est d’abord, Ă  l’est du Cotentin, un autre bateau, Le LaĂ«titia », la pĂȘche Ă  la drague ou au chalut et les coquilles Saint-Jacques, trĂšs recherchĂ©es par les gastronomes. Il y a eu une rencontre formidable avec un homme hors du commun, Jean Paul, avec qui je pĂȘchais la seiche au-delĂ  des cĂŽtes et qui m’aura transmis toutes les valeurs de la pĂȘche et le respect de l’environnement. Dans un mĂ©tier qui te ne fait pas vraiment de cadeaux, je peux dire que lui c’était un bonhomme », a soulignĂ© François. Et d’ajouter Quand Jean Paul est dĂ©cĂ©dĂ©, j’ai achetĂ© plus tard mon propre bateau, un doris qui est une embarcation en bois et Ă  fond plat, je pĂȘchais le bar Ă  la canne. Par la suite, j’ai enchaĂźnĂ© avec un bateau plus grand, l’EurĂ©ka, pour pĂȘcher les coquilles Saint-Jacques, les raies blanches, les soles, je les revendais moi-mĂȘme en direct, Ă  la criĂ©e ou sur les marchĂ©s. De temps en temps, j’allais aussi aux huitres ».Il y aura d’autres bateaux, le Karentez coulĂ© dans l’archipel anglo-normand des EcrĂ©hous, le Formule 1, le Steven, des bateaux toujours de plus en plus grands et quelques rĂȘves Ă  la fin qui dĂ©rivent au large. Mon dernier bateau et moi, ça matchait pas trop, il n’était pas assez performant alors j’ai ouvert une parenthĂšse et je me suis engagĂ© sur les navires des Abeilles, spĂ©cialisĂ©s dans le remorquage et le sauvetage en haute mer », a lĂąchĂ© François. Mais l’amour de la pĂȘche est le plus fort. Cap sur d’autres horizons, l’Ecosse et la mer du nord ou encore Terre Neuve, au Canada, pour la pĂȘche dans les grands fonds, avec parfois des creux de 12 mĂštres, des vents Ă  60 nƓuds et oĂč la tempĂ©rature fait – 40°. Ce fut d’autres expĂ©riences, rudes et magnifiques, avec des paysages d’une autre dimension oĂč j’ai pĂȘchĂ© le pĂ©toncle gĂ©ant ou encore le concombre des mers trĂšs prisĂ© par les Asiatiques », s’est illuminĂ© François dĂ©sormais installĂ© au Congo depuis 10 ans. En dehors de son travail sur un crew boat pour Total Energies, François s’adonne forcĂ©ment, et dĂšs qu’il peut, Ă  la pĂȘche. De sa passion, il en a fait presque une vĂ©ritable encyclopĂ©die ! Alors ? Du poisson au menu ? Ici, Ă  Pointe-Noire, j’avoue une prĂ©fĂ©rence pour le bar », a conclu ce presque ichtyologue !Pour plus d’informations et d’analyses sur la Congo Brazzaville, suivez Africa-Press 1 Likes, 5 Comments - LAURY đŸ„ (@laury.aucalme) on Instagram: “C’est pas l’homme qui prends la mer, c’est la mer qui prend l’homme #bateau #mer #capitain” Chants Marins Renaud TransposerRenaud SĂ©chan Song AIntro Em C'est pas l'homme qui prend la mer D EmC'est la mer qui prend l'homme tintintin Em DMoi la mer elle m'a pris D EmJ'me souviens un mardi Em D Em J'ai troquĂ© mes santiags et mon cuir un peu zone D Em Contre une paire de docksides et un vieux cirĂ© jaune D Em J'ai dĂ©sertĂ© les crasses qui m'disaient soit prudent D Em La mer c'est dĂ©gueulasse les poissons baisent dedansRefrain Em D EmDĂšs que le vent soufflera je repartira G D B EmDĂšs que les vents tourneront nous nous en alleronsG D B EmTransition Em C'est pas l'homme qui prend la mer D EmC'est la mer qui prend l'homme Em D Moi la mer elle m'a pris EmAu dĂ©pourvu, tant pis Em D Em J'ai eu si mal au cƓur sur la mer en furie D Em J'ai vomi mon quatre heures et mon minuit aussi D Em J'me suis cognĂ© partout, j'ai dormi dans des draps mouillĂ©s D Em Ca m'a coĂ»tĂ© des sous, c'est d'la plaisance, c'est l'piedRefrain Em D D EmDĂšs que le vent soufflera je repartira G D B EmDĂšs que les vents tourneront nous nous en allerons G D B Em Fm Modulation Fm C'est pas l'homme qui prend la mer Eb Fm C'est la mer qui prend l'homme Eb Et elle prend pas la femme FmQui prĂ©fĂšre la campagne Fm Eb Fm La mienne m'attend au bord au bout de la jetĂ©e, Eb Fm L'horizon est bien mort dans ses yeux dĂ©lavĂ©s Eb Fm Assise sur une bite d'amarrage elle pleure Eb Fm Son homme qui la quitte la mer, c'est son malheurRefrain Fm Eb FmDĂšs que le vent soufflera je repartira Ab Eb C FmDĂšs que les vents tourneront nous nous en allerons Ab Eb C Fm Fm C'est pas l'homme qui prend la mer Eb Fm C'est la mer qui prend l'homme Eb Moi la mer elle m'a pris FmComme on prend un taxi Fm Eb Fm Je f'rais le tour du monde Pour voir a chaque Ă©tape Fm Eb Fm Si tous les gars du monde veulent bien m'lacher la grappe Eb Fm J'irai aux quatre vents foutre un peu le boxon Eb Fm Jamais les ocĂ©ans n'oublieront mon prĂ©nomRefrain Fm Eb FmDĂšs que le vent soufflera je repartira Ab Eb C FmDĂšs que les vents tourneront nous nous en allerons Ab Eb C Fm Fm Modulation 2 Fm C'est pas l'homme qui prend la mer E Fm C'est la mer qui prend l'homme Fm E Moi la mer elle m'a pris FmEt mon bateau aussi Fm E Fm Il est fier mon navire, il est beau mon bateau Fm E Fm C'est un fameux trois mĂąts fin comme un oiseau E Fm Si Tabarly, Pageot, Kersauzon et Riguidel E Fm Naviguent pas sur des cageots ni sur des poubellesRefrain Fm E FmDĂšs que le vent soufflera je repartira A E C FmDĂšs que les vents tourneront nous nous en allerons A E C Fm Fm C'est pas l'homme qui prend la mer E Fm C'est la mer qui prend l'homme E Moi la mer elle m'a pris Fm Je m'souviens un vendrediPont Fm Fm Ne pleure plus ma mĂšre, E Fm Ton fils est matelot Fm E Ne pleure plus mon pĂšre, E Fm Je vis au fil de l'eau Fm Fm Regardez votre enfant E Fm il est parti marin E Je sais c'est pas marrant Fm mais c'Ă©tait mon destinRefrain Fm E FmDĂšs que le vent soufflera je repartira A E C FmDĂšs que les vents tourneront nous nous en allerons E FmDĂšs que le vent soufflera je repartira A E C FmDĂšs que les vents tourneront nous nous en alleronsde requin Fm E FmDĂšs que le vent soufflera je repartira A E C FmDĂšs que les vents tourneront nous nous en allerons E FmDĂšs que le vent soufflera je repartira A E C Fm DĂšs que les vents tourneront nous nous en allerons de L
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Cest pas l'homme qui prend la mer: Directed by Matthieu Vollaire. With Yaëlle Trules, Antoine Stip, Nathan Dellemme, Marielle Karabeu.
Mathieu Pernot, un photographe sur les routes de l’exil28 Minutes 18/08/2022AdoptĂ©e au cƓur de l’Afrique par des semi-nomades28 Minutes 17/08/2022Archive - Salman Rushdie28 Minutes 12/09/2016En 2022, Sherlock Holmes enquĂȘte avec un scalpel28 Minutes 11/08/2022“Le gosse” cette enfance que la France a rĂ©primĂ©e28 Minutes 09/08/2022Sur le toit du monde, Éric Loizeau fait son nid28 Minutes 08/08/2022L’incroyable postĂ©ritĂ© des pharaons28 Minutes 04/08/2022Hugo Travers des millions de jeunes suivent l’actu grĂące Ă  ses vidĂ©os28 Minutes 03/08/2022 BmSur un plateau d'argent. Elle te s C ert du thĂ© au jasmin. Et quand G tu voudrais lui dire. Tu n'as pas d'amour pour elle. Elle t Am 'appelle dans ses ondes. Et laisse la mer rĂ©pondre. Que d G epuis toujours tu l'aimes. Tu veux Bm rester ses cĂŽtĂ©s. Mainte C nant, tu n'as plus C2 peur. ï»żRenaud bouge le capo d'une case Ă  chaque changement de tonalitĂ© et pour le B, il joue B7. C 'est pas Em l'homme qui prend la mer C'est la D mer qui prend Em l'homme, ta-ta-tin Moi, la Em mer, elle m'a D pris je m'so D uviens... un mard Em i J'ai Em troquĂ© mes Santiag' et mon D cuir un peu Em zone Contre une paire de doc D kside et un vieux cirĂ© Em jaune J'ai dĂ©sertĂ© les crasses qui m'di D saient "Sois prud Em ent ! La mer, c'est dĂ©gueul D asse, les poissons baisent de Em dans" DĂšs que le vent souffle D ra, je repartir Em a DĂšs que G les vents tourne D ront, nous no B us en aller Em ons C'est pas Em l'homme qui prend la mer C'est la D mer qui prend Em l'homme Moi, la mer, elle m'a D pris au dĂ©pourvu... tant Em pis J'ai eu si mal au coeur sur la D mer en fu Em rie J'ai vomi mon quatre D heures et mon minuit a Em ussi J'me suis cognĂ© partout, j'ai dormi D dans des draps mouil Em lĂ©s Ça m'a coĂ»tĂ© des s D ous, c'est d'la plaisance, c'est l Em 'pied DĂšs que le vent souffle D ra, je repartir Em a DĂšs que G les vents tourne D ront, nous no B us en aller Em ons Ho Em -ho-ho-ho-ho Em Hissez Fm haut C'est pas Fm l'homme qui prend la mer C'est la Eb mer qui prend Fm l'homme Mais elle prend pas la Eb femme... qui prĂ©fĂšre la ca Fm mpagne La mienne m'attend au port, au Eb bout de la j Fm etĂ©e L'horizon est bien Eb mort dans ses yeux dĂ©la Fm vĂ©s Assise sur une bitte... d'amarr Eb age, elle p Fm leure Son homme qui la q Eb uitte, la mer, c'est son m Fm alheur DĂšs que le vent souffle Eb ra, je repartir Fm a DĂšs que Ab les vents tourne Eb ront, nous no C us en aller Fm ons C'est pas l'homme qui prend la mer C'est la Eb mer qui prend Fm l'homme Moi, la mer, elle m'a Eb pris... comme on prend un ta Fm xi Je f'rai le tour du monde pour Eb voir Ă  chaque Ă© Fm tape Si tous les gars du Eb monde veulent bien m'lĂącher la g Fm rappe J'irai z'aux quatre vents foutre un Eb peu le b Fm oxon Jamais les oc Eb Ă©ans n'oublieront mon prĂ© Fm nom DĂšs que le vent souffle Eb ra, je repartir Fm a DĂšs que Ab les vents tourne Eb ront, nous no C us en aller Fm ons Ho Fm -ho-ho-ho-ho C'est pas Fm l'homme qui prend la mer C'est la E mer qui prend Fm l'homme Moi, la mer, elle m'a E pris... et mon bateau auss Fm i Il est fier, mon navire il est b E eau, mon ba Fm teau C'est un fameux trois E -mĂąts, fin comme un oi Fm seau Hissez haut Mais Tabarly, Pajot, Kersau E son et Riguid Fm el Naviguent pas sur des ca E geots ni sur des pou Fm belles DĂšs que le vent souffle E ra, je repartir Fm a DĂšs que A les vents tourne E ront, nous no C us en aller Fm ons C'est pas Fm l'homme qui prend la mer C'est la E mer qui prend Fm l'homme Moi, la mer, elle m'a E pris, je m'souviens, un ven Fm dredi Ne pleure plus ma mĂšre, ton E fils est mat Fm elot Ne pleure plus mon E pĂšre, je vis au fil de l' Fm eau Regardez votre enfant il est E parti ma Fm rin Je sais, c'est pas ma E rrant, mais c'Ă©tait mon de Fm stin DĂšs que le vent souffle E ra, je repartir Fm a DĂšs que A les vents tourne E ront, nous no C us en aller Fm ons DĂšs que le vent souffle E ra, je repartir Fm a DĂšs que A les vents tourne E ront, nous no C us en aller Fm ons... de requin DĂšs que le vent souffle E ra, je repartir Fm a DĂšs que A les vents tourne E ront, nous no C us en aller Fm ons DĂšs que le vent souffle E ra, nous repart Fm ira DĂšs que A les vents tourne E ront, je me C n'en all Fm erons... de lapin
Paretoi de ciel et de stupeur. Je t’emmĂšne Ă  la mer. (Fabrizio Caramagna) Je n’ai jamais vu les vagues se rendre. C’est pour cela aussi que j’aime la mer. (Anonimo) La vie, je ne la mesurai pas en annĂ©es, mais en routes, en ponts, en montagnes et en kilomĂštres qui me sĂ©paraient Ă  chaque fois de la mer.
Aller au contenu Tel qu’annoncĂ© la semaine derniĂšre, le prochain album de Renaud sortira le 29 novembre. L’album est dĂ©jĂ  disponible en prĂ©commande et le premier extrait Les Z’Animals » est attendu le 13 novembre Puisque Renaud s’apprĂȘte Ă  reprendre la mer du moins, sous la plume de Zep !, comment ne pas se souvenir de son succĂšs DĂšs que le vent soufflera » Dans cette chanson, Renaud rendait hommage Ă  quatre navigateurs qui Naviguent pas sur des cageots, ni sur des poubelles » Mais Tabarly, Pajot Kersauson et Riguidel Naviguent pas sur des cageots Ni sur des poubelles ! Éric Tabarly Ă©tait est un navigateur français, nĂ© le 24 juillet 1931 Ă  Nantes et mort en mer d’Irlande le 13 juin 1998 Ă  la suite d’une chute Ă  la mer. Il se passionna trĂšs tĂŽt pour la course au large et remporta plusieurs courses ocĂ©aniques telles l’Ostar en 1964 et 1976, mettant fin Ă  la domination anglaise dans cette spĂ©cialitĂ©. Il forme toute une gĂ©nĂ©ration de coureurs ocĂ©aniques et contribue par ses victoires au dĂ©veloppement des activitĂ©s nautiques en Bretagne et en France. Voici un reportage sur la disparition d’Éric Tabarly diffusĂ© sur France 2 le 14 juin 1998 Marc Pajot est un navigateur français, nĂ© le 21 septembre 1953 Ă  La Baule Loire-InfĂ©rieure. Il fut l’un des Ă©quipiers d’Éric Tabarly. Il a Ă©tĂ© mĂ©daillĂ© olympique Ă  dix-neuf ans avec son frĂšre Yves, cinq fois champion du monde, vainqueur de la Route du Rhum, double demi-finaliste de la Coupe Louis-Vuitton en tant que skipper. Voici une interview avec Marc Pajot datant du 3 novembre 2018 Ă  l’occasion de dĂ©part de la 11e Ă©dition de la Route du Rhum Olivier de Kersauson est un navigateur, chroniqueur et Ă©crivain français, nĂ© Ă  BonnĂ©table dans la Sarthe le 20 juillet 1944. Voici une interview d’Olivier de Kersauson Ă  l’émission On n’est pas couchĂ© », avec Laurent Ruquier, prĂ©sentĂ© sur France 2 le 8 novembre 2008 EugĂšne Riguidel est un navigateur français nĂ© le 24 novembre 1940 Ă  Arradon Morbihan. Voici un reportage sur EugĂšne Riguidel par MĂ©tĂ©o Ă  la carte, diffusĂ© sur France 3 et mis en ligne le 11 juin 2019 N’oubliez pas de vous inscrire Ă  la liste de diffusion pour ĂȘtre au courant des ajouts au site ainsi que des nouveautĂ©s concernant Renaud incluant Ă©videmment les vidĂ©os !. Vous avez apprĂ©ciĂ© ? SVP partagez ! 00 VidĂ©os les plus populaires Navigation de l’article UkulelegCea Tabs. Chants Marins: Renaud: Transposer: DĂšs que le vent soufflera Renaud SĂ©chan Song : A Intro : Em C'est pas l'homme qui prend la mer D Em C'est la mer qui prend l'homme ScĂ©nario Spectare - C'EST PAS L'HOMME QUI PREND LA MER, C'EST LA MER QUI PREND L'HOMME1m76 - 62kgCheveux violets - lisses - mi-longsYeux dorĂ©s - perçants - acuitĂ© visuelle 10/10Visage fin - inexpressif le 3/4 du tempsCorps svelte - athlĂ©tique sous ses vĂȘtements - agilitĂ© 9/10Kyanos a toujours Ă©tĂ© une personne loyale envers les gens, mais aussi envers ses convictions, l’ordre et les lois. Il n’aime dĂ©cidĂ©ment pas le chaos. Sur l’eau, il faut ĂȘtre toujours bien prĂ©parĂ© Ă  toute Ă©ventualitĂ© et cela pour de trĂšs bonnes raisons. MĂšre nature peut ĂȘtre sacrĂ©ment cruelle par moment. C’est pourquoi il est important de toujours suivre les rĂšgles de navigation par exemple ou bien les conseils de marins plus expĂ©rimentĂ©s. Il faut aussi savoir suivre ses instincts sur ce que l’on croit bien ou mauvais. On sera toujours rĂ©compensĂ© d’une bonne action que d’une mauvaise action. Le marin le sait et c’est pourquoi il n’hĂ©sitera jamais Ă  dĂ©noncer une personne qui va Ă  l’encombre des rĂšgles de Novabi. Un travail bien fait c’est un travail suivi Ă  la est aussi calme et serein qu’une dĂ©ferlĂ©e de vagues lĂ©gĂšres sur une plage. Il ne montre pas ses Ă©motions, ni ses sentiments sur son visage, mais par ses mots et ses gestes. Il n’est pas du genre violent, mais il sait se montrer ferme lorsque nĂ©cessaire. Kyanos n’est pas non plus du genre Ă  hausser la voix, mais s’il doit interpeler quelqu’un qui trouble l’ordre de l’archipel dans une tentative inutile de s’enfuir de lĂ , il le fera. NĂ©anmoins, il fera tout en son pouvoir pour arrĂȘter le trouble-fĂȘte, dans le respect des lois, bien sĂ»re. Il n’est pas trĂšs enclin Ă  user de la force et prĂ©fĂšrera nettement mieux parlementer avec l’individu en premier un homme trĂšs dĂ©terminĂ© aussi. Quand il a une idĂ©e en tĂȘte, c’est trĂšs difficile de le dissuader d’arrĂȘter d’y penser et encore moins, de l’empĂȘcher de l’accomplir. Aussi, ce n’est pas une personne qui peut se faire acheter alors, les pots de vin et les messes basses, c’est hors de question. Ce n’est pas pour rien qu’il n’affiche jamais rien sur son visage mĂȘme si la personne pleure devant lui ou tente de l’amadouer. Il reste bien stoĂŻque Ă  la dĂ©tresse humaine. Être honnĂȘte c’est un peu son modus operandi. Il faut savoir ĂȘtre honnĂȘte avoir soi-mĂȘme, mais aussi avec les autres gens qui nous entourent. Encore lĂ , cela va dans le sens de sa bonne foi et d’aider son prochain Ă  garder la tranquillitĂ© des lieux. Le garde de cĂŽte prĂ©fĂšre dire la vĂ©ritĂ© mĂȘme si elle peut sembler cruelle ou faire mal que de mentir pour paraitre mieux aux yeux de la personne. Un mensonge en entrainera certainement un autre et ainsi de suite jusqu’à se retrouver embourbĂ© dans une histoire fausse ou une fausse reprĂ©sentation de soi. Kyanos travaille toujours trĂšs fort aussi. Il aime que tout soit ordonnĂ© et propre autant chez lui, dans son appartement, que sur le bateau des gardes de cĂŽte. Comme il a le pied marin et beaucoup de difficultĂ© Ă  rester sur la terre ferme, il prĂ©fĂšrera dormir sur le navire que de faire le chemin jusqu’à son domicile. Sa vie reste l’eau et ses remous. C’est sa maison et il y ressent un trĂšs fort bien-ĂȘtre. Plus Ă  l’aise sur l’eau que sur terre, il ne mettra pied que si cela est nĂ©cessaire et cela bien malgrĂ© temps normal, il ne parle pas beaucoup, prĂ©fĂ©rant observer ce qui l’entoure. S’il a besoin de s’exprimer, il le fera. S’il doit jouer le diplomate, le garde de cĂŽte le fera aussi, mais chacun de ses mots sera rĂ©flĂ©chi et bien pesĂ©. Persuader une personne Ă  renoncer Ă  sa libertĂ© prend tout de mĂȘme de l’expĂ©rience. On ne peut pas dire n’importe quoi et espĂ©rer que l’autre abdique en le remerciant du fond du cƓur de lui avoir ouvert les yeux, hein? Tout doit ĂȘtre calculĂ© et rĂ©flĂ©chit et c’est une habitude que Kyanos a prise avec le temps. On ouvre la bouche que pour dire quelque chose d’intelligent. derniĂšre petite chose Ă  savoir sur lui c’est que le jeune homme est trĂšs lunatique. Il part souvent dans la lune, surtout lorsqu’il repense au passĂ© ou Ă  voguer plus loin que l’archipel. Cependant, ce ne sont que des vestiges du passĂ©, rien qui le persuaderait de retourner affronter les flots des mers et de l’ocĂ©an au loin lĂ -bas. Ses camarades ont tendance Ă  le bousculer un peu pour le sortir de cette transe lunatique et c’est bien l’un des rares moments oĂč le violet affiche une expression de confusion sur son visage. Il manque parfois des trucs, mais jamais rien d’important!Un type favoris? Le type eau Ă  200%. Ayant toujours eu la mer comme seule impitoyable amante et seul vĂ©ritable amour de gĂ©nĂ©ration en gĂ©nĂ©ration dans sa famille, il va sans dire que les pokĂ©mons aquatiques sont ce qu’il prĂ©fĂšre. Il ne fait pas semblant, loin de lĂ . L’eau douce, mais surtout l’eau salĂ©e, c’est ce qui le fait vibrer. Il va au grĂ© des vagues et du tempĂ©rament de mĂšre nature, tout comme les pokĂ©mons de type eau. Un pokĂ©mon craint? Le type Ă©lectrik en gĂ©nĂ©ral? Étant la plus grande faiblesse de l’eau, conducteur naturel de l’électricitĂ©, quoi de plus effrayant qu’une dĂ©charge surchargĂ©e? Les pokĂ©mons Ă©lectriques sont dangereux et peuvent ĂȘtre mortels sur l’eau. En rester loin, c’est le minimum. Point barre. Son lien avec les pokĂ©mons? Kyanos n’a jamais possĂ©dĂ© de pokĂ©mon lorsqu’il Ă©tait dans la rĂ©gion de Kanto. Pas le temps pour cela lorsqu’on avait la grandeur des mers et de l’ocĂ©an Ă  naviguer et Ă  dĂ©couvrir. Pourtant, il a toujours eu une fascination pour les pokĂ©mons et leur adaptation aux environnements et Ă  la prĂ©sence humaine. Les seuls pokĂ©mons qu'il a connu de prĂšs sont ceux de sa mĂšre, soit son Spoink et sa Nirondelle. Maintenant qu’il est Ă  l’archipel et qu’il a un but prĂ©cis Ă  rĂ©aliser, soit d’empĂȘcher quiconque de quitter les environs par la voie des mers, il a besoin d’un alliĂ© de taille. Un partenaire aquatique c’est l’idĂ©al. De gĂ©nĂ©ration en gĂ©nĂ©ration, la famille Solomos a toujours vĂ©cu Ă  Cramois'Ăźle. MĂȘme si les membres de cette famille de marins pouvaient parcourir les diverses rĂ©gions sur leurs navires et leurs bateaux, leur port d’attache se trouvait toujours sur cette Ăźle flamboyante. L’amour de l’eau, de ce biome aquatique qui parsemait une grande partie du monde permettait Ă  ces gens de dĂ©couvrir bon nombre de mystĂšres et de rencontrer des gens incroyables. C’est ainsi que le pĂšre de Kyanos rencontra sa mĂšre. Jeune adulte d’à peine 20 ans, il avait voguĂ© jusqu’à Hoenn, rĂ©gion lointaine pour ensuite amarrer Ă  la ville portuaire de NĂ©nucrique. Au tout dĂ©but, il ne devait rester que quelques jours pour amasser vivres et eau potable, mais les jours devinrent des semaines, puis trois mois. L’homme Ă©tait tombĂ© amoureux de cette femme qui se donnait en spectacle concours aprĂšs concours avec ses deux pokĂ©mons. Il ne manquait jamais de la regarder danser avec ces derniers. Ils finirent par tomber amoureux l’un de l’autre et la belle demoiselle accepta de le suivre sur son bateau pour vivre d’aventures trĂ©pidantes et de soleils couchants lĂ©chĂ©s par les vagues des mers et de l’ocĂ©an. AprĂšs un an de pĂ©riples dans les eaux sauvages du monde, ils revinrent Ă  Cramois'Ăźle pour y donner naissance Ă  un petit garçon. Le petit bĂ©bĂ© fut bercer par ses parents et protĂ©gĂ© par les pokĂ©mons de sa mĂšre, un Spoink enjouĂ© nommĂ© Tourbillon et une Nirondelle sĂ©rieuse nommĂ©e Ciel. Il n’avait mĂȘme pas encore un an que le pĂšre entrainait dĂ©jĂ  son fils sur son bateau Ă  lui faire faire des petits tours de l’üle. Son baptĂȘme de l’eau dura des annĂ©es aux cĂŽtĂ©s de son pĂšre et sous la surveillance attendrie de sa mĂšre. Kyanos eu une enfance trĂšs heureuse. Enfant doux et calme, il n’exprimait pas visuellement ses Ă©motions, mais ses gestes et ses mots parlaient d’eux-mĂȘmes. La mĂȘme passion que son paternel et que les gĂ©nĂ©rations avant lui s’incrusta dans sa chair et dans son cƓur, son Ăąme emplit d’aventures en haute mer. Le jeune garçon ne fit jamais le moindre grabuge, Ă©coutant toujours Ă  la lettre les rĂšgles et les avertissements de ses parents et des gens du voisinages. C’était un enfant perçu comme docile et tranquille qui Ă©tait terriblement sage. Il n’avait pas la fougue des gens de feu, ni le tempĂ©rament festif des gens des mers. Le garçon ressemblait au calme d’une mer apaisĂ©e et Ă  la flamme dansante sous une brise lĂ©gĂšre d’une journĂ©e d’étĂ©. AprĂšs quelques autres annĂ©es, le jeune garçon Ă  la chevelure violette devint un adolescent. Il avait la dĂ©termination de pouvoir voguer seul sur les eaux et l’ambition de tout marin qui se respectait. D’apparence calme, il y avait tout de mĂȘme cette flamme de passion qui s’échauffait en lui. Avoir son propre navire et voyager ici et lĂ  sans connaitre sa prochaine destination, c’était son dĂ©sir de jeunesse. À 18 ans, ses parents le laissĂšrent aller. On ne pouvait pas retenir la passion de l’ocĂ©an dans le cƓur d’un homme. C’est pourquoi son pĂšre offrit Ă  Kyanos son propre bateau, celui-lĂ  mĂȘme qu’il avait reçu de son pĂšre auparavant. Quittant donc pĂšre, mĂšre et les pokĂ©mons de celle-ci, le nouveau marin pris le large, seul, pour la toute premiĂšre premier voyage, il y en eu d’innombrables autres. Le violette se fit de nombreuses connaissances ici et lĂ , mais jamais il ne restait bien longtemps. Il revint Ă  Cramois'Ăźle quelques fois, mais il sentait que sa place Ă©tait ailleurs. Naviguer c’était bien, mais ce n’était pas un but fixe, un but rĂ©el. C’est ainsi qu’à 21 ans, il prit connaissance d’un projet concernant une archipel qui recrutait des gens pour y vivre une aventure des plus extraordinaires. Une aventure sans retour en arriĂšre, mais qui permettrait au marin de s’épanouir c’était plus que certain. Amoureux des eaux, il y trouverait son bonheur Ă  coup sĂ»r, une raison d’ĂȘtre et d’exister. C’est donc sans aucun remord que le jeune homme signa le contrat aprĂšs l’avoir lu bien scrupuleusement et qu’il s’embarqua dans ce pĂ©riple sans retour possible. Il avait laissĂ© une lettre d’au revoir Ă  sa famille et avait atterri bien vite sur l’archipel Novabi. Il laissa mĂȘme son bateau Ă  son pĂšre, ne pouvant pas l’apporter avec lui, malheureusement. C’était un nouveau dĂ©part aprĂšs tout. Un nouvel air et de nouveaux horizons s’offraient au marin. ArrivĂ© lĂ -bas, Kyanos rencontra d’autres marins comme lui, devint leur camarade de beuverie et d’histoires saugrenues sur cet archipel et ses mystĂšres. Lui, il ne parlait pas vraiment, mais Ă©coutait, observait. C’était bien beau la vie de marin mĂȘme sur ces eaux, mais il lui manquait encore lĂ , un petit quelque chose. C’est ainsi qu’il eut vent d’une escouade de garde de cĂŽte. Le respect des rĂšgles et des lois lui tenait Ă  cƓur et il y avait toujours cette passion de l’eau qui envahissait son cƓur. N’y pensant pas plus que cela, il s’engagea comme garde de cĂŽte mĂȘme si cela lui attira des railleries de ses camarades marins. C’était un bon job et l’homme avait maintenant la certitude de faire quelque chose de bien et de ainsi que pendant 6 annĂ©es de sa vie et maintenant encore, il empĂȘcha les fuyards de quitter l’üle prenant son rĂŽle trĂšs Ă  cƓur. Le violet appris aussi Ă  Ă©lever son propre partenaire pokĂ©mon pour l’aider Ă  capturer les personnes qui se refusaient Ă  suivre les lois de Novabi. Il lui donnait amour, douceur et protection, le traitant comme son propre enfant, un membre de sa famille. Aussi, Kyanos s’obstinait Ă  dormir sur le bateau de la garde de cĂŽte parce que l’eau le rassurait bien plus que la terre ferme. Il ne dormait que trĂšs peu dans son appartement. L’eau, elle le berçait. La terre, elle ne pouvait pas faire cela. Encore aujourd’hui, il se prĂ©pare Ă  une autre journĂ©e de boulot, scrutant les vagues et les eaux Ă  la recherche de ce qui ne devrait pas s’y retrouver. Il fait un bon boulot et le garde de cĂŽte adore ce qu’il fait. Cest la mer qui prend l’homme. Serenissima trĂŽnera sur les Ă©tals des boutiques ce weekend (22 dĂ©cembre) ! Alors allez remplir vos cales de prĂ©cieuses cargaisons de vin et d’épices. Faites dĂ©border vos coffres de mĂ©tal clinquant. Érigez des forts et des basiliques dans vos citĂ©s. Recrutez des marins, affrĂ©tez des galĂšres. Armez

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VousĂȘtes sa copine. Sa compagne. Sa meuf. 2/ Il vous a dit « Je t’aime » et il le prouve au quotidien. Il Ă©coute ce que vous dites (du moins il essaye), il vous interroge sur votre passĂ©
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C’est pas l’homme qui prend la mer, c’est la mer qui prend l’homme », chantait Renaud. François aime bien Renaud. Il aime aussi les chansons de marins qu’il connaĂźt sur le bout de ses doigts qui se frottent au sel des ocĂ©ans car, de Granville Ă  la Baie de Pointe-Noire, c’est une longue histoire. C’est d’abord, Ă  l’est
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